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Compte rendu par Xavier Lafon, Université de Provence Nombre de mots : 2494 mots Publié en ligne le 2012-03-26 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1440 Lien pour commander ce livre
Ce gros volume réunit 51 communications présentées par plus de 75 auteurs. Au-delà de ces chiffres bruts, c’est bien la majorité des chercheurs concernés par l’étude des décors qui se trouve réunie dans ce volume et on comprendra l’impossibilité pour le recenseur de tous les citer… Les trois éditrices ont choisi une présentation en cinq parties qui rendent compte de la diversité des approches et des thématiques retenues. Comme il est d’usage aujourd’hui, ce colloque s’inscrit dans un programme de recherche interdisciplinaire ; il a été vraisemblablement préparé par des rencontres ou du moins des échanges qui ont conduit dans quelques cas au moins à des « commandes » de bilans ou de synthèses régionales ou thématiques qui cohabitent ainsi avec la présentation de découvertes récentes pouvant aller d’un document unique (mosaïque isolée) à un ensemble complet (balneum, centre monumental et, plus souvent encore, villas ou domus). Ces découvertes renouvellent quelque peu les perspectives avec en particulier une importance accrue portée aux réalisations pré-augustéennes : la localisation du colloque à Toulouse et donc sur le territoire de ce qui fut la Narbonnaise n’est certainement pas étrangère à ce choix mais le phénomène concerne de fait toutes les Gaules.
Un des objectifs essentiels de cette rencontre, qui apparaît dès le titre, était de faire se confronter des études où le décor entendu dans sa totalité (murs, sols, plafonds) permettait de mieux comprendre l’architecture. Les articulations du décor avec les éléments « naturels », à commencer par l’eau dont l’importance comme élément essentiel du décor est plusieurs fois soulignée, ont également été prises en compte. En revanche, le décor architectural, s’il n’est pas totalement absent, occupe une place finalement secondaire. On pourrait également regretter que la sculpture en ronde bosse ou en relief n’ait pas retenu l’attention : outre la difficulté technique de réunir les spécialistes de toutes les disciplines, on peut également admettre qu’il s’agit plus de mobilier que « d’immobilier », objets qu’il faut étudier pour eux-mêmes : on retrouve certainement là le clivage qui est apparu de façon symétrique dans le choix du périmètre retenu pour les premiers volumes du Nouvel Espérandieu. Si l’on prend en compte la hiérarchie des éléments qui participent ensemble à l’élaboration du décor telle que l’on peut l’établir de différentes manières, les « objets sculptés » occupaient une des premières places dans l’esprit des Anciens. Les collections de Chiragan, conservées précisément à Toulouse, auxquelles il est fait plusieurs fois allusion, notamment dans la conclusion de J.-P. Darmon et par une analyse des crustae de marbre laissées sur place, suffisent à le rappeler.
Comme le souligne l’introduction, le décor formait un ensemble cohérent, appréhendé en un seul regard et il convenait de dépasser les approches matériau par matériau, technique par technique, dans lesquelles s’était lancée la recherche française mais aussi étrangère depuis les années 1960. On mettra également au crédit des organisateurs d’avoir fait appel à des spécialistes des textes capables de montrer l’écart qui peut exister entre la réalité « archéologique » (les œuvres réellement réalisées ou conservées aux IVe – VIe siècles) et leur « traduction » littéraire. Celle-ci renvoie à une culture encore très classique de l’aristocratie, culture qui n’interdit pas pour autant une relecture chrétienne de cette panoplie d’images à l’origine tout à fait païennes. Si cette culture littéraire ne nous permet que très imparfaitement de connaître l’état et la configuration des bâtiments et des œuvres décrites par ces auteurs « tardifs », elle est absolument nécessaire pour comprendre les attentes de ces commanditaires.
Une autre ambition de ce colloque était d’affronter la longue durée, du IIIe siècle avant J.-C. aux XIe s. ap. J.-C. dans un espace lui-même considérable puisque les limites de « la Gaule » sont franchies au moins deux fois avec une communication qui concerne la péninsule ibérique, plus précisément la Catalogne, et une autre, l’Italie tardo-antique. Le noyau dur concerne cependant principalement les productions des provinces romaines de Narbonnaise et d’Aquitaine même si la Lyonnaise, en plus de Lyon, n’est pas totalement occultée, pas plus que la Gaule Belgique avec la Lorraine et Paris. La Germanie Supérieure fait l’objet de deux communications sur Strasbourg et Besançon mais on regrettera l’absence quasi totale de présentation des découvertes opérées sur le territoire allemand, notamment la région de Trèves pourtant, un temps au moins, capitale des Gaules...
Le souci de montrer les continuités comme les éventuelles ruptures entre Antiquité et Moyen Âge concerne tout aussi bien les techniques proprement dites comme la nature des mortiers et enduits que les thèmes et sujets traités par les artisans peintres, stucateurs et mosaïstes. Les réponses sont bien évidemment nuancées. Cette approche recouvre très largement la question toujours d’actualité de la création puis de la transmission des techniques et des thèmes de l’iconographie, figurative ou non. Cette problématique peut être abordée de différentes façons mais elle implique dans tous les cas de dépasser le strict cadre « gaulois », particulièrement pour l’Antiquité. Quand il s’agit de produits destinés à une aristocratie intégrée à un empire qui se veut universel, cela paraît évident et à propos des enduits peints comme des mosaïques, les comparaisons avec les autres régions de l’Empire romain, à commencer par Rome et la Campanie, sont régulièrement faites. L’analyse est plus complexe pour des décors plus « ordinaires », réalisés dans des édifices moins clairement définis et l’on a parfois tendance en particulier à confondre origine du motif (parfois très ancienne) et mode de transmission. Il en est ainsi pour la notion « d’hellénistique » utilisée à propos des pavements de Narbonnaise du IIIe siècle av. J.-C. au Ier siècle apr. J.-C. Même si Marseille a pu, un temps encore, jouer un rôle de relais avec le monde grec, la situation est totalement bouleversée par l’arrivée des « Italiens », eux-mêmes plus ou moins romanisés, et cela avant même la conquête militaire : tous les « commerçants » puis tous les colons ne sont pas nécessairement passés par Rome ou la Campanie. De ce point de vue l’Italie du Nord, à la suite des travaux initiés en ce sens par Mario Denti, a retrouvé une place non négligeable comme plaque tournante entre Orient et Occident méditerranéens. Mais comme le montre l’examen d’une mosaïque découverte près d’Alès (Site de l’Ermitage), les ateliers itinérants qui façonnaient ces sols de mosaïques sont multiples : on peut distinguer à la même époque dans cette seule région au moins deux routes différentes suivies à quelques dizaines de kilomètres près (vallée du Rhône et voie interne aux Cévennes) par des artisans itinérants que l’on peut clairement distinguer par les techniques utilisées et surtout les motifs réalisés : ce sont eux les véritables initiateurs de pratiques nouvelles et il est quasiment impossible de démontrer à leur propos le souci de vouloir « faire grec » en copiant des motifs en vogue en Grèce deux ou trois siècles plus tôt mais bien présents à leur époque en Italie. Le respect d’une échelle chronologique précise est fondamental dans ces domaines, même s’il nous est aujourd’hui impossible, sauf cas exceptionnel, de dater ces œuvres à moins d’un demi-siècle sur des critères purement stylistiques.
Matériellement, cet ouvrage se caractérise par son excellente présentation, avec une illustration souvent en couleur de très bonne qualité, une bibliographie commune facile à consulter (on relève un seul « doublet » à propos d’Yvon Thébert, 1982 et 1985, le bon étant 1985, p. 301-397) et des indices géographiques mais également iconographiques indispensables en raison de la taille du volume. Au total, par sa manière d’aborder de façon conjointe tous les types de décor avec des approches complémentaires, ce colloque marque une étape importante dans l’histoire de la recherche en France au moment où la relève des générations de chercheurs impliqués dans ce domaine demeure un challenge important pour toute la communauté archéologique : ce qu’il faut bien appeler « l’histoire de l’art » doit continuer de bénéficier des moyens indispensables, au moment où ces disciplines font preuve d’un nouveau dynamisme.
Sommaire Auteurs, p. 9 Avant-propos, p.13
1. Articulation des décors dans les espaces architecturaux
2. Formes architecturales et spatialité
3. Espace de la culture : la construction d’un imaginaire romain
4. Les matériaux et la délimitation de l’espace
5. Pérennité et renouvellement du décor et de son espace
Synthèses conclusives, par Jean-Pierre Darmon, p. 715-719 Références bibliographiques, p. 721-754 Résumés, p. 755-762 Indices, p. 763
Discussions accessibles en ligne sur le site http://aquitania.u-bordeaux3.fr
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |