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Compte rendu par Patrizia Birchler Emery, Université de Genève Nombre de mots : 2068 mots Publié en ligne le 2012-12-22 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1426 Lien pour commander ce livre Cet ouvrage est la version remaniée d’une thèse de doctorat soutenue au King’s College de Londres. Le thème en est l’histoire de la redécouverte, de la réception et de la recherche de la céramique grecque à figures noires et à figures rouges d’Italie du sud. Le défi était de taille pour l’auteur. En effet, les pages consacrées à l’histoire de la recherche sont assez peu nombreuses dans les manuels de céramique grecque, à l’exception du Greek Painted Pottery de R.M. Cook qui lui consacre un chapitre, et rien n’en est dit dans les ouvrages majeurs de J. Beazley pour la céramique attique ni ceux d’A.D. Trendall et A. Cambitoglou pour la céramique italiote. On remarquera cependant que ce thème connaît un intérêt croissant depuis deux décennies, avec des études présentant des collections anciennes, le phénomène du collectionnisme ou des documents ancien réédités et commentés, l’ouvrage de V. Nørskov (Greek Vases in New Contexts [2002]), dédié principalement à la constitution des grandes collections de vases du XIXe s., mais comportant plusieurs chapitres sur l’histoire de la recherche, et un chapitre du monumental opus en trois volumes dirigé par L.Todisco tout récemment publié (La ceramica a figure rosse della Magna Grecia e della Sicilia [2012]), qui présente l’histoire de la céramique italiote à partir du XVIIIe s.(Vol. II, Storia degli studi [V.M. Soleti]) et les éléments les plus anciens qui s’y rapportent (Ibid., Tradizioni [C. Ruscino]).
On ne peut donc que saluer l’entreprise de l’auteur, qui indique cependant dès l’introduction l’une des difficultés majeures de sa tâche : la distinction entre céramique attique et céramique italiote est en effet relativement tardive, de même que la reconnaissance de l’origine grecque des vases à figures noires et rouges trouvés en Italie ; de plus, les vases ayant souvent été regroupés pour l’exposition comme pour l’étude, il devenait très difficile de n’écrire que l’histoire de la céramique italiote dans certains cas. C’est pourquoi il a pris le parti de présenter la redécouverte de la céramique antique en Italie de manière globale, en signalant quand c’était possible les sources où il est clairement question de céramique italiote. La fourchette chronologique explorée par l’auteur est vaste, puisqu’elle va de l’Antiquité aux perspectives actuelles de recherche dans le domaine, d’où le découpage en chapitres chronologiques, tandis que l’étude elle-même se concentre sur les personnages qui ont œuvré dans la longue histoire de la recherche et de la redécouverte de la céramique grecque d’Italie du sud, suivant, semble-t-il, l’ordre chronologique de la parution de leur contribution à cette histoire.
Le livre est divisé en six chapitres, précédés d’une brève introduction et suivis d’une conclusion succincte : le premier chapitre traite des redécouvertes anciennes, médiévales et modernes jusqu’au début du XVIIIe s., le deuxième de l’ «Âge d’or » de la redécouverte de la céramique antique, la seconde moitié du XVIIIe s., avec l’avènement du collectionnisme, les premières publications à large diffusion et l’écho de cette redécouverte dans les arts décoratifs de l’époque, le troisième chapitre présente le « siècle » de recherche allemande jusque vers 1870, le quatrième les années 1870 à 1900 et le sixième les divers aspects de l’étude actuelle des vases italiotes.
Le premier chapitre commence par la présentation de toutes les mentions connues, littéraires ou figurées, de céramique à figures rouges dans l’Antiquité, après la fin de sa production. La difficulté des citations littéraires, comme cela a été souvent relevé, est de comprendre si on a effectivement affaire à de la céramique figurée, ou même de la céramique tout court. Pour ce qui est des témoignages iconographiques, l’auteur mentionne de nombreux vases de style grec illustrés sur les fresques pompéiennes (mais n’en cite qu’un), puis s’attache à démontrer que la fin de l’époque hellénistique et le début de l’époque impériale romaine ont connu une sorte de « revival » de la céramique classique, en s’appuyant sur les nombreuses imitations métalliques de formes de vases classiques produites dans le monde romain, sur les deux vases attiques à figures rouges retrouvés à Sperlonga et sur son interprétation du vase Portland comme un produit imitant l’iconographie et l’aspect de la céramique apulienne à reliefs du IVe s. On regrette l’absence d’une brève synthèse à la fin de cette partie sur l’Antiquité, qui soulève de nombreuses questions, et la présentation peu structurée des différents témoignages. La suite du chapitre est consacrée, quant à elle, au Moyen Âge (dès le deuxième tiers du XIIIe s.), à la Renaissance et au début de l’époque moderne, et énonce dans un ordre chronologique les mentions, citations artistiques ou imitations de vases à figures rouges, ainsi que les premières collections, connues soit par des illustrations (comme la célèbre « Vision de Saint-Augustin » de Carpaccio, début du XVIe s., ou de nombreuses gravures du même siècle), soit par des inventaires établis dès le début du XVIIe s., de collections en Italie, mais aussi en France (Antoine Agard à Arles, la publication de son catalogue à Paris en 1611 semble être la première mention d’un vase grec en Europe du nord) et en Bavière. La suite du chapitre présente les acteurs de la redécouverte et de la diffusion de la connaissance des vases grecs en Europe, dans l’ordre chronologique de leur contribution à l’histoire de la recherche : on y croise aussi bien des savants, que des collectionneurs et des marchands, anglais, français, italiens. L’intérêt des catalogues publiés durant la première moitié du XVIIIe s. réside dans les planches d’illustrations qui les accompagnent (même si le dessin ne semble pas toujours fidèle aux originaux), un intérêt présent dès la conception de ces ouvrages, puisque la plupart servirent de catalogues de vente (l’intérêt scientifique pour les vases grecs semble avoir été accompagné assez tôt d’un intérêt commercial marqué). D’autre part, les commentaires accompagnant ces publications montrent que la querelle de l’origine des vases à figures rouges était déjà bien diffusée à cette époque. Les vases eux-mêmes, par contre, qu’ils soient considérés étrusques ou grecs, ne sont que très rarement catégorisés ou considérés pour leur forme, on s’intéresse surtout à leur iconographie et ils sont désignés généralement comme étant anciens. Le choix de l’auteur de présenter l’histoire de la recherche par l’intermédiaire de ses acteurs aurait appelé à la rédaction de synthèses plus thématiques ou plus chronologiques, plus centrées également sur la céramique italiote en fin de chapitre, qui font défaut (une remarque qu’on peut également appliquer aux chapitres suivants).
La deuxième moitié du XVIIIe s., objet du deuxième chapitre, est qualifié d’ «Âge d’or» de la redécouverte de la céramique antique : en effet, les découvertes d’Herculanum et de Pompéi provoquent un enthousiasme et un regain d’intérêt pour l’Antiquité à travers toute l’Europe lettrée. Les collections privées vont fleurir, finissant la plupart dans les collections des grands musées, les marchands également, les vases à figures rouges et noires devenant extrêmement populaires, la réception sera beaucoup plus large, à travers la diffusion de porcelaines inspirées des vases grecs antiques, ou, de manière plus subtile, à travers l’art de la silhouette, que l’auteur impute à l’imitation de céramique à figures noires. La recherche connaîtra un développement, avec des discussions fondées sur des arguments pertinents pour résoudre la querelle de l’origine des vases (inscriptions en langue grecque, par exemple), la notion d’une différenciation entre vases grecs de Grèce et vases grecs d’Italie du sud, des interprétations d’inscriptions, des tentatives de datation plus fréquentes qu’auparavant, mais qui s’appuient, pour la plupart, uniquement sur la littérature antique. L’auteur, selon la démarche qu’il a adoptée, passe donc en revue les personnages impliqués dans l’histoire de la redécouverte (parfois à travers une simple description de leur collection privée), toujours selon un ordre plus ou moins chronologique (la contemporanéité et les interactions rendant cette division un peu aléatoire dans certains cas), mêlant collectionneurs, marchands et chercheurs.
Le XIXe s. (3e chapitre : XVIIIe s. jusqu’en 1870) voit un tournant décisif dans la recherche. On y voit éclore des études sur les formes de vases (origine et dénominations), la découverte de céramique à figures noires et rouges en Grèce, qui ne suffira cependant pas à régler la question de l’origine, en raison de la mise au jour d’une masse de vases attiques à Vulci en 1828, l’étude plus détaillée des inscriptions grecques par G. Kramer, qui attribue les vases à différentes régions de Grèce selon les caractères employés. Ce siècle est également marqué par la recherche allemande : d’abord E. Gerhard, à l’origine de la fondation de l’Istituto di Corrispondenza Archeologica, ancêtre de l’Institut archéologique allemand de Rome, et dont le grand projet était l’étude systématique des objets archéologiques trouvés en Italie, selon des critères nouveaux (attribution des vases et reconnaissances de signatures, catalogage précis), projet pour lequel il s’allie à d’autres chercheurs allemands (groupe des Hyperboréens). O. Jahn ensuite s’attachera à la classification du matériel, fondée sur les formes, la datation et les ateliers, délaissant les interprétations mythologiques qui constituaient encore un domaine de recherche important au début du XIXe s., car reposant sur de pures spéculations . Il formulera à plusieurs reprises son regret du manque d’indications sur la provenance et le contexte de trouvaille des vases.
Le troisième chercheur allemand ayant marqué l’histoire de la recherche au XIXe s. est A. Furtwängler (chapitre 4 : de 1870 à 1900), entre autres parce qu’il a défini clairement les trois écoles principales de céramique italiote, campanienne, lucanienne et apulienne. Malgré les études systématiques de différents chercheurs (G. Patroni, V. Macchioro, H. B. Walters, P. Hartwig et d’autres), la grande difficulté de l’étude de la céramique italiote résidait dans le manque de connaissances et de données archéologiques sur les régions d’où ces vases étaient supposés provenir (une lacune qui ne sera d’ailleurs comblée qu’à partir du milieu du XXe s.).
Le chapitre 5 (XXe s.) poursuit selon la ligne que s’est fixée l’auteur, en présentant les chercheurs impliqués dans l’étude de vases italiotes, le plus important étant évidemment A.D. Trendall. Les découvertes et avancées de la recherche dues aux fouilles ne sont ainsi pas présentées dans le détail, mais juste citées (partiellement, puisque liées aux personnages) dans les textes consacrés à D. Adamesteanu et V. Cracolici.
Le dernier chapitre présente les différents aspects de la recherche actuelle sur la céramique italiote. C’est dans le paragraphe traitant de l’accord des chercheurs sur les dénominations des régions et des écoles qu’est mentionnée l’importance des fouilles pour l’étude de cette céramique. Les paragraphes suivants présentent les thèmes faisant l’objet d’études actuelles, comme la relation entre le monnayage et la céramique, la perspective, le théâtre. L’auteur mentionne encore ce qui lui semble être un élément important pour le thème étudié, à savoir le pillage continu des sites d’Italie du sud, problématique pour de nombreuses raisons sur lesquelles on ne reviendra pas ici, même si le commerce de vases était, on l’a vu, très fortement lié à leur étude depuis le XVIIe s., et a d’ailleurs fortement contribué à la constitution des grands musées archéologiques actuels. Un dernier chapitre est consacré aux faux anciens et modernes, car faisant partie de l’histoire de la réception.
Parmi les quelques regrets à exprimer, on notera la qualité parfois assez pauvre de certaines illustrations, l’incohérence dans le traitement des citations de textes d’auteurs (parfois en langue originale, parfois traduits, mais on aurait aimé lire certains des passages en version originale, pour des questions d’interprétation), le peu de place accordée à la figure noire, malgré le titre, et l’absence de synthèses consacrées uniquement à la céramique italiote en fin de chapitres et d’ouvrage. Il n’en reste pas moins qu’on peut saluer l’initiative de consacrer un ouvrage à la thématique de la redécouverte de la céramique grecque d’Italie du sud, avec comme l’un des objectifs principaux de mettre en évidence l’importance de cette céramique dans l’histoire de la réception de l’Antiquité comme dans celle de la recherche en céramologie grecque (les premiers vases redécouverts semblent bien avoir été italiotes et la première collection de Hamilton, vendue au British Museum en était presque exclusivement constituée). Ceci d’autant plus qu’on relève à quel point l’oubli et le dédain dont cette production céramique a fait l’objet sont injustifiés. La présente étude constitue donc une première étape pour d’ultérieures recherches sur la question, les pistes à explorer étant encore nombreuses, certaines étant évoquées par l’auteur lui-même et d’autres étant suggérées par la lecture du texte.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |