de la Corbière, Matthieu (dir.): Les monuments d’art et d’histoire du canton de Genève. Tome III. Genève, ville forte. 440 p., 339 ill., ISBN 978-3-906131-92-4, 80 €
(Benteli Verlag, Bern 2010)
 
Recensione di Geoffrey Espel, Université Catholique de Louvain
 
Numero di parole: 2205 parole
Pubblicato on line il 2013-12-06
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Genève, ville forte est un ouvrage collectif dirigé par Matthieu de la Corbière paru dans la collection Les monuments d’art et d’histoire de la Suisse, publié par la Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS) depuis 1927. Cette publication est organisée par canton et douze livres ont été prévus pour celui de Genève (Les monuments d’art et d’histoire du canton de Genève), dont six pour la ville elle-même. Deux ouvrages ont d’ores et déjà été publiés : La Genève sur l’eau (1) et Genève, Saint-Gervais : du bourg au quartier (2). Ce volume est par contre le premier d’une série de quatre consacrée à l’histoire monumentale de la ville ; après l’étude des fortifications, l’équipe scientifique de l’IMAHGe (Inventaire des monuments d’art et d’histoire du canton de Genève) (3) entend aborder les bâtiments et espaces publics, l’architecture privée et les édifices religieux.

La direction scientifique de l’ouvrage est assurée Matthieu de la Corbière, historien médiéviste. Les auteurs, Isabelle Brunier, Benedict Frommel, David Ripoll, Nicolas Schätti et Anastazja Winiger-Labuda sont tous historiens ou historiens d’art. À noter également la contribution de Michel Meyer, docteur ès Sciences spécialisé en géologie, pour l’étude géologique.

 

          Le cadre chronologique essentiel de l’ouvrage se situe entre le 11e siècle et la fin des années 1940 tandis que le périmètre géographique est défini par l’extension maximale de l’enceinte urbaine dans le premier quart du 18e siècle. Le propos s’articule autour de deux thèmes majeurs et interdépendants : l’évolution du tissu urbain et l’histoire des fortifications. Ceux-ci sont néanmoins traités de manière distincte. La première partie de l’ouvrage retrace le développement urbanistique de la cité depuis la période médiévale jusqu’au plan d’aménagement de la Vieille-Ville en 1938 tandis que la seconde aborde en détail le thème des enceintes et des fortifications de Genève dans le même intervalle chronologique.

 

          Les recherches s’appuient en majoritairement sur de nombreux fonds d’archives issus des Archives de l’État de Genève et d’autres dépôts étrangers, dépouillés de manière systématique. La démarche est également nourrie de la reconstitution d’un cadastre historique de la ville à partir de différents plans et de documents fiscaux du Moyen Âge et de l’Ancien Régime, ce qui affine la lecture de la ville ancienne et autorise des reconstitutions plus précises de bâtiments ou de quartiers aujourd’hui disparus.

 

          L’iconographie de l’ouvrage est très abondante et propose notamment un corpus de planches retraçant l’histoire des murs genevois de 1178 à 1745, des illustrations inédites de Genève ainsi qu’une riche documentation graphique concernant l’ancien palais épiscopal.

 

          L’ouvrage est en outre ponctué de nombreuses notes (pp. 341-403), d’un glossaire de plusieurs dizaines de termes techniques ainsi que d’un index (pp. 411-455).

 

          Introduction. L’étude s’ouvre sur un bref aperçu du cadre géologique de la ville. Genève possède une situation géographique et un sous-sol particuliers. La colline de la Vieille-Ville, bordée de terrains marécageux, se distingue des collines avoisinantes par son substrat composé de sables et de graviers. L’auteur propose une origine « fluviatile » -matériaux charriés par voie fluviale- à la formation de la colline, par opposition à l’hypothèse traditionnelle des dépôts issus de la stagnation glaciaire. Il y examine également le profil de la colline et de son littoral ainsi que la question des nappes aquifères, qui donneront lieu plus tard au creusement de nombreux puits, probablement déjà à l’époque gauloise.

 

          Un panorama historique des origines de Genève clôt ce chapitre introductif. Malgré des traces d’occupation depuis 4000 avant J.-C., les premiers habitats sont probablement à situer vers 150 avant J.-C., sur la rive gauche. Il faut attendre le 3e siècle pour que Genève accède au rang de civitas puis les 9e et 10e siècles pour que la cité émerge, d’abord grâce au soutien des Rois de Bourgogne à l’épiscopat ensuite par l’annexion du royaume de Bourgogne transjurane et de la ville au Saint-Empire romain germanique, et le renforcement des autorités épiscopale et comtale.

 

          I. La formation et le développement de la ville (pp. 19-90). La première partie de l’ouvrage est une synthèse historique et urbanistique de l’évolution de la ville, du Moyen-âge jusqu’au 20e siècle. Elle est articulée chronologiquement autour de quatre chapitres principaux.


          I.1. Le premier chapitre est consacré à la ville médiévale intra et extra muros. L’auteur y aborde d’abord la structure de la ville en examinant la répartition des fiefs et la subdivision en paroisses avant de détailler les principales étapes du développement du cœur de la ville et de ses faubourgs. Il revient également sur les facteurs qui l’ont conditionné. Ceux-ci sont d’ordre religieux, avec l’affirmation de la puissance épiscopale, politiques, notamment au moment de l’implantation de la maison de Savoie à Genève, économiques, avec le développement puis le déclin des foires et topographiques, puisque la ville reste toujours tributaire de son paysage particulier.

 

           I.2. Le second volet couvre la période comprise entre la Réforme et la fin du 18e siècle. Une grande attention est portée par l’auteur aux bouleversements religieux et à leurs implications sur l’espace urbain et le bâti. Il est également question de l’architecture privée, publique et de la localisation des activités commerciales et professionnelles. Un point très intéressant, qui aura une occurrence grandissante dans les chapitres suivants, traite des premières tentatives de réglementation urbanistique. La notion d’esthétique urbaine –prescriptions pour l’alignement des façades ou l’uniformité architecturale– est par exemple prise en compte pour les nouvelles constructions réalisées sur les terrains résiduels laissés libres par le recul des fortifications au début du 18e siècle.

 

           Les problèmes d’hygiène et de confort que le centre-ville rencontre sont mis en évidence. L’auteur détaille ici les grands travaux réalisés sur les espaces et les bâtiments publics et le cadre législatif qui s’organise pour veiller à l’assainissement et à l’embellissement du centre de Genève.

 

          I.3. Le troisième chapitre revient sur les profondes modifications engendrées par l’intégration temporaire de Genève au Royaume de France et les crises économiques et idéologiques qui en découlent. Il expose ensuite les modifications de la morphologie urbaine qui interviennent à la Restauration (1814-1846), notamment au niveau des voiries, des démolitions de portes anciennes et de l’aménagement de la rive gauche. Enfin, l’auteur expose brièvement les discussions au sujet des fortifications, point qui sera plus largement développé dans le chapitre suivant.

 

          I.4. L’aménagement de ville entre 1850 et 1950 occupe l’ultime chapitre de cette première partie. Il y est question du démantèlement des fortifications de 1849, des mutations urbaines et économiques du 19e siècle et de l’assainissement du cœur historique de Genève. Les grands plans d’aménagement de 1920 et de 1938 qui transformeront la ville de manière radicale sont expliqués en abordant la réflexion autour des préoccupations techniques, hygiénistes et esthétiques qui caractérisent ces projets.


          II. Les fortifications de la ville (pp. 93-338). La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’inventaire des ouvrages défensifs genevois et est scindée en trois chapitres : les fortifications médiévales (II.1.), les fortifications bastionnées (II.2.) et les avatars des fortifications (II.3.). Les deux premiers volets, les plus conséquents, présentent une structure interne similaire : ils traitent d’abord de l’histoire et de l’évolution des fortifications, de l’organisation des chantiers et présentent ensuite les bâtiments et les ouvrages majeurs du système défensif. « Les avatars des fortifications » se veut être un titre original pour clore le propos en proposant notamment une réflexion sur l’aspect mémoriel des fortifications.

 

          Dans chaque chapitre, le volet inventaire revêt une mise en forme comparable, ce qui assure la cohérence globale de la présentation. Les notices sont classées selon les critères typologique, géographique et chronologique –sauf pour la rive droite où l’ordre alphabétique se substitue à l’ordre géographique– et sont présentées de deux manières différentes : sous forme de texte continu ou de blocs rédigés en style télégraphique. Les raisons de cette distinction ne nous apparaissent pas clairement et ne sont pas explicitées par les auteurs.

 

          II.1. L’entame du chapitre est consacrée à la présentation des différentes hypothèses qui ont eu cours jusqu’au début du 20e siècle concernant l’origine, la datation et l’emplacement des premières enceintes médiévales. L’auteur passe ensuite en revue les aspects historiques et évolutifs des murs médiévaux en les présentant de manière chronologique. Enfin, un titre est consacré à détailler l’organisation de la défense et des chantiers de fortification, notamment du point de vue des matériaux et du financement.

 

         Dans la partie inventaire, les résidences épiscopales fortifiées et les différents châteaux sont traités distinctement des autres typologies qui sont reprises sous le titre « ouvrages majeurs des enceintes urbaines ». Cette dénomination regroupe les portes, les tours, les poternes et les ponts.

 

          II.2. Le deuxième volet de l’étude des fortifications est consacré aux ouvrages bastionnés, du 16e au 19e siècle. Les auteurs y présentent le déroulement des chantiers, les projets d’aménagements du système défensif et les réalisations effectuées sur les différents fronts. À l’instar du chapitre sur les fortifications médiévales, un sous-chapitre développe les aspects organisationnels du chantier, en évoquant les matériaux et le financement, mais surtout les ingénieurs qui sont intervenus à Genève. La fin du chapitre recense également les « ouvrages majeurs des enceintes urbaines ». Les bâtiments de cette période sont plus diversifiés et un grand nombre de typologie est abordé : portes, ponts, bastions, forts, casemates, magasins à poudre et casernes. Notons que la fin du chapitre traite de l’artillerie de rempart.

 

          II.3. Le titre « les avatars des fortifications » attise immédiatement la curiosité. Le propos traite d’abord des discussions et du questionnement autour des fortifications depuis le début du 19e siècle et qui aboutit à la dématérialisation des limites défensives de la ville en 1849. Mais c’est surtout l’aspect mémoriel, patrimonial et la persistance de la représentation des ouvrages défensifs dont il est question. Il est vrai qu’à Genève, comme dans de nombreuses villes européennes, les enceintes ont marqué la vie et la vue des cités et de leurs habitants pendant plusieurs siècles.

 

          Autre originalité, trois abris anti-aériens datant de la seconde guerre mondiale sont répertoriés et décrits en quelques lignes avant que l’auteur ne conclue en présentant les rares vestiges des fortifications de Genève encore visibles aujourd’hui, en sous-sol.

 

          Genève, ville forte est sans conteste un ouvrage complet, détaillé et très documenté sur les éléments défensifs de la ville. Le type même de l’ouvrage suggère néanmoins une observation. S’il est entendu que nous avons affaire à un inventaire, l’ouvrage se positionne par contre, à l’instar d’une monographie, comme une référence sur l’histoire fortifiée genevoise. Il est dès lors dommage que l’équipe scientifique ne se soit pas permise quelques largesses en ancrant son sujet dans la problématique plus globale de l’histoire des fortifications. On peine à identifier l’échelle de valeur des éléments répertoriés. Cette remarque n’enlève cependant rien à la qualité des informations livrées et à la scientificité du propos.

 

          Il convient également de souligner la qualité et l’abondance de l’iconographie qui illustre le travail (338 illustrations), tant au niveau des planches techniques que des restitutions de bâtiments. Enfin, insistons encore sur la cohérence de la présentation et de la démarche scientifique au travers des ouvrages déjà publiés dans la même série, à propos de Genève, et réjouissons-nous de la parution future des autres thématiques qui, agglomérées au trois volumes existants, constitueront sans aucun doute une somme de connaissances capitale pour l’étude de la ville.

 

(1) Ph. Broillet (et al.), Les monuments d’art et d’histoire du canton de Genève, t.1, La Genève sur l’eau, Bâle, éd. Wiese, 1997 (Les monuments d’art et d’histoire de la Suisse, 89).

(2) A. Winiger-Labuda (coord.), Les monuments d’art et d’histoire du canton de Genève, t.2, Genève, Saint-Gervais : du bourg au quartier, Berne, Société d’histoire de l’art en Suisse, 2001 (Les monuments d’art et d’histoire de la Suisse, 97).

(3) État de Genève, « IMAHGe (Inventaire des monuments d’art et d’histoire du canton de Genève) » dans Site officiel de l’État de Genève. Département de l’urbanisme. Patrimoines et sites, s.d., [http://www.ge.ch/patrimoine/imahge/welcome.asp], (10/10/2013).

 

 

Sommaire

 

Introduction

Le cadre géologique – Michel Meyer (pp. 3-11)

Les origines de Genève – Matthieu de la Corbière (pp. 11-15)

 

Première partie : La formation et le développement de la ville

La ville médiévale intra et extra murosMatthieu de la Corbière (pp. 19-43)

La ville de la Réforme à la Révolution – Isabelle Brunier et Anastazja Winiger-Labuda (pp. 44-70)

La ville de la période française à la Restauration – David Ripoll (pp .71-80)

L’aménagement de la Vieille-Ville entre 1850 et 1950 – Bénédict Frommel (pp. 81-90)

Vues d’ensemble de Genève (XVe – XIXe siècle) – Nicolas Schätti

 

Seconde partie : Les fortifications de la ville

Les fortifications médiévales – Matthieu de la Corbière (avec la coll. de Nicolas Schätti pour la monographie 14) (pp. 93-210)

Les fortifications bastionnées – Isabelle Brunier, Anastazja Winiger-Labuda et Bénédict Frommel (pp. 211-314)

Les avatars des fortifications – David Ripoll, Bénédict Frommel et Matthieu de la Corbière (pp. 315-338)

 

Annexes

Notes (pp. 341-403)

Glossaire (pp. 404-407)

Abréviations (pp. 408-410)

Index – établi par Matthieu de la Corbière (pp. 411-445)

Crédit des illustrations (p. 446)

Les auteurs (p. 447)

Les monuments d’art et d’histoire du canton de Genève (p. 448)