Pillet, Élisabeth : Le vitrail à Paris au XIXe siècle. Entretenir, conserver, restaurer. 24 x 32 cm, 346 p., couleurs et N & B, ISBN : 978-2-7535-0945-0, 44,00 €
(Presses Universitaires de Rennes 2010)
 
Compte rendu par Amélie Duntze-Ouvry, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand
 
Nombre de mots : 2248 mots
Publié en ligne le 2012-07-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Depuis près de soixante ans, le Corpus Vitrearum inventorie les verrières anciennes qui nous sont parvenues conservées. Mais ces verrières ne seraient pas en place dans les églises de France si les peintres verriers du XIXe ne les avaient pas patiemment restaurées, entretenues afin de leur assurer une conservation optimale dans le temps. Cet ouvrage est la publication de la thèse d’Élisabeth Pillet. Elle réalise un travail précis sur le vitrail parisien au XIXe siècle. Cette étude n’est ni biographique, même si l’auteur appuie son travail de recherches sur les archives de l’atelier de Prosper Lafaye, ni iconographique : elle est technique. L’auteur tente de « documenter au plus près les restaurations des vitraux anciens de Paris » et cela dans le but d’appréhender l’histoire des restaurations et des peintres verriers restaurateurs du XIXe siècle à Paris. Ce travail de documentation sur les restaurations des vitraux de Paris, par des peintres verriers du XIXe siècle, se place comme pionnier dans la recherche sur le vitrail du XIXe siècle en France.

 

 

          La compréhension de ces restaurations débute par un état de la question sur le vitrail à la fin du XVIIe siècle jusqu’au début du XIXe siècle. Le désintérêt de l’église, de ses fidèles, et des architectes pour le vitrail signe l’arrêt de la création du vitrail au XVIIe siècle. Les techniques sont peu à peu oubliées devenant un « secret » bien gardé. Les peintres verriers se métamorphosent doucement en vitrier, ils se « content[ent] effectivement de réparer et de nettoyer les vitres ». Cependant quelques irréductibles persistent et signent dans la création de peinture sur verre. Il s’agit des Le Vieil. Pierre Le Vieil (1708-1772) est notamment l’auteur du traité L’art de la peinture sur verre et de la vitrerie (1774) qui permettra au vitrail de sortir de cette léthargie technique et pratique au début du XIXe siècle.

 

          Durant le XVIIIe siècle, les vitraux des églises parisiennes sont délibérément déposés au profit de vitreries de « verres blancs avec bordures de couleurs », car les fabriques souhaitent l’éclaircissement de leur lieu de culte. La Révolution faisant rage, cette campagne d’éclaircissement s’accompagne de celle qui supprime tous les signes de féodalité (blason, fleurs de lys, couronnes…). Ces signes sont remplacés par du verre blanc ou par une couche épaisse de peinture à l’huile. Les vitraux anciens sont alors les victimes d’un véritable commerce. Créée en 1790, la Commission des Monuments sous la tutelle d’Alexandre Lenoir, tente une mission de sauvegarde en établissant un inventaire, notamment lorsque les églises sont vendues à des particuliers. Cette action de sauvegarde, par Lenoir, fait du vitrail un objet de collection. Lenoir est d’ailleurs le premier collectionneur dans ce domaine et ouvre le Musée de Monuments Français en 1795 afin de sauvegarder, restaurer et entretenir ce patrimoine français que la Révolution détruit. Ses tentatives de restauration participent doucement au réveil des techniques de la peinture sur verre. Il travaille avec une équipe de vitriers au sein même du musée, mais cela ne déclenche chez ces derniers aucune vocation de peintre verrier.

 

          Au lendemain de la Révolution, la réouverture des églises est soumise à certaines conditions. Des sociétés de culte se chargent des réparations nécessaires et de l’entretien de leur église. Les financements de tous ces travaux ne sont pas évidents. Parfois le ministère de l’Intérieur finance, mais ce sont généralement les fabriques et ces sociétés de cultes qui doivent payer les vitriers. En 1802, les églises sont « remises aux Évêques » grâce à la loi du 18 germinal an X. À Paris, des arrêtés préfectoraux sont pris afin d’assurer l’entretien des églises. Ces édifices sont considérés alors comme des « monuments d’arts » et les travaux doivent être ainsi placés sous l’autorité de l’Inspecteur général des bâtiments civils du département de la Seine et de la Ville de Paris. Cependant, même si décrets, lois et arrêtés sont mis en place, la question du financement du bon entretien des églises restent problématique pour les fabriques. Le contrôle des travaux par l’architecte-inspecteur de l’administration constitue une condition supplémentaire pour obtenir un éventuel financement. De nombreux vitriers œuvrent à la restauration des vitraux des églises parisiennes. Les fabriques semblent avoir pourtant fait appel très régulièrement à un certain Louis Huin, cité comme « vitrier du département ». Il restaura le patrimoine verrier d’une trentaine d’églises parisiennes, mais créa de nouvelles pièces aussi, notamment pour la sacristie de la basilique de Saint-Denis. Louis Huin, comme plusieurs de ces confrères en ce début du XIXe siècle, eut du mal à s’approvisionner en verre de couleur. Ce sont dans les verreries « d’Allemagne, d’Alsace et de Saint-Quirin » qu’il trouva son bonheur malgré le coût élevé de cette matière première. Même si certains vitriers, comme Huin, font l’effort d’utiliser du verre de couleur, la plupart d’entre eux continuent de pratiquer les restaurations avec la recette du XVIIIesiècle : les pièces manquantes sont remplacées par du verre blanc. C’est ce que l’auteur appelle « la pose bouche-trou ». Deux techniques de restaurations sont utilisées en ce début de siècle : soit le vitrier, par souci d‘économie, n’utilise qu’une échelle et dessertit ainsi la pièce sur place et la change immédiatement, soit il utilise un échafaudage et dépose le panneau dans sa totalité et le ramène à l’atelier ; le vitrail est alors nettoyé, restauré, remis en plomb, remastiqué puis reposé. Les églises ayant retrouvé leur fonction de lieu de culte à la suite de la signature du concordat, c’est au tour des objets d’arts d’être restitués. La collection de vitraux civils et religieux de Lenoir est alors montrée du doigt. Il est dans l’obligation de restituer certain de ses trésors.

 

 

          Dans le second chapitre, l’auteur Élisabeth Pillet rappelle aux lecteurs les grandes lignes historiques du renouveau de la peinture sur verre de cette première moitié du XIXe siècle. Alexandre Lenoir tient à nouveau une place prépondérante dans cette redécouverte de la technique. Lenoir multiplia les publications « prouvant qu’il avait compris les différents procédés servant à l’exécution des vitraux ». Les artistes peuvent alors recommencer à exercer la peinture sur verre comme le font Gallet et Mortelèque, qui, avant tout, était un peintre sur porcelaine. Il réalisa de nombreux vitraux dans les églises parisiennes dont le Christ en Croix au sein de l’église Saint-Roch de Paris. Cependant la concurrence est rude. En effet, le préfet Chabrol fait appel aux peintres verriers anglais Edouard Jones et Warren-White qui eux n’ont jamais cessé de pratiquer leur art. Ces derniers ne combinent pas les verres teints et les émaux, ce qui contrarie Alexandre Brongniart, directeur de la manufacture de Sèvres : les vitraux anglais ont donc « peu de force, d’éclat et même de solidité » (p. 67).

 

          Dans la troisième partie de ce second chapitre, l’auteur explique comment les peintres verriers en ce début de XIXe siècle redécouvrent les techniques de fabrication du verre teinté dans la masse et notamment celles du verre rouge. Les recherches qui sont entreprises sont l’œuvre d’Alexandre Brongniart, directeur de la manufacture de Sèvres, et de Georges Bontemps, directeur de la manufacture de Choisy-le-Roi. De formation scientifique, Brongniart réalise des expériences sur la tenue des couleurs lors de la cuisson et prouve alors que la technique de fabrication de verres colorés dans la masse (bleus, verts et violets) n’est pas oubliée. Ainsi l’atelier de peinture sur verre de la manufacture de Sèvres officie de 1826 à 1854. Quant à Bontemps, il mène aussi ses recherches dans son atelier de la manufacture de Choisy-le-Roi. Ces recherches aboutissent, en 1823, à « la redécouverte des procédés de fabrication du verre rouge, coloré par l’oxyde de cuivre et plaqué sur du verre blanc » (p. 70). Cependant, même si les recherches de ces deux hommes aboutissent à la redécouverte du verre coloré dans la masse, l’esprit, dans lequel elles ont été menées, n’est pas identique. Par ses différentes découvertes verrières, Bontemps souhaite améliorer les techniques de la restauration des vitraux anciens, alors que Brongniart désire plus « créer de nouveaux vitraux ».

 

 

          L’étape de la redécouverte du verre teint dans la masse permet alors d’entreprendre des restaurations dans les règles de l’art. Pour ce faire, des institutions sont créées afin de faire respecter les règles de la restauration. Le Comité des Arts et Monuments, créée en 1837, surveille les restaurations des vitraux qui sont entreprises. En 1848, une section des vitraux peints est créée au sein de la Commission des Arts et Édifices religieux. Elle surveille les travaux de restauration effectués sur les vitraux français et souhaite qu’« une instruction concernant la restauration des vitraux » soit délivrée. Les sociétés savantes permettent de faire connaitre les édifices religieux et leurs vitraux. De nombreuses communications et publications sont réalisées. Ces sociétés laissent les peintres verriers s’exprimer sur leur art. Ainsi le Bulletin Monumental publié par la Société Française d’Archéologie ou les Annales Archéologiques créées en 1844 par Didron permettent de communiquer au public les principes de restaurations et de créations.

 

          Des débats s’activent autour de « la restauration idéale » (p.78). C’est ainsi que la restauration des verrières de la Sainte-Chapelle sert de base aux principes de la restauration des vitraux en ce début de siècle. On suggère de ne pas toucher aux vitraux afin de les « préserver » pour prévenir les dégâts d’une malheureuse restauration. Des exigences techniques doivent être respectées si une restauration est envisagée. La question du talent des restaurateurs est aussi posée. Il ne suffit pas d’être un bon technicien, le restaurateur doit aussi posséder une « rigueur et [une] exactitude théologique et iconographique » ainsi qu’une grande capacité d’imitation.

 

          La conservation est généralement préférée à la restauration. Mais si la restauration est inévitable, des principes sont à respecter :

·        l’architecte, ou à défaut le curé, doit régulièrement visiter l’édifice religieux afin de constater d’éventuels travaux de restaurations ;

·        les plombs oxydés doivent être vérifiés et les soudures réparées afin ne pas avoir à refaire un réseau de plomb dans son ensemble ;

·        l’utilisation des pièces « bouche-trous » est tolérée mais cela doit rester invisible. Cette pratique est interdite dès 1845 ;

·        l’utilisation du verre blanc est à éviter autant que possible et celle du verre teinté est à faire à bon escient ;

·        le vitrail doit rester dans son emplacement originel dans l’édifice religieux même si il est altéré ;

·        enfin la restauration doit, si possible, être entreprise sur place car un déplacement est jugé trop dangereux.

Le nettoyage d’un vitrail et le démontage sont aussi soumis à des conditions bien précises. La technique « de la levée des calques » est fortement conseillée afin de « donner l’état des verres, les pièces à conserver et celles à restaurer » (p. 85). L’auteur aborde ensuite la question des lacunes. Faut-il ou non les combler ? La question reste entière. Les peintres verriers du XIXe siècle ont des théories différentes à ce sujet. Les exemples des travaux de restauration de Lassus et de Didron sont, entre autres, développés.

 

 

          L’auteur, dans la troisième et dernière partie, traite des grands chantiers de restaurations dans les églises parisiennes entre 1840 et 1870. Quatremère de Quincy et le préfet Chabrol sont les fers de lance de ce regain d’intérêt de la peinture sur verre à Paris. L’église Saint-Germain-l’Auxerrois est l’une des premières églises parisiennes à obtenir un nouveau vitrail. Ensuite, les commandes de vitraux par les différentes fabriques des paroisses parisiennes s’enchaînent. Ce sont d’abord des commandes payées par la ville, puis des donateurs privés prennent le relais financier. Ces nombreuses commandes permettent de régler le problème « de la trop grande clarté des édifices ». À défaut de faire poser de nouvelles verrières, certaines églises réalisent des vitraux avec des « débris » de verres anciens. Certaines fabriques prennent le parti de choisir des rideaux pour obstruer les fenêtres de leurs églises. Cependant, les fabriques doivent « entretenir et réparer » leurs églises selon le décret du 30 décembre 1809. L’application du décret est bien plus complexe en réalité. De nombreuses organisations s’associent à la ville de Paris afin « d’exercer un contrôle » sur les édifices religieux parisiens et leur bon entretien. Élisabeth Pillet évoque alors la création et l’œuvre de la Commission mixte des Édifices religieux, du service des Travaux d’Architecture et des Beaux-Arts, et de la Commission des Beaux-Arts.

 

          L’entretien et la restauration ont un coût. La Ville finance une partie de ces restaurations des vitraux des églises parisiennes. L’auteur développe plusieurs exemples de devis, de financements de restauration de vitrail parisien. Les fabriques financent aussi ces travaux mais non sans difficulté. Une fois les fonds réunis, la restauration est préparée. Suivant les arrêtés préfectoraux de 1864 et 1866, des entrepreneurs sont désignés par catégorie et les peintres verriers par arrondissements (p. 123). Pour la question de « la restauration, l’inspection et la réception des travaux », Élisabeth Pillet s’appuie sur l’œuvre du peintre verrier Lafaye.

 

          La dernière partie de ce troisième chapitre aborde la question du peintre verrier, acteur majeur des restaurations. L’exemple de Prosper Lafaye, peintre et peintre verrier, est largement développé. Les concurrents de l’atelier Lafaye sont évoqués ; les principaux sont les ateliers Gsell-Laurent, Félon.

 

          Enfin l’auteur illustre le travail de restauration de Lafaye avec les exemples des restaurations de la verrière du Martyre de saint Gervais et saint Protais à Saint-Gervais et des vitraux de la chapelle du collège de Beauvais à Saint-Séverin. Ces deux restaurations sont très bien documentées avec des relevés avant restauration, des fragments de verres anciens conservés… Un « bilan des interventions » permet aux lecteurs de savoir si le travail de Lafaye, ou bien de Gsell et Félon, suit ou non les « principes de la restauration idéale » telle qu’elle est conçue au XIXe siècle.

 

 

          En fin d’ouvrage, Élisabeth Pillet joint des pièces justificatives concernant en majorité Prosper Lafaye. Puis s’ensuit, en Annexe I, le catalogue des « travaux exécutés dans les églises paroissiales de Paris, de la Révolution à 1889 ». Des notices des vitraux restaurés sont disponibles. Elles sont accompagnées de clichés et de relevés avant restauration. Ce sont des renseignements bien précieux pour comprendre le processus de restauration des vitraux parisiens que l’auteur a étudié. L’Annexe II est un répertoire des vitriers et peintres verriers qui ont travaillé dans les églises du catalogue. Enfin, les sources, la bibliographie, l’index et les différentes tables terminent ce bel ouvrage.

 

 

          Ce volume, publication de la thèse de Madame Pillet, vient non seulement compléter la collection du Corpus Vitrearum mais aussi et surtout enrichir et éclairer le savoir d’amateurs et de chercheurs sur cette question de l’entretien, de la conservation et de la restauration du vitrail au XIXe siècle. Question essentielle qui méritait d’être ainsi illustrée et savamment étudiée à travers le travail du peintre verrier parisien Prosper Lafaye.