Klanten, Robert - Bolhöfer, Kitty - Ehmann, Sven (dir.): Lux. Lumière et Design. 304 pages, 218 illustrations en couleurs, volume relié, 17 x 24 cm, ISBN : 978-2-87811-381-5, 39,95 €
(Editions Thames & Hudson, Paris 2011 (nov.)
 
Reviewed by Annie Verger
 
Number of words : 1833 words
Published online 2013-03-04
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1518
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          L’ouvrage LUX, lumière & design, est publié par la maison d’éditions Thames & Hudson, spécialisée dans les livres d’art sur l’architecture, la photographie, la culture populaire et toutes les extensions du design (textile, typographie, etc.).  On pourrait s’attendre à une histoire de plus sur les luminaires - de la fin de l’éclairage au gaz jusqu’aux recherches des architectes et designers du XXe siècle en matière d’éclairage urbain ou domestique. Or, les auteurs font partir leur étude de la révolution imposée en 2011 par les nouvelles réglementations environnementales : le remplacement des sources lumineuses à incandescence par l’éclairage électronique.

 

          Dans l’introduction, Laura Traldi ne dissimule pas les problèmes posés par la transition d’un système à l’autre.  Les designers sont confrontés à un véritable défi, celui de ne pas affaiblir la qualité de l’émission lumineuse à laquelle l’œil est habitué. En effet, l’ampoule à incandescence produit - explique-t-elle - un spectre continu de couleurs, avec une transition progressive d’une longueur d’onde à l’autre  qui permet de s’approcher de la lumière naturelle,  alors que les sources compactes fluorescentes ont des longueurs d’onde bleues. La première difficulté est donc technique. En l’état actuel des études, les chercheurs ne peuvent pas encore obtenir un résultat satisfaisant, même en couplant de minuscules cristaux semi-conducteurs baptisés « points quantiques » aux LED, (composants opto-électroniques capables d’émettre de la lumière lorsqu’ils sont parcourus par un courant électrique). La deuxième difficulté est d’ordre esthétique : que faire du système d’éclairage hérité si la source principale change radicalement ?

 

          L’ouvrage - de la page 8 à la page 289 - présente de très belles photographies d’objets exprimant la curiosité,  l’imagination et la variété des réponses à la question de la rupture technologique avec le passé. Un index offre des indications sur chaque document : le nom du designer et de son agence ; les dimensions du luminaire ; le nom du photographe qui a pris le cliché ainsi que celui des artistes qui ont participé à la conception de la lampe (ex. artistes verriers : Michiko Sakano et Nancy Callan) ; l’adresse email et le renvoi à la page de la photographie.

 

          La lecture des rubriques, classées par ordre alphabétique, permet de se familiariser avec les nouvelles tendances du design puisque la plupart des artistes retenus sont nés dans les années 1970 – 1980. Ils sont Américains, Suisses, Allemands, Autrichiens, Français, Finlandais, Japonais, entre autres. Ils sortent des lieux de formation les plus réputés comme les écoles de Lausanne, de Bâle, de Londres ou de Berlin. Pour résumer le profil de ces jeunes créateurs, on peut citer l’exemple de Daniel Rybakken, (cité à 4 reprises dans l’ouvrage), né en 1984 en Norvège, entré à l’école des Arts & Métiers de Göteborg en Suède où il a obtenu son Master of Fine Arts en 2008. Plusieurs fois récompensé (à Singapour en 2007, à Oslo en 2008), il est choisi comme « le meilleur designer au Salone satellite de Milan » en 2009. Sa préoccupation principale est de recréer artificiellement la lumière du jour comme le montre l’illustration Daylight comes sideways  (p.240-241) qui utilise plus de 1000 LED pour simuler l’éclairage naturel à travers un rideau imitant les effets d’ombres projetées par un arbre agité par le vent.

 

          Quelques architectes et designers de référence sont représentés. Toyo Ito, architecte japonais, né en 1941, a travaillé sur la dématérialisation de l’espace.  Ses lampes ressemblent à des cocons au travers desquels filtrent des résilles de lumière (p. 22-23). L’œuvre d’Ingo Maurer - né en Allemagne en 1932- intitulée Comic explosion  (52) s’inspire de l’univers de la bande dessinée.

 

          Qu’exprime donc cette génération confrontée au problème de la révolution technologique ? En premier lieu, une sorte de nostalgie qui ne manque pas d’ironie. Comment régler le sort de toutes ces lampes qui sont appelées à disparaître ou à  figurer désormais dans les musées d’arts et traditions populaires ? En citant, en isolant les éléments les plus significatifs de la technique antérieure.  Johannes Tjernberth et Rasmus Malbert signent la lampe  Ash  (cendres en anglais) qui s’inspire du film de Charlie Chaplin, « Les Temps modernes ». Ils installent sur un socle noir formé de cubes empilés, la partie supérieure d’une lampe à pétrole (p. 71). La couronne en cuivre ciselé, particulièrement bien astiquée, porte le verre en forme de cheminée. Cet emprunt renvoie aux temps de disette et de guerre, rythmés par les coupures de courant. Autres exemples de recyclage, les objets des designers autrichiens Katherina Mischer et Thomas Traxler, Relumine (p.287), qui récupèrent toutes les lampes de chevet, de bureau, de bibliothèque, trouvées dans les brocantes, en les reliant par des tubes de néon. Ou encore, « 45 kilo » avec Descent Light, qui se sert d’un tube en acrylique fluorescent pour embrocher une suite de bouteilles en plastique.

 

          Ce qui est au cœur de la réflexion, c’est la disparition imminente de l’ampoule, définie comme « une enveloppe de verre renfermant le filament d’une lampe électrique à incandescence » conçue par Thomas Edison en  1878. C’était pourtant une révolution radicale qui avait repoussé les frontières de l’obscurité, modifié l’usage de l’espace et fluidifié les parcours. Pour changer les mentalités, il faut accompagner les utilisateurs qui ont  des habitudes de vie commune, difficiles à reconvertir. Il y a dans l’ouvrage un certain nombre de créations qui ont cette vertu pédagogique. Les designers jouent avec la spécificité du verre. L’opacité autorise opportunément  le camouflage des nouvelles technologies. Hector Serrano propose, avec sa série Natura, des objets d’une grande pureté, reprenant la forme des ampoules que l’on trouve dans le commerce mais qui dissimulent  la source lumineuse grâce à l’emploi de l’opaline. Selon la taille, la fonction (posée ou suspendue), l’échelle, etc., les références à des univers particuliers sont multiples, comme par exemple Balloon  d’Uli Budde (182-183). La notice en fournit l’explication : « Balloon emprunte sa forme aux lampes à huile et bougeoirs d’autrefois équipés de réflecteurs placés derrière la flamme afin d’en démultiplier en douceur la luminosité. Cette création s’inspire également de la Lune, astre qui n’est pas véritablement une source de lumière puisqu’il ne fait que réfléchir celle du soleil. L’ampoule à LED est située dans la base cylindrique du luminaire et sa lumière se réfléchit sur un réflecteur légèrement incliné vers le bas » (p. 295).

 

         La transparence du verre est employée à d’autres fins. Certains designers utilisent la métaphore de la bulle de savon ou des volutes d’une fumée pour passer de la perception prosaïque de l’ampoule à celle d’un univers onirique ou cataclysmique. Jeff Zimmermann choisit d’enfermer la source lumineuse dans une Biomorphic Bubble (p. 98-99) à l’instar des enfants qui soufflent dans une paille pour agréger plusieurs cellules d’eau savonneuse avant qu’elles n’explosent sous le poids de l’eau. Ou encore Mathieu Lehanneur qui, avec son œuvre S.M.O.K.E  (p. 149), s’inspire « d’une catastrophe domestique : un incendie, une fuite de gaz, une explosion silencieuse » pour soulever sa lampe dans une spirale de renflements. Plusieurs exemples illustrent la volonté d’enfermer une ampoule de la nouvelle génération dans un globe en verre soufflé artisanalement, comme les Three-sided modo chandelier  de Jason Miller (p. 88 et 89) ou  les 7-globe branching bubble  (p. 91), Catch et Terranium  de Lindsey Adelman (p. 92).

 

          D’autres designers ont choisi de décomposer l’éclairage en ses constituants. Le filament est traité pour lui-même. Samuel Wilkinson, avec PLUMEN 001 « rend hommage aux filaments des ampoules à incandescence tout en affirmant le caractère innovant de l’ampoule fluo-compacte à basse consommation » (p. 95 et 317). Ou encore les Filament Lamps de Scott Fitzsimons et Richard Hartle, présentées comme « des réinterprétations contemporaines de l’ampoule à filament de carbone du XIXe siècle fabriquée à la main. Elles combinent des éléments modernes – la lampe fluorescente à cathode froide ou CCFL- et traditionnels – le verre soufflé » (p. 200 et 299). La poésie est présente dans les luminaires de la série Kurage de Jo Nagasaka qui tracent dans l’espace les multiples circonvolutions de la fibre optique colorée.

 

         D’autres éléments rappellent encore le passé : par exemple,  le fil qui relie la lampe à la prise électrique.  Alors qu’habituellement, on s’évertue à le cacher, les jeunes créateurs s’amusent à le laisser trainer (Porky Hefer, Work lite/Lite bulb, p.108) ou empruntent aux chantiers de construction les enrouleurs pour câble d’alimentation de plusieurs mètres (Stéphanie Jasny, avec Cordula, p.155). Sebatian Herkner crée un abat-jour portatif à double fonction : éclairer et alimenter divers appareils électriques (ordinateur, chargeur de mobile, toaster, etc.). Pourvu d’une poignée et d’un très long câble, il permet de se déplacer dans l’espace intérieur (Bell-Light, p. 156).

 

       Ce qui se dissimule usuellement est réinterprété. Le variateur d’intensité quitte le sol pour  devenir un élément constitutif de la lampe ; il s’agit d’un disque en verre sérigraphié qui peut être tourné pour graduer la lumière (Camille Blin, Lames gradient, p. 239). La barre de prises femelles est suspendue comme un lampadaire pouvant recevoir des ampoules mais également une perceuse, un rasoir électrique, un sèche cheveux ou tout autre instrument électrique 45 kilo, Jack in the box, p. 266-267.

 

          On l’aura compris, l’univers de l’éclairage offre une gamme très étendue de possibilités sans pour autant introduire des changements radicaux. Cet ouvrage sera certainement rendu obsolète par l’introduction massive des  LED. Encore minoritaires, les exemples  qui ne font plus appel à  la source directe de l’ampoule donnent à voir un autre espace. Molo avec Softwall + Softblock, modular system with led lighting ou encore Cloud softlight (p. 44 -45) « est un système modulaire permettant de cloisonner en beauté et en lumière un vaste espace. Étiré à son maximum, ce paravent lumineux (qui existe en versions papier et textile) peut, grâce à sa structure en nid d’abeille, atteindre une taille cent fois supérieure à celle qu’il avait avant étirement ». Carlotta de Bevilacqua et Paola di Arianello jouent avec un système modulaire de règles lumineuses,  Algoritmo (p. 288-289), qui peuvent être posées ou encastrées, à l’intérieur comme à l’extérieur. Deux sources pour qualifier plafonds et murs : des ampoules fluorescentes restituant la lumière blanche ou les LED pour introduire des lumières rouges, vertes ou bleues.

 

          Le compte rendu de  l’ouvrage LUX, LUMIÈRE ET DESIGN  souffre de ne pouvoir illustrer son propos. Il fait donc appel à l’imagination du lecteur ou à l’envie de celui-ci de compléter sa connaissance du design contemporain. Il constatera certainement la principale difficulté : établir le va-et-vient entre l’illustration et la notice explicative. Certes, l’index alphabétique permet de trouver l’auteur (ou les auteurs) de l’œuvre photographiée. Mais la typographie choisie est parfois un obstacle à la recherche. Il manque donc une liste des illustrations couplée avec la page de la notice.  D’autre part, l’ouvrage s’adresse à un public d’initiés, supposés tout connaître du champ des jeunes créateurs. Or, il ne serait pas inutile d’indiquer l’origine géographique, le lieu de formation et  le courant esthétique dans lequel ils s’inscrivent.

 

 

Sommaire

 

- introduction par Laura Traldi, page 2

- Présentation des luminaires, page 8

- Index, page 290.

 

Textes de Fiona Bate et Rebecca Silus.