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Compte rendu par Julie Masquelier-Loorius, CNRS Nombre de mots : 2701 mots Publié en ligne le 2012-01-23 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1529 Lien pour commander ce livre
Cette publication présente un catalogue des jeux (activités divertissantes, soumises ou non à des règles, pratiquées par les enfants de manière désintéressée et par les adultes à des fins parfois lucratives) et de leurs variantes, attestés par les artefacts, mais aussi par les sources iconographiques et littéraires, en Égypte ancienne et au Proche-Orient, dans la Grèce ancienne, le monde romain, l’Europe médiévale et post-médiévale, et enfin, dans le monde nordique. Les jeux et jouets (objets ludiques) dits de l’enfance, utilisés dans les mondes anciens et médiévaux, ainsi qu’à l’époque moderne, sont également abordés. Ce catalogue est axé sur la pratique de ces passe-temps, à l’aide de règles qui ont été expérimentées, alors que les autres activités de loisirs, liées au sport et au spectacle, ne sont pas traitées.
Le titre de cet ouvrage Jeux et jouets à travers les âges. Histoire et règles de jeux égyptiens, antiques et médiévaux est équivoque. Ce livre ne traite pas que des jeux de l’Égypte ancienne, gréco-romaine et médiévale, même si la photographie de la couverture paraît adaptée à cet intitulé a priori : ces pièces de jeux ont été mises au jour au Danemark, mais des artefacts similaires, décorés de cercles concentriques, sont attestés en Égypte (pharaonique et copte). Dans l’introduction, l’A. ne donne pas les motivations qui l’ont poussée à étudier les distractions dans certaines « aires civilisationnelles » très hétérogènes, si ce n’est qu’elle veut rendre disponibles à tous les règles des jeux qui ont été documentées. Elle ne souhaite ni présenter les passe-temps déjà connus, ni développer leurs conventions (p. 19). Cependant, plusieurs pages sont relatives à ces divertissements encore en vogue de nos jours (jeu d’échecs, p. 115-118 ; jeu de l’oie, p. 152 ; jeu de dames, p. 156). La véracité scientifique de certaines règles proposées pour les jeux anciens peut être mise en doute. Les principes semblent résulter d’un raisonnement par analogie (soit une adaptation des règles des jeux actuels aux artefacts anciens et la formulation d’hypothèses de jeu, dont les variantes peuvent se multiplier ; les règles s’adaptaient-elle au temps libre dont disposait chaque joueur ? Cf. les boîtes de jeu réversibles, p. 57). Alors que les conventions de jeu sont tout au plus partiellement connues, notre vision de l’ensemble des passe-temps est réduite au matériel qui a été découvert. Si certaines dénominations désignent un territoire et une période relativement définis (Égypte ancienne, Proche-Orient), d’autres termes sont trop génériques et prêtent à confusion, comme l’appellation « monde nordique » (p. 162 : une justification de son emploi aurait été souhaitable) : désigne-t-elle les « Barbares », soit les populations étrangères aux civilisations grecque et romaine, qui ont peuplé l’Allemagne, la Scandinavie, les îles britanniques et même l’Islande ? En outre les limites chronologiques annoncées dans le titre ne sont pas respectées : certains artefacts datent de la période de formation des premiers États (en Égypte et au Proche-Orient) et d’autres, de l’époque moderne (en Europe).
Dans un prélude, l’origine et le rôle social du jeu sont évoqués, comme la difficulté à différencier les pièces liées à la divination et celles en rapport avec le jeu, ou encore la conservation exceptionnelle de certains artefacts, alors que les matériaux employés dans leur fabrication sont périssables (cuir, bois, etc.). La prédilection pour la terre cuite, le bois et l’os ou l’ivoire dans l’exécution des artefacts, en raison de la malléabilité de ces matériaux, doit être notée. L’A. souligne que les poupées ne doivent pas toutes entrer dans la catégorie « jouet ». Sur les figurines en terre cuite (anthropomorphes et zoomorphes), qui ne doivent pas être interprétées indubitablement comme des jouets (voir p. 184, la prudence de l’A., p. 196 avec les mentions « jouet (?) »), étant donné que des exemplaires similaires ont été retrouvés à la fois dans des tombes d’enfants et dans des tombes d’adultes, on peut se référer aux articles du volume Anthropozoologica 38, paru en 2003, sur les « figures animales des mondes anciens ». L’A. propose ensuite une classification des jeux et des joueurs : dans les jeux de hasard (qui requièrent l’utilisation du tirage au sort), les joueurs sont concurrents, alors que dans les jeux de réflexion et de stratégie, les joueurs sont adversaires ; enfin, les jeux d’adresse font appel à l’habileté des joueurs. En outre, les jeux sont destinés à différents publics (jeux ludiques et récréatifs pour les enfants, qui jouent aussi aux jeux de stratégie des adultes).
L’A. se défend d’établir une quelconque comparaison entre les jeux les plus anciens et ceux qui sont encore en usage aujourd’hui (p. 23). Cependant le jeu représente une constante culturelle et son universalité, mettant en exergue son caractère fondamental dans chaque société, influence sa diversification. Il peut être employé à des fins pédagogiques et même thérapeutiques de nos jours (plaisir de jouer) ; sa pratique est d’ailleurs essentielle au développement cognitif de l’enfant et au processus de sa socialisation (p. 190). L’existence du jeu des osselets et l’utilisation de dés, de toupies et de hochets, sont attestées dans tous les « mondes » cités par l’A., comme les jeux à plateau et à pions, depuis les époques les plus anciennes jusqu’à nos jours. La présence de jeux similaires dans les différentes « aires civilisationnelles » témoigne d’échanges, voire de transferts culturels, qui se sont sans doute développés par l’intermédiaire des principales voies commerciales (sel, soie, épices, etc…). L’aire de diffusion d’un jeu permet de mieux rendre compte de son origine, si elle n’est pas connue. Par exemple, la parenté du jeu d’échecs et du backgammon, mentionnés pour la première fois au VIe siècle dans l’Empire des Sassanides, avec des jeux traditionnels à plateau découverts dans la Mésopotamie ancienne, a été établie (lire : A.C. Gunter, « Art from Wisdom : the Invention of Chess and Backgammon », Asian Art 4/1, 1991, Oxford, p. 7-21). Les matériaux employés dans la fabrication de quelques jeux et jouets confirment les échanges de matières premières et sont révélateurs du prestige des familles détentrices de ces objets (ébène, p. 47 ; cristal de roche, p. 110 ; argent, p. 104, 110, 192).
Certains jeux, et notamment ceux nécessitant un plateau, sont l’apanage de la famille royale et de son entourage (p. 188), ou de personnes de pouvoir, en particulier aux époques médiévale et moderne (l’A. évoque ce point, p. 110), mais le phénomène ne se limite pas à l’Europe, ni à la période médiévale et post-médiévale. Le raffinement de certaines pièces (qualité de façonnage, matériaux employés) en font de véritables œuvres d’art (jeux de stratégie en particulier, p. 115). Cette valeur particulière attribuée à des éléments dédiés au divertissement, indique le rôle social spécifique du jeu. Factice, il correspond à une simulation de la réalité (le terme « massacre » est employé pour une combinaison de coups stratégiques, p. 116). Ainsi, la pratique des jeux de plateau – on remarque une large diffusion du jeu d’échecs dans les sphères du pouvoir – permet de maintenir virtuellement l’équilibre des forces au pouvoir (mise en péril d’un royaume, p. 115-116) et reflète la hiérarchie de la société (la capture du roi, comme but du jeu des échecs, de la table du roi [hnefatafl] et de ses variantes dans le « monde nordique », p. 164 et suivantes). Les pièces de jeu représentent d’ailleurs les figures de la noblesse (roi, reine ou vizir, évêques, cavaliers), soutenues par le peuple « soldat » (p. 165 ; cf. aussi les cartes, p. 157). Associé à la vie quotidienne, le jeu est aussi incorporé à la tombe du défunt (pièce de mobilier, objet votif ou représentation funéraire). On précisera que le pion (?), p. 43, n’a pas été découvert dans la tombe du roi Djer à Abydos en Égypte, mais dans une tombe annexe du complexe funéraire de ce souverain ; de plus, des traces montrent qu’il a réellement été manipulé et porté en amulette (lire : E.R. Russmann éd., Eternal Egypt. Masterworks of Ancient Art from the British Museum, catalogue d’exposition, Londres-New York, 2001, p. 68-69).
Les thématiques politico-religieuses employées dans le cadre des jeux et jouets font appel à une herméneutique qui nous échappe partiellement et qui donnait du sens aux éléments du jeu et à la partie. Ainsi, le jeu, polyvalent, est toujours source d’enjeu(x) et le divertissement (pour adultes) n’est jamais gratuit. Il peut provoquer des comportements causeurs de troubles chez certains individus (de la simple tricherie au meurtre). La connotation religieuse et mythologique des jeux et jouets met parfois en exergue leur dimension eschatologique. Si les jeux de hasard sont interdits par l’Église (p. 114 et iconographie d’un jeu de plateau dans les Carmina Burana, p. 120), l’iconographie des pièces de jeu révèle leur efficience (signes hiéroglyphiques sur un plateau, p. 32-33, 54-55 ; thèmes bibliques sur des pions, p. 118, 121). Le sort des concurrents est lié à la succession des coups et à l’arrêt des pions sur certaines cases, tantôt au bénéfice du joueur (rôle de messager des anges : p. 153 ; chance : p. 61 ; paradis), tantôt à ses dépens (sanctions comme la mort, p. 153 ; fossés, prison/enfer). Un seul lancer de dé (le dé est aussi utilisé dans la divination, p. 107) peut faire basculer le destin du joueur (comme le défunt qui « joue » son passage dans l’Au-delà en Égypte ancienne, jeu du Sénet, p. 30, 54) et les références astrologiques (pion p. 121 ; jeux astrologiques pratiqués au Proche-Orient ancien), sont sans doute en rapport avec l’influence des corps célestes sur le destin du joueur, laquelle pondère les aléas du hasard. Si le bestiaire revêt un rôle magique au Moyen Âge (les animaux représentent les intermédiaires entre les hommes et les divinités : p. 51, p. 161 ; jeu de tarot, p. 160), il est employé à toutes les périodes et sur tous les supports (incluant les divinités zoomorphes, l’expression animale des divinités, ainsi que les animaux humanisés dans la satire) : nom ou forme générale du jeu (jeu du renard et des poules, p. 146 ; jeu du serpent, p. 35-39, 153), présence dans les cases du jeu (cases de jeu, p. 152 et 154) ou sur les pions (animaux fantastiques, p. 121, 133 et 162) et formes de ces pièces de jeu (singes ou lions couchés ou faciès d’un animal, p. 51 ; tête des bâtonnets du jeu du chien et du chacal, p. 45, 47), ou encore des jouets (hochets prenant la forme d’animaux, animaux sur roulettes ou animés, p. 199).
Si la majeure partie des pièces présentées, à l’aide de photographies en couleur intégrées au texte, est conservée au British Museum à Londres et au musée du Louvre à Paris, les collections des musées provinciaux ont également été consultées, comme celles des musées installés dans les capitales et les grandes villes européennes et internationales. Il faut saluer la mise en valeur des artefacts gallo-romains ou médiévaux conservés dans de petites collections de Wallonie (p. 16, 36, 76, 80-81, 88, 95-96, 101, 106, 109, 119, 136, 138, 152, 160-161, 192, 202, 206, 208-209, d’où probablement, la mention en quatrième de couverture, qui insiste sur cette source : « (jeux et jouets) conservés dans des musées européens et belges »). On regrette l’absence d’artefacts pour les « jeux et jouets du Moyen Âge », alors qu’ils existent (p. 188). Un grand nombre d’approximations (manque de délimitations chronologiques, géographiques, etc.), perceptibles dans l’emploi de nombreux termes équivoques et dans la mise en exergue des règles de jeu, hypothétiques, nuit à l’attractivité de cet ouvrage. La présentation dans chaque « monde » d’une succession d’objets similaires favorise les redites.
Il est envisageable, à l’aune de ces considérations, de créer trois catégories de jeux et jouets. La première regroupe les jeux et jouets qui sont surtout destinés à l’éveil des enfants en bas-âge (hochets, toupies, pantins), mais aussi au développement des enfants plus grands (figurines animales et poupées, souvent articulées, ainsi que les pièces miniaturisées qui leur sont associées : panoplie de vêtements, bijoux, meubles, dînettes, p. 18). La deuxième rassemble les jeux de plateau et d’adresse destinés à tout public, même si certaines règles suggèrent que ces passe-temps ne puissent être pratiqués qu’à l’âge adulte. On distinguera dans cette catégorie les jeux de plateaux des autres jeux d’adresse et de hasard. L’utilisation du raisonnement mathématique s’exprime dans les formes géométriques et la division spatiale de la table de jeu (spirale du jeu de l’oie et du jeu du serpent ; damiers ; cases [emploi de pions] ou trous [emploi de bâtonnets]), mais aussi dans le recours à des procédés codifiés visant à créer le parcours (calculs, nombre de pions, formes et couleurs de ceux-ci, emploi de dés à 6 faces ou plus). Parmi ces jeux de parcours figurent le jeu des 58 trous ou jeu du chien et du chacal dans l’Égypte pharaonique et copte, le jeu du sénet à 30 cases, le jeu à 20 cases ou jeu royal d’Ur (NB : la description du jeu sur une tablette cunéiforme, p. 61, est relative au jeu d’Ur, qui correspond au jeu des 20 cases égyptien), mais aussi le jeu de l’oie (p. 152) ou le jeu du serpent (p. 40 et p. 154). Le duodécim scripta ou le jeu « des tables » (époque romaine, p. 87, p. 96), le trictrac, le reventier (et leurs variantes), comme le backgammon ou le jacquet, se jouent avec un même plateau (p. 119, p. 135, p. 162 : tafl). Il faut mentionner l’existence du jeu de la marelle/des mérelles depuis l’époque romaine (p. 99, p. 140). Dans les jeux de stratégie, qui font appel à des compétences particulières et à l’habileté des joueurs, il s’agit d’éliminer les pions de son adversaire : petteia grecs (p. 70), latrunculi romains (p. 79-80), jeu de dames (p. 156), jeu d’échecs (échiquier à quatre joueurs, p. 117). Les jeux de cartes, attestés à partir du Moyen Âge, font également partie des jeux d’adresse et de hasard, comme les osselets ou astragales (jouets, p. 209-211) qui auraient parfois été utilisés en tant que dés (p. 30, 34). Enfin, les bâtonnets de jeu ou les jonchets (on parlerait aujourd’hui du Mikado, p. 34, 213) ne sont pas exclusivement utilisés par les enfants (p. 213), comme les jeux utilisant les billes et les noix, les quilles et enfin, les jeux de balles (p. 218), qui se rapprochent de la catégorie suivante. Enfin, un troisième groupe, qui n’est pas illustré ici, rassemblerait les jeux plutôt réservés aux adultes et en particulier, les jeux sportifs : le saut et la course ; les jeux olympiques (« du jeu à la compétition »), les simulations de combats (scènes des tombes de Béni Hassan en Égypte), les jeux d’exercice (art équestre, art de l’épée, art de la danse, notamment pratiqués à la cour de France et promus par les Académies à la Renaissance).
Sur le thème des jeux sportifs en Égypte ancienne, consulter : W. Decker & M. Herb, Bildatlas zum Sport im Alten Ägypten. Corpus der bildlichen Quellen zu Leibesübungen, Spiel, Jagd, Tanz u. verwandten Themen, Handbuch der Orientalistik, Leyde, 1994 (2 volumes). Sur les jeux d’exercice à la cour de France, lire : S. Vaucelle, L’art de jouer à la cour, Transformation des jeux d’exercice dans l’éducation de la noblesse française au début de l’ère moderne (XIIIe-XVIIe siècle), thèse de doctorat en histoire et civilisations, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2004 ; id., « Les femmes et les « sports » du gentilhomme de l’époque médiévale à l’époque moderne », Le genre du sport, Clio. Histoire, Femmes et Société, 23, éd. du Mirail, Toulouse, 2006, p. 145-163.
L’abondante bibliographie, développée en fin d’ouvrage, mêle références scientifiques et ouvrages de vulgarisation (restituer dans la bibliographie générale : Jean-Marie Lhôte). Les publications suivantes apporteront des précisions très appréciables à cet ouvrage : - J. Masquelier-Loorius, B. Müller, A. Müller, « Jouet », dans Dictionnaire de l’Antiquité, sous la dir. de Jean Leclant, coll. Quadrige, Presses Universitaires de France, 2005 (rééd. 2011), p. 1180-1181. - H. Coulet (éd.), Le Jeu au XVIIIe siècle, Actes du colloque d’Aix-en-Provence, Édisud, 1976 (avec un compte rendu par G. Le Coat dans : Études littéraires, vol. 10, n°1-2, 1977, p. 314-317, http://id.erudit.org/iderudit/500441ar). - S.J. Egan, Celts and Their Games and Pastimes, Celtic Studies 3, Edwin Mellen Press, 2002. - U. Hübner, Spiele und Spielzeug im antiken Palästina, Orbis Biblicus et Orientalis, 121, Fribourg-Göttingen, 1992.
- L. Kurke, « Ancient Greek Board Games and How to Play Them », Classical Philology, 94/3, 1999, p. 247-267. - A. Rieche, Römische Kinder- und Gesellschaftsspiele, Stuttgart, 1984. - H. Whittaker, « Board Games and funerary symbolism in Greek and Roman Contexts », dans : S. des Bouvrie (ed.), Myth and Symbol II : Symbolic phenomena in ancient Greek Culture, Papers of the Norwegian Institute at Athens, 7, 2004, p. 279-302.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |