| Laubenheimer, Fanette - Marlière, Elise (dir.): Echanges et vie économique dans le Nord-Ouest des Gaules : le témoignage des amphores du IIe siècle avant J-C au IVe siècle après J.-C., 2 vols, 595 p., 22 x 29, ISBN : 9782848672878, 55.00 € (Presses universitaires de Franche-Comté, Besançon, France 2010)
| Compte rendu par Nicolas Mathieu, Université Pierre Mendès-France, Grenoble 2 Nombre de mots : 1444 mots Publié en ligne le 2011-07-12 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1524
Le
livre de F. Laubenheimer et É Marlière s’appuie sur un corpus de 3500 amphores
issues des fouilles opérées dans trois régions administratives
(Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Haute-Normandie) qui correspondent à une
partie de la Gaule
Belgique avec les cuitates des Morins, des Atrébates,
des Ambiens, des Viromanduens, des Bellovaques, des Calètes, des Véliocasses,
des Aulerques Éburovices, des Silvanectes, des Suessions et pour partie des
Ménapiens, des Nerviens et des Rèmes. Cela correspond à une partie du Belgium
césarien, au milieu du Ier s. av. J.-C. (BG, II, 4, 9), mais
va au-delà puisque sur la rive gauche de la Seine, au sud-ouest, les Véliocasses
appartenaient à la
Lyonnaise. On peut regretter ce cadre géographique
contemporain qui reflète les lourdeurs et contraintes administratives et impose
de partir de points de vue artificiels et anachroniques.
L’ouvrage
se présente sous la forme de deux volumes de grand format abondamment
illustrés. Le premier contient la synthèse historique et le corpus
épigraphique. Après une présentation du cadre géographique et historique (chap.
1, p. 17-24), deux chapitres sont consacrés aux amphores. Dans le premier
(chap. 2, p. 25-30), les auteurs présentent les amphores de l’Âge du fer,
presque exclusivement d’origine italienne et vinaires, en englobant la conquête
césarienne ; dans le suivant, le plus ample chronologiquement (p. 31-78), les
amphores d’époque impériale à partir d’Auguste. Avec l’intégration dans
l’empire, commence une large diversification des échanges et des horizons de
provenance, de distribution et de produits : vin(s), defrutum, poisson,
huile, olives, fruits. Un chapitre est consacré aux réutilisations d’amphores
dans les nécropoles (chap. 4, p. 79-94) soit comme offrandes soit comme
protection de l’urne cinéraire et du mobilier funéraire. Le dernier chapitre
(5, p. 95-98) est une synthèse sur les routes, la distribution et la
consommation. Il est suivi d’une conclusion générale, p. 99-100. Après cette
première partie et une abondante bibliographie (p. 109-124), vient le corpus
épigraphique des 474 inscriptions (p. 131-294) logiquement organisé selon
l’ordre dans lequel elles ont pu apparaître sur les amphores : d’abord les
graffites avant cuisson (30 dont un inédit), puis les timbres réalisés dans les
ateliers de fabrication (363, dont un nouveau), les marques peintes (32,
majoritairement en latin, qui sont en général des chiffres ou des noms
correspondant à des mesures) et enfin les graffites après cuisson (39, réalisés
soit au moment de la consommation soit à l’occasion d’une réutilisation). Il
faut souligner le soin et la rigueur de la présentation : outre leur notice,
les inscriptions sont toutes dessinées ou redessinées, accompagnées de la
photographie correspondante lorsque le document existe encore, du dessin de
l’objet sur lequel elle se trouvent. Chaque section est suivie par un tableau
alphabétique récapitulatif des inscriptions qui peut servir par conséquent
d’index des noms.
Le
volume 2 est le corpus des sites archéologiques classés par département, villes
et campagne, avec présentation succincte (historiographie, caractéristiques
générales du site, contexte des découvertes, bibliographie) et deux mises à
disposition des données : un tableau descriptif à entrées multiples des
découvertes (types d’amphores, origine, nombre d’occurrences et emplacement sur
l’objet) et une ou plusieurs planches de dessins des objets ou des types
découverts. Avec le catalogue épigraphique du volume 1, ce corpus des sites
offre à tout chercheur de façon claire la totalité des données brutes.
L’arc
chronologique étendu de six siècles, la datation précise et la localisation des
provenances permettent de brosser un tableau des caractéristiques
socio-économiques des échanges et de leur évolution à plusieurs échelles
(micro-régionale, interprovinciale) et d’insérer cette partie septentrionale et
occidentale des Gaules dans l’empire romain à partir de la phase de conquête.
Parmi les constantes on retient que les amphores Dr 20 à huile de Bétique et
Gauloises vinaires 4 sont présentes de tout temps, partout (en cela, la région
étudiée est comparable à d’autres), que les chefs-lieux de cité ont toujours
été approvisionnés et que malgré les vicissitudes, il y a toujours eu
importation, parfois en petites quantités seulement ponctuellement localisées,
de produits coûteux (par exemple des vins italiens ou africains quand le marché
est inondé de produits de masse gaulois). On retiendra aussi les évolutions.
Les auteurs mettent en évidence un commerce qui, dans un territoire pourtant
réputé pour être producteur et consommateur de bière, a commencé bien avant la
conquête romaine et concerne, dès le IIe s. av. J.-C., du vin en
provenance d’Italie et de Rhodes. Puis, le vin d’Étrurie, du Latium et de la Campanie arrive depuis la
côte méditerranéenne par la voie Rhône-Saône-Seine. S’il apparaît que les
premiers consommateurs appartiennent aux élites, notamment urbaines, on voit
aussi que la consommation peut se définir collectivement dans des lieux de
sociabilité, qu’il s’agisse de sanctuaires, lors de banquets (par exemple à
Ribemenont-sur-Ancre au Ier s. av. J.-C. avec des vins italiens
uniquement), ou d’activités professionnelles, dans un camp (près d’Arras, dans
la période 57-40 av. J.-C., le camp d’Actiparc). À partir de l’époque
augustéenne, la consommation se développe dans les chefs-lieux de cités et se
diffuse dans les campagnes dans les fermes indigènes de la vallée de la Somme. Ier
et début du IIe s. sont la période de plus grande diversité des
amphores trouvées, révélatrice de la grande variété des produits importés. Cela
témoigne aussi de l’insertion de cette partie des Gaules dans l’empire : vins
d’Italie, de Tarraconnaise, de Bétique, et en petites quantités, d’Orient ;
vins de Narbonnaise, vins locaux, productions
amphoriques de Noyon et de Normandie ; sauces de salaison de poisson de
Bétique ou de Lyon ; huile de Bétique, olives et defrutum de Bétique et
de Narbonnaise affluent. On note aussi des fruits en provenance d’Orient dans
de petites amphores « carottes », principalement dans les chefs-lieux
car c’étaient des produits coûteux. Les cartes de synthèse chronologiques et
typologiques très nombreuses suggèrent implicitement la croissance (urbaine et
démographique), la densité de population, sa dispersion ou sa concentration,
les niveaux sociaux et des habitudes culturelles (par exemple la distribution
de la salsamenta modeste dans ce nord-ouest gaulois qui apparaît en
contexte militaire, dans l’oppidum de La Chaussée-Tirancourt
ou cultuel, dans le sanctuaire de Guichainville). On ne s’étonne pas, avec la
fin du IIe s. et au IIIe s., de la réduction de la
variété des amphores. Deux phénomènes se joignent : des productions viticoles
issues de Narbonnaise voire de Lyonnaise en plus grande quantité et des
productions locales d’emballage. La
Seine quant à elle n’apparaît pas comme une frontière dans la
distribution en expansion.
Les
auteurs montrent que les grands axes de circulation ont évolué au fil du temps,
notamment en ce qui concerne l’huile de Bétique dans le courant du IIe
s. apr. J.-C. : l’axe continental rhodanien est abandonné au profit d’une voie
plus directe par l’Atlantique. Ce changement doit être mis en relation avec la
perte du rôle de Lyon dans l’approvisionnement des armées. Dans le même temps
on voit se dessiner des échanges par la côte dont témoignent les densités de
découvertes le long du littoral et dans les vallées des fleuves côtiers
(notamment la Somme).
Elles mettent aussi en évidence l’importance du marché des amphores gauloises
qui n’était pas soupçonné dans ces proportions, ce qui permet d’esquisser au
moins des questions sur l’existence de marchés de proximité ou régionaux :
l’huile fut parfois transportée dans des amphores d’imitation produites en
Gaule Belgique, les sauces de poisson dans des amphores produites en Lyonnaise.
L’étude
montre que le Belgium tel que défini à l’époque césarienne, n’a pas été
une frontière commerciale, elle montre aussi que la remarque de César selon qui
les Nerviens n’acceptaient pas que l’on introduise le vin chez eux (BG,
II, 15) est exacte : l’archéologie le confirme jusqu’à la création de Bavay au
changement d’ère. De la même façon, l’étude laisse entrevoir des zones sinon
vides du moins où les témoignages amphoriques sont rares en plus des Nerviens :
Ménapes, Morins, Bellovaques, Calètes ou Véliocasses. Ce constat va dans le
même sens que certaines observations tirées des témoignages monétaires
(circulation locale ou entre cités dans le cas des Atrébates et des Morins) ou
littéraires (mauvaises relations par exemple des Morins avec Rome jusque dans
les années 30-29 av. J.-C.). Entre autres mérites ce livre permet d’aller plus
loin que les généralités économiques en apportant des nuances et en affinant la
connaissance des productions locales. Si l’huile de Bétique continue d’être abondamment
importée au IIIe s., c’est en diminuant à partir du milieu du
siècle. Dans le même temps, autour de Bavay apparaissent d’autres amphores pour
une huile locale. Les auteurs évoquent l’hypothèse d’huile de noix. Reste une
question : la quasi absence d’amphores à alun dans une zone pourtant réputée
pour ses productions de tissus d’origine végétale (lin) ou animale
(laine).
L’ampleur
du travail accompli et le soin de l’édition méritent d’être soulignés.
Archéologues, céramologues et historiens disposent d’un véritable instrument de
travail. Dans leurs domaines respectifs ils trouveront de quoi travailler
encore car les deux auteurs donnent beaucoup d’informations et ouvrent de très
nombreuses pistes de réflexion. Par exemple, en mettant en évidence des
transformations dans les axes de circulation, l’étude devrait inciter à
regarder du côté de la circulation monétaire et de la circulation des hommes en
partant des témoignages épigraphiques. Cet ouvrage est donc une très
intéressante synthèse remarquablement servie par les cartes. Il reste à
souhaiter que les régions administratives voisines actuelles produisent vite
des synthèses analogues pour que les historiens puissent mesurer, cette fois
dans les cadres administratifs antiques, les évolutions économiques et écrivent
les synthèses générales nuancées et renouvelées qui font défaut. |