Fonkenell, Guillaume: Le Palais des Tuileries. 223 pages ; 1,565 kg ; 24cm x 29cm x 2,4cm ; ISBN : 978-2-918371-04-5 ; 49 €
(Éditions Honoré Clair, Arles 2010)
 
Recensione di Gilles Soubigou, Conservation régionale des monuments historiques de Lorraine
 
Numero di parole: 2517 parole
Pubblicato on line il 2011-06-20
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Une arcade provenant de la façade du palais des Tuileries vient d’être remontée dans la cour Marly du musée du Louvre grâce aux fonds débloqués par le Plan de Relance gouvernemental. Provenant d’un hôtel particulier parisien longtemps occupé par l’École des Ponts et Chaussées, elle a rejoint depuis 2010 les collections de sculptures françaises. Présentée au grand public, elle contribuera à témoigner du raffinement du décor architectural au temps des Valois. Au moment même où son installation était décidée paraissait une autre manifestation de la fascination actuelle pour ce monument disparu, sous la forme d’un ouvrage co-édité par les éditions Honoré Clair et la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Certes, retracer le cheminement architectural et historique d’un monument que l’histoire, précisément, a effacé, s’est maintes fois révélé un exercice complexe, voire risqué. Mais Guillaume Fonkenell – normalien, agrégé de Lettres classiques, architecte DPLG, actuellement en charge de la section « Histoire du Louvre » au sein du Département des Sculptures du musée du Louvre – s’y est attelé avec talent et a su offrir une synthèse précieuse et informée qui se revendique d’emblée comme une « histoire architecturale » (p. 7), ce qu’elle est en effet.

 

          L’auteur retrace pas à pas la destinée des Tuileries, depuis le règne de Catherine de Médicis qui, en 1561, décida de se faire construire une demeure sur ce site occupé depuis le XIIIe siècle par des fabriques de tuiles qui lui laissèrent leur nom (p. 9). On ne sait d’ailleurs rien du seul bâtiment de quelque ampleur qui se dressait alors à cet emplacement, l’« hôtel des Tuileries » construit par François Ier pour sa mère Louise de Savoie (p. 10). C’est un palais féminin qui s’éleva lentement, voulu par une femme, Catherine de Médicis, qui en confia le suivi du chantier – nous dirions aujourd’hui sa maîtrise d’ouvrage – à une autre femme, Marie de Pierrevive du Perron, « intendante des bâtiments ». L’architecte en fut Philibert Delorme (ou de l’Orme), qui se voulait le réformateur de l’architecture française et sut y imposer sa vision et ses formes. Jean Bullant lui succéda à sa mort en 1570, jusqu’à son propre décès en 1578. Le chantier fut d’une exécution difficile, régulièrement interrompu par les guerres de religion et des difficultés de financement, et la reine Catherine n’en vit jamais l’achèvement.

 

          Henri III s’intéressa à son tour au projet destiné à « accompagner le Louvre » (p. 19), et introduisit son propre architecte, Baptiste Androuet du Cerceau. C’est à cette époque que le père de ce dernier, Jacques Androuet du Cerceau, fit paraître le second tome de ses Plus excellents bastiments de France (1579), qui comprenait plusieurs plans et élévations des Tuileries, étudiés de façon approfondie par Guillaume Fonkenell (p. 21-27), qui choisit, entre de multiples hypothèses, d’y reconnaître le projet initial de Delorme, réinterprété par du Cerceau. Cette étude est l’occasion pour l’auteur de questionner le projet même de ce palais, élevé à proximité immédiate du Louvre mais aux marges de Paris – Catherine de Médicis dut même faire étendre l’enceinte de la ville en 1566 pour protéger son chantier (p. 16). La comparaison des Tuileries avec le Palais du Té, esquissée par l’auteur (p. 28), semble particulièrement pertinente et mériterait d’être approfondie. Comme son homologue italien dont la construction avait débuté quarante ans auparavant, il s’agissait d’une demeure de délassement, un palais de plaisir, organisé autour de plusieurs cours (si l’on s’en réfère aux plans de Du Cerceau), mais avec une ampleur nouvelle qui ne fut malheureusement pas menée à son terme. Comme le remarquait Du Cerceau : « Ce bastiment n’est de petite entreprinse, ne de petite œuvre ; & estant parachevé, ce sera maison vrayment Royalle. » (Les plus excellents bastiments de France, t. II, p. 4.)

 

          Sous les Bourbons, le palais devint véritablement un prolongement du Louvre. Laissé inachevé, saisi par les créanciers à la mort de la reine (p. 49), dépourvu d’aménagements intérieurs autres que l’escalier, chef-d’œuvre de stéréotomie (p. 37), le palais se vit offrir une seconde chance par Henri IV, qui conçut ce qu’il est d’usage d’appeler le « grand dessein », non pas tant pour achever les projets des Valois qu’en totale opposition avec la vision de ces derniers. Le chantier reprit, altérant à la fois le plan de Delorme et les réalisations effectives des maîtres d’œuvre postérieurs (le « gros pavillon » fut ainsi sacrifié). Le décor intérieur fut exécuté en 1600-1604.

 

          Sous Louis XIV, le chantier connut des développements décisifs, essentiellement grâce à l’implication de Mazarin, puis de Colbert, dans leur volonté d’attacher le jeune roi à sa capitale. Les travaux furent confiés à Le Vau, également à la maîtrise d’œuvre de la Cour Carrée du Louvre. Il termina enfin la façade sur jardin, en modifiant le pavillon central de Delorme et en créant de nouveaux pavillons qui enveloppaient la « salle des machines », décidée pour le mariage avec Marie-Thérèse, en 1660, espace capable d’accueillir 6 à 8 000 spectateurs pour des spectacles « à effets » mais qui ne connut qu’une exploitation très épisodique jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, avec de fréquents remaniements. Les réaménagements intérieurs, coordonnés par Le Brun et réalisés en 1662-1665, demeurèrent pour l’essentiel en place jusqu’à la Révolution. Enfin, si les projets de Le Vau pour des cours intérieures ne reçurent jamais de commencement d’exécution, les aménagements temporaires pour le Carrousel de 1662 laissèrent leur nom à l’esplanade côté Louvre.

 

          Guillaume Fonkenell passe plus rapidement sur les règnes de Louis XV et Louis XVI, caractérisés par un « endormissement » du palais, délaissé par les souverains qui attribuèrent les appartements à des favoris. L’incendie du pavillon de Flore, en 1787, très vite maîtrisé, laissait toutefois augurer du destin malheureux de l’édifice. Certaines parties du palais furent ouvertes au public avec l’organisation des Concerts spirituels à partir de 1725 et par l’attribution temporaire à l’Opéra puis à la Comédie-Française des locaux de la salle des machines, ce qui fait dire à l’auteur, en une formule peut-être un peu lapidaire, que « les Tuileries se transformaient lentement en une sorte de vaste maison de la culture » (p. 121).

 

          La Révolution fit basculer le destin du palais, en accueillant à partir d’octobre 1789 la famille royale qui y trouva les seuls appartements royaux habitables dans la capitale. Les espaces datant du règne du Roi-Soleil ne furent que peu touchés ; tout juste Louis XVI fit-il aménager au rez-de-chaussée du pavillon intermédiaire une forge pour son usage personnel (p. 125). La Convention y installa ensuite, en 1793, une salle d’assemblée, véritable décor de théâtre qui prit la place de la salle des machines.

 

          Devenues palais du pouvoir, les Tuileries le restèrent tout au long du XIXe siècle. Guillaume Fonkenell analyse successivement les modifications apportées par Napoléon Ier, Louis XVIII et Charles X, puis Napoléon III, qui tous choisirent ce lieu comme résidence parisienne, malgré une impression partagée de froideur et de tristesse. C’est l’époque du règne sans partage des architectes Percier et Fontaine, entre 1800 et 1848, date à laquelle Fontaine quitta ses fonctions à la suite de la destruction de son atelier pendant les émeutes parisiennes. Pendant près d’un demi-siècle, ils œuvrèrent à isoler le château de son environnement urbain – point qui aurait mérité d’être plus développé dans l’ouvrage – et à en assurer le rattachement au Louvre, d’où Napoléon chassait en même temps les artistes qui y avaient élu domicile. Guillaume Fonkenell s’attarde sur la construction de l’arc de triomphe du Carrousel (chantier auquel il avait déjà consacré une intéressante publication) et sur les aménagements intérieurs, parmi les mieux connus de l’histoire de cette résidence, peu modifiés sous les derniers Bourbons. Bien que Louis-Philippe ait été assez interventionniste (il avait imaginé un palais neuf empiétant sur les jardins, dont quelques fondations furent posées), construisant notamment un nouvel escalier monumental, il n’eut pas le temps de laisser une empreinte durable, et laissa à Napoléon III le soin de faire briller les Tuileries de leurs derniers feux.

 

          L’architecte Firmin Bourgeois, arrivé en 1848, laissa rapidement place à Louis Visconti, puis à Hector Lefuel, à qui il revint de terminer le grand projet de réunion du Louvre et des Tuileries. Il modifia assez considérablement l’apparence extérieure comme intérieure des bâtiments, utilisant des matériaux modernes (poutres métalliques) et reconstruisant intégralement le pavillon de Flore, véritable pastiche architectural (p. 190-193). L’ouvrage de Fonkenell a le grand mérite de bien montrer que, contrairement à ce qui est souvent soutenu, le « grand projet » de réunion du Louvre aux Tuileries ne fut pas achevé sous Napoléon III, faute de temps. L’incendie qui éclata en mai 1871, décidé par Jules Bergeret, un général autoproclamé de la Commune, effaça en 48 heures quatre siècles d’histoire. La décision de détruire les ruines ne fut prise qu’en 1883, après plusieurs projets de restauration plus ou moins « à l’identique », présentés par l’auteur, qui localise également les quelques vestiges encore existants, disséminés sur le territoire français. Mais Guillaume Fonkenell passe sous silence les projets postérieurs pour le site, notamment ceux qui fleurirent en 1886 lorsque cet emplacement fut proposé à l’imagination des architectes pour un monument à réaliser en vue de l’exposition universelle de 1889 (Louis-Ernest Lheureux, Monument à la gloire de la Révolution française, 1886, musée d’Orsay). Il ne mentionne pas non plus les actuels débats sur la reconstruction du palais de Tuileries, ultime avatar de ce monument complexe dont l’histoire, « disharmonique » selon le mot heureux de l’auteur, n’en était que plus difficile à restituer.

 

          Dès l’introduction, Guillaume Fonkenell reconnaît que la restitution de l’histoire de ce monument ne saurait être que « partielle » (p. 6), faute de documentation sur les états anciens ; et tout au long de l’ouvrage ce sont bien ces limites qui apparaissent avec le plus de franchise, l’auteur réussissant d’ailleurs à contourner cette difficulté, en établissant des hypothèses variées et argumentées. Les seuls défauts de cet ouvrage sont ceux qu’il pointe lui-même dès l’introduction (p. 7) : en écartant du champ de son étude aussi bien les jardins des Tuileries que le palais du Louvre, il construit un récit nécessairement incomplet. Si l’étude des Tuileries comme d’un palais original et isolé pouvait suffire pour le XVIe siècle, ce n’est plus le cas à partir de l’avènement de Henri IV, et le lecteur se sent frustré de ne pouvoir saisir pleinement l’articulation de ce bâtiment avec ceux auxquels il est progressivement relié. Par ailleurs, on l’a déjà dit, l’environnement urbain des Tuileries n’est sans doute pas tout à fait assez pris en compte. Les Tuileries étaient un palais dans la cité, ouvert sur la ville. L’attentat de la rue Saint-Nicaise, en décembre 1800, a lieu dans l’enceinte actuelle du palais du Louvre. Et le peintre Renoir, qui vécut rue d’Argenteuil sous la Monarchie de Juillet, se souvenait que, lorsque, jouant avec ses amis, il faisait trop de bruit, « Une fenêtre des Tuileries s’ouvrait et une dame très digne faisait signe aux galopins de se calmer. Ils se rassemblaient bien vite sous la fenêtre comme des moineaux avides. Alors une autre dame faisait son apparition et distribuait des bonbons à la troupe. C’était la reine de France qui essayait en vain d’acheter un peu de tranquillité. » (Jean Renoir, Pierre-Auguste Renoir, mon père, 1962).

 

          Il reste encore à parler du choix de mêler au discours – très maîtrisé – et aux sources iconographiques – de grande qualité – des « restitutions 3D » du palais des Tuileries à différents stades de son histoire. Ces images sont le fruit d’un travail effectué par Hubert Naudeix, qui avait également conçu en 2010 la maquette des Tuileries présentée à l’exposition Androuet du Cerceau à la Cité de l’Architecture. Hubert Naudeix est le co-fondateur, avec Mathilde Béjanin, des éditions Honoré Clair, maison installée à Arles et qui constitue le volet éditorial de leur société d’infographie patrimoniale, Aristéas. Ils sont également les auteurs d’un précédent ouvrage publié en 2009, Le ciel de Louis XIV, proposant des restitutions infographiques du pavillon du globe céleste de Marly. Ils sont aussi à l’origine de la vidéo éditée à l’occasion de l’exposition Science et Curiosité à la cour de Versailles, proposant une reconstitution infographique très soignée de la ménagerie exotique édifiée en 1662-1664 et disparue depuis le XIXe siècle (http://www.youtube.com/watch?v=c6vgyJshXp8). L’infographie 3D a pris un grand essor ces dernières années, depuis ses premières manifestations dans les années 1990 dans les champs du jeu vidéo (avec la société Cryo Interactive, fondée par Philippe Ulrich en 1990 et disparue en 2002) et du cinéma (l’exemple le plus souvent cité étant celui des reconstitutions de monuments de la Rome antique qui figurent dans le film Gladiator de Ridley Scott, sorti en 2000). Le revisionnage de ces « incunables » du genre montre à quel point l’évolution de ces techniques a été rapide, mais également combien ces productions vieillissent vite, au rythme de la rapide adaptation de notre œil de spectateur à une qualité de détails sans cesse accrue. Il y a fort à parier que les images numériques qui figurent dans cet ouvrage, et qui sont, il convient de le dire, d’une réelle qualité, notamment par l’insertion d’éléments en prise de vue réelle (fragments architecturaux et décoratifs essentiellement), ne feront sans doute pas exception. Il ne s’agit finalement que d’une variante des reconstitutions graphiques d’autrefois, des « vues d’artiste », auxquelles le traitement par un logiciel donne une plus grande apparence de rigueur scientifique (parfois illusoire, comme on le remarque en regardant de près les peu crédibles articulations des toitures et des façades dans certaines vues plongeantes, p. 41 par exemple). Mais le problème majeur reste le fait que, en donnant l’illusion de la possibilité d’une vision globale et complète du bâtiment, même dans ses états anciens très tôt disparus (les Tuileries du XVIe siècle en particulier), ces images contrastent singulièrement avec le discours de l’auteur, beaucoup plus mesuré et conscient des limites de ce qu’il appelle la « restitution ». Un problème auquel se confrontait moins une précédente co-publication d’Aristéas, Actes Sud et la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, portant sur un édifice plus récent et, par conséquent, beaucoup mieux documenté (Pascal Ory, Le Palais de Chaillot, 2006). Le défaut était plutôt, cette fois, la redondance des restitutions 3D et de l’abondante documentation photographique…


          Pour conclure, ce livre comble incontestablement un manque et nous permet d’enfin mieux connaître un de ces nombreux édifices perdus qui ont fait l’histoire de l’architecture française. La liste est longue et comprend des édifices aussi divers et essentiels que le château de Madrid (ou de Boulogne, autre chef-d’œuvre de Philibert Delorme qui a fait l’objet d’une monographie exemplaire par Monique Chatenet en 1987), le château de Richelieu (qu’une exposition actuellement tenue à Tours, Orléans et Richelieu remet heureusement sur le devant de la scène), le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye (étudié par Emmanuel Lurin dans un ouvrage qui vient de paraître en 2011), le château de Marly, le Château-Vieux de Meudon ou le château de Saint-Cloud (publié par Florence Austin-Montenay en 2005). Les deux derniers sont d’ailleurs, tout comme les Tuileries, au cœur d’une polémique sur l’opportunité de leur reconstruction, défendue par des associations très actives. Espérons que le bel ouvrage de Guillaume Fonkenell ne sera pas utilisé comme argument en ce sens par les défenseurs de ces nouveaux mirages aux alouettes patrimoniales.