Robert-Boissier, Béatrice: Pompéi : les doubles vies de la cité du Vésuve. 16 x 24 cm, 336 pages + 16 pages couleur, ISBN : 978-2-7298-6635-8, 24 €
(Ellipses, Paris 2011)
 
Rezension von Claire Leger, Université Paul Valéry, Montpellier
 
Anzahl Wörter : 2105 Wörter
Online publiziert am 2012-10-25
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1519
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          On ne compte plus les ouvrages publiés sur ou à propos de Pompéi... : de nombreuses publications d’historiens, d’archéologues, de romanciers et de spécialistes aux disciplines aussi diverses que la vulcanologie ou la médecine inondent déjà les libraires de ce sujet. Cet ouvrage, véritable compilation documentaire, publié en 2011 aux éditions Ellipses, se trouve ainsi emporté dans une vague de publications qui ne cesse de croître avec, dernièrement et pour n’en citer qu’un, le volume de Mary Beard : Pompéi, la vie d’une cité romaine, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat et publié aux éditions Le Seuil en 2012. Depuis le XVIIIe siècle, la cité antique de Campanie, située sur les flancs du Vésuve, face au golfe de Naples, fait rêver. Cette ville, figée dans le temps en 79 après J.-C., comme suspendue, influence considérablement l’histoire et l’archéologie depuis trois siècles. Le corpus d’œuvres traitant du sujet s’est adapté à tous les publics, du simple amateur en passant par l’érudit ou le spécialiste. Il est donc légitime de se poser la question de l’utilité et de la pertinence d’un nouvel ouvrage sur ce thème. Béatrice Robert-Boissier, diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, est spécialiste de l’histoire du patrimoine et de ses enjeux politiques et culturels. Elle est l’auteur de plusieurs articles sur Pompéi et sur la réception de l’Antiquité au XIXe siècle [1]. Cet ouvrage vient en quelque sorte en aboutissement de son travail et de ses recherches. Elle se défend d’ailleurs de vouloir écrire un livre dont le but est précisément de revenir sur l’abondance de textes consacrés à Pompéi afin de décrire et comprendre les raisons d’un tel engouement, toujours bien présent, pour la cité campanienne. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1997 en tant que témoignage historique inestimable de l’Antiquité romaine, Pompéi est à ce jour l’un des sites archéologiques les plus connus et les plus visités au monde. Mais cela ne l’empêche pas pour autant de subir les aléas du temps : dégradations et effondrements se multiplient, s’ajoutant aux différents scandales éclaboussant la gestion du site. L’auteur propose donc de revenir sur la destinée de la cité antique, sur ces multiples vies, ces « multivers pompéiens » selon B. Robert-Boissier, autant d’univers à la fois parallèles et croisés, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Tel est le propos de ce volume de 334 pages, divisé en treize chapitres auxquels s’ajoutent des cartes et des plans, une chronologie détaillée de la période étudiée et une bibliographie, par chapitres et sous parties, qui se veut la plus exhaustive possible. Au centre, huit feuillets couleurs proposent une série d’illustrations des grands thèmes abordés. Redécouverte au XVIIIe siècle avec sa voisine Herculanum, Pompéi éveille rapidement la curiosité et la convoitise du monde entier. La nature tragique de la catastrophe émeut le grand public alors que l’imaginaire collectif est piqué au vif par l’omniprésence de la mort, le secret qui entoure les premières fouilles et le parfum de scandale qui enveloppe les découvertes de nombreux objets érotiques. Pour la première fois, l’Antiquité donne à voir une image familière, presque humaine, que rendaient jusqu’alors inaccessible les sculptures de marbre blanc et les bustes impériaux découverts à Rome. Pompéi devient un point de référence singulier, appartenant dans toute sa richesse à l’histoire culturelle et artistique de notre époque, d’Alexandre Dumas (dont de nombreuses citations parsèment cet ouvrage) à Mark Rothko, de Théophile Gautier aux Pink Floyd : tous y ont vu un passage vers une autre dimension tant elle est une source d’inspiration inépuisable. La cité antique, par-delà les siècles, est devenue un véritable enjeu de pouvoir, doublé d’un formidable terrain d’expérimentation pour l’archéologie naissante.

 

          Au fil des chapitres nous découvrons donc la ville à travers divers aspects, historique en premier lieu, depuis l’Antiquité jusqu’à sa disparition, puis des premières fouilles orchestrées par le prince d’Elbeuf au XVIIIe siècle, très intéressé par les marbres antiques découverts fortuitement, jusqu’à la conscience patrimoniale actuelle, en partie due aux dommages de la Seconde Guerre mondiale. Le premier chapitre s’évertue ainsi à faire une synthèse de la vie, telle qu’elle était dans la cité vésuvienne avant l’éruption du volcan. On y découvre une histoire déjà tumultueuse, ponctuée de conflits militaires où la cité est au centre d’intrigues politiques visant à asseoir le pouvoir sur cette parcelle à flanc de Vésuve, à la fois menace et bienfaiteur du site. On peut regretter un historique de la période préromaine un peu court, mais on ne peut qu’apprécier les nombreux renvois aux inscriptions antiques découvertes sur place. Une succession de courtes parties sur les diverses facettes de la vie antique telles que la religion, les grandes demeures d’habitation, l’identité des habitants, leurs mœurs et coutumes, permet de mieux comprendre l’intérêt commun pour les occupants de cette cité. L’ouvrage de Charles-Ernest Beulé, publié en 1872, avait déjà parfaitement détaillé l’horreur qu’a dû vivre la population le 24 août 79 (date se basant sur la traduction des textes de Pline le Jeune, remise depuis en question par les études palynologiques qui tendent à proposer une date plus automnale ; le 24 octobre ou le 24 novembre) même si, comme le souligne l’auteur, la majorité des habitants avait déjà fui la cité devant les mises en garde du volcan tels que les tremblements de terre successifs durant les jours précédents l’éruption.

 

          Le second chapitre analyse un visage de la ville antique plus difficile à cerner. On découvre une arme diplomatique, selon l’expression de l’auteur, un site archéologique ballotté entre les convoitises des cours européennes qui, à partir du XVIIIe siècle et à tour de rôle, prennent possession de cette zone de l’Italie. C’est sous l’influence des Bourbons que se développent les premières recherches, véritable chasse aux trésors. L’auteur utilise à ce sujet des mots forts ; « l’archéologie naissante se présente avant tout comme un instrument du collectionnisme ». L’Europe se passionne pour les découvertes fantastiques et, lorsque la France, dans la personne du général Championnet, occupe Naples en 1798, l’ère française de Pompéi s’ouvre alors et, avec elle, les voyages entrepris par les jeunes gens de l’élite sociale soucieux de parfaire leur éducation. En parallèle, B. Robert-Boissier met en avant, à juste titre, le développement des sociétés savantes, créées par les érudits et antiquaires. Naples devient alors l’étape essentielle d’un parcours initiatique, « avoir vu Pompéi et Herculanum étant le gage d’un certain statut social ». Pompéi sert ainsi de vitrine au pouvoir, une archéologie de spectacle se développe et la plupart des visiteurs ne restent que quelques minutes sur le site, comme le déplore un article paru dans le Magasin pittoresque de juillet 1846. Tous se prennent au jeu, des interprétations et des hypothèses saugrenues voient le jour, tant sur l’utilisation des monuments que sur la fonction des objets découverts. On ne peut que sourire devant la méprise du chevalier Coghell confondant tourtière à pain et chapeaux, sans même s’étonner de la suggestion de chapeaux en bronze (p. 98).

 

          Les chapitres suivants, moins réjouissants, évoquent les tumultes historiques qui suivent, depuis la Révolution de 1848 qui marque un tournant dans la gestion des sites antiques italiens. Le chapitre cinq de l’ouvrage, entièrement consacré à cet épisode, s’efforce au mieux de relater l’avènement d’une Italie unifiée, ouvrant pour l’archéologie pompéienne une ère nouvelle. La question de la présentation des objets aux publics est également soulevée. Les différentes modifications apportées au musée démontrent les difficultés des autorités à s’approprier les collections qui restent encore pour la plupart privées. G. Fiorelli, inspecteur des fouilles de Pompéi en 1844 se confronte à la corruption qui se développe sur le site. Les nombreux objets érotiques choquent l’Europe bien pensante et plongent les politiques dans l’embarras. En 1821 est créé le « Cabinet des objets obscènes », visitable seulement sur délivrance d’un permis. Il en est de même pour les nombreux corps des victimes carbonisées alors qu’elles tentaient de fuir la ville. Des moulages de plâtres sont effectués par Fiorelli en 1863 et les nombreux témoignages des érudits de l’époque, rapportés par l’auteur, nous montrent bien l’immense intérêt suscité par ces hommes et femmes figés dans leur agonie. Profitant de l’unification de l’Italie en 1871, Pompéi devient dès lors le laboratoire d’une archéologie et d’une politique patrimoniale à l’échelle de la nation. Mais l’histoire semble se répéter et la Seconde Guerre mondiale, associée à la montée en puissance du fascisme, freine de nouveau les recherches, avec, de surcroît, le bombardement du site par les alliés en 1943.

 

          Cette succession de chapitres, courts mais très denses et riches en informations, débouche sur un constat qui apparaît comme inévitable depuis les années 1960. Les vestiges, mis au jour par l’infatigable soif de connaissance des archéologues pendant près de deux siècles, sont menacés d’une seconde mort – voire d’une troisième ou quatrième si l’on compte tous les retournements et désagréments que l’auteur nous a rapportés. Les guerres, les catastrophes naturelles et surtout, l’érosion du temps et les milliers de visiteurs altèrent un peu plus chaque année les monuments conservés jusqu’ici grâce à leur ensevelissement. L’inscription en 1997 au patrimoine mondial de l’UNESCO donne un nouvel élan à la cité. Ce n’est plus seulement à l’État italien mais bien à l’humanité entière qu’incombe la sauvegarde de la cité antique. Comme le souligne B. Robert-Boissier, une nouvelle vie, « la dernière ? » selon l’auteur, se dessine donc pour Pompéi, grâce notamment aux travaux d’Alfonso De Franciscis qui dirige entre 1961 et 1976 la Surintendance archéologique des provinces de Naples et de Caserte, et qui développe une nouvelle politique de sauvegarde du site ; moins fouiller pour mieux conserver et analyser. Les progrès scientifiques se multiplient et vont de pair avec les avancées technologiques et informatiques qui utilisent Pompéi comme test pour des disciplines novatrices, telles que l’archéométrie ou la paléopathologie. Quid des voyages d’érudits que l’auteur citait dans les chapitres cinq et six, alors qu’aujourd’hui Google Earth propose un voyage dans la cité antique, depuis son canapé et en trois dimensions ? Mais ces nouveautés entraînent également leurs lots de scandales et, depuis 2009, les commissaires, intendants et surintendants se succèdent au même rythme que les polémiques : restauration de l’amphithéâtre, organisation d’événements mettant le site en péril, dérives liées à une privatisation grandissante, etc. L’écroulement de la Schola Armaturarum le 6 novembre 2010 ne vient que confirmer la crainte de l’auteur sur la gravité de l’état de Pompéi. La cité pose beaucoup plus de questions en termes de conservation et de gestion qu’elle n’apporte de réponses. Néanmoins, après ce constat alarmant, B. Robert-Boissier revient à une tonalité plus optimiste en mettant l’accent, dans son dernier chapitre, sur les innombrables produits dérivés que la cité génère : elle reste depuis toujours un sujet fort prisé des réalisateurs, romanciers, peintres et autres artistes. Elle le dit elle-même, ce chapitre reste en cours d’écriture, car le filon ne cesse de stimuler les imaginaires collectifs. Ridley Scott serait intéressé pour une adaptation télévisée des derniers jours de la cité dans une série en quatre épisodes. Depuis l’ouvrage de B. Robert-Boissier cette information est vérifiée, le tournage de la série ayant débuté début 2012 : affaire à suivre.

 

          L’auteur achève en abordant le sujet des sœurs oubliées de Pompéi. Même si Herculanum arrive à tirer son épingle du jeu, notamment grâce à la découverte de somptueuses demeures et d’objets extraordinaires comme dans la « villa des Papyrus », l’infériorité flagrante des études et recherches concernant les autres cités côtières, également balayées par l’éruption du Vésuve, démontre le constat sans appel de ces deux derniers siècles ; Pompéi concentre toute l’attention portée par les archéologues, laissant les autres cités telles que Boscoréale, Stabies ou Oplontis dans l’oubli, mais également au repos et sans doute dans l’immortalité, préservées de toute dégradation humaine. B. Robert-Boissier se défend à juste titre de vouloir traiter de façon équitable les cinq villes dans ce volume, chose impossible au vu du déséquilibre de traitement bibliographique. Les relations entre Pompéi et ses sœurs sont ainsi complexes, laissons certaines encore dormir un peu tandis que la plus grande tente de survivre, par-delà les époques, à ses différentes vies.

 

          En conclusion, B. Robert-Boissier nous donne, au terme d’une exploration dense, un aperçu du « multivers pompéien », retraçant ainsi, au fil des chapitres la genèse et la construction perpétuelle de ce site monumental. B. Robert-Boissier termine ses pérégrinations en citant quelques lignes de Th. Gautier, tirées d’Arria Marcella : « Rien ne meurt, tout existe toujours, nulle force ne peut anéantir ce qui fut une fois ». Ainsi, malgré un ouvrage dense et complexe chacun pourra trouver son compte dans la mine d’informations savamment compilées en treize chapitres par l’auteur.

 

[1] « Cadavres de plâtre à Pompéi. Un moment fort de l’archéologie campanienne », Archéologia, n° 479, 2010, p. 28-35 ; « Pompéi-hors-les-murs, reconstitutions et restitutions pompéiennes au XIXe siècle », Archéologia, n° 500, 2012, p. 28-39.