| Roux, Brigitte : Mondes en miniatures, l’iconographie du Livre du Trésor de Brunetto Latini. 439 p., ISBN : 978-2-600-01268-3, 96.09 € (Librairie Droz S.A., Genève 2009)
| Reseña de Matthieu Rajohnson Número de palabras : 1714 palabras Publicado en línea el 2011-05-30 Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1419
En proposant une
analyse de l’ensemble de l’iconographie du Livre du Trésor, dont il
étudie la tradition manuscrite enluminée dans sa totalité (soit 68 manuscrits),
l’ouvrage de B. Roux, version remaniée d’une thèse de doctorat soutenue en
2004, vient apporter sa pierre à un édifice historiographique encore en plein
chantier : celui des images des encyclopédies médiévales, dans lequel
manquent encore de telles monographies concentrées sur un auteur particulier.
Or celui dont il est
question ici est une figure majeure de cet âge d’or de l’encyclopédisme qu’a
été le XIIIe siècle, d’autant plus importante que son apport reste
original dans la production du temps : d’abord parce que Brunetto Latini
a, dans les années 1260-1266, rédigé son livre en vernaculaire – et qui plus
est dans sa seconde langue, le français, avant de le traduire ensuite en
vulgaire toscan, ce qui permet à B. Roux d’interroger les conséquences de ces
passages linguistiques sur les choix iconographiques du Trésor. Surtout,
ce dernier contient des développements encore relativement inédits dans les
autres encyclopédies du temps, notamment sur la rhétorique ou la politique,
pour lesquels les enlumineurs auraient donc dû proposer des images dégagées de
toute tradition iconographique bien établie.
En s’intéressant à ces
nouveautés et en comparant régulièrement leur mise en image à l’iconographie
d’encyclopédies contemporaines ou antérieures au Trésor, ainsi qu’à
d’autres sources d’inspiration de ce dernier, B. Roux s’interroge plus
généralement sur l’existence ou non d’une spécificité de l’illustration
encyclopédique, qui participerait ainsi d’un effort de vulgarisation analogue
au discours qu’elle accompagne – les images marquant alors peut-être le passage
« d’un encyclopédisme intéressé avant tout aux mots », celui des
étymologistes, « à un autre concerné surtout par les choses » (p.
53), rendues visibles par leur représentation.
Le premier chapitre rend
compte de ce passage, en dressant une rapide histoire des encyclopédies
médiévales après un rappel de leur historiographie. B. Roux propose de scinder
cette production encyclopédique en deux grandes périodes, en se fondant
notamment sur des critères iconographiques : le « Haut Moyen
Âge », temps d’encyclopédies centrées sur l’origine des termes, à
destination avant tout des cloîtres et rarement enluminées, et le XIIIe siècle, moment d’un intérêt tourné plus vers les choses que vers les mots,
d’un élargissement du public visé, et d’un goût plus nettement prononcé pour
l’illustration. On notera cependant que, quoique le modèle proposé fonctionne
assez bien, le Haut Moyen Âge est entendu ici dans une vision extensive qui lui
fait frôler le XIIIe siècle et intègre donc des éléments de transition qui
auraient tout aussi bien pu entrer dans cette seconde période : ainsi l’Hortus
deliciarum de l’abbesse Herrade, produit à la fin du XIIe siècle et dont les caractéristiques suivent plutôt le modèle postérieur en
matière d’illustration, l’ouvrage étant abondamment enluminé. Le De naturis
rerum d’Alexandre Neckam est d’ailleurs quant à lui placé dans la catégorie
des encyclopédies du XIIIe siècle, alors qu’il est
contemporain ou presque de l’œuvre d’Herrade. Cette classification a donc ici
le mérite de la clarté, mais gagnerait sans doute à être moins catégorique.
Le chapitre suivant
présente l’encyclopédie de Brunetto Latini elle-même, en la mettant en rapport
avec les précédentes œuvres de son auteur, la Rettorica, et le Tesoretto.
Ces dernières ont probablement influencé la mise en avant de la rhétorique et
de la politique au sein du Trésor, qui en vient à leur donner une
certaine primauté, renversant ainsi la hiérarchie traditionnelle des sciences
et minimisant les orientations morales ou exégétiques typiques des autres
encyclopédies du temps. Ces choix ne sont peut-être pas sans lien avec le
public que vise Latini, lui qui renonce au latin de la plupart de ses
contemporains encyclopédistes pour concevoir une pensée destinée également aux
laïcs. Il est d’ailleurs plus aisé de définir ce nouveau lectorat que le
dédicataire officiel de l’ouvrage, mystérieux au point que B. Roux propose de
voir dans ce personnage à qui Latini fait mine de s’adresser un être purement
fictif – solution à travers laquelle on sent cependant que l’identification du
destinataire de la dédicace du Trésor pose encore de nombreux problèmes,
probablement insolubles. La présentation de l’encyclopédie se clôt par un
tableau de ses éditions et de leurs récentes critiques, avant que le troisième
chapitre n’aborde plus directement le corpus des manuscrits utilisés pour cette
étude. En rassemblant ces sources par groupes apparentés, B. Roux y note que la
tradition iconographique est moindre, en abondance comme en
« qualité », dans les manuscrits italiens que dans les
français ; d’ailleurs, malgré ces regroupements possibles, il n’y a pas de
cycle enluminé standard qui soit valide pour tous les manuscrits, notamment du
fait du désintérêt de Latini pour l’illustration de son œuvre, ce qui a laissé
les enlumineurs sans modèle commun d’images.
Ces variations
iconographiques entre copies peuvent également être dues aux différents
commanditaires, comme l’illustre le chapitre IV, où B. Roux propose d’établir
certaines filiations entre ces manuscrits selon leurs possesseurs. Elle
constate que ceux-ci cherchent à obtenir les mêmes livres qu’un autre seigneur
ou parent illustre, dans un phénomène d’imitation qu’on observe
particulièrement dans les bibliothèques royale et ducale de France et de
Bourgogne, mais guère Outre-manche ou en Italie. Ce mimétisme se retrouve dans
l’iconographie, qui réutilise parfois des images issues d’ouvrages destinés au
roi pour représenter ces mêmes commanditaires et plaquer ainsi un peu de
l’éclat royal sur ces derniers. Cependant ce sont surtout les livres religieux
qui inspirent ces représentations des commanditaires, qui peuvent ici prendre
les traits de dévots priant au pied de la Crucifixion. De
telles transpositions iconographiques modifient selon B. Roux le sens général
de l’encyclopédie, l’emprunt à un autre contexte iconographique donnant ainsi
souvent à cet ouvrage profane des motifs ici religieux.
Les chapitres suivants
se concentrent plus directement sur les différents motifs et thèmes des
miniatures du Trésor. Ce sont les images placées hors du corps du texte,
notamment celles ornant les tables des matières, qui retiennent d’abord
l’attention de B. Roux au chapitre V. Par leur position liminaire ou
conclusive, elles orientent la lecture du livre et peuvent s’en faire un programme
ou un résumé, comme lorsqu’une mappemonde apposée en tête d’un manuscrit vient
synthétiser en matière iconographique l’ambition de l’ouvrage lui-même de
rendre compte du monde et de la création toute entière. D’autres images plus
originales, comme des représentations de la philosophie ou d’arbres des vices
et des vertus, mises en vis-à-vis, condensent de même pour B. Roux les
informations dispersées dans le texte, devenant ainsi « une préface peinte
synthétique et idéologique » (p. 158). Parmi ces « images-manifestes »
qui résument le projet encyclopédique, celle du « trésor », en
référence au titre de l’ouvrage, est particulièrement développée, démultipliant
les métaphores et sens de ce mot mis en rapport avec la mémoire, la connaissance,
la sagesse et bien entendu la richesse matérielle, faisant ainsi en retour du
livre lui-même un trésor de connaissances, de mémoire ou de sagesse. Enfin,
présentant non plus le projet encyclopédique mais son élaborateur lui-même, les
portraits d’auteur (chapitre VI) sont particulièrement fréquents dans les
manuscrits du Trésor, quoiqu’ils ne présentent guère d’originalité dans
leur forme : on y retrouve comme dans les autres encyclopédies la même
idéalisation de l’écrivain, présenté comme savant, généralement sous les traits
d’un clerc ou d’un docteur en droit.
Les thèmes analysés
ensuite suivent l’ordre de ceux développés par Latini : sont ainsi d’abord
évoquées tour à tour l’iconographie religieuse (chapitre VII), les
représentations du monde (chapitre VIII) et celles des animaux dans le
bestiaire traité (chapitre IX), éléments qui composent le livre I de
l’encyclopédie de Latini. Un point commun les unit : leur traitement
particulièrement « neutre » par les enlumineurs, qui ne donnent guère
de valeur exemplaire aux images religieuses, ne particularisent que peu les
saints et ne singularisent pas les différents événements invoqués. Les artistes
puisent ici dans des motifs déjà existants, qu’ils réempruntent dans un procédé
de compilation tout à fait similaire à celui de l’encyclopédiste, qui reprend
des savoirs déjà connus plutôt que d’en élaborer de nouveaux. Le bestiaire est
particulièrement marqué par de telles conventions, d’autant plus frappantes que
les livres de chasse qui fleurissent à la même période s’extraient de telles
traditions iconographiques, proposant des innovations auxquelles les images du Trésor
restent relativement fermées. Cette inertie est d’autant plus significative que
les nouveautés textuelles introduites par Latini ne trouvent ainsi pas de
réponse dans une illustration qui reste conventionnelle. B. Roux y voit dès
lors le signe d’une indépendance de l’image par rapport au texte, celle-là
évoluant de manière relativement détachée de celui-ci.
Cette part d’autonomie
de l’illustration face au discours est plus nette encore au chapitre X, qui
analyse les miniatures du livre II du Trésor, consacré à une traduction
de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote et à un commentaire de Latini sur
les vertus. Ici le texte ne semble pas, selon B. Roux, être la source exclusive
des quelques innovations iconographiques l’illustrant, qui suivent une
tradition propre. Signe de cette dissociation, les enluminures de ce second
livre n’ont aucun système commun de représentation : ces images,
peu réemployées d’une copie à l’autre, ne sont pas spécifiques ni forcément
liées au thème du livre et se trouvent ainsi être très diverses selon les
manuscrits. De même, la grande originalité du Trésor, sa mise en avant
de la rhétorique et de la politique – domaines qui occupent tout le livre III
de l’encyclopédie et le dernier chapitre du livre de B. Roux –, ne trouve pas
d’écho dans son illustration, qui reste dans ces passages peu abondante et
assez générale sinon déconnectée du propos, proposant surtout des portraits de
l’auteur. Finalement, « l’absence d’une iconographie politique propre dans
l’encyclopédie signale le divorce entre le texte et l’image. Ce qui constitue
la nouveauté du point de vue textuel se voit négligé par les peintres »,
au point qu’on peut y voir selon B. Roux une « résistance à entériner les
innovations » de la part des enlumineurs (p. 272).
Ainsi ces derniers, à
l’image des encyclopédistes eux-mêmes, cherchent-ils ici moins à
inventer – sinon ponctuellement – qu’à reprendre ou vulgariser des éléments
déjà anciens et établis par une longue tradition iconographique, qu’il s’agit
avant tout de compiler et d’ordonner, deux principes que suivent
donc tant les auteurs d’encyclopédies que leurs illustrateurs, procédant d’un
même esprit.
Au-delà de ces
conclusions et de la qualité du travail dont elles sont issues, on aura
particulièrement apprécié l’attention portée dans cet ouvrage à ne pas
considérer comme évidente une dépendance stricte entre images et texte, à
prendre en compte leurs éventuelles discordances, voire leur
« divorce » – les unes répondant finalement rarement à l’autre de
façon directe mais selon des logiques propres. On a de plus toujours plaisir à
consulter un ouvrage sur les images qui ne se contente pas de les évoquer, mais
les reproduit comme ici en abondance et avec qualité, notamment dans un dossier
final en couleur contenant les miniatures les plus marquantes du Trésor.
Il est à noter enfin que
ce livre propose de nombreux instruments d’analyse, tableaux de recensions
d’images et catalogues des sources et de leurs miniatures, autant d’éléments
qui font de ce volume non pas seulement la synthèse finale d’un travail de
thèse, mais également un véritable outil qui pourra s’avérer tout à fait
profitable à d’autres recherches sur les encyclopédies médiévales.
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