Jamet-Chavigny, Stéphanie - Levaillant, Françoise (dir.): L’art de l’assemblage - Relectures. 17,5 x 25 cm, 276 p., ISBN : 978-2-7535-1270-2, 22,00 €
(Presses Universitaires de Rennes 2011)
 
Reviewed by Guillaume Le Bot
 
Number of words : 2298 words
Published online 2013-12-18
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1364
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          Les articles réunis dans cet ouvrage publié par les Presses Universitaires de Rennes sont les actes d’un colloque organisé à l’INHA à Paris en 2008. L’idée initiale était de faire un retour sur la genèse d’une notion centrale de l’art du XXe siècle, l’art de l’assemblage. Les articles réunis analysent la nature du concept forgé par William Seitz pour l’exposition du Museum of Modern Art de 1961 (« The Art of Assemblage ») mais aussi les autres aspects de l’art de l’assemblage que Seitz n’avait pas intégrés à son exposition. Une autre partie des articles traite de la question de l’assemblage lui-même, d’un point de vue plus général, jusqu’à nos jours. Les auteurs définissent ainsi leur démarche : « Le but est, d’une part, d’apporter des éclairages nouveaux, voire des interprétations différentes de celles de Seitz sur des œuvres que lui-même a mises en valeur, (…) et d’autre part, de ‘faire venir dans le cadre’ quelques expériences contemporaines (…) qui trouvent un sens nouveau [à la notion d’assemblage] » (p. 21). L’ouvrage s’organise en trois parties : la 1ère (« Historiographie et sémantique ») se penche sur l’exposition organisée par William Seitz et traite de l’assemblage d’un point de vue ethnologique. La 2ème partie (« Objets, méthodes, dispositifs ») traite dans le détail de cas particuliers, en France comme aux États-Unis. Enfin, la dernière partie (« Moments critiquesIrruptions, déplacements ») analyse l’assemblage comme pratique subversive, depuis les années 1960 jusqu’à nos jours. L’apport réel de cet ensemble d’articles de qualité inégale concerne l’art américain et en particulier les analyses du contexte artistique duquel émerge ce concept d’assemblage au début des années 1960. Nous tenterons de résumer les sujets abordés par les différents articles, en suivant l’ordre proposé par l’ouvrage.

 

 

Historiographie et sémantique 

 

          Dans le texte introductif, Françoise Levaillant analyse l’exposition de 1961 et fournit un cadre théorique utile à la fois pour rassembler des contributions très diverses mais aussi pour cerner une pratique sans réel contour et tente de répondre à la question « quand n’y a-t-il pas assemblage » (p. 214). La partition utile et judicieuse de l’ouvrage en trois parties permet d’avancer progressivement. Les deux premiers articles (« Les enjeux sémantiques de l’exposition The Art of Assemblage » de Stéphanie Jamet-Chavigny et « Derrière l’assemblage – William C. Seitz, Allan Kaprow et l’art de la construction » de Ileana Parvu) analysent les enjeux et la réception de l’exposition du MoMA de 1961. Le choix du terme « assemblage », les précédentes expositions traitant du sujet, et les relations entre Allan Kaprow, Leo Steinberg et William Seitz sont abordés. S. Jamet-Chavigny précise la pensée pessimiste de Seitz qui a initié l’exposition : « [Seitz] critique les complexes urbains et péri-urbains, au grossissement extrême, qui offense la dignité de l’homme, qui l’isole. Il met en cause ouvertement l’industrialisation et le capitalisme » écrit-elle p. 46. I. Parvu tente d’expliquer l’absence, dans ce contexte de guerre froide, des artistes constructivistes russes à l’exposition de 1961 : « Seitz a dû y renoncer pour des raisons très probablement idéologiques » (p. 55 et suiv.).

 

          Judicieusement placé à la suite des analyses resserrées du contexte intellectuel de W. Seitz, l’article de Michel Egaña (« Assemblagisme, structuralisme, modernisme, post-modernisme ») élargit amplement cette notion artistique de l’assemblage vers le structuralisme. La notion d’assemblage est au départ plus proche de la pensée sauvage analysée par Lévi-Strauss que de la modernité. L’auteur pose la question suivante : « Comment cette pensée assemblagiste a-t-elle pu […] rencontrer certaines idéologies comme le modernisme, le structuralisme, le post-modernisme, se confronter et parfois sembler se confondre avec elle ? » (p. 63). Les éclairages apportés par M. Egaña sont pertinents. Si l’assemblage signe au départ une volonté anti-moderne et régressive, il finit par devenir le signe de la modernité. L’auteur tente de replacer l’art de l’assemblage dans une autre perspective que celle que nous en a donnée Clement Greenberg. « Cette lecture [anti-moderne] a vu dans l’événement du collage un véritable cheval de Troie permettant l’irruption d’une hétérogénéité extra-picturale, décorative et populaire mettant fin à l’autonomie de la peinture et de la pratique artistique (…) » (p. 66). Il trace ainsi un fil rouge entre Dada, les constructivistes Russes et les artistes Fluxus.

 

          L’article de Gillian Whiteley (« La récupération comme pratique consacrée, ou l’artiste bricoleur ») poursuit cette question de la transgression propre à l’art de l’assemblage. Il replace, comme M. Egaña, l’art de l’assemblage dans la tradition du bricoleur, qui sera largement utilisée par « ces jeunes artistes impatients, hypercritiques et anarchistes » que sont Bruce Lacey ou George Fullard (p. 79). Il analyse la façon dont cette transgression a progressivement disparu, et s’est policée « sous l’effet d’un lien subjectif que le public et les critiques ont établi avec le contexte politique » (p. 79).

 

Objets, méthodes, dispositifs

 

         C’est dans cette partie que l’on trouvera les meilleures contributions. Si elles tendent à s’éloigner parfois de la notion d’assemblage au sens strict, elles contribuent à dresser un panorama large de la notion. Cécile Debray, dans son très bon article sur le Nouveau Réalisme (« La question du réalisme dans le Nouveau Réalisme »), analyse le mouvement français sous l’angle du naturalisme et de la tradition française de l’histoire de l’art : ces artistes « utilisent des matériaux nouveaux, mais selon un dispositif esthétique redevable de l’art informel ou tachiste » (p. 100). Elle analyse l’arrière-plan idéologique du Nouveau Réalisme, un mouvement « foncièrement optimiste, réconcilié avec le monde contemporain », à l’inverse de la vision pessimiste de William Seitz (p. 100). Cette vision du monde moderne fut très influencée aussi par un certain mysticisme. L’auteur parle de « naturalisme cosmique ». Elle poursuit sa mise en parallèle avec la littérature en comparant le Nouveau Réalisme au Nouveau Roman (p. 104). L’article suivant de Muriel Badet analyse aussi le Nouveau Réalisme (« La tambouille des Tableaux-pièges dans la pratique artistico-culinaire de Daniel Spoerri »). La notion d’assemblage y entre avec force, mais l’intention était de montrer la pluralité du concept et en particulier les différences importantes entre les notions française et américaine d’un même concept. M. Badet analyse ainsi de façon détaillée les menus des différents dîners organisés par Spoerri à la Galerie J en 1963.

 

          Les deux articles suivants reviennent sur la notion américaine de l’art de l’assemblage. L’article de Bertrand Clavez, spécialiste français de Fluxus, éclaire intelligemment les apports de la pensée de George Brecht à cette notion d’assemblage (« Les petits arrangements de George Brecht avec l’art de l’assemblage »). Ce dernier forge un concept plus étendu que celui d’assemblage, l’« arrangement » : à la notion de Seitz, Brecht ajoute celles du temps, de la musique et du hasard. Les ambitions de Brecht sont très différentes de celles de Seitz : « [Brecht] affirme l’indifférence de la juxtaposition de tel ou tel objet dans ses œuvres, réfutant tout embryon d’interprétation au profit de la simple description d’un état des choses, d’une structure d’expérience, d’une invite à la contemplation méditative » (p. 134). Clavez montre parfaitement la nature de la « structure d’expérience » que Brecht souhaitait mettre à jour dans ses assemblages (p. 136 et suiv.). « I felt that every object was an event. […] It seems to me that from the viewpoint of nuclear physics you could hardly consider the structure of an atom without feeling that an object is becoming an event and that every event is an object », Brecht, en 1976 cité p. 137. 

 

          Le deuxième article sur l’art américain de cette partie traite de l’assemblage selon Robert Morris (« La question du processus – Autour de trois œuvres de Robert Morris »). Katia Schneller se penche sur trois œuvres majeures de Morris : Box with the sound of its Own making, 1961, Untitled, 1967 (assemblage de feutre dans sa période « anti-form ») et la performance Continous Project Altered Daily, présentée chez Castelli en 1969. Dans chacune de ces œuvres, c’est le processus de fabrication qui fait œuvre lui-même : « L’assemblage l’intéresse pour l’acte même qu’il représente et non pour le résultat final auquel aboutira » (p. 146). Si l’intérêt de Brecht se portait sur la question de l’événement dans sa nature contemplative, Robert Morris se concentre sur un objet sans cesse dans le flux d’un processus de transformation et de création permanente. « Tout se passe comme si l’artiste ne pouvait maintenir une forme en place, comme si l’assemblage des éléments qui constituaient l’œuvre n’était voué qu’à l’échec, à l’effondrement » (p. 149). Les deux artistes tentent de mettre en pièce un modernisme optimiste voire utopique que William affichait dans son exposition de 1961. Brecht voyait dans ses assemblages la possibilité de nous faire voir la course du monde cosmique devant un objet immobile, Morris nous « propose une allégorie de la chute de la figure de l’artiste qui répond à sa position ‘anti-humaniste’ » (p. 151). Les deux articles de la dernière partie de l’ouvrage sur Edward Kienholz et Carolee Schneemann confirmeront ces tentatives d’ouverture de cette notion d’assemblage.

 

          Le dernier article de cette partie sort des années 1960 et aborde la dialectique peinture-sculpture dans les travaux de Felice Varini, Peter Downsbrough et Daniel Buren (Line Herbert-Arnaud, « Fragmentation et intention perspective ; la sculpture d’assemblage dans l’espace », p. 157). L’auteur aborde ici la notion d’assemblage du point de vue de l’espace et du mouvement du spectateur. Les œuvres de Peter Downsbrough sont pertinemment analysées et mises en regard de celles de Varini et Buren (la série des « Cabanes éclatées », p. 166 et suiv.).

 

 

3e partie : Moments critiques – irruptions, déplacements

 

          Cette dernière partie présente, entre autres, trois articles sur l’art américain, notamment sur l’art de l’assemblage en Californie. Dans son article issu en partie de sa thèse soutenue en 2011, Sophie Dannenmüller pointe les spécificités des artistes de cette région, souvent issus de l’immigration, et qui prennent le plus souvent appui sur des déchets, des objets au rebus (« Un point de vue géographique : l’assemblage en Californie »). Elle évoque les travaux d’artistes connus comme George Herns, Bruce Conner ou Ed Kienholz, mais aussi Clay Spohn, Lynn Foulkes ou David Avalos. Elle analyse parfaitement la spécificité du « Californian Assemblage » : « Personne, ici, n’efface un dessin de de Kooning ou n’écrit de texte sur l’héritage de Jackson Pollock ; ni de manifeste collectif, ni projet commun (…) ; aucun chef de file n’élabore de théories à l’instar des Nouveaux Réalistes. Dans l’ensemble, les assemblagistes californiens préfèrent rester à l’écart du monde de l’art spéculatif » (p. 175). L’assemblage en Californie est un art à la marge, pratiqué par des artistes socialement exclus. Elle souligne à plusieurs reprises l’importance du multiculturalisme et replace ces créations dans leur contexte social et politique de la Beat Generation, de la musique jazz, de la guerre froide et de la ségrégation sociale. L’article de Caroline Tron-Carroz sur Ed Kienholz (« Les assemblages télévisuels d’Edward Kienholz comme réemplois critiques d’un objet emblématique » - aussi issu d’une thèse soutenue en 2008) confirme la spécificité de la scène californienne. Elle analyse de façon rapprochée l’approche critique de Kienholz à l’égard de l’objet télévisuel en particulier d’un assemblage comme Six o’clock News de 1964 (anc. coll. W. Copley) : « Une arme anti-media redoutable et un modèle d’analyse critique » (p. 189). L’article de Sophie Delpeux sur Carolee Schneemann (« Une femme nue dans l’assemblage ») reprend la question, dans le contexte du happening, de l’équivalence entre les personnes et les objets ou « l’emploi du corps comme un vulgaire matériau » (p. 194). Elle ouvre cette question de l’assemblage à la question de la nudité féminine. Elle analyse en détail la série de 36 photographies intitulées « Eye Body » que l’artiste new yorkaise réalise dans son atelier en 1963, au sein de laquelle elle questionne l’intégration de son corps dans l’environnement de son atelier.  Des œuvres qui rappellent à la fois les femmes nues de de Kooning et les Combines de Rauschenberg.

 

          L’ouvrage se termine par deux articles sur des artistes européens qui réactivent à leur façon la question de l’assemblage : sur Wim Delvoye, Carole Boulbès n’évoque pas directement la question de l’assemblage, mais celle du décalage constant entre les matériaux et l’iconographie. Sylvie Coëllier, dans son article sur Bruno Peinado (dans lequel les photographies sont malheureusement à l’envers) fait le lien entre assemblage et hybridité autour du thème de la créolisation. Une transcription d’une intervention de Thomas Hirschhorn sur sa vision de l’assemblage conclut l’ouvrage.

 

 

Sommaire

 

Antoinette LE NORMAND-ROMAIN

Préface. Retour sur Rodin 7

 

Stéphanie JAMET-CHAVIGNY & Françoise LEVAILLANT

Avant-propos 11

 

Françoise LEVAILLANT

Introduction. Retour sur l’art de l’assemblage 17

 

PREMIÈRE PARTIE

 

HISTORIOGRAPHIE ET SEMANTIQUE

 

Stéphanie JAMET-CHAVIGNY

Les enjeux sémantiques de l’exposition « Th e Art of Assemblage » 33

 

Ileana PARVU

Derrière l’assemblage

William C. Seitz, Allan Kaprow et l’art de la construction 53

 

Miguel EGAÑA

Assemblagisme, structuralisme, modernisme, post-modernisme 63

 

Gillian WHITELEY

La récupération comme pratique consacrée, ou l’artiste bricoleur 77

 

Gilbert LASCAULT

Nouer, lier, bricoler (à l’infinitif) 87

 

DEUXIÈME PARTIE

 

OBJETS, METHODES, DISPOSITIFS

 

Cécile DEBRAY

« Le magasin du monde »

La question du réalisme dans le Nouveau Réalisme 99

 

Muriel BADET

La tambouille des Tableaux-Pieges

dans la pratique artistico-culinaire de Daniel Spoerri 113

 

Bertrand CLAVEZ

Les petits arrangements de George Brecht avec l’art de l’assemblage 131

 

Katia SCHNELLER

La question du processus

Autour de trois oeuvres de Robert Morris 145

 

Line HERBERT-ARNAUD

Fragmentation et intention perceptive

La sculpture d’assemblage dans l’espace 157

 

TROISIÈME PARTIE

 

MOMENTS CRITIQUES, IRRUPTIONS, DEPLACEMENTS

 

Sophie DANNENMÜLLER

Un point de vue géographique : l’assemblage en Californie 171

 

Caroline TRON-CARROZ

Les assemblages télévisuels d’Edward Kienholz

comme réemplois critiques d’un objet emblématique 183

 

Sophie DELPEUX

Une femme nue dans l’assemblage 193

 

Carole BOULBÈS

Monter/démonter, Wim Delvoye et l’art des cathédrales 203

 

Sylvie COËLLIER

Installation-créolisation-sampling : les modalités récentes de l’assemblage

à travers les oeuvres de Bruno Peinado 213

 

Th omas HIRSHHORN

Où est-ce que je me situe ? Qu’est-ce que je veux ? 227

 

Bibliographie 241

 

Table des illustrations 251

 

Crédits et remerciements 257

 

Les auteurs 259

 

Index des noms de personnes 265