AA.VV.: Le relevé en architecture ou l’éternelle quête du vrai. Cité de l’architecture & du patrimoine. Actes du colloque Le relevé en architecture ou l’éternelle quête du vrai, organisé conjointement
par la Cité de l’Architecture & du Patrimoine (École de Chaillot, musée des Monuments français), le Département d’histoire de l’architecture de l’université La Sapienza à Rome, en partenariat avec l’École pratique des hautes études, 248 p., 160 ill., 17 x 24 cm, ISBN : 978-2-914528-84-9, 32 €
(Editions Lieux Dits, Lyon 2011)
 
Rezension von Elpida Chairi, Ecole française d’Athènes
 
Anzahl Wörter : 2658 Wörter
Online publiziert am 2012-07-30
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1504
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          Il s’agit de la publication des actes du colloque homonyme, organisé par la Cité de l’architecture et du patrimoine et le Département d’histoire et de l’architecture de l’université La Sapienza-Rome, en partenariat avec l’École Pratique des Hautes Études. Cette deuxième rencontre de spécialistes a le mérite d’être plus étendue que la première, réunissant des représentants de plusieurs nationalités. Nous espérons que ce cercle européen ainsi élargi comportera dans l’avenir des ressortissants de pays plus lointains ainsi qu’une variété plus riche de spécialistes, qui apporteraient encore plus d’expériences. On soulignera la haute qualité de l’illustration, en ce qui concerne à la fois le choix des documents graphiques et le rendu des reproductions. Nous regrettons, en revanche, que la police des caractères choisie pour les notes en bas de page rende la lecture plus difficile à notre sens, malgré le contraste recherché par le changement de la couleur, restant agréable en soi. L’absence de résumés en une autre langue, éventuellement en anglais, prive, à notre avis, les lecteurs non francophones du profit incontestable de cette lecture fort utile pour étudiants et spécialistes. Les fautes de frappe ou autres, très peu nombreuses en effet, ne figurent sur aucune liste d’errata.

 

          La première partie est consacrée à la fiabilité et à la spécificité de l’information fournie par les dessins caractérisés comme « historiques ».

 

          Sabine Frommel, dans « Les relevés de Jacques Androuet du Cerceau : entre approche rationnelle et imagination », évoque différents problèmes, dont les principaux sont celui de la distinction entre la version définitive et les études préalables d’un projet ainsi que celui de l’ambigüité concernant la date et l’auteur du relevé. Considérant que l’ambition de l’architecte est d’imiter les œuvres illustres de son temps et de plaire à l’élite sociale et aux souverains au lieu de répondre aux besoins des commanditaires, l’auteur relève en détail les différences entre l’école française et l’école italienne, entre le dessin théorique et le dessin de réalisation, ensuite entre le dessin et la gravure. Reconnaissant que l’architecte, par ses dessins, « corrige, concilie et atténue » les irrégularités constatées dans la construction, l’auteur présente l’évolution historique détaillée des bâtiments à travers le rôle des personnages intervenus dans ces phases de construction, ce qui constitue un point de vue très intéressant.

 

          Jean-Michel Leniaud reprend la monographie de Jean-Baptiste Lassus sur la cathédrale de Chartres, énorme travail comportant des relevés de très haute qualité non seulement d’architecture, mais aussi de sculpture et de vitrail. Ces relevés ont été exécutés suivant de méthodes différentes – dessin géométral ou chambre claire – menant le lecteur de la deuxième à la troisième dimension. Parmi les vertus de l’architecte, l’auteur cite sa capacité de choisir des collaborateurs dignes de son projet, qui sont arrivés à publier les documents originaux après le décès de Lassus, ce qui explique certaines « irrégularités » dans la publication. La fiabilité des cotes des relevés constitue un thème de recherche selon l’auteur, qu’il n’aborde pas dans cette communication, se limitant à noter qu’il n’y a pas eu d’échafaudages pendant l’opération et en l’absence de minutes qui en serviraient de preuve. Il ne signale, toutefois, aucune fausse cote, mettant surtout l’accent sur le mérite de l’opération, qui rend ainsi perceptible l’ensemble de la cathédrale malgré ses dimensions considérables. Cette publication pionnière - restée sans suite par son coût élevé, le temps trop long de sa préparation et l’évolution trop rapide de la technique – a toutefois une valeur didactique qui trouva des applications ponctuelles immédiates, dont la plus illustre fut celle du Dictionnaire raisonné de Viollet-le-Duc.

 

          O. Poisson présente les relevés que Viollet-le-Duc a faits pendant sept ans à Carcassonne et s’interroge sur le matériel mis à la disposition de l’architecte. Il s’appuie sur de minutes, systématiquement archivées et conservées dans les archives du patrimoine. L’auteur nous apprend que le plan d’ensemble fut réalisé par l’architecte et ses assistants, suivant la méthode topographique traditionnelle des mesures angulaires. Une fois dressé, ce plan a dû être complété à distance, grâce à la collaboration de Viollet-le-Duc avec ses correspondants sur place. La documentation disponible laisse supposer une étape préalable de préparation des minutes, se résumant en une série d’ « images support », qui a dû être préparée et qui resta en attente jusqu’à l’intervention de l’architecte : élévations-type sommaires, trames d’appareil homogène, absence de baies. Le rendu presque « photographique » guide l’auteur vers la solution de l’utilisation d’une chambre claire. L’ensemble de ces informations et observations donne une première impression du type de travail architectural de l’époque, combinant méthodes traditionnelles et modernes. L’auteur, qui n’en semble pas convaincu, note le caractère « archéologique » de la pensée de l’architecte, qui nous semble, au contraire, indispensable pour l’étude d’un monument historique.

 

          Sur la part du relevé dans la conquête de la connaissance architecturale et sur son rôle décisif dans l’élaboration de projets de restauration ont été présentées les contributions suivantes :

 

          M. Grubert insiste sur l’importance de la connaissance de l’édifice avant tout projet d’intervention. Elle fait la distinction entre relevé qui sert à faire vivre le monument et relevé fait pour y mettre fin, dans le cas d’une démolition, ce qui nous laisse imaginer qu’un nombre d’informations est a priori intentionnellement omis, contrairement à ce qui constitue le vrai but du relevé d’architecture. Reconnaissant qu’il n’y pas de relevé idéal et que chaque tentative est le fruit de certains choix, l’auteur souligne que le fait de relever un édifice signifie qu’on lui attribue de l’ importance et qu’on en amorce l’étude.

 

          P. Fancelli donne la dimension historiographique du relevé permettant – l’étude de base de l’édifice mise à part – d’y distinguer les variations, les irrégularités et les modifications dues à l’intervention humaine ou temporelle. Il introduit la notion très intéressante de « palimpseste » pour expliquer les remaniements subis par le bâtiment, que le relevé doit rendre lisibles pour en retracer l’histoire et en entamer la restauration. L’auteur discute de l’objectivité relative des relevés actuels ou plus anciens, tout en reconnaissant la valeur documentaire de ces derniers.

 

          Par son intervention exemplaire, A. Cerutti Fusco apporte une vision plus globale sur le rôle du monument, mettant aussi l’accent sur le paysage environnant en application de la convention de Florence en 2000. Elle considère que l’histoire, le relevé et la restauration constituent les facteurs indispensables pour retracer l’identité d’un monument, dans le but d’en garantir la gestion correcte. L’auteur attaque le cœur du problème posé par les opérations trop urgentes, menées par des responsables peu conscients des conséquences souvent irréversibles, agressives et incohérentes de leurs actions, et dont certaines ne trouvent pas de solution durable, se limitant aux apparences et contribuant à dénaturer le monument. Pour illustrer ses propos, l’auteur cite un exemple d’intervention où la mise à jour du relevé n’a pas pu tenir compte des résultats de la fouille réalisée ultérieurement, rendant ainsi évident le rôle de la diffusion du savoir et de la formation des intervenants.

 

          V. Villaneau-Ecalle et P. Parmentier considèrent que le relevé d’un édifice constitue un travail d’acquisition, indispensable avant tout à l’architecte, même si dans l’opération interviennent d’autres spécialistes, grâce aux différentes techniques développées, ce qui mène le lecteur à repenser la qualité de l’intervention de l’architecte.

 

          A. Sartor déclare dès le début que le relevé d’architecture « devient une activité scientifique », assistée de techniques et instruments déjà connus et évolués. Considérant que les applications de l’informatique ainsi que les rayons laser y apportent des résultats positifs, l’auteur analyse les conséquences de différents programmes de « (re) présentation » de l’architecture. À juste titre, l’auteur insiste sur la présence active de l’architecte et de l’historien de l’art pendant l’exécution du relevé par les techniciens des outils informatiques. Nous avons trouvé très intéressante la présentation de trois exemples d’interventions choisis en fonction de l’utilisation de différentes techniques. Notons toutefois que la chronologie (« environ cinquante ans après J.C. ») du temple de Poséidon de Paestum, donnée dans le texte, est erronée et due certainement à une faute de frappe, le monument étant daté du milieu du Ve siècle avant notre ère. Considérant que l’architecte doit imposer le contrôle humain face à la technologie, l’auteur, dans sa conclusion, attribue au relevé la valeur d’une recherche approfondie au lieu de celle d’une simple représentation.

 

          Les intervenants suivants abordent la question du relevé en fonction de l’objet représenté :

 

          G. Séraphin revient sur la subjectivité du relevé, qui doit être considéré comme un outil.

 

          Chr. Sapin et C. Castillo abordent le sujet plus spécifique du relevé de revêtements muraux. À leur tour, les auteurs signalent la nécessité de la réflexion et de l’intervention personnelle dans la recherche de la réalité représentée.

 

          A. Hartmann-Virnich présente le cas de la porte orientale ayyoubide de la citadelle de Damas, mettant l’accent sur le danger de « substituer à une approche directe de l’objet mesuré celle d’une représentation virtuelle ». À juste titre, il considère que la masse des données réunies de façon électronique finit par rendre difficile l’analyse et la synthèse. L’auteur, dans une série de détails présentés, illustre la nécessité d’une analyse directe et d’un relevé manuel, permettant de mieux répondre aux questions posées par le grand nombre d’états imbriqués dans le corps de la citadelle.

 

          T. Carunchio s’interroge sur « la vérité de l’architecture », telle qu’elle est rendue par l’utilisation de la photographie parmi d’autres techniques de relevé. Il se penche consciencieusement sur la question théorique, sinon rhétorique, de la vérité existante dans tout type de représentation et choisit trois exemples de relevé et de restitution pour étayer ses propos. Il met l’accent sur l’utilisation parallèle et complémentaire du relevé analytique et de la documentation d’archives, amenant le chercheur à identifier et à interpréter des caractéristiques architecturales intrigantes. Nous avons trouvé intéressante l’analyse du phénomène de l’élimination de certaines données par les auteurs des anciens relevés, afin de rétablir une forme idéalisée pour les édifices représentés.

 

          G. E. Cinque reconnaît la nécessité de la collaboration d’experts de différentes spécialités. Elle s’appuie sur l’exemple de la villa Adriana à Tivoli pour prouver la nécessité de l’existence d’un relevé détaillé, obtenu par la technologie numérique et enrichi de données de plusieurs types. La constitution d’un tel instrument scientifique n’a pas empêché, cependant, la prise directe de mesures aussi bien que l’élimination de la méthode laser 3D, considérée comme non appropriée. L’auteur nous laisse comprendre que le résultat probant ne sera pas obtenu uniquement par les moyens utilisés mais surtout par la connaissance des possibilités que chacun de ces moyens est en mesure de nous offrir.

 

          J. Fredet aborde le sujet du relevé d’habitations ordinaires, donc de constructions qui, loin d’être considérées comme monuments, attirent moins l’attention et l’intérêt. A travers sa méthodologie extrêmement détaillée, il donne une série de conseils très utiles, notamment à ceux qui n’ont pas encore l’expérience requise, pour prouver qu’aucune étape de la procédure du relevé ne doit être négligée ou passée sans y faire attention.

 

          Vient ensuite l’évolution des méthodes du relevé :

 

          R. Martin évoque l’évolution des outils de relevé et se pose la question des choix qui s’imposent en vue d’ un meilleur résultat.

 

          J. Giron Sierra présente l’aventure scientifique de W. Goodyear, qui essaya de prouver, à travers ses photographies et ses relevés détaillés, le souci diachronique pour les raffinements de monuments autres que les temples grecs. Ce point de vue si révolutionnaire, qui connut tant de détracteurs, a cependant pu être soutenu par l’autorité d’A. Choisy. L’auteur étudie la correspondance des deux hommes et semble presque persuadé de leurs arguments, tout en laissant planer un doute : même si la réalité est autre, du moins Goodyear mérite-t-il le titre du pionnier d’un relevé plus exact (et plus moderne ?).

 

          A. Moignet-Gaultier étudie la notion du temps en fonction de l’exactitude des données et de la subjectivité de leur interprétation. Comme l’auteur précédent, elle fait aussi appel à l’autorité d’A. Choisy et à la recherche qu’il a menée pour atteindre les réalités architecturales à des moments historiques différents dans son parcours d’historien d’art. L’auteur essaie d’expliquer la nature des inexactitudes apparaissant sur les relevés d’architectes illustres, à travers quelques monuments choisis. Sans en tirer une conclusion plus concrète, elle considère que la perception du temps constitue une des mesures fondamentales à prendre en compte pour l’étude d’un monument aussi bien que pour celle de son historiographie.

 

          F. Becker distingue des différences parmi les exigences de divers commanditaires de relevés, ce qui nous laisse sceptique dans la mesure où cela se répercute sur la qualité du document produit. À notre avis, il est tout à fait légitime que chaque spécialiste se focalise sur les points qui l’intéressent, mais cela ne doit pas empêcher la constitution d’un dossier aussi complet que possible, pour éviter de reprendre la procédure lors d’une recherche ultérieure, lorsque les risques de perte d’information seront d’autant plus sérieux. L’auteur insiste à juste titre sur la valeur du travail sur le terrain, quoique l’exécution du dessin in situ, tel qu’il le suggère, présente des difficultés. Nous retenons son observation selon laquelle ce n’est pas la méthode utilisée pour un relevé mais l’opérateur même qui, par son expérience, peut en assurer la qualité.

 

          S. Paeme présente les possibilités d’exploitation de la métrophotographie appliquée dans des relevés vus de front ou en perspective, à l’aide de logiciels appropriés.

 

          A. von Kienlin et M. Schuller, après un historique analytique et critique des méthodologies utilisées jusqu’à nos jours, s’interrogent sur la pérennité de documents graphiques, classiques ou électroniques. Remarquant qu’en général les relevés des toits des édifices ne sont pas aussi nombreux et détaillés qu’on aurait pu le souhaiter, ils soulignent à juste titre que chaque édifice doit être étudié avec la même précision, indépendamment de sa valeur relative par rapport aux autres monuments.

 

          Nous sommes entièrement d’accord avec B. Mouton, chargé de la synthèse de conclusion, qui met en rapport les moyens techniques et les résultats obtenus dans un esprit d’ « obsession de l’exactitude ». Il exprime à juste titre sa perplexité devant la question posée par tous les participants à ce colloque : faut-il séparer ou relier la technique « manuelle-visuelle » à celle « mécanique-automatique » du relevé ? Reconnaissant que le relevé permet la compréhension de l’édifice et met en valeur sa restauration, il pose la question de la qualité du vrai recherché et annonce de nouvelles rencontres de spécialistes à l’avenir.

 

Sommaire

 

Préface

François de Mazières

 

Appel à communications

Benjamin Mouton

 

Les grandes figures du relevé

Marie-Paule Arnauld, p. 11

 

Les relevés de Jacques Androuet du Cerceau : entre approche rationnelle et imagination

Sabine Frommel, p. 12

 

Jean-Baptiste Lassus (1807-1857) et la monographie de la cathédrale de Chartres

Jean-Michel Leniaud, p. 35

 

Le relevé de la cité de Carcassonne par Viollet-le-Duc : une première approche

Olivier Poisson, p. 43

 

De la connaissance au projet

Mireille Grubert, p. 57

 

Le rôle potentiellement historiographique du relevé et de la restauration

Paolo Fancelli, p. 60

 

De l’histoire à la restauration en passant par le relevé et inversement

Annarosa Cerutti Fusco, p. 73

 

Le relevé au service du projet ; le point de vue des architectes du patrimoine (résumé)

Véronique Villaneau-Ecalle / Pascal Parmentier, p. 89

 

Le relevé et la restauration comme possible édition critique d’un texte architectural

Alessandro Sartor, p. 90

 

Quel relevé pour quel objet ?

Gilles Séraphin, p. 105

 

L’apport des relevés de revêtements muraux (enduits ; badigeons ; peintures…) au patrimoine bâti, Christian Sapin / Carlos Castillo, p. 106

 

Dialoguer avec le monument : relevé manuel et recherche sur la porte orientale Ayyoubide de la citadelle de Damas (Syrie)

Andreas HartmannVirnich, p. 114

 

Les relevés architecturaux au XVIe siècle en Italie

Tancredi Carnunchio, p. 130

 

Le relevé d’architecture : la méthode ; la gestion des résultats pour la connaissance et la restauration. Application au cas de la villa Adriana à Tivoli

Giuseppina Enrica Cinque, p. 143

 

Le relevé d’anatomie constructive des bâtiments d’habitation ordinaires

Jacques Fredet, p. 161

 

De la toise au numérique

Régis Martin, p. 179

 

L’utilisation de nouvelles techniques par W. Goodyear au début du XXe siècle et leur apport à l’histoire de l’architecture selon A. Choisy

Javier Giron Sierra, p. 180

 

La mesure du temps dans les relevés de l’architecture antique

Anne Moignet-Gaultier, p. 191

 

Méthodes de relevé sur les constructions historiques et les sites archéologiques

Frank Becker, p. 208

 

Métrophotographie appliquée (résumé)

Serge Paeme, p. 217

 

Entre tradition et haute technologie : regards sur les méthodes de l’archéologie de la construction à l’Université Technique de Munich

Alexander von Kienlin / Manfred Schuller, p. 218

 

Synthèse : quel avenir pour le relevé

Benjamin Mouton, p. 239