Jansen, G.C.M., Koloski-Ostrow A.O., Moormann E.M.: Roman toilets, Babesch Supplementa, 19, ISBN 9789042925410, 72 €
(Peeters, Leuven 2011)
 
Reseña de Michel Blonski
 
Número de palabras : 2707 palabras
Publicado en línea el 2012-05-15
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1589
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          Les latrines romaines, pleines d’attrait aux yeux du touriste qui ne manque pas de les visiter sur tel site, étaient en revanche, jusqu’à une période récente, un objet mal-aimé de la recherche. Cet ouvrage, qui se présente comme un manuel, synthétise ce qui s’est fait depuis un peu plus d’une vingtaine d’années sur le thème. On connaît plusieurs des travaux déjà entrepris – ainsi, sans remonter aux travaux pionniers de Mygind en 1921, l’étude de Scobie en 1986 sur les conditions d’hygiène de Rome, puis, outre le grand livre de R. Neudecker sur les Prachtlatrinen, l’ouvrage de B. Hobson sur les toilettes dans le monde romain ; ajoutons les travaux de G. Jansen ou d’A. Wilson – et de façon générale, les synthèses présentées dans les recueils du BABesch, du colloque sur les Sordes Urbis, sans parler de la récente étude d’A. Bouet sur les latrines en Gaule et dans les provinces germaniques. Plus concrètement, on reprend ici  les travaux menés à l’occasion d’un atelier tenu à Rome en juin 2007, et des recherches portant sur des lieux variés de l’Empire, de Nimègue à Timgad, en passant par Ostie et les cités campaniennes qui fournissent évidemment un matériau privilégié.

 

           Nombre d’auteurs que l’on vient de mentionner apparaissent ici : car ce manuel est un travail authentiquement collectif ; chaque contribution – qu’il s’agisse d’un paragraphe ou d’une étude plus générale – est insérée dans le cadre d’un chapitre ; plusieurs langues sont employées, parfois au sein d’une même analyse (anglais surtout, mais aussi allemand, français et italien). Chaque chapitre est par ailleurs illustré d’une ou de plusieurs études de cas. La démarche déploie la chaîne la plus étendue de disciplines, entre archéologie et ensemble de ses sciences auxiliaires, ainsi qu’histoire urbaine, histoire des formes, histoire sociale et culturelle, anthropologie, tout en usant sans hésitation de procédés comparatistes (prenant en compte, par exemple, des enseignements tirés de l’époque moderne). On cherche donc à obtenir des résultats les plus proches d’une sorte d’« histoire totale » des latrines – individuelles et collectives, avec une étude élargie à l’ensemble des infrastructures dont elles peuvent dépendre (égouts, fosses, thermes, etc.), et dont il est légitime de penser, avec G. Jansen, qu’elle est indispensable à la compréhension du fonctionnement concret des sociétés anciennes.

 

          Cette démarche, dynamique et très créative, entraîne la division du livre en plusieurs parties successives. Après une rapide introduction, le chapitre 2 présente les problématiques et méthodes d’investigation et d’analyse à suivre en archéométrie, de façon à prendre en compte de manière dynamique des réalités relatives au contenu des fosses, des résidus d’égouts, à la parasitologie, etc.

 

          Le chapitre 3 (« Roman Forerunners ») résume brièvement les installations sanitaires ayant précédé l’époque romaine impériale : Egypte ancienne, Judée, et surtout Grèce, vue à travers des sources littéraires, iconographiques et archéologiques ; le monde  hellénistique est étudié avec une nette insistance sur un cas particulier, les installations visibles à Délos, avec l’idée sous-jacente que c’est cet univers-là qui crée et multiplie les latrines collectives, sans qu’il soit pour autant possible d’en faire dès cette époque un type standardisé universel.

 

          Le chapitre 4 présente les sources littéraires disponibles pour le monde romain ; dans un premier temps, une liste des références pertinentes pour l’univers classique, avec un index ; dans un second temps, une présentation générale de ce qu’on peut tirer des références hébraïques et chrétiennes pour l’Antiquité tardive.

 

          Le chapitre 5 (« Design, Architecture and Decoration of Toilets ») synthétise, sans aller dans le détail des variations typologiques, les connaissances  architecturales sur l’aspect des latrines – individuelles comme collectives – et présente les données disponibles sur leur décoration (en notant que peu de choses permettent de les distinguer substantiellement, de ce point de vue, des autres pièces décorées).

 

          Le chapitre 6 (« Toilets in the Urban and Domestic Water Architecture »), qui nous paraît particulièrement complet, replace la question des latrines dans celle de leur environnement technique – qu’il s’agisse des infrastructures en eau  (approvisionnement, chasse d’eau, traitement des déchets, égouts) ou de leur articulation, fréquente dans les cités campaniennes et à Ostie, avec les infrastructures de bains : celle-ci fait l’objet d’une étude spéciale, qui nous paraît fournir l’un des enseignements les plus précieux du livre, et dont on reparlera plus loin. Dans ce cas précis, l’analyse – qui s’achève avec celle des dysfonctionnements du système – est couronnée d’études de cas qui portent, l’une sur les fosses retrouvées à Nimègue, l’autre sur le seul dispositif connu de chasse d’eau collective, l’autre enfin sur le système d’égout d’une partie d’Herculanum, qui apparaît non comme un tout-à-l’égout canonique, mais plutôt comme « una gigantesca fossa settica » à l’échelle d’une ville entière.

 

          Le chapitre 7 (« Urination and Defecation Roman-Style ») étudie les diverses manières possibles de se soulager : pots de chambre (avec étude de cas de ceux de la « Weststrasse » de Carnuntum), et usage concret des latrines : façon de s’asseoir, de se tenir, de se torcher (avec une interprétation convaincante en faveur de l’utilisation de l’infelix spongea), en confrontant les textes avec ce qu’il est possible de faire, matériellement, assis sur l’une des ouvertures si caractéristiques de ce type d’édifice. En passant, une réserve : A. Wilson interprète la forme des ouvertures comme permettant de faire passer le bâton au bout duquel se trouve l’éponge de « propreté » ; l’idée est globalement pertinente, sauf dans certains cas où ces cavités paraissent alors assez malcommodes (cf. les latrines du forum à Timgad, qu’il présente dans une étude de cas) ; on lui reprochera aussi d’exclure par principe l’utilisation de moyens de détersion, alors qu’ils existent en contexte balnéaire.

 

          Le chapitre 8 (« Location and Context of Toilets ») étudie la manière dont se placent les latrines collectives dans le cadre urbain. On sait que la question n’a rien d’évident ; l’historiographie – ainsi P. Gros dans son manuel d’Architecture romaine – a noté que les toilettes collectives ne se trouvaient guère autour des installations de divertissement public, qui devaient pourtant bien prévoir au moins quelque chose de temporaire (une étude de cas menée pour Mérida, ici, semble faire justice de cette affirmation, mais pas de manière définitive). On étudie de nouveau leur articulation avec les installations balnéaires, en observant, entre autres, l’importance des nécessités de discrétion. Le chapitre est complété par l’étude de la place des toilettes privées : à Pompéi, elles sont surtout associées aux pièces de type cuisine, ou encore à l’entrée même des domiciles (ou, à l’inverse, dans le cas des lieux de réunion, loin dans l’ensemble construit, de façon à les cacher).

 

          Le chapitre 9 (« Users of the Toilets : Social Differences ») relie l’utilisation des latrines à leur contexte sociologique. Ici apparaît une opposition entre deux interprétations sur les toilettes publiques ; l’une, d’A. O. Koloski-Ostrow, relie leur édification à une volonté philanthropique de permettre à l’ensemble des citoyens de ne pas dépendre des caprices de leur corps dans l’espace public ; l’autre, avancée par R. Neudecker, se veut plus restrictive : ce dernier, qui constate la proximité fréquente entre Prachtlatrinen et lieux civiques, relie leur émergence, au cours de l’Empire, à celle d’un « souci de soi » à la tonalité aristocratique – elles apparaîtraient donc comme un outil de domination sociale, plus ou moins réservé, d’après lui, à l’élite civique. Le même auteur poursuit son analyse avec l’étude des toilettes de la Villa Hadriana ; il montre la complexité des analyses possibles : ainsi, le nombre de sièges ne lui paraît pas un bon critère d’interprétation sociologique, mais plutôt son interaction avec l’aspect plus ou moins luxueux des matériaux de décoration et la situation dans l’économie générale des pièces de l’ensemble.

 

          Le chapitre 10 (« The Economy of Ordure ») traite des questions liées au retraitement des déchets. On notera avec satisfaction qu’il fait un sort à la tradition de la réutilisation de l’urine des latrines par les foulons, montrant qu’aucune source, malgré les apparences, ne permet d’en parler. Il évoque également le financement des toilettes, en rappelant leur caractère probablement payant.

 

          Le chapitre 11 (« Toilets and Health »), après avoir rappelé la difficulté de plaquer sur la réalité antique les catégories modernes de l’hygiène, montre clairement que les latrines romaines ne sont pas satisfaisantes de ce point de vue. On a affaire à des bouges sordides ; si les pratiques corporelles associées sont bien celles que l’on a mises en avant (éponge-torchoir trempée dans la rigole frontale, notamment), alors il faut s’attendre, par exemple, à la transmission de maladies variées. On pointe ainsi l’existence, repérable, d’œufs de vers parasites, et dont les symptômes – parfois mortels – sont rappelés par la littérature médicale. Nous sommes donc en face d’un système qui se veut « propre, mais pas hygiénique » : on se nettoie, on déteste les odeurs et on les cache, mais cela ne signifie rien du point de vue de nos critères de santé publique. Pour reprendre la terminologie de G. Jansen, dans l’interprétation des toilettes romaines, l’avantage se situe sans ambiguïté du côté des pessimistes.

 

          Pour finir, le chapitre 12 (« Cultural Attitudes ») étudie un ensemble très varié d’aspects culturels associés aux toilettes : les superstitions qui y sont attachées (et qui montrent que ces lieux sont vus comme dangereux et désagréables), les graffitis retrouvables sur place (avec une étude de ceux, célèbres, des « Thermes des Sept sages » à Ostie), le traitement, plein de réserve et de dégoût, que les Romains attachent à la perception sensorielle de ces réalités, et enfin un rapide aperçu des différences régionales.

 

          L’ouvrage, on le voit, est riche d’enseignements de toute sorte ; il n’est pas possible de les mentionner tous ici – on en évoquera quelques-uns des plus saillants.

Le premier est à coup sûr la reconsidération des conditions d’hygiène effective de ce type d’installation, en particulier lorsqu’il s’agit de latrines collectives. Il faut clairement jeter aux oubliettes l’idée que ces édifices sont le signe d’un progrès hygiéniste.

 

          Le second est la remise en question de la réalité du caractère collectif vécu par les utilisateurs. Certes, ils se côtoient ; mais il est vraisemblable que leurs pratiques privilégient une certaine pudeur (utilisation des vêtements pour se cacher, faible luminosité), ce qui relativise l’éventuelle question de la mixité des utilisateurs ; surtout, dès que les Romains le peuvent, ils installent des toilettes individuelles, comme le montre le cas des installations militaires de Bretagne (collectives en casernement ; individuelles pour les officiers). Rien n’est donc plus éloigné de la réalité que d’imaginer des latrines communes comme lieu de réunion. Le contexte « caché » de ces installations rappelle qu’elles ne sont pas vues comme telles.

 

          Le troisième consiste à examiner la régularité du nettoyage des latrines. Y a-t-il des « chasses d’eau » ? La chose est possible ; certaines latrines collectives sont reliées aux circuits d’eaux usées des bains ; en cadre privé, elles peuvent ou non être traversées par des conduites variées. Mais il faut noter surtout la parcimonie avec laquelle les Romains emploient leurs ressources hydriques ; l’entretien et les infrastructures des latrines leur apparaissent franchement secondaires. Il est rarissime, par exemple, que les eaux d’adduction soient directement employées pour elles (cette répugnance est visible chez Fronton) ; on préfère employer des eaux déjà usées –  quand on le fait. Enfin, le contexte de pénurie semble être le critère primordial de gestion, ce qui donne des indications supplémentaires sur le niveau d’hygiène et sur les seuils de tolérance sensorielle.

 

          Dans le même ordre d’idées, on tiendra compte de la nécessité de ne jamais réduire la gestion de ces installations à un seul standard. Tout est question de contexte et de traitement des contraintes ; ainsi, la nature du terrain, différente à Ostie et à Pompéi, entraîne des solutions divergentes dans la question du retraitement des déchets des toilettes privées (le sol pompéien est plus favorable au creusement de fosses d’aisance ; on se dispense donc, autant qu’on peut, de coûteux travaux de tout-à-l’égout).

 

          On aura deviné un dernier enseignement suivi ici, la nécessité permanente de replacer l’étude de ces installations dans un contexte d’histoire sociale. Ici, les questionnements sont précieux, les réponses et les remarques fusent (par exemple, le chapitre d’A. Wilson sur l’utilisation pratique effective des latrines, même s’il nous semble ne pas répondre à tout ; on peut encore évoquer les nombreuses questions soulevées par A. O. Koloski-Ostrow). On peut rappeler la problématique permanente tendant à ramener les installations disponibles à la condition sociale de leurs utilisateurs (par exemple, les riches n’ont pas forcément besoin de toilettes construites, puisque leur domesticité les assiste même là).

 

           D’un point de vue formel, on se félicitera de la présence d’illustrations très abondantes (indispensables, il est vrai, à la compréhension du sujet), d’un index universel très développé et d’une belle bibliographie (dans laquelle on regrettera, cependant, l’absence de l’étude d’A. Bouet mentionnée plus haut, ainsi que celle du colloque de Poitiers sur La ville et ses déchets : ces deux ensembles auraient beaucoup apporté). Certaines normes éditoriales peuvent légèrement varier d’un chapitre à l’autre (justifications variées, par exemple), mais sans gêner la lecture qui reste globalement très agréable.

 

          On émettra une réserve sur le chapitre 4, qui présente les sources littéraires sur le phénomène. Il est en effet découpé en deux parties (monde classique – littératures chrétienne et juive) dont la logique de présentation n’est pas la même : la première compile des références (jamais citées telles quelles, mais résumées en allemand, et listées de façon parfois aléatoire) et vise à établir une liste consultable ; la deuxième se contente d’une présentation des enseignements généraux que l’on peut tirer de l’ensemble des sources concernées. La dichotomie entre ces approches nuit à la cohérence et à l’utilité du chapitre, même s’il reste précieux. De même, la partie du chapitre 5 consacrée au décor des latrines, se signale parfois par des interprétations difficilement convaincantes (ex. p. 58-59). Le chapitre 12, quant à lui, a tendance à rassembler des thèmes assez hétéroclites. On signalera aussi quelques erreurs mineures de référence (p. ex. p. 68, n. 8, on parle de « Satyres » de Macrobe : il s’agit évidemment des Saturnales).

 

          Enfin, le livre a les défauts de ses qualités : comme il est collectif, des répétitions, parfois légèrement modifiées l’une par rapport à l’autre, sont possibles (par exemple, dans le rappel de l’histoire « préromaine » des latrines). Inversement, il arrive que des divergences de fond apparaissent, mais alors elles sont clairement assumées  - par exemple, le débat mentionné plus haut sur le contexte sociologique de l’utilisation des latrines : ici, on a affaire à une confrontation de questionnements, stimulante pour des recherches futures.

 

          Ces quelques réserves restent cependant très mineures : l’ouvrage apporte de nombreuses réponses, résume un ensemble de recherches entamées depuis plusieurs années, et la diversité des thèmes abordés, jusque dans les détails soulevés, pose autant de questions pour des investigations futures. En ce sens, il est une belle démonstration de la fertilité du croisement des approches et des disciplines.

 

Sommaire

 

Preface and Acknowledgements

Gemma C.M. Jansen, Ann Olga Koloski-Ostrow & Eric M. Moormann, p. VII

 

1. Introduction

Gemma C.M. Jansen, Ann Olga Koloski-Ostrow & Eric M. Moormann, p. 1

 

2. Archeaeometry: Methods and Analysis

Elly Heirbaut, Andrew K.G. Jones & Kathleen Wheeler, p. 7

 

3. Non-Roman Forerunners

Aude Gräzer, Stefanie Hoss, Eddy Owens, Gabriel Zuchtriegel & Monika Trümper, p. 21

 

4. Roman Sources

Stefanie Hoss & Günther Thüry, p. 43

 

5. Design, Architecture and Decoration of Toilets

Stefanie Hoss, Ann Olga Koloski-Ostrow, Antonella Merletto & Eric M. Moormann, p. 51

 

6. Toilets in the Urban and Domestic Water Infrastructure

Domenico Camardo, Elly Heirbaut, Gemma C.M. Jansen, Anne-Marie Jouquand-Thomas, Antonella Merletto, Jacques Seigne & Jeroen Van Vaerenberg, p. 71

 

7. Urination and Defecation Roman-Style

Beatrix Petznek, Silvia Radbauer, Roman Sauer & Andrew Wilson, p. 95

 

8. Location and Contexts of Toilets

Jesus Acero Pérez, Miko Flohr, Barry Hobson, Jens Koehler, Ann Olga Koloski-Ostrow, Silvia Radbauer & Jeroen Van Vaerenbergh, p. 113

 

9. Users of the Toilets: Social Differences

Adam Goldwater, Ann Olga Koloski-Ostrow & Richard Neudecker, p. 131

 

10. The Economy of Ordure

Miko Flohr & Andrew Wilson, p. 147

 

11. Toilets and Health

Horst Aspöck, Ingrid Feuereis, Gemma C.M. Jansen & Silvia Radbauer, p. 157

 

12. Cultural Attitudes

Adam Goldwater, Stefanie Hoss, Gemma C.M. Jansen, Zena Kamash, Ann Olga Koloski-Ostrow, Carlo Molle, Eric M. Moormann & Andrew Wilson, p. 165

 

Bibliography, p. 195

List of Authors and Addresses, p. 207

Index, p. 213