Ben Abid Saadallah, Lamia (dir.): Iconographie et religions dans le Maghreb antique et médiéval. Actes du Ier colloque international organisé par l’Institut Supérieur des Métiers du Patrimoine, Tunis 21-23 févier 2008. Textes réunis par Lamia Ben Abid Saadallah. 409 pages. 20 Dinars tunisiens
(Institut Supérieur des Métiers du Patrimoine, Tunis 2011)
 
Reviewed by Roger Hanoune, Université Lille 3
 
Number of words : 1865 words
Published online 2012-11-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1422
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          Ce volume rassemble les actes du premier colloque organisé par l’Institut Supérieur des Métiers du Patrimoine de l’Université de Tunis en 2008. C’est une assez grosse publication de 25 communications fort riches (mais leur présentation est parfois négligée, dans la correction des textes ou la qualité des figures : ainsi, p. 248, un effort minime aurait permis de redresser la carte de l’Afrique pour la présenter dans le bon sens).

 

          Le colloque était consacré de façon nette à l’iconographie des religions dans le Maghreb antique et médiéval : il aurait été utile qu’une introduction précise les intentions des organisateurs car, en réalité, il a accueilli plusieurs communications assez éloignées de son objectif. Ainsi, on trouve en fin de volume un ensemble de plusieurs textes qui relèvent plutôt de l’ethnographie moderne et contemporaine de la « Berbérie », comme on disait autrefois, et concernent la culture des îles Canaries qui, après le XVe siècle surtout et  leur hispanisation, ont été un conservatoire de la culture berbère : sur les tatouages (D. Becerra Romero), sur la poterie peinte (C. Mora Chinea), sur la religion berbère (D. Becerra Romero et J. Miranda Valerón), sur la femme dans la religion berbère (S. Jorge Godoy), toutes recherches qui, malgré leur intérêt, n’entrent pas vraiment dans le cadre du colloque. Il en est de même pour l’étude de A. Hernandez Reyes et L. M.  Rodriguez Diez, « Croyances grecques et survivances indigènes en Afrique du Nord », qui est consacrée au mythe tardif d’Athéna et de ses rapports avec le lac Triton. Deux autres enquêtes résolvent des problèmes historiques plus que religieux : A. M’Charek, « La Numidica prima de Gesenius » replace bien dans l’ensemble des stèles de « La Ghorfa » (Maghrawa) un relief attribué à Maktar, et F. Mahfoudh rattache le relief dit « fatimide » de Mahdia (au Bardo) à l’iconographie normande de Sicile, car le personnage qui est en train de boire porte non le turban attendu d’un fatimide mais une couronne qui rappelle les exemples siciliens. On trouve aussi ici deux communications consacrées à d’autres provinces : l’Italie (U. Pappalardo, « La déesse dans la frise des Mystères à Pompéi »: l’auteur préfère la Venus Pompeiana à Ariane ou Sémélè) ou la Gaule (V. Blanc-Bijon, « L’emblema du Cap d’Agde », sur le thème du combat entre Apollon et Marsyas). Deux communications enfin, qui étudient un décor italien (J. Scheid, sur le motif de coquille  sculpté dans le temple de Dea Dia à Rome) ou des représentations persanes ou mongoles (N. Djelloul, sur la représentation figurée dans l’Islam médiéval en Orient), peuvent néanmoins concerner marginalement le Maghreb. On est toutefois un peu surpris qu’au total presque la moitié des communications – quelle que soit leur qualité — n’aient qu’un rapport lâche avec le thème du colloque.

 

          Dans celui-ci s’inscrit au contraire directement une série de six communications qui sont consacrées à des motifs particuliers d’art « religieux » : J. P. Moore a étudié le « caducée », ou un sceptre de forme proche, sur les stèles puniques, F. Prados Martinez le « Nefesh dans la plastique punique » (on peut rester dubitatif devant l’assimilation tombeau-tour et âme du défunt), V. Galbarini-Weinmann le triomphe indien de la mosaïque de Sétif et son hypothétique interprétation funéraire, Lamia Ben Abid Saadallah le triskèle, tellement typique de la Sicile, sur les stèles africaines, A. Limam l’iconographie de la déesse mère sur quelques stèles (pourquoi pas Nutrix ?),  R. Kaabia la « harpé » dans les représentations du Saturne africain (mais Persée sur la mosaïque de Bulla Regia la porte aussi), et enfin S. Dargouth le type et le décor du mihrab dans les mosquées du Haut Moyen Âge ifriqiyen. Il s’y ajoute des communications plus générales, consacrées à une divinité et à son iconographie ou à un sanctuaire : N. Ferchiou fait le point sur le temple de Seressi, avec son décor de léontocéphales qui pourrait permettre de l’attribuer à Frugifer, S. Saint-Amans et M. Sebaï étudient l’iconographie très « romaine » de Genius en Afrique (on est tout à fait intéressé par la relecture de la statue de « Saturne » comme Genius et de l’inscription du temple d’Apollon de Bulla Regia) ; enfin deux études concernent le culte de Caelestis : S. Ben Baaziz, à la suite de l’analyse de 19 stèles de la région de Mididi, discute en détail le décor et l’attribution de ces monuments et présente une  Caelestis de Tunisie centrale assez originale, S. Bullo fait de même pour la Caelestis Augusta trônant d’Uchi Maius et la rapproche des déesses assises sur un lion. Enfin deux chercheurs ont fait une synthèse sur toute une abondante série de monuments : V. Bridoux, sur les représentations divines des monnaies numides et maurétaniennes, et F. Baratte sur la statuaire des églises africaines, qui poursuit et renouvelle les études précédentes de P.-A. Février et de N. Duval.

 

          Dans le cas de l’iconographie de Caelestis à Mididi et Uchi Maius, la différence  est telle qu’on n’a pas l’impression d’avoir affaire à la même divinité : on regrette donc que le colloque ne se soit pas terminé par une discussion ou un rapport de synthèse sur les problèmes posés par son thème, qui sont rarement vraiment examinés. On s’étonne en effet de voir pris en considération la seule iconographie divine - et éventuellement les vœux du commanditaire - , et jamais le troisième intervenant : l’artisan ou l’atelier local, auquel personne ou presque ne semble vouloir penser (le cas de la stèle d’Escolives en Bourgogne, étudié par C. Bémont dans Gallia 27, 1969, p. 23-44, où l’on a pour une stèle le prix, le relief, et une attribution étonnante, devrait être médité par ceux qui travaillent sur la sculpture locale religieuse et votive). On pourrait dire la même chose des notions aussi différentes que celles de mythologie et de religion que les exégètes de l’iconographie ne devraient pas mélanger. Dans deux communications, on prend une heureuse leçon de méthode et de bon sens, qui peut servir à tous : ainsi, la synthèse de F. Baratte sur le décor des basiliques chrétiennes est exemplaire en ce qu’elle n’hésite pas à reconnaître nos ignorances (par ex. voir la p. 262 à propos des reliefs de Henchir Djelaunda : «  Mais quel était le sens de ces images ?  Figures païennes remployées ou reprises de cartons anciens pour représenter des réalités chrétiennes ?… » ; et les p. 263-264 comportant des conclusions sur l’absence de programme iconographique cohérent, sur la pauvreté du décor biblique, sur la modestie du décor sculpté en général dans ces bâtiments) . Est remarquable également l’étude de J. Scheid qui interprète un motif de coquille italien venant d’un temple de la déesse « céleste » Dea Dia, mais susceptible d’ intéresser les chercheurs africains (la coquille est représentée ailleurs dans le volume sur des stèles à Caelestis ou autre,  p. 144 à 155, et aussi p. 206, 210, 221) ; on y apprendra avec quelles précautions, en s’appuyant sur des textes et des monuments, on peut essayer de faire « parler » une « figuration religieuse muette » sans tomber pour autant dans des interprétations d’un symbolisme hypothétique. Au total, ce volume d’actes est certes très inégal mais néanmoins riche d’enseignements et d’interrogations.

 

 

Sommaire

 

 

Sarnia ZEGHAL- YAZIDI, Les thèmes d’Horus faucon dans le répertoire iconographique des hachettes-rasoirs de Carthage et leurs symbolismes, p. 19

 


Virginie BRIDOUX, L’iconographie des monnaies numides et maurétaniennes : une source d’étude pour la connaissance de la religion dans les royaumes d’ Afrique du nord ? p. 35

 

Fernando PRADOS MARTÎNEZ, L’iconographie du Nefesh dans la plastique punique : entre Carthage et la Péninsule Ibérique, p.57

 


Umberto PAPPALARDO, La déesse dans la frise des mystères à Pompéi : Sémélé, Ariane ou Aphrodite ? p. 79

 


Véronique BLANC-BIJON, L’emblema du Cap d’Agde. Le poids symbolique et politique de l’agôn opposant Apollon et Marsyas, p. 87

 


Naadè FERCHIOU, À propos de quelques sculptures du temple de Frugifer à Seressi, p. 99

 


Virginie GALBARINI- WEINMANN, La mosaïque du Triomphe indien de Sétif : une image funéraire au cœur de la domus ? p. 113

 


John SCHEID, Comment interpréter des figurations religieuses muettes ? L’exemple du décor de l’architrave du temple de Dea Dia à Rome, p. 125

 


Ahmed M’CHAREK, La« Numidica prima» de Gesenius : une stèle de Maghrawa faussement attribuée à Maktar, p. 133

 


Sadok BEN BAAZIZ, Un sanctuaire de Caelestis à Mididi., p. 143

 


Sophie SAINT-AMANS et Meriem SEBAÏ, Genius en Afrique en romaine : dossiers iconographiques et épigraphiques. Nouvelles observations sur la représentation et la définition d’une divinité romaine, p. 165

 

Lamia BEN ABID SAADALLAH, Le symbolisme du triscèle sur les reliefs africains, p. 185

Arij LIMAM, Le thème de la déesse - mère sur trois stèles africaines méconnues d’époque romaine conservées à l’étranger, p. 205

 

Silvia BULLO, Ancora sulla dea Caelestis : iconografie ed attributi, p. 225


Ridha KAABIA, La harpé : un attribut de romanisation du culte de Saturne africain, p. 239

François BARATTE, Sculpture et décor figuré dans les basiliques chrétiennes de l’Afrique du nord antique, p. 253

 

Neji DJELLOUL, Images sacrées dans l’islam médiéval Muhammad, Jésus et Gabriel dans la peinture mongole et timouride, p. 267

 

Saloua DARGHOUTH, Le mihrab ifriqiyen du Haut Moyen-Âge: Représentations et formes esthétiques, p. 299
Faouzi MAHFOUDH, « Le turban est la dignité des Musulmans et l’honneur des Arabes ». A propos du bas relief de Mahdia, p. 309

 

Daniel BECERRA ROMERO, Les tatouages berbères en tant qu’élément de protection magique et d’identité: depuis les Libyens des peintures égyptiennes aux idoles de l’île de la Grande Canarie, p. 321

 

Daniel BECERRA ROMERO et Jorge MIRANDA VALERON, De la grotte à la montagne: croyances de la religion berbère et leur continuité aux Îles Canaries, p. 355
Adexe HERNANDEZ REYES et Luis Miguel RODRIGUEZ DIEZ , Croyances grecques et survivances indigènes en Afrique du Nord, p. 377

 

Soraya JORGE GODOY, La persistance de la mémoire. Le rôle de la femme dans la religion berbère, p. 391