Reed, Michael F. (ed.): New Voices on Early Medieval Sculpture in Britain and Ireland . iv+85 pages; illustrated throughout. ISBN 9781407308401. £28.00.
(Archaeopress, Oxford 2011)
 
Reviewed by Thomas Creissen, Université François Rabelais de Tours
 
Number of words : 2521 words
Published online 2013-06-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1552
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          Ce volume rassemble diverses contributions portant sur la sculpture du haut Moyen Âge d’Irlande et de Grande-Bretagne. Les auteurs avaient été invités à parler de ce sujet lors d’une conférence organisée en 2007 par M. F. Reed, et ce sont ces interventions qui sont ici rassemblées. L’objectif de cette réunion était, comme l’indique le titre, de permettre à de nouvelles voix de s’exprimer sur ce sujet. Pour l’essentiel, c’est la sculpture produite entre l’arrivée des « envahisseurs » scandinaves et l’établissement du royaume de Guillaume le Conquérant qui est ici évoquée, malgré quelques incursions avant et après cette date.

 

          Le propos introductif revient à l’organisateur, Michael F. Reed (« Approaching pre-Conquest Stone Sculpture : Historiography and Theory », p. 1-12). L’auteur y dresse un bilan historiographique retraçant les grandes étapes de la recherche consacrée à cette question. Il y évoque les principaux enjeux et débats qui ont animé ces études : évolution des interprétations, des datations, identifications des modèles... L’auteur porte également l’accent sur les changements  méthodologiques qui jalonnent cette histoire. Le panorama est ici très complet et permet bien de mesurer la richesse de ce champs d’étude. Toutefois, dans ce bilan introductif, il aurait sans doute été utile d’aborder une question en apparence secondaire : comment les œuvres étudiées ont-elles été reproduites dans les études énumérées, des premières gravures jusqu’aux photographies les plus récentes ? La nécessité d’une telle approche n’est certes pas évidente, mais elle aurait peut-être permis d’éviter l’un des principaux défauts de cet ouvrage : à de rares exceptions près, les illustrations y sont d’une médiocrité absolue. Certes, le coût inhérent aux reproductions est largement responsable de cet état de fait. Il est évident que les auteurs auraient immanquablement souhaité autre chose. Mais il n’empêche : la mauvaise qualité des reproductions est ici d’autant plus gênante qu’elle empêche d’apprécier la validité des nombreux rapprochements stylistiques/formels opérés ou, tout simplement, de prendre connaissance des œuvres évoquées. Ces reproductions sont d’ailleurs si mauvaises que le choix opéré par Heather Rawlin-Cushing dans sa contribution est peut-être le plus sage : elle y a pris le parti de ne faire figurer aucune reproduction des différentes œuvres évoquées dans le corps du texte...

 

          Pourquoi mettre l’accent sur ce qui, somme toute, pourrait paraître secondaire ? Parce que ce « détail » est en fait emblématique de la manière dont est conçu ce volume. Non pas une réflexion d’ensemble sur cette production sculptée à l’adresse d’un public généraliste, mais plutôt une compilation d’études très pointues destinées à un cercle de très bons connaisseurs. Bref, si le titre comme l’introduction donnent l’illusion d’un ouvrage de portée très générale, cela n’est absolument pas le cas. Les différentes contributions sont d’un intérêt très variable.

 

          Nicole M. Kleinsmith se focalise sur certains motifs présents dans la sculpture du nord de l’Angleterre et de la Bourgogne au cours des Xe-XIIe siècles (« Another Perspective on the Origins and Symbolic Interpretations of Animals in Early Medieval Sculpture in Northern England and French Burgundy », p. 13-31). La cohérence de l’aire géographique retenue n’est pas franchement évidente, mais ce choix se justifierait par la présence, dans ces deux régions, de motifs « ornementaux » identiques. Or, l’auteur s’efforce de démontrer que certains, loin d’être simplement décoratifs, ont un sens bien réel. Ainsi en serait-il du thème de l’homme vert – ou homme sauvage –, de celui du sanglier, des oies, ou bien encore de l’ours, représenté dans différentes attitudes. Ces éléments feraient référence à certaines croyances païennes, paganisme dont la survivance est par ailleurs bien documentée par les sources textuelles de cette période. Ils attesteraient alors le maintien partiel de la vieille religion celte. La présence d’un lieu de mémoire « celte » aussi important que Bibracte pourrait justifier cet état de fait dans le cas de la Bourgogne... Reconnaissons-le, l’hypothèse peine à convaincre. De même, l’interprétation proposée de la présence de ces références aux croyances celtes dans des œuvres chrétiennes semble difficile à suivre. Cette résurgence serait pour partie liée aux nouvelles vagues d’invasions qui ponctuent les IXe et Xe siècles : les saints chrétiens ayant été incapables de protéger les populations, celles-ci seraient revenues à leurs anciennes croyances. Puis, quand l’Église réussit finalement à réaffirmer son autorité, plutôt que de rejeter directement ces superstitions, elle aurait décidé de se les approprier. Bref, l’émergence de cet art syncrétique où se mêlent images chrétiennes et symboles païens serait l’expression d’une habile politique de reconquête des esprits organisée par l’Église. Dans les édifices cultuels, ces images auraient pu être glosées par les clercs pour leur conférer une lecture chrétienne. Dans le cas d’une œuvre privée à vocation funéraire, l’analyse proposée diverge. En se fondant sur un exemple provenant de Stonegrave, Nicole M. Kleinsmith estime que la présence d’éléments tels qu’un ours ou une oie témoigne des croyances pour partie païennes du commanditaire, d’une initiative individuelle. Mais leur existence serait la preuve que l’Église permettait aux rustici d’exprimer leur attachement aux anciennes religions, car une telle œuvre destinée à un cimetière chrétien n’aurait pu être réalisée sans l’aval du clergé. Mais doit-on réellement croire que l’Église supervise ou cautionne la réalisation de toute œuvre d’art à cette époque ? Et peut-on raisonnablement envisager que ces monuments funéraires sculptés étaient destinés aux rustici ? Tout cela paraît bien difficile à admettre et l’ensemble de cette contribution paraît bien fragile. Si le propos peut paraître nouveau dans le détail, ce travail s’inscrit par ailleurs dans la continuité d’une longue tradition de publications qui visent à démonter l’ancrage séculaire des croyances païennes au sein du peuple, mais aussi à donner des clés d’interprétation univoques à la symbolique médiévale.

 

          La contribution suivante, de Zoé L. Devlin, est sans doute moins ambitieuse mais plus convaincante (« Putting Memory in its place : Sculpture, Cemetery Topography and Commemoration », p. 32-41). L’auteur y envisage les monuments funéraires sculptés non pas uniquement comme des œuvres d’art, mais comme des témoignages historiques et « sociologiques ». Plutôt que de chercher à mettre en évidence la culture artistique des personnes qui les ont réalisés, elle s’interroge sur la fonction sociale de ces éléments à travers deux études de cas. À Lincoln, dans le cimetière de St Mark’s, 18 fragments de monuments sculptés ont été retrouvés au sein d’une nécropole de dimension moyenne. Cette rareté souligne bien cette évidence : ces monuments sont réservés à une petite frange de la population. Ils sont bien évidemment l’expression du haut statut social du défunt. Mais l’auteur insiste également sur le fait que la présence de ces éléments prolonge la durée de vie des tombes : estimée à une trentaine d’années pour celles qui étaient surmontées d’un simple monticule de terre, elle aurait pu atteindre un à deux siècles grâce à la présence de ces éléments distinctifs. Partant, le prestige de la tombe pouvait bénéficier aux descendants du défunt : les vivants justifiaient leur haute position sociale par celle de leur ancêtre. Le monument ne s’inscrit donc pas uniquement dans le cadre d’une commande individuelle, mais bien dans une logique lignagère. Ce cimetière est également l’occasion de souligner la diversité des questions que peut susciter l’étude de tels sites : au cours du XIIIe, une église est construite au sein du cimetière, dont les fondations remploient plusieurs dalles funéraires, et qui recoupe certaines tombes. Ceci semble alors indiquer que la mémoire de ces défunts a disparu. Mais dans le même temps, d’autres tombes sont désormais protégées à l’intérieur de l’écrin monumental que constitue le lieu de culte : on peut alors se demander si ce n’est pas la famille de l’un des ces défunts qui est à l’origine de la construction de l’église, d’autant plus que des logiques d’organisation paraissent s’affirmer. Il est en fait possible d’envisager l’existence de sortes de concessions familiales au sein du cimetière antérieur, et c’est peut-être l’une d’elles qui aurait été ainsi mise en valeur.

 

          L’étude du second site, celui de Raunds Furnells, va d’ailleurs dans le sens de l’existence d’espaces funéraires bien organisés. D’emblée, des cheminements semblent ici aménagés, les tombes sont dans l’ensemble bien alignées le long de ceux-ci, et les recoupements sont rares. Là-encore, la rareté des monuments en pierre permet d’y reconnaître un type de monument réservé à une petite élite. Enfin, un monument plus développé que les autres pourrait appartenir au fondateur du site, peut-être le propriétaire du manoir voisin. En définitive, c’est bien la fonction de ces monuments dans la société du Moyen Âge central qui est ici abordée. Si le propos n’est certes pas révolutionnaire, les questions posées demeurent toutefois intéressantes.

 

          Victoria Whitworth consacre ensuite une étude monographique à la croix de St Mary Castlegate, à York (« A Cross-head from St Mary Castlegate, York, and its Affiliations », p. 42- 47). Plusieurs fragments d’une croix monumentale ont été retrouvés à l’occasion de la fouille de cette église. Sur cette croix, des inscriptions sont présentes, certaines indiquant les noms des donateurs, ici d’origine scandinave. L’ensemble porte également un riche décor associant motifs symboliques et figuratifs dont l’auteur s’efforce d’interpréter l’iconographie, invoquant pour cela quelques témoignages textuels, bibliques ou non. Mais Victoria Withworth cherche surtout à montrer que, si cette croix a souvent été présentée comme une œuvre unique, elle s’apparente en réalité à des réalisations connues en Irlande ou en Écosse (dont on ne peut malheureusement voir aucune reproduction...). Elle s’intéresse alors à la circulation des modèles artistiques au cours de la période de la domination scandinave et s’efforce de souligner le maintien des contacts entre les différentes parties des îles britanniques au cours de cette période de troubles.

 

          L’étude de Heather Rawlin-Cushing est là encore essentiellement monographique (« Commemoration at York : the Significance of Minster 42, « Costaun’s » Grave-Cover », p. 48-56). Elle se focalise sur une pierre tombale retrouvée lors de la fouille du bras sud du transept de la cathédrale post-conquête normande de York. Au sein d’un ensemble de pierres ornées de différents motifs, celle-ci se distingue par le fait qu’elle porte un groupe d’inscriptions. Il s’agit en fait d’un élément de sarcophage antique découpé, dont l’épitaphe funéraire est encore visible. Au-dessus de cette dernière, un second texte a été gravé par la suite, perpendiculaire au premier. Lui aussi est à vocation funéraire et il livre probablement le nom du défunt, COSTAVN. Si l’appartenance de l’œuvre à la phase pré-normande est évidente, sa chronologie de détail est plus difficile à assurer. L’auteur cherche à savoir si la pierre et son nouveau texte doivent être rattachés à la période de domination scandinave sur la ville (867/954), ou plutôt à celle de sa « libération ». Il semble toutefois que les données matérielles ne permettent pas de trancher définitivement. Il est par contre clair que la présence des inscriptions prend une valeur particulière : elle permet de marquer la haute position du défunt à une époque où l’écrit avait fortement reculé. Même pour un illettré, la présence de ces textes constituait indéniablement un élément de prestige, tout au moins de distinction. Dans cette logique, la présence de l’inscription latine renforcerait la portée du message. Ce choix pourrait  manifester une volonté de se démarquer des occupants scandinaves, mais aussi de s’inscrire dans la continuité de la tradition latine de la ville. Le nom même du défunt pourrait faite référence à l’empereur Constance, mort à York en 306, mais aussi à celui de Constantin, dont le rôle dans la promotion du christianisme était bien connu. Là encore, ces « revendications » prendraient tout leur sens dans le cadre de la domination scandinave. Des logiques de distinction apparentées se retrouveraient pour quelques autres des rares pierres inscrites de cette période retrouvées dans la région, pierres qui sont ici analysées.

 

          En plus de cet élément, d’autres dalles sculptées proviennent du cimetière de York. Leur décor témoigne d’un syncrétisme entre formes locales et motifs d’origine scandinave. Certes, la chronologie exacte de cet ensemble de pierres sculptées n’est pas claire (la pierre inscrite pourrait être plus jeune) ; mais une fois l’ensemble réuni, il pourrait donner une bonne idée du « multiculturalisme » qui prévalait alors à cette époque dans la région.

 

          La validité des hypothèses et analyses proposées dans cette étude peut difficilement être démontrée, mais elles n’en demeurent pas moins assez séduisantes, stimulantes. Il faut toutefois relever qu’elles sont fondées sur un corps bien maigre. Eu égard à la faible consistance de ce dernier, on regrettera davantage l’absence de toute illustration : quelques photographies auraient probablement suffi à se faire une bonne idée de l’ensemble.

 

          Dans la contribution suivante, Malcolm Thurby revient à des considérations générales (« Aspects of the Anglo-Saxon Tradition in Architectural Sculpture and Articulation : the « Overlap » and Beyond », p. 57-69). Il s’intéresse à l’évolution de la sculpture entre la fin de la période anglo-saxonne et l’établissement du pouvoir normand. Pour cela, il revient sur un corpus d’oeuvres qu’il se propose d’analyser en adoptant une approche globale : l’étude des sculptures elles-mêmes, mais aussi la prise en compte de leur place au sein des édifices cultuels. Toutefois, si une telle volonté est revendiquée dans l’introduction, force est de constater que l’analyse du contexte architectural reste en réalité bien sommaire :  ceci s’explique probablement par le faible nombre de pages accordées à cette publication. Chaque étude de cas – huit au total, plus ou moins complètes – est articulée de la même manière : présentation rapide de l’état de la recherche, rapprochements formels et évocation du contexte architectural, puis datation, l’ensemble étant éventuellement assorti de considérations historiques. Une fois encore, on ne peut que déplorer la mauvaise qualité des reproductions qui empêchent de se faire une bonne idée de la nature des œuvres évoquées et rendent inopérantes les propositions de comparaisons. Par ailleurs, s’il est intéressant, le panorama dressé reste franchement bien succinct.

 

          La dernière contribution est très technique (O. Murphy, « Laser Scanning of the Inscribed Hiberno-Romanesque Arch at Monaincha, Co. Tipperary, Ireland », p. 70-74). Orla Murphy y présente rapidement les possibilités offertes par l’utilisation d’un Scanner 3d à travers l’exemple du relevé du portail de l’église de Monaincha, en Irlande. Les techniques ayant considérablement évolué depuis ces premières applications, l’ensemble apparaît toutefois largement obsolète et une fois encore la piètre qualité des reproductions ne peut qu’être relevée.

 

 

           En définitive, on l’aura compris, si cet ouvrage permet d’entr’apercevoir la richesse de la production sculptée des îles britanniques au cours du haut Moyen Âge, il n’en donne qu’une vision très superficielle. Certes, la lecture des différentes contributions permet de bien mesurer les chamboulements mais aussi les enrichissements liés à l’arrivée de nouvelles classes dirigeantes, mais le propos reste malheureusement trop souvent cantonné à de modestes études de cas.

 

 

 

SOMMAIRE

 

Michael F. Reed, Approaching pre-Conquest Stone Sculpture : Historiography and Theory , p. 1-12

 

Nicole M. Kleinsmith, Another Perspective on the Origins and Symbolic Interpretations of Animals in Early Medieval Sculpture in Northern England and French Burgundy, p. 13-31

 

Zoé L. Devlin, Putting Memory in its place : Sculpture, Cemetery Topography and Commemoration », p. 32-41

 

Victoria Whitworth, A Cross-head from St Mary Castlegate, York, and its Affiliations , p. 42- 47

 

Malcolm Thurby, Aspects of the Anglo-Saxon Tradition in Architectural Sculpture and Articulation : the « Overlap » and Beyond, p. 57-69 

 

O. Murphy, Laser Scanning of the Inscribed Hiberno-Romanesque Arch at Monaincha, Co. Tipperary, Ireland , p. 70-74