Meyer, Véronique - Pujalte-Fraysse, Marie-Luce (dir.): Voyage d’artistes en Italie du Nord, XVIe-XIXe siècle. 17,5 x 25 cm, 274 p., llustrations : N & B, ISBN : 978-2-7535-1238-2, 22 €
(Presses Universitaires de Rennes 2011)
 
Compte rendu par Julie Garel-Grislin, École Pratique des Hautes Études, Paris
 
Nombre de mots : 1428 mots
Publié en ligne le 2011-12-15
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1365
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          Voyage d’artistes en Italie du Nord, XVIe-XIXe siècle, dirigé par Véronique Meyer et Marie-Luce Pujalte-Frayasse, est le résultat d’un cycle d’études consacré au voyage d’artistes en Italie du Nord. Privilégiant une approche diachronique et interdisciplinaire, les dix-sept études s’articulent autour d’une question centrale, celle de l’attrait exercé par l’Italie du Nord sur des artistes, mais également sur des amateurs d’art ou des collectionneurs venus de toute l’Europe, et mettent en lumière les enjeux multiples du voyage (confrontation à l’altérité, formation artistique, élaboration de réseaux sociaux et professionnels, construction d’une Italie réinventée au fil des récits).

 

          Après une introduction dans laquelle Jérôme Grévy remet en perspective le voyage en l’inscrivant dans les récents travaux d’histoire sociale qui lui ont été consacrés tout en précisant les précautions méthodologiques qui s’appliquent à un tel objet d’étude, la première partie étudie la place de Rome au XVIIIe siècle et les rapports qu’elle entretient avec les villes d’Italie du Nord. Susanna Caviglia insiste ainsi sur les débats qui ont agité l’Académie de France dans la deuxième partie du XVIIIe siècle et qui ont mis en cause l’existence de cette institution par l’affirmation d’un « modèle italien » élargi, dans lequel l’Italie du Nord n’est plus réduite au simple rôle d’étape dans un périple linéaire vers Rome, inéluctable destination finale. Gilles Montègre montre bien l’importance de la cité romaine dans le mouvement de retour à l’Antiquité qui marque l’Europe dès les années 1750. Étape essentielle du Grand Tour, elle occupe une place capitale dans le paysage culturel du siècle des Lumières, que les relations d’interdépendance entre artistes et voyageurs illustrent parfaitement.

 

          La deuxième partie, à travers quelques exemples probants, pose la question de la découverte de l’altérité et de son impact. Valentina Sapienza s’intéresse à la renommée de Titien auprès des artistes étrangers. Elle met l’accent sur le rôle joué par le peintre dans la construction de son propre mythe et dans le rapport ambivalent qu’il entretient avec Venise. Valérie Boudier dégage l’importance des séjours à Venise qu’effectuèrent les frères Carrache. Au-delà des différences qui marquèrent les voyages de chacun d’entre eux, il est indéniable que la Sérénissime influença considérablement leur œuvre ainsi que leur démarche artistique et théorique, véritable contrepoids à Rome. C’est également l’occasion d’une véritable révolution de leur doctrine puisqu’ils affirmeront désormais la primauté des maîtres contemporains sur ceux de l’Antiquité. Enfin, Laura De Fuccia nous offre quelques observations sur la présence d’artistes français à Venise au XVIIe  siècle et sur l’importance de cette expérience vénitienne pour la peinture française de la première moitié du siècle, et notamment dans la fameuse « querelle du coloris », dans l’évolution des genres comme le paysage ou dans le renouvellement du langage artistique.

 

          La troisième partie tente d’identifier le rapport qu’entretiennent les voyageurs avec l’étranger et avec l’inconnu. Dans cette optique, Sébastien Chauffour nous livre les impressions de l’architecte Jean-Jacques Huvé à son arrivée à Gênes. Caroline Giron-Panel analyse l’impact des ospedali vénitiens sur l’imaginaire des voyageurs. Au fil des récits de voyages et des correspondances, c’est une image stéréotypée de ces institutions uniques en Europe qui est véhiculée et qui prend finalement le pas sur la réalité. Valentine Toutain-Quittelier compare le mécénat parisien et le mécénat vénitien tout en dégageant les phénomènes de mixité sociale qui caractérisent le milieu artistique. En étudiant les voyages effectués par les artistes entre Paris et Venise, elle met en évidence le rôle des relations d’amitié qui se nouent entre les différents acteurs artistiques.

 

          La quatrième partie, grâce à l’étude de quelques trajectoires particulières, permet de cerner l’impact qu’eurent les séjours en Italie sur la carrière de certains artistes en termes artistiques et professionnels. Basile Baudez étudie le cas des pensionnaires de l’Académie des Beaux-Arts de Russie qui, au XVIIIe siècle, bénéficient de bourses de séjour en Italie et en France. Occasion unique de voir les œuvres sur lesquelles se fonde la réforme de l’art russe, ces séjours permettent indéniablement à la Russie d’entrer pleinement dans l’art occidental, même si l’auteur ne manque pas de souligner la diversité des parcours de ces pensionnaires. Laetitia Levantis et Gisui Andreina Perniola s’intéressent toutes deux aux voyages italiens de l’architecte Hubert Rohault de Fleury. La première étudie son engouement pour l’architecture vénitienne, tandis que la seconde souligne l’intérêt qu’il porte à l’architecture paléochrétienne. L’impact des voyages en Italie du jeune architecte est primordial puisqu’ils lui permettent de s’affranchir du modèle antique et de constituer un répertoire innovant tant sur le plan architectural que sur celui, ornemental, qui fera sa renommée. Jean Gribenski clôt cette partie sur les voyages en Italie du Nord qu’effectue Mozart en compagnie de son père entre 1769 et 1773. Si la quête d’un emploi, objet initial du périple, n’est pas couronnée de succès, ces voyages lui permettent toutefois de se familiariser avec la langue et la musique italiennes, d’étoffer son réseau social important et de se produire en concert tout en obtenant des commandes.

 

          La dernière partie est exclusivement consacrée au récit de voyage en tant que tel. Geneviève Haroche-Bouzignac étudie le récit autobiographique et la correspondance de Louis Elisabeth Vigée-Lebrun en mettant en évidence les conditions matérielles du voyage, les réseaux que l’artiste constitue peu à peu ainsi que les commandes qui égrènent son périple. Aline Lemonnier-Mercier nous livre une partie du récit de voyage que Pierre-Adrien Paris effectue en Italie en 1810. Enfin, à travers la relation de voyage de Costa de Beauregard, témoignage d’un noble savoyard sur son voyage en Italie à la veille du Risorgimiento, Patrick Michel, évoque les goûts des collectionneurs dans la première partie du XIXe  siècle. Cette dernière partie peut laisser perplexe en ce qu’elle rompt quelque peu avec la trame problématique jusque-là suivie. Dans sa contribution, Caroline Giron-Panel met en garde le chercheur en soulignant l’extrême subjectivité des récits de voyage ou des correspondances qui donnent à voir une réalité subjective et imaginaire, un écueil qui révèle aussi toute la richesse d’une source parfois boudée : tout comme l’ensemble des écrits du for privé, les récits de voyages ont longtemps été négligés, et il est donc fort appréciable de voir un cycle d’étude consacré au voyage lui redonner toute sa place.

 

          Cet ouvrage se veut une invitation au voyage et le lecteur ne peut qu’être tenté d’y répondre positivement tant les pistes ouvertes sont nombreuses.

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

Véronique Meyer et Marie-Luce Pujalte-Fraysse

Avant-propos, p. 7

 

Gérôme Grévy

Introduction : « Regards d’historiens sur le voyage », p. 11

 

Première partie : Rome et l’Italie du nord

Susanna Caviglia, « Les débats sur la localisation de l’Académie de France au XVIIIe siècle ou la crise du paradigme romain », p. 21

 

Gilles Montègre, « Artistes et voyageurs français à Rome à l’apogée du Grand Tour : les raisons d’être d’une dépendance réciproque », p. 33

 

Deuxième partie : L’ouverture à l’altérité (XVIeXVIIIe siècle)

Valentina Sapienza, « Titien vers l’étranger », p. 47

 

Valérie Boudier, « À livre ouvert : les séjours des frères Carrache à Venise », p. 59

 

Laura De Fuccia, « “Infinità de zoveni concore [...] in sta nostra Cità.” Quelques observations sur les artistes français à Venise au XVIIe siècle », p. 73

 

Troisième partie : A la rencontre de l’étranger (XVIIIe siècle)

Sébastien Chauffour, « L’arrivée d’un architecte français en Italie au xviiie siècle. Découverte et description de Gênes d’après les journaux de voyage de Jean-Jacques Huvé (3-11 décembre 1773) », p. 91

 

Caroline Giron-Panel, « De belles infidèles ? Les ospedali de Venise dans les relations de voyage du XVIIIe  siècle », p. 113

 

Valentine Toutain-Quittelier, « “...Un letterato puo’ esser uomo di mondo” Proposition pour l’étude du voyage entre Paris et Venise comme vecteur d’une mixité artistique et sociale », p. 129

 

Quatrième partie : les enjeux du voyage d’artistes (XVIIIe-XIX e siècle)

Basile Baudez, « Les pensionnaires russes en Italie et en France au XVIIIe siècle », p. 143

 

Laetitia Levantis, « Le carnet de voyage inédit de l’architecte Hubert Rohault de Fleury (1777-1846) en Italie : l’émergence d’un goût pour l’architecture gothique vénitienne », p. 155

 

Giusi Andreina Perniola, « Les basiliques chrétiennes sont de l’architecture grecque L’image de Rome d’Hubert Rohault de Fleury (1804) », p. 167

 

Jean Gribenski, « Les voyages de Mozart en Italie du Nord (1769-1773) De la formation à la recherche d’un emploi », p. 181

 

Cinquième partie : Les récits de voyage

Geneviève Haroche Bouzinac, « Élisabeth Louise Vigée Le Brun sur les routes de l’émigration en Italie du Nord », p. 191

 

Aline Lemonnier-Mercier, « Pierre-Adrien Pâris : Relation succincte d’un voyage de Pâris à Rome par les parties septentrionale et orientale de l’Italie pendant les mois de mai, juin, juillet 1810 », p. 207

 

Patrick Michel, « Les Impressions italiennes d’un noble savoyard en 1827-1828. Un regard inédit sur les collections privées de la Péninsule », p. 221

 

Laurent Châtel, Conclusion : « Au-delà du “Voyage pittoresque”, le voyage esthétique en Italie de William Beckford (1760-1844) », p. 235