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Compte rendu par Pascale Cugy, Université Paris-Sorbonne Nombre de mots : 3912 mots Publié en ligne le 2012-01-31 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1555 Lien pour commander ce livre
La publication sous le titre Se vêtir à la cour en Europe (1400-1815) des actes du colloque de juin 2009, qui s’était tenu dans le cadre du programme de recherche Veticour dirigé par Isabelle Paresys, vient d’une certaine manière s’inscrire dans le prolongement des récentes publications du Centre de recherche du Château de Versailles consacrées à la culture du corps à la cour (Cultures de cour, cultures du corps, 2011), études sur les modes de vie et l’entourage matériel des souverains et courtisans, que l’ouvrage complète en s’intéressant à l’aspect particulier de ce domaine que constitue le vêtement, signe visuel qui concerne évidemment la construction et la mise en valeur du corps qui le porte.
Se vêtir à la cour s’inscrit dans une actualité scientifique riche, qui vient combler des décennies de désintérêt ; outre l’exposition Fastes de cour et cérémonies royales, le costume de cour en Europe, 1650-1800 à laquelle le colloque était adossé et qui s’intéressait à la question des « habits de cour », de nombreux autres événements et publications ont en effet récemment témoigné de l’intérêt envers l’histoire des apparences, dans le prolongement des recherches de Daniel Roche, Georges Vigarello ou Philip Mansel, comme le montrent les nombreuses références bibliographiques, récentes ou sous presse, mentionnées dans l’ouvrage, mais aussi les journées d’études organisées cette année à l’INHA (La Mode : objet d’étude ?) dans le cadre de l’axe de recherche « L’art par-delà les beaux-arts », en partie consacré à l’histoire de la mode, nouvellement créé.
Comme le soulignent les auteurs dans l’introduction, les travaux sur les apparences vestimentaires touchent une grande variété de domaines et ne sauraient être cantonnés à une discipline, ce qui explique l’éclatement des études qui les concernent, émanant de chercheurs d’horizons différents que l’ouvrage a le grand mérite de rassembler. Longtemps dominées par l’histoire du costume, qui ne saurait prendre en compte bien des éléments à considérer pour leur faire prendre vie, les recherches sur le vêtement et les apparences relèvent en effet à la fois de l’histoire – politique, culturelle comme économique –, de l’histoire de l’art, de l’anthropologie ou plus encore des court studies qui se sont développées durant les dernières décennies. Elles concernent des objets dont les témoignages concrets sont extrêmement rares et souvent problématiques – leur conservation étant en effet la plupart du temps liée à leur caractère exceptionnel qui empêche de les considérer comme des éléments représentatifs – pour lesquels les questions de vocabulaire sont encore loin d’être résolues. Isabelle Paresys et Natacha Coquery choisissent d’ailleurs de trancher l’un de ces problèmes en optant pour le terme de « vêtement » plutôt que de « costume », ce qui explique le choix du titre finalement retenu pour les actes d’un colloque qui s’intitulait quant à lui « Cultures matérielles, cultures visuelles du costume dans les cours européennes (1400-1815) ».
L’ouvrage refond entièrement le programme du colloque, dont il reprend cependant la plupart des communications, réparties en quatre sections, dont trois concernent directement la période historique évoquée, tandis que la dernière se rapporte à une certaine actualité de l’habit de cour, celle du spectacle et du cinéma : « L’habit de cour en politique », « Choix vestimentaires et garde-robes royales », « L’habit de cour et la mode » et « L’autre scène de l’habit de cour : cinéma, théâtre, podium ». Le livre regroupe ainsi des études centrées sur le vêtement à la cour, composante essentielle de la culture matérielle et visuelle des princes et des courtisans, effectuant le choix de se concentrer sur un monde extrêmement minoritaire et élitiste ; il s’attache à un objet très particulier, sur lequel la mode n’est pas la seule à avoir une influence. La précision du sujet est remise en perspective par le choix de l’espace géographique européen – du Portugal à la Hongrie, en passant par l’Angleterre, l’Allemagne et la France – ainsi que d’une échelle chronologique très large, puisqu’elle s’étend de la fin du Moyen Âge jusqu’au Premier Empire. Si la circulation entre les cours, unies par les alliances matrimoniales et politiques, est largement évoquée, il n’est donc question qu’à la périphérie du phénomène de diffusion hors des cours – visible notamment par le biais des devises étudiées par Olga Vassilieva-Codognet, qui sont adoptées avec une gradation dans la qualité des matériaux par le souverain puis les gens de son entourage et ses sujets – et des interactions entre la cour et la ville – par exemple grâce au monde des marchands, richement décrit par Corinne Thépaud-Cabasset –, qui ne sont pas l’objet de l’ouvrage et mériteraient des études séparées.
Le vêtement et la politique
En se concentrant sur les cours, lieux de paraître mais aussi de pouvoir, qui conservent ces rôles avec des modalités différentes tout au long de la période étudiée, l’ouvrage met évidemment en valeur le rôle politique du vêtement ; un grand nombre de communications s’attachent en effet à montrer à quel point le choix des vêtements portés par le prince comme par les courtisans, qu’ils tentent de le suivre ou de s’en démarquer, est tout sauf anodin. La constitution de la Garde-robe apparaît ainsi comme un enjeu crucial pour le pouvoir ; le vêtement participe pleinement du jeu social et contribue à former – pour ses contemporains comme pour leurs successeurs – l’image d’un souverain. Il constitue une arme politique forte, susceptible de jouer sur les terrains de la légitimité historique comme de l’économie et se définit, tout autant que l’uniforme militaire, comme un puissant moyen de propagande, « fait pour impressionner ou pour gagner les cœurs », selon la formule de Philip Mansel.
Sophie Jolivet, en s’appuyant notamment sur les recherches de Michel Pastoureau sur la symbolique des couleurs et sur la conception médiévale très visuelle de l’apparence, revient ainsi sur la constitution de l’image de Philippe le Bon (1419-1467), duc de Bourgogne vêtu d’un noir somptueusement décliné au sein d’un vestiaire qu’elle met habilement en rapport avec les alliances stratégiques et les rapprochements du souverain. Philip Mansel évoque quant à lui la direction vestimentaire imposée par Napoléon Bonaparte à l’Empire. En remettant en avant « l’habit habillé » dans un contexte européen où règne désormais l’uniforme et en souhaitant être accompagné d’une pompe « inimitable », l’empereur témoigne de sa compréhension de l’importance de l’habit comme outil politique ; celui-ci lui permet de redéfinir, après la Révolution, une cour fastueuse et dépensière, qui met en avant la continuité historique et offre des débouchés à l’industrie lyonnaise de la soie. Le rôle politique du vêtement, porteur de signes distinctifs, est également développé dans l’étude des devises menée par Olga Vassilieva-Codognet. Celle-ci montre l’importance de ces objets porteurs du « projet personnel » de l’individu qui viennent compléter l’héraldique et sont diffusés sur de nombreux supports, parmi lesquels le vêtement. Il est également présent dans la contribution de Maria Hayward concernant Charles II d’Angleterre, souverain longtemps sans royaume qui, de retour d’exil en 1660, chercha à asseoir sa légitimité en s’inspirant du passé et de la tradition pour son apparence et souhaita, tout en étant profondément influencé par les modes étrangères, affirmer et promouvoir un style « anglais » dont la veste serait le symbole. La contribution d’Hannah Greig offre quant à elle une analyse extrêmement intéressante des écrits du XVIIIe siècle – The Morning Chronicle, The Gentleman’s Magazine, The Times ou The Public Advertiser mais aussi correspondances privées – en se concentrant sur l’étude des réactions des courtisans face aux vêtements portés par les différents acteurs de la cour anglaise, réputée pour son archaïsme en matière d’habit. Faisant appel à un large éventail de textes, elle met en valeur l’importance de l’apparence au sein d’un monde ultra-codifié dans lequel le vêtement se fait signe de loyauté ou de désaccord et occupe une place de premier plan, immédiatement signifiante pour l’œil averti, dans le jeu des partis.
Galerie de portraits
En grande majorité monographiques, les communications regroupées dans le volume constituent autant d’études de personnages qui forment une véritable galerie de portraits de personnalités préoccupées par leur apparence, dont elles font de manière plus ou moins affirmée une affaire d’état. Si elle peut donner une impression de défilé répétitif de personnages qui, pour beaucoup, se vantent de ne jamais porter deux fois le même vêtement et réalisent des dépenses considérables pouvant représenter plus de 315 fois le salaire annuel d’un galopin de cuisine, cette galerie de personnages historiques a le grand mérite de déplacer l’étude du vêtement au-delà des grandes figures habituellement évoquées, comme Louis XIV – dont il est surtout question comme figurant de cinéma, dans la contribution de Sylvie Perault – ou Marie-Antoinette – évoquée à travers ses nombreux avatars cinématographiques par Nicole Foucher-Janin – pour offrir un voyage riche en découvertes au sein des cours européennes en faisant souvent pénétrer concrètement dans l’intimité des garde-robes. Sont ainsi finement présentés Isabelle de Portugal (María José Redondo Cantera), Rodolphe II (Milena Hajná), Henri II et Catherine de Médicis (Isabelle Paresys), Charles II (Maria Hayward), la comtesse d’Artois (Pascale Gorguet Ballesteros), Marie-Louise de Parme (Pilar Benito García) ou Joséphine de Beauharnais (Susan L. Siegfried). La diversité des approches, menées par des spécialistes issus de disciplines différentes – histoire, histoire de l’art, lettres classiques, ethnologie et anthropologie notamment –, enrichit évidemment le questionnement tout en faisant ressortir la préoccupation commune pour le vêtement comme élément d’affirmation de sa politique et de soi.
Ce sont justement ces différentes méthodes qui permettent de développer de manière souvent novatrice les questionnements relatifs au vêtement. L’ouvrage met en effet en avant le problème des sources et s’attache à proposer de nouvelles approches de celles-ci, qui viennent compléter ou remettre en question les habituelles constructions réalisées à partir de l’iconographie officielle et des rares pièces d’habillement conservées.
Archives et garde-robes
Face à des garde-robes en immense majorité disparues, les historiens ne disposent que de peu d’éléments pour recomposer l’apparence des souverains ; la tendance à plébisciter les portraits royaux – principalement sous la forme de peintures ou de miniatures – dont le genre est extrêmement codifié et souvent très éloigné de la réalité, ne saurait naturellement être une solution satisfaisante tant que ses spécificités ne seront pas prises en compte. L’étude des portraits de Joséphine de Beauharnais par Susan L. Siegfried apporte de nombreux éléments de réflexion à ce sujet en mettant en avant la constitution de l’iconographie impériale et du statut de Joséphine, dont les portraits affichent la modernité tout en se référant à un passé à fort pouvoir symbolique.
Les communications apportent de multiples autres occasions d’aborder les problèmes de l’iconographie et des sources visuelles – qui doivent d’abord être considérées comme des constructions à valeur politique – ; ces problèmes peuvent être en partie résolus par le croisement avec d’autres sources, comme la littérature contemporaine et surtout les archives qui, lorsqu’elles existent, permettent de visiter au plus près les garde-robes et habitudes vestimentaires des cours. Ce croisement minutieux des documents, cette utilisation des archives conduisent les auteurs à tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues. Ainsi de Sophie Jolivet qui, mêlant à l’examen des archives des commandes vestimentaires une étude iconographique et le silence à ce sujet des sources littéraires, parvient à exclure l’hypothèse d’un « noir de deuil » pour Philippe le Bon. De la même manière, en exploitant deux registres de l’Argenterie royale, chargée de la gestion – et donc de l’enregistrement – des dépenses ordinaires « en métaux communs (…) et vêtements » des souverains, Isabelle Paresys parvient à serrer au plus près la réalité concrète des apparences vestimentaires d’Henri II et Catherine de Médicis, largement inapparente dans l’iconographie. Menée pour deux années consécutives, 1556 et 1557, cette étude démontre par exemple que les vêtements de confort, comme les robes du roi, tiennent une place non négligeable dans la garde-robe et font l’objet d’importantes dépenses. Isabelle Paresys fait ainsi apparaître tout un pan du vestiaire royal dont les chroniques et sources diverses – jusqu’à Madame de La Fayette – n’offrent nulle idée, insistant quant à elles exclusivement sur le caractère somptueux de vêtements « d’argent et or, chargés de pierres et perles, dont on loue la splendeur et les mille feux ».
Cosmopolitisme et remises en cause
Les archives, si elles ne parviennent pas toujours, en raison de leur sécheresse ou parce qu’elles envisagent ses différents éléments séparément, à créer une idée du vêtement, renseignent souvent sur son coût, ses matériaux et éventuellement sur sa coupe. Décrivant surtout les habits par leurs matériaux et leurs compléments de garnitures et de rubans, les études du recueil, en exploitant des sources bien souvent inédites, permettent souvent de remettre en cause l’iconographie et les dogmes issus de son analyse, ainsi que d’enrichir les connaissances par des éléments comptables mais aussi visuels. Les couleurs mentionnées par les archives prennent ainsi une place importante dans l’ouvrage, qui permet de bien souvent relire sous un nouveau jour les traditions historiographiques.
Les contributions remettent en cause plusieurs traditions largement répétées par l’histoire du costume, en décrivant – pour le XVIe et le début du XVIIe siècle, supposés soumis à la « mode espagnole » – des garde-robes cosmopolites, au sein d’un milieu où le nationalisme des apparences, s’il est un enjeu véritable, est moins rétif aux ouvertures qu’il n’y paraît au premier abord. L’étude d’Isabelle Paresys décrit ainsi des souverains qui font du vêtement un véritable lieu de rencontres interculturelles, pour lesquels sont conçus des vêtements « à l’espaignolle » mais aussi à l’italienne, à l’anglaise ou à l’allemande, apparemment sans prédilection particulière pour l’une ou l’autre de ces façons. Rodolphe II, qui fut élevé à la cour d’Espagne et garda, une fois empereur, un fort attrait pour son faste et ses traditions, n’hésite pas à mêler aux vêtements espagnols les « dolomen » typiquement hongrois. Isabelle de Portugal (1503-1539), devenue impératrice par son mariage avec Charles Quint, offre quant à elle l’exemple somptueux d’une garde-robe déployant la tradition d’un pouvoir « fondé sur le luxe et la possession ostentatoire de l’exotica », affirmant ses origines au sein de la cour espagnole. Les inventaires de ses vêtements, connus pour les années 1526-1539, déclinent ainsi une extraordinaire collection d’habits évoluant au fil du temps, retaillés en fonction des modes et des besoins, dont les tissus et accessoires s’avèrent « moresques », indiens, italiens, portugais, savoyards, français et même américains puisque l’on y relève des capes à doublure de plumes d’oiseaux exotiques. La question du nationalisme vestimentaire apparaît ainsi au fil des contributions comme une construction subtile, mêlant plusieurs influences, plutôt que comme l’imposition d’un modèle unique.
Le « grand habit » propre à la vie de cour, objet qui demeure encore largement inconnu et suscite de nombreuses interrogations, est quant à lui remis dans son contexte par Pascale Gorguet-Ballesteros, qui le définit, grâce aux « mémoires quittancés » de la comtesse d’Artois, belle-sœur de Marie-Antoinette, comme un habit de grand luxe mais qui n’est finalement que très peu utilisé. La question de l’usage de cet habit très particulier, prescrit par l’étiquette et dont la réalisation nécessite la collaboration de plusieurs métiers spécialisés, oblige à faire le constat d’un port bien moins fréquent que celui des robes, dont l’importance à la cour ne cesse de croître et qui, revêtues dans les circonstances ordinaires, tendent à rivaliser avec le grand habit par la richesse de leurs garnitures et broderies.
Tailleurs, artisans et intermédiaires
Le cosmopolitisme ne touche pas seulement le vêtement et les souverains transplantés en royaume étranger par le pouvoir des alliances ; il concerne également tout le milieu des tailleurs, intermédiaires et artisans que font émerger plusieurs études et qui constituent la cheville ouvrière d’une véritable économie du paraître. Grands voyageurs qui se déplacent avec les souverains, les tailleurs attachés au pouvoir sont ainsi souvent d’origine étrangère, dessinant une population dont la diversité n’a rien à envier à celle des artistes de cour. Rodolphe II et Charles II font ainsi respectivement appel aux services de l’Espagnol Juan Biscaino et du Français Charles Sourceau, tandis que Catherine de Médicis fait notamment appel à un tailleur de Tours, ville célèbre pour son industrie de la soie. Jorge Dìaz, tailleur d’Isabelle de Portugal, est quant à lui « prêté » pour une année par l’impératrice à sa sœur Béatrice, épouse de Charles III de Savoie. Les ambassadeurs dans les pays étrangers ont également, dans ce contexte, un rôle crucial et constituent autant de relais qui alimentent la circulation des usages vestimentaires – ce dont témoignent largement les correspondances. Rodolphe II s’enquiert ainsi auprès de Hans Khevenhüller, son ambassadeur à Madrid, des vêtements à la mode à la cour de Philippe II et le charge de lui faire parvenir échantillons, vêtements complets, boutons et chapeaux.
Au-delà du faste du vêtement, c’est ainsi toute une économie, faite d’échanges et transactions soutenues, qui émerge des archives. Le rôle central de Paris à partir de la fin du XVIIe siècle, engendrant une prééminence de la mode française et un intérêt des élites des cours européennes qui ne sera pas démenti jusqu’au Premier Empire, est au cœur de plusieurs contributions. Corinne Thépaut-Cabasset, en étudiant les archives relatives au mariage de Marie-Anne-Christine de Bavière avec le Grand Dauphin et surtout la correspondance du résident à Paris de l’électeur de Bavière conservée à Munich, met ainsi en évidence la circulation, grâce à des passeports diplomatiques, des modes françaises, acheminées en Bavière sous forme d’habits complets, chaussures, accessoires et agréments. Elle montre la façon dont la Dauphine, en envoyant à son frère les produits français, agit en véritable promotrice des modes parisiennes, dont le renouvellement saisonnier se perçoit à travers la régularité des envois. Un siècle plus tard, Marie-Louise de Parme, princesse des Asturies puis reine d’Espagne, s’approvisionne elle aussi à Paris pour des montants considérables, nourrissant un goût pour la mode qui s’affirme à travers ses représentations et portraits peints.
Ces deux études mettent en avant l’importance des choix des commanditaires, relayés et influencés par des intermédiaires s’appuyant sur un réseau de marchands qui témoigne de l’influence de la « mode » sur l’apparence des différentes cours. Ce choix va jusqu’à imposer certains commerçants, selon la formule en usage pour Rose Bertin, comme de véritables « Ministres ». Martin Mayr, le résident à Paris de l’électeur de Bavière étudié par Corinne Thépaut-Cabasset, responsable de l’achat et de l’acheminement des vêtements, apparaît ainsi par moments comme un initiateur, effectuant des propositions d’acquisition et faisant valoir ses liens privilégiés avec les marchands.
Mode, théâtre et cinéma
Concernant des espaces éclatés, allant du Japon aux Etats-Unis, ainsi que des périodes contemporaines hors chronologie, c’est à la dernière partie qu’aurait semblé devoir être adressée la question de la reconstruction visuelle du vêtement de cour et de son faste. Traitant du cinéma et de la mode au XXe siècle, abordant le domaine du théâtre, les études regroupées en fin de volume témoignent de l’importance du vêtement de cour dans les imaginaires, que celui-ci soit une influence par sa présence et sa magnificence chez un créateur comme Christian Lacroix (Martine Villelongue) ou qu’il soit un marqueur historique répondant aux attentes de spectateurs friands de « films en costume ». Si elles s’attardent sur les méthodes de reconstitution des apparences de la cour, grâce à des moyens anciens ou inédits, toutes ces contributions – et en particulier celle de Sylvie Perault –détruisent l’illusion de la capacité à recréer le vêtement de cour, serait-ce lorsque l’« authenticité » de son aspect est mise en avant. La disparition des savoir-faire joue naturellement un rôle très important dans cette impossibilité, mais elle n’est pas la seule en cause, les corps susceptibles de porter l’habit de cour ayant également disparu. L’emprise inévitable de la mode contemporaine sur les habits et les silhouettes est déclinée de façon plus ou moins consciente dans les différentes écritures vestimentaires analysées par Sylvie Perault, qui vont de l’interprétation libre (années 1950) au jeu sur les stéréotypes (depuis les années 1990) en passant par la recherche d’authenticité (années 1980).
Le vêtement de cour cinématographique ou de théâtre n’est ainsi jamais qu’une évocation, un marqueur fort avec lequel jouent cinéastes et metteurs en scène, qui l’emploient pour son aspect stylistique mais aussi et surtout rhétorique. Daniel Devoucoux revient ainsi sur le caractère narratif de l’habit au cinéma en s’appuyant sur l’exemple de l’Elisabeth Ire de Shekar Kapur, personnage dont le cinéaste ne souhaitait pas offrir une « version V&A ». Le vêtement se fait indicateur au fil des deux films qu’il lui consacre, diffusant des images des habits de la cour qui, si elles s’appuient sur des peintures et illustrations célèbres, en offrent des versions recodifiées selon les besoins de l’intrigue, en équilibre entre les « exigences de plausibilité historique et de modernité ». Les références aux peintures et représentations « d’époque » ne sauraient constituer une quelconque caution historique pour le domaine cinématographique, comme le démontre fort bien, outre la contribution relative à l’Elisabeth Ire de Shekar Kapur, celle de Nicole Foucher-Janin qui évoque les différentes Marie-Antoinette. Insistant sur la nécessité pour les cinéastes de faire référence à l’actualité de leur temps et de flatter l’image de la comédienne choisie, elle revient en effet sur leur prétention à la rigueur historique qui prend souvent, de Sacha Guitry à Sofia Coppola en passant par Jean Delannoy, la représentation picturale comme alibi.
La dernière partie de l’ouvrage, dont on aurait pensé qu’elle permettrait peut-être de donner un aspect plus concret au vêtement de cour, vient en fait comme une dernière occasion de s’interroger sur le problème des sources et de remettre en cause une histoire du costume qui, comme le souligne Daniel Devoucoux, en apprend souvent bien plus sur ses auteurs et leur mentalité que sur le sujet qu’elle est censée traiter. Sa contribution revient ainsi très efficacement sur l’historiographie, mettant en exergue l’actualité et la richesse du problème de l’habit, et clôt de manière très stimulante un ouvrage d’une grande richesse sur un domaine confronté à bien des difficultés qui, en dressant des portraits de personnages peu connus pour leurs penchants envers les fastes vestimentaires et en procédant à une étude fine des réseaux et des archives, apporte de nombreux éléments pour reconsidérer l’histoire du paraître et du vêtement.
TABLE DES MATIERES Avant-propos, Isabelle Paresys, p. 3 Se vêtir à la cour en Europe (1400-1815) : une introduction, Isabelle Paresys et Natacha Coquery, p. 5
Première Partie – L’habit de cour en politique La construction d’une image : Philippe le Bon et le noir (1419-1467), Sophie Jolivet, p. 27 L’étoffe de ses rêves : le vêtement du prince et ses parures emblématiques à la fin du Moyen Âge, Olga Vassilieva-Codognet, p. 43 Faction and Fashion : The Politics of Court Dress in Eighteenth-Century England, Hannah Greig, p. 67 Le pouvoir de l’habit ou l’habit du pouvoir, Philip Mansel, p. 91
Deuxième Partie – Choix vestimentaires et garde-robes royales La garde-robe de l’impératrice Isabelle de Portugal (1526-1539), María José Redondo Cantera, p. 105 The International Wardrobe of Emperor Rudolf II : Visual and Textual Representations of an Early Modern Emperor’s Clothes (1552-1612), Milena Hajná, p. 123 Vêtir les souverains français à la Renaissance : les garde-robes d’Henri II et de Catherine de Médicis en 1556 et 1557, Isabelle Paresys, p. 133 Dressing Charles II : The King’s Clothing Choices (1660-85), Maria Hayward, p. 159 Garde-robe de souverain et réseau international : l’exemple de la Bavière dans les années 1680, Corinne Thépaut-Cabasset, p. 177
Troisième Partie – L’habit de cour et la mode Petite étude du grand habit à travers les mémoires quittancés de la comtesse d’Artois (1773-1780), Pascale Gorguet Ballesteros, p. 197 Marie-Louise de Parme, reine d’Espagne habillée à la française (1751-1819), Pilar Benito García, p. 213 Fashion and the Reinvention of Court Costume in Portrayals of Josephine de Beauharnais (1794-1809), Susan L. Siegried, p. 229
Quatrième Partie – L’autre scène de l’habit de cour : cinéma, théâtre, podium L’Elisabeth Ire de Shekar Kapur ou le rôle du costume de cour au cinéma, Daniel Devoucoux, p. 257 Marie-Antoinette, reine de l’écran, Nicolas Foucher-Janin, p. 279 Le costumier, l’artisan et l’habit de cour : créer, fabriquer et représenter le gentilhomme sur scène et à l’écran, Sylvie Perault, p. 291 De l’influence du costume de cour sur la création haute couture de Christian Lacroix, Martine Villelongue, p. 305 Résumés (français – anglais), p. 321 Biographie des auteurs (français – anglais), p. 337
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |