Mai, Ekkehard : Die deutschen Kunstakademien im 19. Jahrhundert : Künstlerausbildung zwischen Tradition und Avantgarde. 480 Seiten, ISBN-13: 978-3412204983, 60 €
(Böhlau, Cologne 2010)
 
Compte rendu par Frauke Josenhans, Université de Provence, Aix-Marseille I
 
Nombre de mots : 1829 mots
Publié en ligne le 2011-11-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Peut-on enseigner l’art à l’académie ? C’est la question que soulève l’historien de l’art allemand Ekkehard Mai dans cet ouvrage, où il propose à travers une étude historique des principales académies allemandes une réflexion autour de la question de l’enseignement artistique. L’ouvrage est le fruit d’un long travail. En effet, les premières recherches de l’auteur sur cette matière remontent aux années 1970 et depuis il a largement publié sur le sujet (1). De premier abord, on peut se demander si une telle étude, résumant l’histoire des académies des Beaux-Arts allemandes au XIXe siècle, peut être traitée dans un seul ouvrage, en raison non seulement des structures enseignantes, mais aussi de l’histoire mouvementée de l’Allemagne – une tâche rendue encore plus compliquée par le morcèlement de l’Allemagne avant 1871. Chaque chapitre de cet ouvrage aurait en effet mérité un traitement isolé, puisque l’histoire d’une académie est aussi le reflet de ses directeurs, ses professeurs ou encore plus globalement de son temps – ce que Mai cherche à évoquer par ailleurs pour chacune de ces institutions. Pour autant, son ambition n’est pas de donner une image exhaustive du monde académique allemand, mais d’insister sur le fil rouge de l’enseignement académique en Allemagne, puis sur le Wendepunkt, le tournant, du modèle académique à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

 

          L’auteur s’intéresse en effet aux transformations essentielles subies au XIXe siècle par les académies, leur mission, leur fonction et leur discours. Mai prend la situation actuelle des académies des Beaux-Arts comme point de départ, afin de s’interroger sur l’évolution de ces institutions. Il structure son étude autour de l’histoire évolutionniste des académies, traitée chronologiquement, et arrive à dégager ainsi l’histoire des idées et contenus de la formation artistique. Alors que quelques initiatives voient déjà le jour au XVIIe siècle à Nuremberg et à Augsbourg sous l’initiative de l’artiste et historien de l’art allemand Joachim von Sandrart, suivis par des fondations à Vienne et à Berlin, c’est le XVIIIe siècle qui se démarque comme l’époque fondatrice des académies allemandes. Si l’évocation de l’académie des Beaux-Arts à Paris est incontournable, Mai évoque aussi le modèle romain et dégage subtilement le transfert d’idées et de modèles concernant l’organisation académique d’une principauté à l’autre à travers quelques personnages clés, notamment celui du théoricien d’art et collectionneur Christian Ludwig von Hagedorn. C’est en effet grâce au rôle joué par certains artistes et intellectuels allemands cosmopolites, comme Hagedorn, Johann Joachim Winckelmann et Anton Raphael Mengs, qui incarnent aussi l’essor de l’art et de l’histoire de l’art en Allemagne, que d’autres académies voient le jour et se développent entre autres à Dresde et à Stuttgart. A ces initiatives individuelles, s’ajoute un aspect matériel, qui sera décisif pour l’histoire des premières académies. Selon Mai, l’importance des collections princières dans les villes de résidence (Residenzstädte) est l’un des facteurs clés qui allait favoriser le débat sur les académies. L’auteur démontre ainsi combien l’histoire des académies est intiment liée à celle des collections en Allemagne.

 

          La période autour de 1800 est décisive pour les académies en Allemagne. Si on assiste à de nouvelles fondations pendant cette période, dans les villes de résidence de Mannheim, Düsseldorf et Kassel, dans certains cas à partir d’écoles déjà préexistantes, d’autres villes voient leur académie prendre un nouvel élan sous l’intervention princière, notamment à Munich avec Maximilien Ier, qui souhaite alors fonder une académie au service de l’État. Avec l’arrivée du peintre Peter von Cornelius (un des représentants du mouvement nazaréen) à Munich au poste de directeur de l’académie en 1825 et la restructuration de l’académie de Berlin, se dessine un paysage artistique en Allemagne profondément marqué par cette opposition entre la Prusse et la Bavière, comme les deux centres artistiques majeurs qui éclipsent quelque peu les autres.

 

          De 1814-1815 jusqu’à la Révolution de 1848, à côté d’un essor considérable des académies allemandes, les artistes cherchent à s’émanciper de celles-ci et de leurs contraintes. Les sociétés des Beaux-Arts qui voient le jour et se développent rapidement donnent aux artistes l’occasion d’exposer leurs œuvres en dehors du cadre académique et d’avoir un accès direct au public, qui jouera un rôle de plus en plus important. Afin de répondre à ces nouvelles attentes artistiques et commerciales, on assiste vers 1848 à une fièvre réformatrice dans les académies allemandes, qui adoptent des structures plus aptes à faire face à ces nouveaux besoins. Un autre élément caractéristique de cette période constitue le transfert culturel et artistique entre différents pays. Le modèle français sert de nouveau de référence aux académies allemandes, et notamment leur système de concours, mais aussi la peinture d’histoire belge. Les écrits de l’historien de l’art Franz Kugler sur le monde des académies, rédigés après un voyage de 1845 à travers l’Allemagne, la France et la Belgique, ont un impact considérable sur les réformes de l’académie de Berlin. L’académie de Düsseldorf commence à rivaliser avec les grandes académies de Berlin et de Munich, en passant du statut d’une institution « provinciale » à celui d’une académie de premier ordre sous le directorat de Wilhelm von Schadow. Alors que Peter von Cornelius restructure l’académie de Munich et donne la primauté à la peinture d’histoire, Schadow défend un modèle didactique beaucoup plus libéral, qui laisse une place importante à la peinture de paysage et de genre. De même, il instaure une structure d’enseignement privilégiant les classes de maître (Meisterklasse), un principe qui sera largement repris par la suite. Cette libéralité didactique n’étouffe pas les genres mineurs et leur donne au contraire le moyen de se développer. De même, elle fait naître un art nouveau, dont les représentants sont aujourd’hui connus sous le nom de Düsseldorfer Malerschule. A travers l’étude des systèmes didactiques représentés par Schadow à Düsseldorf et par Cornelius à Munich, se dégage la confrontation de deux conceptions artistiques divergentes, qui incarne l’opposition entre l’idéalisme et le naturalisme et qui sera déterminante pour la seconde moitié du XIXe siècle. La renommée de l’académie de Düsseldorf s’étend parallèlement à l’étranger et attire de nombreux élèves, et plus particulièrement américains. Son modèle fait école, ce que reflète encore la nomination d’un de ses professeurs : le peintre de paysage Johann Wilhelm Schirmer, qui se voit chargé par le grand-duc de Bade de créer une nouvelle académie à Karlsruhe, sur l’exemple de celle de Düsseldorf.

 

          Alors que des critiques vis-à-vis des académies naissent, entre autres par la voix de l’artiste et l’écrivain d’art Friedrich Pecht, certaines académies deviennent sous l’impulsion de leur directeur ou professeurs un lieu d’expression avant-gardiste, comme celle de Weimar, qui prône la peinture de plein air telle qu’elle était pratiquée en France, et s’oppose aux tendances plus officielles souhaitées par le grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach. Un autre facteur important de changement sont les arts décoratifs, qui depuis les années 1850 prennent une place de plus en plus importante dans la discussion artistique. Le modèle anglais, incarné par le South Kensington Museum, est suivi sur le continent par des fondations similaires à Vienne et à Berlin. Le conflit entre académisme et arts décoratifs, prenant son origine dans la question de la hiérarchie des genres, s’introduit de plus en plus dans le débat sur l’enseignement artistique.

 

          Avec la création de l’Empire allemand en 1871, une querelle naît au sujet d’un art allemand officiel, qui rend explicite le conflit entre idéalisme et réalisme. L’académie devient ainsi de plus en plus un instrument politique sous Guillaume Ier. Si cette politique officielle est défendue par des personnalités comme Anton von Werner, directeur de l’académie de Berlin, de nombreux artistes se réunissent en mouvements indépendants, comme la Berliner Secession (la Sécession berlinoise) ou encore la Münchner Secession dans la capitale bavaroise. Ces mouvements de sécessionnistes à propos des arts appliqués et de la didactique artistique provoquent vers 1900, un changement profond de la conception du rôle des institutions artistiques. Les discussions sur les écoles unifiées se font de plus en plus vives et plusieurs académies cherchent à réconcilier les beaux-arts avec les arts appliqués, notamment à Weimar ou encore à Breslau. Le Bauhaus, fondé par Gropius à Weimar en 1919, se place de ce fait non pas tant comme l’initiateur d’un nouveau mouvement, mais au contraire plutôt comme la fin d’une évolution entamée bien avant.

 

          Les institutions d’apprentissage en Europe au XIXe siècle bénéficient d’une attention grandissante depuis un certain temps, que ce soit en France ou en Allemagne et de nombreuses publications sur ce sujet ont vu le jour depuis quelques années parmi lesquelles on peut citer entre autres les études menées par Ulrich Leben ou Alain Bonnet (2). Ces ouvrages récents n’ont malheureusement pas été intégrés par l’auteur, ce qui lui aurait permis d’approfondir plusieurs aspects, tel que le transfert d’idées entre la France et l’Allemagne aux XVIIIe et XIXe siècles ou encore les autres institutions d’enseignement. Il n’empêche que l’ouvrage d’Ekkehard Mai a le mérite d’être le premier ouvrage donnant un aperçu global des académies allemandes. Il  donne les clés au lecteur pour comprendre ce système d’enseignement complexe qui, au premier abord, semble si différent du modèle français, alors que, comme le démontre Mai, les emprunts et transferts de modèle sont nombreux. L’auteur parvient à montrer qu’il existe bel et bien une continuité de l’enseignement académique, depuis sa fondation jusqu’à nos jours, en dépit d’une critique d’art qui insistait pendant longtemps sur la rupture entre académie et art libre. De même, on constate l’actualité de certains problèmes rencontrés par les académies depuis leur fondation, comme entre autres le conflit entre la liberté artistique et les institutions politiques. Au-delà d’un livre sur les académies allemandes, Ekkehard Mai offre un compte rendu cohérent de l’enseignement et de la production artistiques en Allemagne, de la fin du XVIIIe jusqu’au début du XXe  siècle.

 

 

(1) Les publications d’Ekkehard Mai sur cette question sont trop nombreuses pour les citer toutes ici, cependant voici les plus pertinentes :

Sammler, Stifter und Museen: Kunstförderung in Deutschland im 19. und 20. Jahrhundert,  Ekkehard Mai et Peter Paret (dir.), Cologne, Böhlau Verlag, 1993.

Ekkehard Mai, « Problemgeschichte der Münchner Kunstakademie bis in die zwanziger Jahre » et « Akademie, Sezession und Avantgarde – München um 1900 », in Tradition und Widerspruch. 175 Jahre Kunstakademie München, Thomas Zacharias (dir.), Munich, Prestel-Verlag, 1985, p. 103-177.

Kunstpolitik und Kunstförderung im Kaiserreich : Kunst im Wandel der Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, Ekkehard Mai, Hans Pohl und Stephan Waetzoldt (dir.), Berlin, Mann, 1982.

 

(2) Ernst Ulrich Leben, L’école royale gratuite de dessin de Paris (1767-1815), Saint-Rémy-en-l’Eau, Monelle Hayot, 2004.

Les ouvrages sur les écoles de dessin au XVIIIe siècle ont fait l’objet d’une analyse approfondie par Christophe Henry, « L’enseignement du dessin en France au XVIIIe siècle », Perspectives, 2008, n°2, p. 271-278.

Alain Bonnet, L’enseignement des arts au XIXe siècle. La réforme de l’École des beaux-arts de 1863 et la fin du modèle académique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

L’Éducation artistique en France, du modèle académique et scolaire aux pratiques actuelles, XVIIIe-XIXe siècles, Dominique Poulot, Jean-Miguel Pire et Alain Bonnet (dir.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.