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Compte rendu par Rémi Auvertin, Université Lille 3 Nombre de mots : 1995 mots Publié en ligne le 2012-06-25 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1385 Lien pour commander ce livre
Le « Clos de la Lombarde » à Narbonne est un cas de figure unique dans l’archéologie des villes de Gaule romaine. Ce terrain de près d’un hectare, fouillé par opérations programmées depuis 1973 sous la direction d’Y. Solin puis de M. et de R. Sabrié, donne un aperçu rare de l’évolution d’un quartier, d’habitats complets, entre le Ier et le Ve siècle. Ces fouilles sont d’autant plus remarquables que leurs résultats sont régulièrement publiés, aussi bien dans des articles thématiques que dans le cadre de monographies complètes (par exemple consacrées à la « Maison aux Portiques » ou à la basilique paléochrétienne). L’ouvrage ici présenté est le quatrième volume accordé à ce secteur de Narbonne, dédié à la « Maison au Grand Triclinium » fouillée entre 1980 et 1986. La volonté de M. et R. Sabrié était clairement de proposer une publication globale, pluridisciplinaire de cette domus ; l’ouvrage implique donc une quinzaine de contributeurs. Le résultat est abouti et fait de la « Maison au Grand Triclinium » une nouvelle référence dans l’étude de l’architecture domestique de la Gaule méridionale.
Les auteurs distinguent trois grands états dans l’occupation du secteur :
1. Les phases précoces (chapitre 1, p. 20-41). L’occupation domestique est reconnue dès le Ier siècle, bien que ces niveaux soient fortement perturbés par les constructions postérieures. Les auteurs relèvent deux phases. À la première appartiennent trois espaces observés très partiellement, datés de la première moitié du IIIe siècle, dont une pièce à emblema. De la deuxième phase, mieux documentée, on retiendra un bassin très bien conservé et le réseau de canalisations associé ; la publication de cet ensemble, interprété comme un vivarium, est exemplaire. Appartiennent aussi à cet état des latrines, détruites par la construction de la domus. La mise en place des structures de cette deuxième phase est située à la fin du Ier siècle ou au début du IIe, leur arasement et remblayage dans la deuxième moitié du IIe siècle.
2. La domus des IIe-IIIe siècles constitue le cœur de cet ouvrage (chapitre 2, p. 42-149). Bien que les murs aient été par la suite systématiquement récupérés, le plan complet de la maison peut être restitué. Cette maison s’étend sur une surface de 700 m² ; ses dimensions sont sensiblement inférieures à celles de la « Maison aux Portiques » voisine. Malgré une surface occupée relativement moyenne (en comparaison des maisons à péristyle retenues dans l’article récent de P. Vipard), la « Maison au Grand Triclinium » présente toutes les caractéristiques d’un habitat privilégié, par la distribution des pièces autour d’une cour centrale ou par la qualité des matériaux et des techniques employés. Si toutes les pièces de la domus sont bien conservées et décrites intégralement dans ce chapitre, trois espaces reçoivent un traitement particulier de la part des auteurs : la cour à portique et son jardin (p. 45-61) et deux salles d’apparat (p. 121-149).
La datation des niveaux de destruction, perturbés par les opérations de récupération des matériaux, est peu précise, mais la « Maison au Grand Triclinium » semble complètement abandonnée dans la première moitié du IIIe siècle. Il s’agit d’ailleurs d’une désaffection générale de ce secteur de Narbonne, l’occupation de tous les édifices du « Clos de la Lombarde » s’arrêtant au cours du IIIe siècle.
3. L’occupation tardive (traitée en fin d’ouvrage, chapitre 7, p. 321-327), ainsi, se pose en rupture complète avec l’occupation du Haut-Empire. A la fin du IVe siècle, de nouvelles structures sont établies à l’emplacement de la domus, après le démantèlement des anciens murs : on enregistre un petit édifice sur fondations de pierre, un puits, quatre fosses. Cette occupation prend place à proximité directe de l’église paléochrétienne du Clos de la Lombarde. Le reste du secteur fouillé semble abandonné. Le chapitre est conclu par quelques remarques sur les tranchées d’épierrement, que les auteurs datent exclusivement de la période romaine, sans envisager d’intervention médiévale ou moderne. Cette récupération systématique des matériaux de construction n’est pas spécifique à la « Maison au Grand Triclinium » et a pu être observée sur toute la zone du Clos de la Lombarde.
Bien que ces trois états soient traités dans des chapitres distincts (rédigés par M. et R. Sabrié), les principes analytiques sont homogènes. La publication associe étroitement description et interprétation. Chaque état est présenté espace par espace ; à la description brute d’un espace fait suite l’étude de son décor, de sa fonction, de la chronologie. L’organisation du propos est parfois déroutante pour le lecteur (il est notamment difficile d’avoir une image nette de la chronologie de la domus), mais assure une présentation claire et complète de la fouille. Le vocabulaire employé est précis et juste, et la méthode descriptive rigoureuse, aussi bien pour le bâti que pour le décor. Ce dernier reçoit d’ailleurs une attention marquée de la part des auteurs (dès la présentation de la problématique de la fouille, p. 18), qui s’explique par la quantité exceptionnelle de fragments d’enduits retrouvés et par la variété et la qualité des peintures.
Le chapitre 3 (« Architecture, décoration, réaménagements et habitants », p. 150-201) rassemble les contributions analytiques dédiées à la domus du Haut-Empire. Deux volets constituent le corps du texte, dédiés successivement au bâti (M. et R. Sabrié) et au décor (M. et R. Sabrié, F. Queyrel et J. Marcadé, p. 154-183), ce dernier complété par un catalogue du lapidaire. Suivent de courtes analyses thématiques englobant l’essentiel des problèmes d’architecture et de structuration de l’espace : restitution des élévations, des vides et des pleins, des espaces de circulation, de la visibilité des pièces. Le chapitre est conclu par une étude onomastique présentée par M. Christol et R. Sabrié (p. 198-201). Les auteurs proposent d’identifier le dernier occupant de la domus à partir d’un autel votif découvert en contexte secondaire (tranchée d’épierrement). Outre les problèmes habituels liés à l’attribution d’un propriétaire à une maison antique (l’exercice est fréquent à Pompéi), la relation établie entre l’autel et la domus, posée sans discussion archéologique complémentaire (p. 100), est difficile à confirmer.
Ce chapitre, relativement complet et méthodique, est symptomatique de l’état de la documentation archéologique et du parti-pris des auteurs. L’analyse du décor, on l’a déjà vu, est intelligemment menée et prend en compte les contextes de découverte et son emplacement dans la domus. Elle permet aux auteurs de définir une première hiérarchisation des espaces de la maison (p. 156-159), plus loin complétée par l’intégration d’autres facteurs (p. 193-197) : superficie des espaces, nature des sols. Par comparaison, l’étude du bâti, limitée à la présentation succincte (p. 150-153) des techniques de construction des murs et des sols, se révèle décevante ; les auteurs sont en cela dépendants de leur documentation. On notera cependant que les descriptions précises du bâti et les notices techniques placées en incise (par exemple à propos des stucs de la pièce K, p. 98) dans les chapitres descriptifs compensent ce défaut de l’ouvrage.
Les chapitres 4 à 6 sont consacrés au matériel des trois phases d’occupation. Le chapitre 4 (p. 202-265) présente le mobilier : successivement le corpus numéraire, la céramique, le verre, la tabletterie et les métaux. Chacun de ces volets propose un catalogue ou les tableaux de comptage, des planches typologiques et, à l’exception des métaux, une courte partie analytique. L’étude céramique (C. Sanchez et R. Sabrié), concernant le mobilier de deux ensembles clos de la domus, des niveaux d’abandons de la domus et des niveaux tardifs, est le thème le plus développé de ce chapitre. L’analyse typologique donne prétexte à une courte présentation des dynamiques d’approvisionnement de Narbonne et de ses alentours, distinguant flux locaux et flux africains. L’étude de la vaisselle tardive (céramique et verre), quant à elle, assure le dynamisme de l’occupation post-domus pourtant mal appréhendée par la fouille.
Les matériaux de construction font l’objet d’un chapitre distinct (chapitre 5, p. 266-294). L’étude des tuiles, tout d’abord, est réduite à celle des estampilles, publiées contexte par contexte (G. Fédière, p. 266-285). Le catalogue appuie une analyse de l’aire de répartition de ces estampilles, ainsi que quelques observations onomastiques et prosopographiques ; cette étude, bien documentée, se démarque par sa qualité. Sont ensuite définis les pierres employées dans le décor (M. Mayer, p. 286-291) puis les pigments (C. Coupry, p. 291-294). Cette dernière thématique repose sur des analyses physico-chimiques clairement expliquées. Elles permettent à l’auteur d’identifier les pigments employés à Narbonne et leur concordance avec la tradition romaine.
Les contributions des chapitres 4 et 5 sont méritoires : les catalogues sont complets et très bien illustrés et l’ensemble du mobilier est traité. Toutefois, une véritable étude des matériaux de construction manque cruellement. On aurait pu attendre une présentation technique des terres cuites architecturales (typologique ou microscopique) ; de même, l’analyse chimique ou microscopique des enduits (et non pas des seuls pigments) aurait pu constituer un bon complément pour établir la périodisation de la domus. Enfin, limiter la publication des matériaux lithiques aux seules pierres décoratives semble un choix surprenant, d’autant que la synthèse sur les modes de construction est particulièrement brève.
Le chapitre 6 (« Vestiges anthropologiques et zoologiques », p. 295-320) se concentre sur deux thèmes distincts : le mobilier ostéologique du puits de la domus (V. Forest) ; le mobilier conchyliologique (A. Bardot). Cette dernière étude, consacrée à une thématique encore nouvelle, évoque également les pratiques de collecte et de consommation des coquillages. Une détermination des phytolites observés dans le jardin de la domus est directement intégrée dans la description des structures (p. 49-50, P. Verdin).
On le voit, la variété des contributions mises en jeu dans la publication fait de la « Maison au Grand Triclinium » une référence. L’illustration (insérée dans le texte et complétée en fin d’ouvrage par trente-deux planches en couleurs) n’est pas en reste : les photographies appuient de manière pertinente la description des structures et les catalogues. Les plans et relevés de coupes sont clairs et nombreux, les normes et les échelles homogénéisées. A la fin du volume sont adjointes une bibliographie à jour et une table des illustrations. Les monographies de maisons restent encore rares, malgré une recrudescence récente des publications (« Palais des Sports » à Amiens, « Centre hospitalier » à Carhaix, « Palais de Derrière la Tour » à Avenches). L’ouvrage de M. et de R. Sabrié, par son caractère exhaustif et par sa réalisation intelligente, constitue donc un modèle pour les chercheurs de l’urbanisme romain.
Table des matières
Préface, F. Dumasy : p. 11-12
Introduction, R. Sabrié : p. 13-19 I : Niveaux du Ier s. apr. J.-C., M. Sabrié, R. Sabrié : p. 20-41
II : La domus du IIe s. apr. J.-C. Etude des divers espaces, M. Sabrié, R. Sabrié : p. 42-149 III : La maison, son architecture, sa décoration, ses réaménagements, ses habitants 1. Les structures, R. Sabrié : p. 150-153 2. La décoration : sols et murs, M. Sabrié, R. Sabrié : p. 154-159 3. La décoration : le décor sculpté, F. Queyrel, J. Marcadé : p. 160-185
4. Elévations et toitures, essai de restitution, R. Sabrié, J.-M. Gassend : p. 186-189 5. Maîtrise de l’eau : alimentation, évacuation, R. Sabrié : p. 189 6. Circulation dans la maison, R. Sabrié : p. 190-191 7. L’éclairage, R. Sabrié : p. 191-193 8. Les points de vue, R. Sabrié : p. 193 9. Importance et fonction des espaces, R. Sabrié : p. 193-197 10. Les réaménagements, R. Sabrié : p. 197-198 11. Les habitants, M. Christol, R. Sabrié : p. 198-201
IV : Le mobilier 1. Les monnaies, A. Lemartret : p. 202-213
2. La céramique, C. Sanchez, R. Sabrié : p. 213-236
3. La vaisselle en verre, St. Raux : p. 236-245
4. Travail de l’os, I. Rodet-Belarbi : p. 245-265
V : Les matériaux de construction et du décor 1. Estampilles et autres empreintes sur matériaux de construction en terre cuite, G. Fédière : p. 266-285
2. Les matériaux décoratifs des pavements, M. Mayer : p. 286-291
3. Analyse physico-chimique des pigments de la maison au grand triclinium, C. Coupry : p. 291-294
VI : Les vestiges anthropologiques et zoologiques 1. Etude ostéologique : homme et animaux, V. Forest, V. Fabre : p. 295-310
2. Etude archéoconchyliologique, A. Bardot : p. 311-320
VII : Les vestiges de l’Antiquité tardive, R. Sabrié : p. 321-327 Conclusion générale, R. Sabrié : p. 328-331
Bibliographie générale : p. 332-353
Liste des illustrations : p. 354-360
Planches en couleur hors-texte : p. 362-364 Planches I-XXXII
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |