AA.VV.: Fantin-Latour interprète Berlioz. Ouvrage édité à l’occasion de l’exposition organisée au musée Hector-Berlioz du 9 juillet au 31 décembre 2011. Broché, 20 x 25 cm - 96 pages, 96 illustrations N&B et couleur, Parution juillet 2011, ISBN : 978-2-917659-16-8, 22€
(Éditions Libel, Lyon 2011)
 
Recensione di Gaëlle Loisel, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand
 
Numero di parole: 1438 parole
Pubblicato on line il 2011-11-29
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1464
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          Fantin-Latour interprète Berlioz : c’est sous un angle neuf que le musée Hector Berlioz nous propose cette année de découvrir l’œuvre du compositeur romantique, dans le cadre d’une exposition se tenant jusqu’au 31 décembre 2011 à la Côte Saint-André (Isère). Henri Fantin-Latour, né en 1836, soit plus de trente ans après Hector Berlioz (1803-1869), n’est pas seulement un artiste mélomane ; c’est aussi « le peintre des musiciens ». Fasciné par l’univers de Wagner, qui constitue pour lui une source d’inspiration privilégiée, admirateur des œuvres de Schumann et de Brahms, il découvre la musique de Berlioz assez tardivement, à l’occasion des représentations de la seconde partie de l’opéra Les Troyens (Les Troyens à Carthage) au Théâtre-Lyrique, en novembre 1863. Il faudra cependant attendre encore douze ans, et le choc provoqué par un nouveau concert, au cours duquel était jouée la symphonie dramatique Roméo et Juliette, pour que le peintre s’empare de la musique de Berlioz et cherche à « traduire » les scènes lyriques du maître dans les arts visuels.

 

          Cette exposition s’inscrit dans la continuité de plusieurs manifestations consacrées à l’œuvre de Fantin-Latour : une exposition de l’œuvre lithographié de l’artiste à Genève en 1980, puis une rétrospective au Grand Palais en 1983. Plus récemment, le Musée de Grenoble a organisé une exposition centrée sur les dessins et lithographies de l’artiste : Henri Fantin-Latour. La voie du clair-obscur (2004). La démarche du commissariat de l’exposition Fantin-Latour interprète Berlioz s’est voulue novatrice et complémentaire de ce qui avait été proposé auparavant. En se concentrant sur la production du peintre inspirée par l’œuvre musicale de Berlioz, le musée nous plonge dans l’univers de chacun des artistes et met en jeu la question de la transposition d’une œuvre musicale dans le domaine des arts plastiques. Mettant au jour des collections encore peu étudiées (telles que le fonds Fantin-Latour, constitué au cours du XXe siècle par l’Association nationale Hector Berlioz et surtout les œuvres données par l’épouse du peintre, Victoria Dubourg, au Musée Berlioz ainsi qu’au musée de Grenoble), cette exposition répond au vœu formulé par Claude Roger-Marx en 1969 : « Souhaitons que prochainement […] le petit musée de La Côte Saint-André insiste sur l’une des plus touchantes collaborations entre la musique et les arts plastiques ! ». 

 

          En marge de cette exposition temporaire, Chantal Spillemaecker et Antoine Troncy, respectivement conservateur en chef et assistant qualifié de conservation au musée Hector-Berlioz, ont dirigé un bel ouvrage collectif paru aux éditions Libel, dans lequel est retracé de manière vivante le cheminement d’Henri Fantin-Latour au contact de l’œuvre du compositeur. Outre l’avant-propos et le catalogue recensant l’ensemble des œuvres retrouvées de Fantin-Latour se rapportant aux compositions musicales d’Hector Berlioz, l’ouvrage propose trois lectures critiques de ce riche corpus : les regards croisées de deux historiennes de l’art, Marianne Clerc (Maître de conférences en Histoire de l’art à l’université Pierre-Mendès France, Grenoble) et Sylvie Patry (Conservateur en chef du patrimoine au Musée d’Orsay), et d’une musicologue, Michèle Barbe (Professeur des universités à l’université Paris-Sorbonne) apportent un éclairage diversifié sur l’œuvre de ce « peintre musicaliste » qu’est Henri-Fantin-Latour.

 

          Dans son article « Henri Fantin-Latour et Hector Berlioz : un peintre à l’écoute ? », Marianne Clerc s’intéresse à la façon dont l’artiste explore le genre de la peinture de célébration, dans la lignée d’Ingres et de son célèbre portrait de Luigi Cherubini (Luigi Cherubini et la muse de la poésie lyrique, 1842). Souhaitant rendre hommage à Berlioz qu’il tient pour « le premier romantique », Fantin-Latour compose en effet une première œuvre inspirée du musicien : L’anniversaire (1876). Il n’aura de cesse de la retravailler, en proposant plusieurs versions, jusqu’aux célébrations du centenaire de la naissance du compositeur en 1903. Marianne Clerc analyse la façon dont Fantin-Latour parvient à transposer l’univers berliozien dans ce « tombeau apothéose », qui renoue avec la tradition et les codes de la peinture allégorique – un paradoxe pour ce peintre qui aspirait à un art moderne. Dans la seconde partie de son article, elle se penche sur les difficultés qu’a posées à Fantin-Latour la « traduction » de l’œuvre musicale de Berlioz ; elle s’appuie pour cela sur une série de quatorze lithographies destinées à illustrer la biographie qu’Adolphe Jullien a consacrée au compositeur et qui paraît en 1888.

 

          Sylvie Patry revient sur cet ouvrage, en se concentrant sur la pratique de la lithographie par Henri Fantin-Latour. Trop souvent distinguée de sa production peinte, l’œuvre gravée est en réalité indissociable de la pratique de la peinture chez Fantin. Comme le montre Sylvie Patry, la lithographie constitue pour lui un véritable « laboratoire d’images », lui permettant de confronter son art à la musique de Berlioz, et d’en renouveler sans cesse l’interprétation. Alors que cette technique, qui avait connu un grand succès à l’époque romantique, était souvent perçue dans les années 1860-1870 comme une pratique purement commerciale, Fantin-Latour « en fait un art d’expérimentation, situé au cœur du processus créateur au gré d’incessantes allées et venues entre estampe, tableau, dessin et pastel ». Il s’approprie ainsi de nombreuses œuvres du compositeur : Lélio, Harold en Italie, Sara la Baigneuse, Benvenuto Cellini, Roméo et Juliette, L’Enfance du Christ ou encore Les Troyens.

 

          L’objet du troisième et dernier article, que nous soumet Michèle Barbe, est précisément « la traduction d’un art par un autre ». La traduction est ici comprise, à la suite de la définition qu’en a donnée Delacroix dans son projet de Dictionnaire des Beaux-Arts, comme une activité créatrice permettant à l’artiste de manifester sa subjectivité, tout en étant fidèle à l’esprit de l’œuvre source. Elle se situe sur trois plans : traduction de l’idée, de l’effet produit par l’œuvre et de son but ultime. C’est dans cette perspective que Michèle Barbe analyse en détail l’abondante production de Fantin-Latour inspirée des Troyens. Un regard porté sur l’ensemble de la série fait apparaître que le peintre s’est concentré sur cinq épisodes-clés de l’opéra, dont il s’efforce de restituer la puissance dramatique et émotionnelle : l’apparition d’Hector à Énée, l’accueil des Troyens à Carthage, le ballet de l’acte IV, le duo d’amour de Didon et Énée et, enfin, son épilogue. Imprégné de la musique de Berlioz autant que du livret de l’opéra, Fantin puise dans ce qui devait être le sujet essentiel de cette œuvre lyrique pour le compositeur, à savoir « l’expression de la passion et des sentiments ». Dans cette étude menée avec autant de rigueur que de finesse, Michèle Barbe parvient à établir des liens précis entre l’œuvre plastique de Fantin-Latour et la musique des Troyens. Les différentes versions du duo d’amour de Didon et Énée produites par l’artiste sont, par exemple, confrontées au duo de Berlioz, « Nuit d’ivresse et d’extase infinie » (n°37). Chaque variation observée dans cette série de gravures peut apparaître comme une traduction de « la diversité des sentiments exprimés par Berlioz dans les trois refrains et cinq couplets ». Le processus de traduction ne se réduit donc pas pour Fantin-Latour à l’illustration d’un sujet : l’artiste s’efforce plutôt de cerner l’essence d’une œuvre musicale qu’il vénère, en approfondissant à chaque nouvelle version sa lecture de l’opéra.

 

          Ainsi, Fantin-Latour n’a cessé de retravailler sur ses œuvres, modifiant certains détails quand il n’en bouleversait pas la composition. Cet « art de la maturation lente » qu’analyse par ailleurs Sylvie Patry est rendu extrêmement sensible dans le catalogue commenté qui fait suite aux articles critiques présents dans ce volume. Les auteurs de cette partie de l’ouvrage, Antoine Troncy et Adrien Morel, se sont attachés à rassembler là un corpus d’une grande richesse, qu’ils décrivent avec soin ; ils s’efforcent en outre de mettre en relation chacune des œuvres de Fantin avec le passage de l’œuvre  berliozienne qui leur a donné naissance. Ainsi le catalogue se mue-t-il en un véritable dialogue entre peinture / gravure et littérature, les auteurs parvenant à faire résonner la voix de Berlioz – auteur des livrets de ses opéras – en écho aux compositions du peintre.

 

          En l’espace d’à peine cent pages, cet ouvrage parvient à nous faire pénétrer dans l’univers d’Henri Fantin-Latour comme dans celui de Berlioz, et à nous en dévoiler la richesse. La qualité des reproductions mérite d’être soulignée, notamment celle des lithographies qui émaillent ce volume. Si leur distribution est parfois déroutante, il n’en reste pas moins que la lecture de l’ouvrage est agréable, invitant le lecteur à circuler entre l’analyse et l’observation des œuvres du peintre. Les questions que soulève ce volume, d’une remarquable pertinence, intéresseront toute personne attachée à la figure de l’un ou l’autre artiste, et plus largement toute personne sensible au dialogue des arts. 

 

 

SOMMAIRE

 

Bibliographie, p.4

 

Contributions, p.5

 

Avant-propos, p.6

Chantal Spillemaecker

 

Fantin-Latour et Hector Berlioz : un peintre à l’écoute ? p.11

Marianne Clerc

 

Les lithographies musicales de Fantin-Latour : un "laboratoire d’images" p.25

Sylvie Patry

 

"La traduction d’un art pour l’autre", les œuvres de Fantin-Latour d’après les  Troyens de Berlioz, p.33

Michèle Barbe

 

Interprétation, réinterprétations, p.55

Antoine Troncy, Addrien Morel

 

Chronologie, p.93

Antoine Troncy, Adrien Morel