Álvarez Martí-Aguilar, Manuel : Fenicios en Tartesos: nuevas perspectivas, ii+248 pages, ill. n&b, ISBN 978 1 4073 0809 8, £44.00 (BAR S2245)
(Archaeopress, Oxford 2011)

 
Reviewed by Jean Gran-Aymerich, CNRS, Paris
 
Number of words : 1341 words
Published online 2012-09-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1476
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          Ce volume constitue une mise au point collective et actualisée sur la présence phénicienne dans le midi de la péninsule Ibérique, le mythique pays de Tartessos. Il s’agit des actes du colloque qui, sous le même intitulé, a été célébré à l’université de Malaga en décembre 2008. Cette rencontre scientifique faisait partie d’un ambitieux projet de recherche, subventionné par le Ministère de la Science et l’Innovation de Madrid, coordonné par l’université de Malaga entre 2007 et 2010, sous le thème général: Repensando Tartesos desde el prisma de la identidad: el componente fenicio. Le directeur de ce programme et de la publication, M. Álvarez Martí-Aguilar, est bien connu pour ses recherches historiographiques (Tarteso[sic]. La construcción de un mito en la historiografía española, Málaga, 2005).

 

          Le concept traditionnel de Tartessos en tant que phénomène précédant la colonisation phénicienne est soumis à la critique, en particulier à partir des découvertes récentes telles que celles du littoral portugais, de Huelva, Cadix, Séville et de Malaga et ses environs. Un fait d’importance capitale est la chronologie haute des premières installations phéniciennes, que l’on peut désormais placer au IXe s. et même selon certains archéologues, au Xe siècle av. J.-C. Ainsi rebondit la question si controversée de la phase de pré-colonisation qui a fait récemment l’objet d’une publication de synthèse (Contacto cultural entre el Mediterráneo y el Atlántico (siglos XII-VIII ane). La precolonización a debate, S. Celestion et alii éds., Madrid, 2008). M. Álvarez Martí-Aguilar reprend pour la définition de Tartessos les critères privilégiés par les sources grecques les plus anciennes, celui du cadre géographique du sud de la péninsule Ibérique. Le dénominateur commun des différentes contributions de ce volume réside dans l’intérêt pour l’identité collective des sociétés anciennes et pour la distinction, souvent controversée, entre gisements et découvertes phéniciennes ou indigènes. Réapparaît en arrière-fond la question d’implantations coloniales sous la double forme d’un chapelet de ports maritimes et d’établissements dans l’arrière-pays, ainsi que pour la province de Séville et les terres fertiles de la vallée du Guadalquivir.

 

          Après l’introduction générale de l’éditeur du volume, qui brosse un tableau d’ensemble clair et précis (p. 1-5), la première contribution est celle de J.M. Blázquez Martínez, pionnier bien connu de ces études (Tartessos y los orígenes de la colonización fenicia en Occidente, Salamanque, 1975). Cet éminent professeur, membre de la Real Academia de la Historia, présente à cette occasion la vision actuelle des rapports entre Chypre et la péninsule Ibérique, qui apparaissent plus que jamais d’une importance et d’une intensité fondamentales  pour la période orientalisante de l’Occident méditerranéen en général et le Midi péninsulaire en particulier (p. 7-31). M. Botto analyse les relations avec la Sardaigne (p. 33-67), de l’âge du Bronze final au début de l’âge du Fer, en relevant tout l’intérêt de la découverte de céramiques sardes dans les fouilles récentes dans le secteur de l’aéroport de Malaga (La Rebanadilla), le centre de Cadix, les environs de Séville (El Carambolo) et le centre ville de Huelva (fig. 17, 20, 25, 27). K. Mansel examine les premiers rapports entre Carthage et le sud de la péninsule Ibérique (p. 69-85) ; la perception traditionnelle, à partir des amphores de production péninsulaire découvertes à Carthage (fig. 3.1-2) et de celles de production carthaginoise localisées dans la Péninsule (fig. 3-6), se trouve notablement enrichie par l’identification, dans les niveaux profonds de la capitale punique, de céramiques non tournées d’origine tartessienne, en particulier des vases au décor géométrique incisé très particulier ("cerámica esgrafiada", fig. 8) et de plusieurs exemplaires de fibules provenant du Midi ibérique (cartes de distribution fig. 7-9, 11-12). A. Mederos et L. Ruiz Cabrero proposent de réévaluer la contribution de Sidon dans les premiers temps de la présence phénicienne dans la région du détroit de Gibraltar, en particulier pour le site de Doña Blanca, près de Cadix, et pour les interprétations de la divinité majeure de Sidon, Eshmun, dont ils examinent les cas de syncrétisme avec le Melkart tyrien et gaditan (p. 87-117).

 

          C.G. Wagner expose sa définition du concept historique de Tartessos comme résultat du colonialisme phénicien dans le sud de la péninsule Ibérique (p. 119-128). L’identification de lieux de culte dans plusieurs habitats du territoire tartessien (à Montemolin, Carmona et Coria del Río pour Séville, à Castulo pour Jaén et à Castro Marin et Tavira pour le Portugal) fournit selon lui une base essentielle pour distinguer colons phéniciens et tartessiens, suivant "un nouveau modèle explicatif" qui privilégie le colonialisme plutôt que l’acculturation et substitue les tensions et conflits à la coexistence et la coopération (p. 125). Une équipe constituée d’archéologues territoriaux de Malaga, A. Arancibia Román et alii (p. 129-149), présentent les plus importantes découvertes, qui remontent à l’âge du Bronze final et au début de l’âge du Fer, enregistrées sur les fouilles d’urgence engagées sur les cours inférieurs du Guadalhorce (habitat de La Rebanadilla et nécropole de Cortijo San Isidro) et du Guadalmédina (habitat de San Pablo et au cœur de la colonie de Malaka dans les rues Cister et San Agustin et à l’emplacement de l’actuel musée de Picasso). Parmi les premières structures d’habitat de Malaga, proches du secteur portuaire, on a identifié un sanctuaire, actif de la fin du VIIe s. jusqu’à la première moitié du VIe (p. 133, fig. 20-21). Dans la contribution suivante, au sous-titre teinté d’humour "mucha gente, poca tierra", A.M. Arruda invite à faire la distinction entre indigènes, phéniciens et tartessiens (p.  51-160). La base de ses analyses lui est fournie par la production de céramiques à engobe rouge sur le territoire portugais et conduit l’auteur à proposer contre la vision d’une colonisation tartessienne à partir de l’Estrémadure, la reprise de la vision traditionnelle, qui, renouvelée par les découvertes récentes, envisage plutôt "la orientalización de la zona" par les communautés phéniciennes du littoral portugais (p. 154).

 

          J.L. Escacena Carrasco nous offre une analyse approfondie de la diversité interne des communautés orientales installées en Occident, dont les lieux d’origine ne se limiteraient pas à la Phénicie propre ; il souligne aussi le caractère indigène d’une bonne partie des habitats proches des colonies du littoral (p. 161-192). Le même auteur analyse le rôle de l’imagerie orientalisante du Midi ibérique, présente sur les ivoires ouvragés et sur les céramiques peintes. Enfin, il s’attarde sur le cas des représentations en forme de peau de bœuf étalée, non seulement les primitifs lingots de cuivre bien connus mais aussi les autels attestés au sein de constructions considérées comme sanctuaires, interprétant encore une longue série d’objets comme des autels portatifs y compris parmi les plaquettes à fard d’ivoire avec gobelet central (fig. 1-5). E. Ferrer Albelda procède lui aussi à une révision conceptuelle de l’unité et de la diversité des Phéniciens d’Occident, à partir de la documentation fournie par les textes grecs et latins et en adoptant un point de vue post-colonial (p. 193-212). M. Cruz Marín Ceballos examine les caractères particuliers dans le domaine religieux de Cadix, par rapport au monde phénicien et en particulier l’évolution du modèle tyrien. Elle révise ainsi les caractéristiques propres aux cultes de Melqart, Astarté, Milk’astart et Baal Hammon pour Tyr, Carthage et Gadir (p. 213-222). L. Antonelli examine les passages de l’Ora Maritima d’Avienus concernant les Phéniciens et les Puniques, et relève la tradition très ancienne d’un périple remontant au VIe s., qu’il place dans le contexte historique des rapports entre Massalia et Tartessos, établis sur les nouveaux équilibres qui s’imposent après la bataille d’Alalia (p. 223-233). P. Moret analyse les textes de Tite-Live et de Caton pour déterminer le territoire des Turdetani lors de la conquête romaine, et le distinguer de celui défini par Strabon et communément admis par l’historiographie archéologique (p. 235-248).

 

          Les communications s’accompagnent, dans presque tous les cas, et à la suite de chaque texte, de figures de documentation archéologique, de plans et de photographies noir et blanc dans la qualité économique qui est propre aux BAR. Les résultats de cette intéressante rencontre et du programme de recherches engagé permettent d’espérer que cet axe de recherche réellement important et prometteur continuera d’être exploré.