Fuchs, Michel E. - Dubosson, Benoît: Theatra et spectacula. Les grands monuments des jeux dans l’Antiquité, Etudes de lettres, 360 pages, 94 illustrations dont 14 en couleur, format 15,5 x 22,5 cm, ISBN 978-2-940331-25-3, 26 CHF
(Université de Lausanne, Lausanne 2011)
 
Recensione di Gaëlle Dumont, Université libre de Bruxelles
 
Numero di parole: 2329 parole
Pubblicato on line il 2012-04-23
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1438
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          Ces dix dernières années, les archéologues suisses ont été particulièrement actifs dans le domaine de la recherche sur les théâtres et amphithéâtres, comme en témoignent les travaux conduits ces dernières années à Avenches, Augst, Lausanne et Alésia. La confrontation de ces recherches avec celles menées en France, au Luxembourg, en Grèce et en Afrique du Nord a fait l’objet d’une table ronde tenue à l’Université de Lausanne les 22 et 23 mai 2008, et dont cet ouvrage constitue les actes. En effet, malgré leur caractère familier, ces monuments ne cessent de susciter interrogations et débats, et il est utile de revoir certaines idées préconçues à leur sujet.  

 

          En guise d’ouverture, A.-Fr. Jaccottet tente de remonter aux origines du théâtre, pris dans le sens de cadre physique à des manifestations dramatiques. C’est à Athènes que le théâtre connaît son véritable essor, les premières mentions écrites datant du début du Ve siècle av. J.-C. Les lieux où se déroulaient les représentations sont très mal connus pour cette époque, mais des recherches archéologiques récentes ont prouvé que les premiers théâtres possédaient une orchestra rectangulaire ou trapézoïdale et des gradins rectilignes, souvent éphémères. Le plan « classique » à orchestra et cavea circulaires ne se mettra en place qu’au cours du IVe siècle. Ces constatations remettent en cause la perception moderne des théâtres antiques, et mettent en évidence la nécessité pour les archéologues de se débarrasser de leurs a priori, qui peuvent mener à des interprétations faussées. 

 

          De même, P. André s’arrête sur la première phase du théâtre d’Alba (Ardèche), qui soulève bon nombre de questions sociologiques : c’est le premier du genre répertorié en Gaule Narbonnaise, le premier de type « gallo-romain » et également le seul à présenter une scène allongée. Bien loin des modèles classiques des édifices grecs et romains, le premier théâtre d’Alba se caractérise par des gradins à pans droits autour d’une scène elliptique. On assiste là à l’invention d’une nouvelle forme architecturale dans un milieu gaulois en cours de latinisation, entre 20 av. J.-C. et 15 ap. J.-C. Deux types de gradins sont identifiés : en pierre dans la partie inférieure, en bois dans la partie supérieure. Ces derniers, peu élevés et profonds, sont plutôt propices à une position en tailleur, réputée typique des Gaulois. Faut-il y voir la cohabitation au spectacle de nouveaux citoyens romains et d’indigènes ? L’hypothèse est tentante mais malheureusement pas étayée. La question se pose également des représentations qui y étaient jouées ; on peut supposer – en fonction du plan particulier du monument – que le répertoire n’était ni grec ni romain, mais qu’il gardait les traits fondamentaux de la culture locale tout en véhiculant un message propre à la culture dominante. Une des preuves serait que le passage à un édifice latin, vers 15 ap. J.-C., correspond à l’introduction d’une nouvelle organisation de la cité.

 

          Toujours en Gaule romaine, Fr. Dumasy se propose de rappeler le rôle politique et religieux des théâtres et amphithéâtres, outre leur fonction de spectacle. La relation entre les jeux scéniques et la religion est étroite : ils trouvent en effet leur origine dans des rites destinés à calmer la colère des dieux ; en outre, les édifices de spectacle sont la plupart du temps proches des aires sacrées. Dans chaque cité, l’emplacement du théâtre varie en fonction de nombreux facteurs (topographie, place disponible, date de construction…), mais dans tous les cas il est lié d’une manière ou d’une autre aux sanctuaires. Quant aux amphithéâtres, leur monumentalité les repousse le plus souvent en dehors des villes, mais leur lien avec le sacré est matérialisé par un lieu de culte dans leur enceinte. Outre cette fonction religieuse, il faut également souligner l’important rôle socio-politique joué par les édifices de spectacle, puisque c’est là que s’affirment la puissance de l’empereur et la hiérarchie sociale au sein de la cité.

 

          Cette portée politique et religieuse du théâtre est également mise en évidence dans la contribution de Th. Hufschmid. En effet, tant la construction des bâtiments que l’organisation des jeux et spectacles qui s’y déroulaient nécessitaient d’importants investissements financiers. Plus que de simples divertissements, ces représentations étaient un important moyen de propagande politique et religieuse : le pouvoir impérial y est souligné et légitimé par le biais d’un langage visuel puissant et par des représentations qui exaltent l’hégémonie de Rome. Pour répondre efficacement à ces desseins, les théâtres et amphithéâtres se voient dotés d’une architecture et d’installations techniques sophistiquées. 

 

          Outre ces contributions de portée plus générale, plusieurs articles rendent compte de recherches archéologiques récentes en France, en Suisse et au Luxembourg, mais également dans le nord de l’Afrique et au Proche-Orient.

 

          Fr. Eschbach, S. Freudiger et Fr. Meylan font le point sur les nouvelles recherches au théâtre d’Alésia (Côte d’Or), découvert en 1905, fouillé plusieurs fois au cours du XXe siècle et ayant fait l’objet d’une fouille programmée de 2004 à 2008. Les axes de recherche portaient sur le plan, l’organisation interne et la chronologie du monument, ainsi que son intégration dans le tissu urbain. Ces nouvelles fouilles ont permis de préciser le plan du théâtre et de documenter les étapes de sa construction : on sait désormais qu’il a été élevé à l’emplacement de deux terre-pleins successifs et d’une esplanade (peut-être déjà dévolus aux spectacles). Une première campagne de consolidation a été suivie de la destruction complète du théâtre et de sa reconstruction au cours du IIe siècle. Les témoins des chantiers (éclats de taille, échafaudages, activité métallurgique) ont bien été identifiés, en revanche le mauvais état de conservation de l’édifice n’a pas permis d’appréhender les niveaux de circulation et l’ornementation.

 

          S. Blin et J.-Y. Marc font état des dernières recherches au théâtre de Mandeure (Doubs). Celui-ci  – considéré depuis le début du XIXe siècle comme le modèle-type du théâtre gallo-romain – a souffert de fouilles incomplètes et destructrices, ayant mené à la confusion des différents états et à des erreurs d’interprétation quant à son plan et à sa fonction. On sait depuis 2003 que le théâtre s’intègre dans une vaste aire sacrée cernée d’une enceinte, comprenant temples, autels et chapelles. Trois phases ont pu être reconnues, sans doute partiellement liées à l’évolution des spectacles. Le lapidaire témoigne d’une riche ornementation et d’une belle monumentalité, bien plus proche qu’on ne le croyait auparavant des canons classiques. 

 

          L’agglomération gallo-romaine de Genainville « les Vaux de la Celle » (Vexin français), fouillée depuis les années 1960, comprend un théâtre, un temple dédié à Mercure et à Rosmerta et un nymphée. Dans sa contribution, V. Brunet-Gaston aborde la relation visuelle entre le théâtre et le sanctuaire, séparés par une esplanade : l’orientation des deux édifices est-elle dépendante des contraintes topographiques, ou y a-t-il une volonté de les faire dialoguer, de telle façon qu’un spectateur assis dans la cavea ait une vue privilégiée sur le décor particulièrement riche du temple (comme en témoigne le lapidaire récolté lors des fouilles) ? La question reste ouverte… 

 

          V. Mutarelli fait le point sur les connaissances disponibles au sujet du théâtre de Lillebonne (Seine-Maritime). Depuis son identification et sa publication au XVIIIe siècle, il fut l’objet de fouilles, d’abandons et de restaurations qui ont profondément modifié sa structure initiale. Une étude archéologique fine, menée depuis 2001 à l’occasion de travaux de restauration, révèle que les différentes phases se sont appuyées autant que possible sur les reliefs naturels et sur les structures préexistantes, tout en devant respecter une trame urbanistique. Elle a également permis de dater les phases de construction de ce bâtiment, qui présente la particularité d’associer une arène et un bâtiment de scène de grandes dimensions. Au Bas-Empire, l’édifice perd sa fonction de théâtre pour être transformé en forteresse, intégrée au système défensif de la ville.

 

          Fr. Eschbach aborde la découverte récente (1998) du théâtre de Lousonna (Lausanne), le quatrième découvert en Suisse. Son mauvais état de conservation n’autorise pas la restitution d’un plan complet, ni ne permet d’appréhender son développement chronologique. Tout au plus peut-on dater sa construction du début du IIe siècle ap. J.-C. et un réaménagement au cours du siècle suivant. Il semble édifié dans un quartier d’habitat périphérique, dont il respecte la trame urbanistique. De dimensions réduites et possédant une forme atypique, il soulève bon nombre de questions quant à son interprétation. 

 

          Ph. Bridel, qui a récemment publié l’amphithéâtre d’Avenches, revient sur certaines particularités architecturales du monument. Comme ce couloir de service qui dessert le bord sud de l’arène et qui donne également accès aux gradins, permettant par exemple aux vainqueurs de rejoindre la loge d’honneur pour recevoir leur prix. Un escalier dérobé a également été observé, permettant de rejoindre une terrasse surmontant l’entrée axiale vers l’arène. Il est possible qu’y figuraient les effigies des divinités et de l’empereur, bien qu’aucune preuve ne permette d’étayer cette hypothèse. Les schémas de circulation perdurent lorsque le bâtiment est agrandi, vers 165 ap. J.-C., mais sa façade se monumentalise, exprimant un faste digne de l’empereur et des jeux qui lui sont dédiés.

 

          P. Henrich décrit les fouilles opérées en 1985, puis de 1999 à 2003, du théâtre gallo-romain de Dalheim, au Grand-duché de Luxembourg. Plusieurs phases de construction et de restaurations ont été mises en évidence. 

 

          L’article de J.-Cl. Golvin tente de comprendre une caractéristique architecturale de l’amphithéâtre de Leptis Magna (Libye), qui présente un plan particulier composé de deux extrémités semi-circulaires raccordées par de courtes parties rectilignes, comme si deux théâtres avaient été accolés. Rien dans la topographie ne permet d’expliquer cette forme. L’hypothèse séduisante avancée par l’auteur est que ce monument fut construit pour accueillir des jeux d’un type particulier institués par Néron, les Néronia, mêlant traditions romaines et grecques. Le modèle semble être l’amphithéâtre en bois construit par Néron sur le Champ de Mars qui possédait – comme cela semble être le cas à Leptis Magna – une machinerie complexe en sous-sol permettant un changement rapide de décor, voire des spectacles nautiques. Preuve supplémentaire, un extrait des Bucoliques de Calpurnius Siculus qui évoque la forme « en double masse « de l’amphithéâtre de Néron à Rome. Cette forme permet une grande variété de divertissements : concours musicaux, jeux du cirque, compétitions athlétiques, spectacles hippiques…

 

          A. Pichot recense les monuments de spectacle construits dans les deux provinces de Maurétanie. Les cités africaines qui possédaient des monuments de spectacle recevaient le titre de colonie, assorti de nombreux avantages, ce qui explique les grandes campagnes de constructions encouragées par les sénats locaux. Actuellement, trois théâtres et cinq amphithéâtres sont connus en Maurétanie (à Caesarea, Tipasa, Lixus, Zilil et Sitifis) ; ils ont fait l’objet de fouilles plus ou moins exhaustives. Dans ces colonies, les théâtres servent de vecteur de romanisation : leur architecture est en tout point semblable à celle des édifices italiens et on y assiste à des représentations et à des cultes importés.

 

          La contribution de P. Michel démontre comment s’est implantée l’identité grecque en Mésopotamie, lorsqu’elle fut annexée à l’empire séleucide. Alors que l’architecture et la pratique religieuses restent ancrées dans les traditions locales, c’est dans la construction d’un théâtre (fouillé en 1904) que se manifeste l’influence hellénique. Son plan correspond aux canons classiques, tandis que sa construction (briques crues avec quelques éléments en pierre) est purement locale. Les fouilles ont permis de mettre en évidence trois grandes phases de construction, liées à des étapes importantes dans le destin politique de la ville. Par ailleurs, un corpus de tablettes cunéiformes contient de précieux renseignements sur la population de Babylone. On y apprend qu’y coexistaient une communauté babylonienne et une autre grecque, possédant chacune leurs organes politiques, et que cette dernière se réunissait au théâtre. Celui-ci servait également, sans aucun doute, de cadre à des représentations artistiques, mais les sources écrites sont muettes sur ce point.

 

          En guise de clôture, J.-P. Thuillier évoque les recherches portant sur les cirques, peu étudiés car en nombre relativement réduit par rapport aux (amphi-)théâtres : en effet, en raison de leur très grande taille, ils ne font pas partie de l’équipement monumental de toutes les villes, mais seulement des plus importantes. De plus, quand ils existent, il est souvent impossible de les fouiller exhaustivement. Un colloque international organisé à Bordeaux en 2006 (actes publiés en 2008, dont la contribution présente constitue le compte rendu) a permis de faire le point sur toutes les nouveautés concernant ces édifices et sur les spectacles qui s’y déroulaient. 

 

          Cet ouvrage collectif aborde des sujets très variés tels que l’origine des théâtres et amphithéâtres, leur histoire et leur évolution architecturale, leur organisation interne et leur intégration dans le tissu urbain, leur usage et leurs fonctions politiques et sociales, les attentes et les sources de financement des sociétés qui les ont commandités et utilisés. Les recherches récentes apportent un éclairage nouveau, voire novateur dans certains cas.

 

 

Sommaire

 

  • Jean-Charles Moretti, Avant-propos, p. 7-14
  • Anne-Françoise Jaccottet,  Le théâtre à Athènes. Chronique d’une invention, p. 15-28
  • François Eschbach, Sébastien Freudiger, François Meylan,  Recherches en cours sur le théâtre d’Alésia. Bilan préliminaire (2004-2008), p. 29-46
  • Séverine Blin, Jean-Yves Marc, Le théâtre de Mandeure. Restitution, fonction, datation, p. 47-72
  • Pierre André,  Le théâtre proto-augustéen d’Alba et les origines du « théâtre gallo-romain », p. 73-96
  • François Eschbach, Le théâtre antique de Lousonna-Vidy, p. 97-118
  • Véronique Brunet-Gaston, Décor baroque ou perspective illusoire : le complexe « théâtre et temple » de Genainville (Val d’Oise), p. 119-128
  • Peter Henrich, Das gallorömische Theater von Dalheim (Grossherzogtum Luxemburg), p. 129-151
  • Patrick Michel, Le théâtre de Babylone : nouveauté urbaine et néologisme en Mésopotamie, p. 153-169
  • Adeline Pichot, Théâtres et amphithéâtres : outils de romanisation en Maurétanie ?, p. 171-192
  • Françoise Dumasy, Théâtres et amphithéâtres dans les cités de Gaule romaine : fonctions et répartition, p. 193-222
  • Vincenzo Mutarelli, Le théâtre romain de Lillebonne : étude des sources et nouvelle campagne de fouilles, p. 223-261
  • Thomas Hufschmid, Funktionale Gesichtspunkte des Theaters und des Amphitheaters im architektonischen, sozialen und politischen Kontext, p. 263-291
  • Philippe Bridel, L’amphithéâtre d’Avenches : originalité de quelques aspects architecturaux et fonctionnels, p. 293-306
  • Jean-Claude Golvin, Comment expliquer la forme non elliptique de l’amphithéâtre de Leptis Magna (Al Khums/Libye) ? p. 307-323
  • Jean-Paul Thuillier, Vingt ans au cirque : des « Roman circuses » au « cirque romain », p. 325-339
  • Michel E. Fuchs,  Écouter, voir : architectures du spectacle antique, p. 341-354
  • Annexes, p. 355-356
  • Adresses des auteurs, p. 357-359