De Miro, Ernesto - Fiorentini, Graziella : VI. Agrigento romana: gli edifici pubblici civili. :158 p., ISBN 9788862273817, € 95.00 (pb).
(Fabrizio Serra editore, Pisa; Roma 2011)
 
Reseña de Sophie Bouffier, Université Aix-Marseille
 
Número de palabras : 1472 palabras
Publicado en línea el 2012-01-16
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1460
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          Fondée par les Rhodio-Crétois de Géla vers 580 av. J.C., la cité d’Agrigente est surtout connue pour sa prospérité et ses monuments d’époque grecque, que l’archéologie et l’histoire de l’art ont abondamment étudiés. Dans cet ouvrage de 158 pages qui entend dresser le bilan des édifices publics d’époque romaine, Ernesto de Miro et Graziella Fiorentini poursuivent la publication des fouilles menées par la Surintendance d’Agrigente, en particulier dans le quartier hellénistique et romain de San Nicola depuis la fin des années 1950. Après la publication des sanctuaires urbains (Agrigento. I, I santuari urbani: l’area sacra tra il tempio di Zeus e porta V, Rome, 2000), du sanctuaire extra-urbain d’Asclépios (Agrigento. II, I santuari extraurbani: l’Asklepieion, Soveria Manelli, 2003), de l’habitat de San Nicola (Agrigento. 4, L’abitato antico : il quartiere ellenistico-romano, Rome, 2009), les deux anciens surintendants de la province d’Agrigente livrent une synthèse sur le forum et le gymnase ainsi qu’une réflexion sur l’évolution de la ville antique. Une introduction rapide dresse le cadre événementiel, politique et socio-économique de la Sicile romaine depuis les deux premières guerres Puniques jusqu’à l’Antiquité tardive. Cette introduction n’apporte pas de nouveauté, se limitant souvent à un inventaire des sources textuelles sur cette région de l’empire romain et reprenant la thèse désormais ancienne qui remet en question le déclin de la Sicile à l’époque impériale en se fondant sur les découvertes archéologiques. Bien que ce ne soit pas l’objectif principal du livre, on pourra déplorer l’absence de références récentes alors que le débat a été rouvert sur certains sujets, notamment les Verrines de Cicéron et la Sicile tardo-républicaine en France (J. Dubouloz et S. Pittia (dir.), La Sicile de Cicéron : lectures des "Verrines" : actes du colloque de Paris, 19-20 mai 2006, Centre Gustave Glotz, Besançon, 2007) et en Grande-Bretagne (J. R. W. Prag, Sicilia nutrix plebis Romanae: rhetoric, law and taxation in Cicero’s Verrines, Colloquium, Institute of Classical Studies, 2004, Londres, 2007).

 

          L’état de la recherche que dressent les auteurs montre bien combien l’époque romaine est restée à l’écart des champs de l’historiographie. Malgré l’accroissement de la documentation archéologique dans les années 1950, il a fallu attendre le volume sur l’habitat, cité supra, et ce volume-ci pour bénéficier enfin de sa diffusion.

 

          À partir du chapitre sur la romanisation, le lecteur entre dans le vif du sujet. À l’époque augustéenne, l’urbanisme de la ville ne subit pas de remaniement profond par rapport à celui de l’époque grecque, sinon l’interruption de la grande plateia est/ouest traversant le site au nord du bouleutérion et qui est destinée à l’agrandissement de la terrasse du bouleutérion, celui-ci devenant probablement la curie. Le forum s’installe alors à la place de l’ancienne agora. Dans une première étape, au sud, est construit un petit temple prostyle à podium où se mêlent ordre dorique et ordre ionique, le dit « Oratoire de Phalaris » ; doté d’un autel à l’est, il remplace l’ecclésiastérion abandonné depuis le IIe s. av. J.-C. L’esplanade qui l’accueille demeure ouverte, malgré la présence d’un portique sur trois côtés. Le bouleutérion a déjà subi des remaniements qui remontent peut-être au IIesiècle et a dû devenir le siège de la curie. À l’époque impériale, dans la partie au nord du bouleutérion, la mise en place de l’espace qualifié de forum impose une structure fermée par un triple portique autour d’un temple à podium.

 

          À travers ces différentes transformations de l’espace public, l’auteur voit la progressive intégration d’Agrigente dans les structures administratives romaines imposées aux municipes provinciaux. Au Ier siècle apr. J.-C., le forum prend sa forme définitive : triple portique aux chapiteaux toscans et entablement dorique sur les côtés nord, est et ouest, ces deux derniers bordant les stenopoi et s’intégrant donc dans le maillage grec ; temple central doté d’un autel au sud. Sur la limite méridionale, une rampe à trois degrés permettait d’accéder au decumanus-est-ouest. Le temple orienté nord/sud occupe la partie nord de l’esplanade. E. de Miro restitue un plan à cella et pronaos prostyle à quatre colonnes, installé sur le podium de façade, et deux escaliers latéraux qui font de cet édifice un des rares exemples de ce type dans le monde romain. On s’étonnera ici que la restitution proposée pour l’élévation ne corresponde pas au plan publié quelques pages auparavant, le portique prostyle n’étant pas représenté de la même manière et n’ayant pas les mêmes dimensions ni le même rapport au podium sur les deux figures (ce n’est malheureusement pas la seule erreur de correspondance entre certains plans, voire entre la figure et le texte).

 

          L’archéologue délimite trois phases dans la réalisation du temple : un premier temple avec escalier de façade est construit dans le deuxième quart ou au milieu du Iersiècle ;  la cella est complétée par l’ajout d’un pronaos et d’un podium de façade une vingtaine d’années plus tard ; l’état actuel des deux escaliers latéraux date d’une réfection du IIe siècle qui a dû modifier l’accès à la cella. Le complexe du forum perdure jusqu’à la fin du IVe siècle. A partir d’un oscillum en terre cuite, daté du IIe siècle, et qui représenterait Isis figurée selon le schéma de l’Aphrodite accroupie tenant le disque solaire soulevé au-dessus de ses bras en croissant de lune, E. de Miro propose l’attribution du complexe monumental à la déesse égyptienne, parfois identifiée avec Aphrodite et associée à elle, notamment à Eryx. Il justifie son identification par le recours à d’autres objets découverts dans le portique, et qui seraient liés au culte d’Isis, comme l’horloge solaire ou des fragments de statues ou de tuiles qu’il relie à la déesse. L’hypothèse est suggestive mais présente néanmoins la faiblesse de mettre en évidence un unicum en Sicile. On ne connaît aucune trace monumentale d’Iseion dans l’île si l’on exclut les rares témoignages de Sarapeion-Iseion à Taormine ou à Syracuse. En outre, le cadran solaire est un objet relativement courant dans les espaces publics, voire privés, d’époque romaine. La situation topographique d’un tel sanctuaire soulève également le doute : on l’aurait installé en plein centre-ville, à un point névralgique ancien de la cité ; ce serait donc lui attribuer une importance essentielle dans la vie religieuse, voire politique de la cité, à une époque où les cultes du forum sont ceux de la triade capitoline ou de l’Empereur, absents ici. À moins que le culte n’ait été modifié au IIe siècle pour  être consacré à la déesse égyptienne, ce qui paraît impensable.

 

          Mais le problème le plus important, à mon avis, réside dans l’identification du forum avec ce complexe monumental car il ne possède aucun des bâtiments traditionnels de la place publique romaine, en particulier la basilique et le Capitole. Si l’on peut accepter l’hypothèse selon laquelle le forum serait situé dans ce secteur central de la ville romaine, à proximité, voire en partie sur l’agora grecque, il semble que le complexe publié ici soit plutôt un sanctuaire monumentalisé, comme par exemple le sanctuaire d’Isis de Belo au Portugal, qui jouxte le forum, mais n’en fait pas partie, et dont l’architecture rappelle notre exemple agrigentin (cf. S. Dardaine, M. Fincker et al., Belo VIII. Le sanctuaire d’Isis, Madrid, 2009). À proximité dudit forum, E de Miro propose de voir un probable édifice des Augustales à partir des fragments d’une base votive en marbre, gravée d’une dédicace de deux membres de la gens Annia.

 

          Le deuxième ensemble monumental, publié sous la plume de G. Fiorentini, est le gymnase, situé entre la dite agora supérieure et la dite agora inférieure et longeant un cardo nord/sud. Installé sur deux terrasses reliées par une rampe monumentale, le complexe présente plusieurs phases d’existence : créé à l’époque augustéenne, il comprend un portique à colonnade dorique, xyste couvert, longeant une piste de course sur lesquels ouvraient deux séries de sièges gravés de dédicaces ainsi qu’une fontaine et un autel. Au nord, le gymnase était relié à un probable établissement de bain dont on connaît la vasque rectangulaire. Après quelques réfections datables de la fin du Ier siècle, le gymnase est détruit et le secteur abandonné entre la fin du IIe et la première moitié du IIIe siècle. Dans le second quart du IVe siècle, quatre édifices, dont l’un en abside ouvrant sur le cardo, sont insérés dans la maille de l’ancien portique : conçus dans un même projet urbain et architectural, ils n’ont livré aucun indice permettant de déterminer leur fonction, même si l’auteur suggère la présence d’activités commerciales voire d’un macellum. Le complexe est abandonné dans la seconde moitié du même siècle, comme l’ensemble du secteur avant d’être réoccupé par un pressoir au VIIe siècle et deux fours entre le VIIIe et le IXe siècle. Dans un dernier chapitre, G. Fiorentini propose une réflexion sur l’évolution urbaine d’Agrigente, qui esquisse des hypothèses stimulantes mais pour l’instant infondées et que de nouvelles investigations devront éprouver, comme la présence de trois gymnases antérieurs à celui de l’époque augustéenne dans des secteurs différents de l’espace urbain. On attend toujours également les témoignages matériels permettant d’affirmer la présence d’une agora inférieure à l’est de l’Olympieion, que suggéraient déjà P. Marconi et P. Griffo à partir des sources antiques, mais qu’aucune publication précise encore n’a étayée alors qu’il s’agit d’un secteur charnière de l’urbanisme agrigentin. L’ouvrage contribue donc à l’accroissement de nos connaissances sur une ville qui a marqué pour des siècles la mémoire collective et qui paradoxalement n’offre pas les synthèses qu’elle mérite. Il conviendrait dès lors que cet effort avantageusement amorcé par E. de Miro et G. Fiorentini soit porté sur les autres grandes cités siciliotes qui attendent toujours la publication de décennies de fouilles.