Tassin, Raphaël: Les églises de la prévôté de Bruyères. Réfections et reconstructions (1661-1789). Broché. 16 x 24 cm. 234 p., illustré des vues et plans d’églises, préface de Sabine Frommel, ISBN 978-2-87825-469-3, 25 €.
(Editions Dominique Guéniot, Langres 2011)
 
Reviewed by Stéphane Gomis, Université Blaise Pascal-Clermont II
 
Number of words : 873 words
Published online 2013-01-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1509
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          Raphaël Tassin s’est intéressé à un sujet assez peu traité par l’historiographie, celui des modalités de construction et de l’entretien des bâtiments cultuels. Son livre mérite donc toute l’attention du chercheur. Le champ d’étude porte sur un territoire vosgien qui, comme le reste de la Lorraine, a été durement touché par les ravages de la guerre de Trente Ans. À partir des années 1660 et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’œuvre de reconstruction des églises paroissiales en est d’autant plus vive. L’auteur précise que les raisons de la multiplication de tels chantiers ne tiennent pas tant aux conséquences directes des opérations militaires que de la baisse considérable de la population. Ce mouvement est donc le signe d’une importante croissance démographique. Cette région offre également l’avantage de fournir un matériau archivistique particulièrement abondant. Il s’agit notamment des riches ressources fournies par les papiers du chapitre des chanoinesses nobles de Remiremont, principal collateur et souvent gros décimateur des paroisses concernées, soit vingt-six au total. L’auteur s’est appuyé aussi sur les documents émanant du pouvoir civil et des communautés d’habitants. Les annexes associées à cette édition sont abondantes et fort précieuses. Par exemple, le lecteur pourra trouver un « répertoire biographique des architectes, entrepreneurs et artisans ». Fruit d’un patient travail de prosopographie, il rassemble un peu plus de 130 noms, depuis ceux des maîtres d’œuvre jusqu’à ceux des charpentiers et des couvreurs. Pour l’essentiel, on remarque qu’il est fait appel aux artisans locaux. Néanmoins, les apports d’une main-d’œuvre extérieure à la région, voire étrangère, ne sont pas négligeables. On note à ce propos la mention d’une colonie italienne significative. Des péninsulaires qui sont surtout originaires du Milanais, province traditionnellement pourvoyeuse de bâtisseurs aux talents reconnus et recherchés. Raphaël Tassin détaille le devenir de l’une de ces fratries, celle des Bourcin, vitriers de leur état.

 

          L’auteur montre combien les Dames de Remiremont jouent un rôle moteur dans le financement des nouveaux édifices. Elles en sont les principaux bailleurs de fonds. Néanmoins, les curés ne sont pas absents. On les voit agir lorsqu’il s’agit de financer les travaux du chœur. Pour leur part, les communautés d’habitants interviennent essentiellement dans le cadre de l’aménagement intérieur. Cependant, dans certains cas, ceux des bâtiments annexes ou des succursales, les fidèles sont dans la capacité de choisir l’architecte. Ils peuvent alors agir directement sur les modalités de conception de leur église.

 

          Raphaël Tassin est particulièrement attentif au contexte du déroulement des chantiers, qui se standardisent de plus en plus. Ceux-ci trouvent leur origine dans trois raisons majeures qui, le cas échéant, peuvent se rejoindre. Il importe tout d’abord au curé d’occuper un bâtiment en bon état. Les demandes révèlent également la volonté des communautés rurales de disposer d’édifices dignes. Enfin, l’évêque, dans le cours d’une visite pastorale, peut être amené à saisir les décimateurs concernés. Dès lors, la procédure suit un déroulement type : devis, adjudication par le biais d’enchères au rabais, visites de chantier et réception des travaux. Bien que le cahier des charges ait été soigneusement établi, il peut survenir des conflits, par exemple pour ce qui concerne le financement des opérations ou lors de la réception finale. Mais ces situations restent marginales (moins de 8% des procès relevant du ressort du chapitre de Remiremont).

 

          Dans un dernier développement, l’auteur s’emploie à considérer dans les détails l’architecture de ces « églises-granges », selon son expression. Pour l’essentiel, il souligne la grande sobriété à l’œuvre, qu’il s’agisse des plans et des élévations ou encore des éléments de décoration. Ainsi, on remarque l’omniprésence d’une tour-porche en façade. Ces caractéristiques communes n’empêchent pas des différences quant aux proportions des bâtiments ou bien aux modalités de leur agencement intérieur. À ce propos, deux paragraphes sont consacrés à la question des bancs. Il s’agit là d’une thématique intéressante car elle a des incidences sociales et financières importantes. Ces aspects auraient mérité de plus amples développements. En effet, tout au long de la période moderne, et tout spécialement entre les XVIIe et XVIIIe siècles, la question du rang au sein de cet espace social qu’est l’église connaît plusieurs types d’évolution. Pendant longtemps, la charge exercée au service de la communauté toute entière, notamment celle de marguillier, est la principale justification qui permet aux individus et à leur famille d’occuper les emplacements les plus honorifiques. Or cette mise en scène de la communauté villageoise est modifiée à partir du moment où ce type de discrimination est désormais fondé sur la capacité financière des uns et des autres à occuper les premières places. Par ailleurs, Philippe Goujard notamment a montré combien l’adjudication des bancs devient, tout au long du XVIIIe siècle, un poste de revenu de plus en plus important. À tel point que leur location est à l’origine de la progression du revenu global des fabriques, tout particulièrement dans la seconde moitié du siècle.

 

          Au total, Raphaël Tassin livre une étude utile qui montre parfaitement combien les préconisations tridentines ont fini par être adoptées partout dans le royaume de France. Désormais, les églises de la prévôté de Bruyères, entièrement reconstruites ou plus simplement rénovées, correspondent aux canons conciliaires. Leurs caractéristiques les plus marquantes associent de vastes nefs aménagées afin de favoriser une plus grande visibilité du culte.