De Sena, Eric C. - Dobrzanska, Halina : The Roman Empire and Beyond: Archaeological and Historical Research on the Romans and Native Cultures in Central Europe, ii+173 pages, ill. n&b, ISBN 978 1 4073 0798 5, £36.00 (BAR S2236) (Archaeopress, Oxford 2011)
Compte rendu par Benoit Rossignol, Paris 1 Panthéon-Sorbonne Nombre de mots : 2502 mots Publié en ligne le 2011-12-20 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1478
L’ouvrage
trouve son origine dans deux sessions tenues lors des rencontres annuelles 2006
et 2007 de l’European Association of
Archaeologists destinées à prendre en compte le renouvellement de
l’information archéologique en Europe centrale et orientale, là où l’empire
romain rencontrait le barbaricum.
Reprenant ces sessions et ajoutant quelques autres contributions, l’ouvrage
présente onze études de cas considérant l’impact de Rome dans cette vaste
région, les contacts et les échanges avec les indigènes et leurs cultures tant
dans l’empire qu’au-delà de ses frontières. Après une brève présentation
générale, qui reprend essentiellement les résumés des articles, l’ouvrage
présente les différentes contributions dans une succession qui va de
l’Adriatique à la Dacie
en passant par la Thrace,
le centre des Balkans, la frontière pannonienne et les montagnes de la Sainte-Croix dans
l’actuelle Pologne. La contribution finale par Eric C. De Sena, qui co-dirige
le volume avec Halina Dobrzanska est à la fois une étude indépendante et un
propos synthétique et conclusif à partir des différentes parties de l’ouvrage.
Le champ chronologique couvert est vaste lui aussi, il s’étend des débuts de
l’Empire à l’Antiquité tardive.
La
première étude, par V. Begović et I. Schrunk, présente le bilan des
connaissances sur les villae maritime
de l’Adriatique en Istrie et Dalmatie. Une trentaine de villae sont présentées dans un catalogue, que l’on pourra comparer,
pour l’Istrie, au bilan récemment publié par Francis Tassaux dans la Revue archéologique (2007) et légèrement
différent. Par delà l’hétérogénéité de nos connaissances – bien plus faibles
pour la Dalmatie
et surtout la Liburnie
– c’est l’impact des élites impériales et les liens avec le centre du pouvoir
romain qui sont révélés par ces villae.
Chacune d’elles était une création qui s’insérait dans un contexte économique
et politique et évoluait avec lui : le destin des villae est suivi par les auteurs jusque dans l’Antiquité tardive.
Un certain nombre d’inscriptions permettent parfois d’identifier très
clairement les propriétaires. Peut-on pour autant identifier une différence si
nette entre les propriétaires en Istrie et en Dalmatie ? On peut regretter
que les inscriptions n’aient pas été indiquées avec les références les plus
courantes. Ainsi pour la n° 13 du catalogue à Časka (Cissa) on
verra AE, 1964, 270 ; I.L. Jug., I, 260. Pour le n° 24 et la
villa à Janjina sur le territoire de Narona on verra CIL, III, 8451 = 14623, 2 ; AE, 2008, 1036 où
il faut lire Annaeus et non Anius et pour le n° 28 à Epidaurum
on verra CIL, III, 1741. Signalons que F. Tassaux propose de rapprocher la
n° 5, Barbariga, du consul Settidius Firmus qu’une inscription fait
connaître à proximité (AE, 1984,
426).
À
la lumière des trouvailles récentes, notamment une inscription mentionnant
Antinoüs (AE 2002, 1268), I.
Topalilov envisage les liens entre la cité de Philippopolis en Thrace et
Hadrien qui a pu la visiter deux fois. Si l’on peut discuter certains points –
comme les conceptions prêtées à Hadrien – c’est bien un moment marquant de
l’évolution institutionnelle et urbaine de la cité qui apparaît. Quelques
problèmes formels déparent cette synthèse : les caractères grecs sont
parfois mal retranscrits et certaines indications des notes de bas de page ne
se retrouvent pas dans les références bibliographiques à la fin de l’article
(n. 24 Kalinka, 1906 qui est E. Kalinka, Antike Denkmäler in Bulgarien, Vienne, 1906 et n. 38, Botucharova,
Kessiakova, 1980).
C’est
à une période plus tardive que se consacre O. Ilić en considérant les
importations d’objets chrétiens, en général depuis l’Orient, et leurs
imitations locales, dans l’Antiquité tardive dans les Balkans centraux. Malgré
une tradition savante ancienne, nombre d’acquis dans le domaine sont très
récents. S’attachant à replacer brièvement chaque objet dans le cadre plus
général des trouvailles, l’auteur révèle des routes commerciales et les traces
d’une église forte et organisée de manière précoce : les évêchés du nord
de l’Illyricum comme Singidunum,
Viminacium, Naissus apparaissent importants dès le IVe siècle.
Dans
une brève mais intéressante étude, A. Błażejewski considère les traces de
romanisation dans le barbaricum de
l’Europe centrale à partir de l’examen des importations romaines et de leurs
imitations. Par delà le rôle avéré de la frontière romaine et des routes
commerciales qui reliaient Rome aux pays barbares – comme la route de l’Ambre –, il révèle l’importance des contacts entre barbares et de la diffusion
indirecte par la mise en évidence d’un axe de transmission ouest-est à partir
des groupes germaniques du Rhin et de la Weser. Ces échanges internes au barbaricum, et la forme exacte qu’ils
recouvraient – des déplacements de population ? – restent à approfondir.
Si
le nom de Sarmates évoque en général des cavaliers lourds, V. Kulcsár et
D. Merai nous présentent des Sarmates potiers. Üllo est le plus grand
établissement sarmate connu en Hongrie, à proximité de Budapest et donc de la
frontière romaine, sur une route menant, à travers le barbaricum jusqu’en Dacie. Une production céramique s’y est
développée, les auteurs présentent les ateliers, les types de fours, les
productions. L’impact culturel romain est fortement visible et le site
apparaît très lié à la province.
L’importante activité potière qui s’y développe au IIIe siècle – une
cinquantaine de fours ont été retrouvés – ne montre pas une imitation servile
des productions romaines mais une propension aussi à l’innovation et à
l’expérimentation.
Dans un très bref article E. Krekovič envisage les
influences et les contacts culturels au regard des sources archéologiques. Par
delà une historiographie hésitant entre évolutionnisme et diffusionnisme, il
montre la difficulté de l’interprétation, essentiellement à travers l’exemple
des objets liés à la consommation du vin : comment comprendre leur
présence ? qui buvait et comment ? On peut regretter qu’il n’ait pas
développé la présentation des nécropoles qui sont à la base de son étude.
Dans une contribution qui fait écho à celle de V. Kulcsár
et D. Merai, R. Gindele et E. Istvánovits examinent la production
céramique du barbaricum dans le
bassin supérieur de la Tisza.
L’article ouvre aussi une série de contributions qui
entretiennent un rapport particulier avec la zone nord-ouest de la Dacie romaine autour et
au-delà de Porolissum. À partir du résultat des fouilles de sauvetage du
poste frontière roumano-hongrois de Csengersima-Petea les auteurs présentent
les ateliers de potiers qui ont été
retrouvés dans une zone s’étendant jusqu’à l’est de la Slovaquie. L’usage de
fours à poteau central y dénote certainement l’influence des productions
romaines. En proposant aussi une réflexion méthodologique, les auteurs
tracent en fait une perspective sur une
région de contact, elle-même divisible en plusieurs micro-régions, et sur leurs
évolutions. Un des moments importants de cette dernière est la période ouverte
par les guerres marcomanes et ses transformations, la question des liens de la
région avec la culture de Przeworsk est notamment soulevée.
C’est
cette même culture archéologique qui est à l’honneur dans la contribution de
S. Orzechowski. Il fait la synthèse de l’état des connaissances sur la
région sidérurgique des montagnes de la Sainte-Croix en Pologne (Świętokrzyskie qui
culminent avec la Łysa Góra). Au moment où Tacite décrivait une Germanie où le
fer était rare, une production sidérurgique de masse y prenait place dans une
région de plusieurs centaines de km². Cette région où l’on peut
situer vraisemblablement une partie des Lugii
de Tacite était occupée par la culture de Przeworsk. Jusqu’à une date difficile
à situer dans le cours du IIIe siècle ce sont au minimum 11 000
tonnes de fer qui furent produites. L’article fait le bilan de cinquante ans de
recherches et prospections dans la région. Il détaille l’extension géographique
et chronologique de la production, en présente l’organisation avec notamment la
récurrence de regroupements typiques de bas-fourneaux. Il interroge enfin très
largement le contexte de cette production remarquable, ses conditions de
possibilités économiques, politiques et sociales. La production prenait place
dans un espace cohérent qui associait les montagnes de la Sainte-Croix riches
en bois et en minerai au fertile plateau de Sandomierz formant
vraisemblablement une unité territoriale indépendante, un peuple spécialisé
dans le travail du fer et qui l’exportait sur une vaste zone. L’importance de
cette production de fer est rapportée à l’histoire de la culture de Przeworsk
et aux questions qu’elle soulève, ainsi qu’aux événements qui touchèrent le barbaricum en particulier dans la
seconde moitié du deuxième siècle. Précisons que l’article de A. Beyrie et
alii cité p. 105 et 114 se trouve en fait dans Gallia, 57, 2000.
Les
productions céramiques et sidérurgiques soulèvent la question des liens
commerciaux avec l’Empire, mais les interactions culturelles avec celui-ci
passaient aussi par la guerre. C. Opreanu propose une brève synthèse de
ces questions pour ce qui concerne les échanges entre la Dacie romaine et les régions
barbares. Les guerres marcomanes apparaissent là encore comme un pivot, à cet
égard l’auteur peut s’appuyer en particulier sur la récente synthèse de
M. Oledzki consacrée à ce « temps du changement » inauguré par
ces conflits (Czas przemian. Barbaricum
miedzy Baltykiem a srodkowym Dunajem w dobie wojen markomanskich, Lodz,
2008 [Les temps du changement. Le barbaricum
entre la Baltique
et le Danube moyen à l’époque des guerres marcomanes]). C. Opreanu attire
notamment l’attention sur la culture de Blazice-Bereg qui émerge de ces
bouleversements dans la zone d’interaction située au nord-ouest de Porolissum.
C’est
précisément l’infrastructure militaire romaine autour de Porolissum qui est au cœur de l’étude de D. Weiss. Entérinant
les récents débats sur ce que l’on appelle traditionnellement le « limes » romain, l’auteur s’attache
à construire une reconstruction concrète du fonctionnement de ce morceau de
frontière. Il utilise notamment pour cela une fine connaissance de la
topographie et une distinction entre zone d’occupation, zone d’opération et
zone d’influence ainsi qu’une analyse en termes de réseau. Outre les enseignements
généraux que l’on pourra en tirer pour l’étude des dispositifs militaires
romains, c’est bien tout l’intérêt du site de Porolissum qui apparaît et
fait écho aux autres contributions touchant à cette région. Située à
l’extrémité de la voie qui reliait les principales cités de Dacie, Porolissum
ouvrait aussi sur une importante route du barbaricum.
La présence militaire romaine était associée à un important poste de douane –
le seul à avoir été fouillé dans l’empire – et se manifestait par d’importants
aménagements, notamment des fortifications linéaires de plusieurs kilomètres de
long et de nombreuses tours de guet. On aurait aimé toutefois une brève
présentation de la chronologie de la mise en place et de l’évolution des
infrastructures. Signalons aussi que les effectifs militaires supposés pour les
deux camps de Porolissum nous
semblent surévalués. D. Weiss propose 500 auxiliaires pour le fort de
Citera et 4000 pour celui de Pomet. Avec 66 m. par 101, Citera se rapproche d’un Numeruskastell, il a pu au demeurant
vraisemblablement accueillir le numerus
Palmyrenorum Porolissensium, on est en tout cas en dessous de l’effectif
d’une cohorte quingénaire complète. Bien plus grand, près de 7 ha, le camp de Pomet ne
pouvait pas pour autant accueillir plus de deux unités milliaires. Deux
cohortes milliaires ont pu tenir en permanence garnison à Porolissum :
la I Ituraeorum et la I
Ulpia Brittonum
– ultérieurement remplacée par la III Campestris.
Il importe en tout cas de ne pas considérer que toutes les unités
ponctuellement attestées, comme la VI Thacum et la III
Dacorum, tenaient en permanence garnison à Porolissum.
Même avec l’ajout, à l’époque sévérienne seulement ?, de la cohorte V Lingonum, on ne peut atteindre 4000
hommes et l’on se trouve plutôt sans doute un peu au-dessus de la moitié de ce
nombre. En période de guerre ou de tension, l’effectif pouvait cependant être
augmenté encore par la présence d’autres unités ponctuellement déplacées et de
vexillations légionnaires. Cela reste une garnison considérable mais bien
inférieure à celle proposée, ce n’est pas un point de détail car cela soulève
la question des rapports entre les effectifs et les aménagements de la
frontière.
Dans
sa contribution conclusive, E. De Sena croise les regards que les Romains portaient
sur les populations des espaces considérés dans le volume et les regards que
ces populations pouvaient porter sur elles-mêmes : si les sources
littéraires et iconographiques permettent de considérer le regard romain, les
identités locales et leur dimension réflexive sont plus difficiles à saisir, il
importe aussi de prendre en compte leur évolution – la romanisation – leur
multiplicité – les élites provinciales sont à distinguer des populations moins
fortunées, les provinces du barbaricum...
Pour envisager ces identités locales et leur rapport à Rome, E. De Sena
s’appuie sur les contributions du volume et à nouveau sur le cas de Porolissum
et de sa région qu’il connaît particulièrement bien. Dans la zone du barbaricum immédiatement proche de la
frontière et de Porolissum, il note un relatif désintérêt des
populations pour l’influence romaine, elles conservent leurs traditions et
n’adoptent des aspects de la culture romaine que si elles en perçoivent
l’intérêt économique. Il considère aussi la population de Porolissum et
notamment les auxiliaires, à partir des inscriptions latines du site.
L’échantillon donné n’est cependant pas pleinement satisfaisant :
uniquement élaboré à partir de l’Epigraphische
Datenbank de Heidelberg, il est très lacunaire, ignorant complètement le CIL III, et trop peu réfléchi : un
procurateur de la province est un haut fonctionnaire de passage, pas un
véritable résident de Porolissum. La réussite de Rome aura été
finalement d’avoir été capable d’intégrer la diversité et les évolutions dans
le cadre d’une vision commune.
Le
volume présente de très nombreux plans, cartes, dessins et photographies en
noir et blanc qui complètent richement les articles. D’un point de vue formel,
un travail éditorial plus poussé aurait sans doute été désirable, les coquilles
sont assez nombreuses (« Thace » pour Thrace dans la table des
matières ; « Remesina » pour Remesiana p. 35 ;
« Sarmartia » pour Sarmatia p. 1 et p. 61 ;
« Prezeworsk » pour Przeworsk p. 90 et 130 ;
« Daiconescu » pour Diaconescu p. 139 ; « récents »
pour récentes p. 114 ; de même, la retranscription des titres en
français dans la bibliographie de la page 28 aurait dû être surveillée plus
attentivement, elle présente plusieurs erreurs). De même le lien entre notes de
bas de page et bibliographie finale laisse parfois à désirer : p. 54
il s’agit d’Oledzki 2008 et non 2009 et la note 40 p. 26 doit renvoyer à
Sharankov 2002 et non 2004.
Ces
scories regrettables n’entament pas cependant la profonde valeur de l’ouvrage
et l’usage que l’on peut en faire. Comme on l’a vu, la diversité des
contributions n’empêche jamais de nombreux échos et une grande cohésion des
réflexions présentées. Les diverses études de cas présentent en général des
trouvailles récentes, parfois inédites et rendent accessibles des travaux
parfois peu diffusés. L’ouvrage tout entier offre en effet une ouverture à une
bibliographie qui n’est pas toujours connue et parfois rarement accessible,
souvent pour des raisons linguistiques ; il met en valeur une zone parfois
trop négligée de l’empire romain et a le grand mérite aussi de placer,
finalement, la frontière romaine au centre, comme zone de transition en
direction d’un barbaricum qui sort
ici des nombreux clichés des sources romaines pour apparaître pour ce qu’il
était : un acteur dialoguant, à de nombreux niveaux, avec Rome. Restituer
ce dialogue passé en construisant des passerelles entre communautés
scientifiques contemporaines est un des grands mérites des éditeurs de cet
ouvrage, qu’ils en soient remerciés.
Table of Contents
Introduction 1
Eric C. De Sena
Maritime Villas on the Eastern Adriatic Coast (Roman Histria and Dalmatia), p. 3
Vlasta Begović and Ivančica Schrunk
The Emperor and the City: a Case Study on the Link between Hadrian and Philippopolis, Thace, p. 23
Ivo Topalilov
Early Christian imports and local imitations of imported goods in the territory of the Central Balkans, p. 35
Olivera Ilić
Western Germanic Tribes and the Romanization of Central European Barbaricum, p. 51
Artur Błażejewski
Roman or Barbarian? Provincial Models in a Sarmatian Pottery Center on the Danube Frontier, p. 61
Valéria Kulcsár and Dora Merai
Romans and Barbarians: Some Remarks on Cultural Contact, Influence and Material Culture, p. 81
Eduard Krekovič
The Roman-Age Settlement at Csengersima-Petea and Pottery Workshops from the Upper Tisza Basin, p. 85
Robert Gindele and Eszter Istvánovits
Barbaricus pagus ferrariensis, p. 105
Szymon Orzechowski
The Barbarians and Roman Dacia. War, Trade and Cultural Interaction, p. 125
Coriolan Opreanu
Influence and Observation: Towards a more Concrete Understanding of the Roman-Dacian limes, p. 137
Daniel Weiss
Through the Looking Glass: Perceptions of Ethnic and National Identity in the Roman Balkans and Beyond, p. 153
Eric C. De Sena
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