Gétreau, Florence: Musée Jacquemart-André. Peintures et dessins de l’école française. Catalogue raisonné. 412 pages. 115 illus. coul. 29 x 22. ISBN : 978-2-87623-2754. 49,90 €
(Editions Michel de Maule, Paris 2011)
 
Compte rendu par Elodie Kong, Université Charles de Gaulle - Lille 3
 
Nombre de mots : 1878 mots
Publié en ligne le 2012-06-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1606
Lien pour commander ce livre
 
 

          Près d’un siècle s’est écoulé depuis l’inauguration du musée Jacquemart-André en 1913, et en dehors du Catalogue itinéraire publié la même année par Émile Bertaux (1869-1917), aucun catalogue raisonné des peintures n’était paru. Voilà qui est chose faite, et on ne peut que se réjouir de la parution aux Éditions Michel de Maule en novembre 2011 du catalogue raisonné des peintures et dessins de l’école française rédigé par Florence Gétreau. Véritable écrin aux collections réunies par les collectionneurs avisés que furent Édouard André (1833-1894) et Nélie Jacquemart (1841-1912), le musée du boulevard Haussmann abrite au sein de l’ancien hôtel particulier du couple, une très riche collection des plus grands maîtres français, avec une inclination particulière pour les peintres du XVIIIe siècle. La peinture libertine de François Boucher (1703-1770) (cat. 24 et 25), la délicatesse de Jean-Marc Nattier (1685-1766) (cat. 26), la peinture solide d’Alexandre Roslin (1718-1793) (cat. 32 à 34) ou à l’inverse les mignardises de François-Hubert Drouais (1727-1775) (cat. 38) décorent depuis lors les murs fastueux de la demeure où se côtoient sculptures, tapisseries, objets d’art et mobilier XVIIIe. On peut s’interroger sur le (trop) long délai de cette publication. La très encourageante préface de Jean-Pierre Babelon (p. 13-14), membre de l’Institut et président de la Fondation Jacquemart-André, n’aborde que très succintement les motifs de cette attente, et il revient à Nicolas Sainte Fare Garnot, actuel conservateur du musée, de nous en donner les raisons dans l’avant-propos du catalogue (p. 15-19).

 

          Non sans chercher à justifier le retard de cette publication, le conservateur revient sur les desseins, difficultés et contretemps qui ontretardé la parution de l’ouvrage. Les orientations prises par Édouard André au moment où il s’attache à la réalisation du premier musée des arts décoratifs français au sein de son hôtel particulier, ainsi que sa mort prématurée en 1894, empêchent dans un premier temps la publication d’un quelconque catalogue. Toutefois, le souhait de Nélie Jacquemart de voir paraître un ouvrage scientifique sur ses œuvres l’amène, peu après le décès de son époux, à mettre en place un projet de publication avec la maison Bulloz et les conservateurs du musée du Louvre. Mais des désaccords sur le devis l’empêchent de mener à bien son projet. D’autres imprévus contrarient par la suite son désir, et il faut attendre 1913, soit un an après la mort de Nélie Jacquemart, pour qu’un premier Catalogue itinéraire voie le jour sous la plume d’Émile Bertaux, légataire de Nélie et premier conservateur du musée. L’ouvrage, qui a connu de nombreuses rééditions, est loin d’être un catalogue scientifique, mais il a l’avantage de présenter les objets distribués dans les pièces de l’hôtel dans un ordre topographique, quelle qu’en soit la nature, reflétant ainsi l’aspect singulier de la collection, tout comme sa présentation, où peintures, sculptures, mobilier et textiles sont confondus et où cohabitent l’antique et le moderne, l’occidental et l’oriental. Comparé aux guides de l’époque, le Catalogue itinéraire de Bertaux se veut nettement plus ambitieux. Chaque œuvre est présentée avec un titre, son auteur et une notice technique dans laquelle apparaissent sa provenance et son historique et, dans certains cas, un commentaire. Il est néanmoins navrant que les nombreuses rééditions du guide n’aient vu aucune réévaluation ou révision des attributions, alors que les recherches et les découvertes se multipliaient... Au cours des années 1970, un projet éditorial de grande envergure voit le jour sous la direction de Julien Cain (1887-1974), ancien administrateur général de la Bibliothèque nationale, et Jacques Thuillier (1928-2011) alors professeur d’histoire de l’art à la Sorbonne. Françoise de la Moureyre pour la sculpture italienne, Nicole Blondel pour la peinture italienne et Florence Gétreau pour la peinture française acceptent de participer à ce projet colossal. Ainsi, en 1975, le catalogue raisonné des sculptures italiennes paraît, mais le décès de Julien Cain et les aspirations de la nouvelle direction du musée mettent de côté cettepolitique éditoriale et contribuent à l’abandon de toute autre parution. L’arrivée de Nicolas Sainte Fare Garnot à la direction du musée au début des années 1990 apporte un souffle nouveau au projet. Dans la lignée des initiatives prises par Julien Cain dans les années 70, un véritable chantier de recherche est mis en place suite à la découverte du manuscrit de Florence Gétreau dans le fonds d’archives du musée. Experts, historiens de l’art, conservateurs et étudiants se mobilisent ainsi en vue de réactualiser le catalogue des peintures et dessins de l’école française.

 

          L’avant-propos est suivi d’un texte argumenté par Florence Gétreau (p. 21-46) consacré au couple Jacquemart-André (biographie des donateurs, leurs sources d’inspiration). L’auteur revient aussi sur les temps forts de la formation de leur collection de peintures et de dessins ; d’abord constituée par Édouard  André avant son mariage avec Nélie Jacquemart en 1881, celle-ci est complétée par les nombreux achats du couple, et enfin par Nélie seule après la mort de son mari en 1894. L’ensemble de la collection est ensuite abordé de façon synthétique par l’auteur qui résume en quelques pages le contenu des notices du catalogue (p. 31-33). Ce paragraphe témoigne de l’important travail de recherche mené par l’auteur depuis les années 70. Chaque notice est revue, corrigée, complétée, et somme toute, mise à l’épreuve des grands spécialistes reconsidérant l’attribution initiale. Trente-quatre tableaux et six dessins sont réattribués. La collection s’est vue amputée de deux grands noms : François Desportes (1661-1743) (cat. 16) et Hyacinthe Rigaud (1659-1743) (cat 9). On recense moins d’œuvres de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), au bénéfice de Gabriel-François Doyen (1726-1806) (cat. 42), Hugues Taraval  (1729-1785) (cat. 41), Louis-Roland Trinquesse (c. 1746-c. 1800) (cat. 67) et Jean-Louis Voille (1744-c. 1804) (cat. 68 et 69). Nicolas de Largillierre (1656-1746) a longtemps figuré dans la collection avec un Portrait de femme en buste (cat. 10) et un Portrait de Voltaire (cat. 11). Nous savons aujourd’hui, grâce à Dominique Brême que le premier est une œuvre de l’atelier, et que le second est une copie de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Pierre Rosenberg a également redécouvert sous le nom de Louis Tocqué (1696-1772), l’un des chefs d’œuvre de maturité de Largillierre - Portrait d’homme - très grand tableau passé inaperçu jusque-là (cat. 12). Sous le nom de Tocqué a également été redécouvert un très beau Jean-François De Troy (1679-1752) (cat. 29). D’autres tableaux ont été réattribués : la collection possède désormais un Adèle Romany (1769 – 1846) au lieu d’un Élisabeth Vigée-Le-Brun (1755-1842) (cat. 73), un François Van Loo (1708-1732) au lieu d’Edme Bouchardon (1698-1762) (cat. 88), un Jean Valade (1710-1787) au lieu d’un Quentin de La Tour (1704-1788) (cat. 103), un Jacques-André Portail (1695-1759)  et non un Jean-Baptiste Pater (1695-1736) (cat. 96). Cette mise au point donne un aperçu plus diversifié de la collection Jacquemart-André, et malgré le regret de voir certains tableaux perdre de leur valeur par une désattribution, d’autres au contraire gagnent en prestige, sept œuvres seulement demeurant anonymes.

 

          Le catalogue (p. 51-345) suit les remerciements (p. 47-48), et présente dans une première partie et de manière chronologique les soixante dix-huit peintures et dans une seconde partie les vingt-sept dessins exposés dans les salles du musée ou conservés en réserve. Il se termine par les notices critiques des œuvres (p. 348-385) et les annexes comprenant une abondante bibliographie, un index des noms et la liste des abréviations (p. 389-411). C’est à un travail considérable que s’est livrée Florence Gétreau. Réviser ses recherches entreprises quarante ans auparavant peut être très décourageant et le résultat parfois décevant. Mais l’auteur a su s’entourer d’une équipe des plus efficaces, les uns travaillant à l’actualisation de la bibliographie, les autres, éminents spécialistes de l’histoire de l’art, se penchant sur les attributions incertaines antérieures et les nouvelles attributions mises en lumière grâce aux récentes publications de catalogues raisonnés d’artistes. En cela, le catalogue de Florence Gétreau dépasse toutes nos attentes.

 

          Les notices sont présentées très simplement : une illustration couleur de très belle qualité fait face à la notice comprenant le numéro du catalogue, le nom du peintre, ses dates, l’ancienne attribution s’il y a lieu, le titre de l’œuvre, la technique, les dimensions, la date de réalisation approximative, parfois un tableau reproduit en noir et blanc (pour les comparaisons) et enfin le commentaire. Certaines notices sont plus documentées que d’autres (par exemple cat. 30 – Charles Antoine Coypel, Don Quichotte servi par les filles de l’hôtellerie, vers 1751 – 6 pages), mais, d’une manière générale, elles abordent les mêmes points essentiels : biographie du peintre, biographie du personnage représenté, comparaisons, critères stylistiques permettant de dater, d’identifier et d’attribuer le tableau, et rapide évocation du contexte de création pour certaines œuvres. Il est intéressant d’avoir intégré aux notices critiques des œuvres (p. 348-385) les détails techniques, la provenance, les expositions et la bibliographie car les notices du catalogue s’en trouvent simplifiées.

 

          En peinture, Corneille de La Haye (1500-1575) (cat. 1 à 4), François Quesnel (1543-1619) (cat. 6) et Philippe de Champaigne (1602-1674) (cat. 7) sont les principaux représentants des XVIe et XVIIe siècle. Robert Levrac, dit Tournières (1668-1752) (cat. 9), Pierre-Denis Martin (1673-1742) (cat. 14), François Delyen (1684-1761) (cat. 19), Jean-François de Troy (1679-1752) (cat. 29) appartiennent quant à eux à la première génération du XVIIIe siècle. Les peintres de fêtes galantes ne sont présents qu’à travers l’art du dessin avec deux feuilles de Claude Gillot (1673-1722) (cat. 81 et 81), et trois d’Antoine Watteau (1684-1721) (cat. 82 à 94). Ce dernier ne figure pas au sein du catalogue des tableaux, bien que le Portrait d’homme debout dans un paysage (cat. 18) mentionné comme appartenant à l’entourage de François Delyen, était autrefois donné à Watteau, avant de passer pour un François Desportes (1661-1743). Ainsi, les seuls représentants du genre de la fête galante sont Nicolas Lancret (1690-1753), avec deux peintures et six dessins, et Jean-Baptiste Pater (1695-1736), avec une peinture et un dessin. Les portraitistes figurent également au sein de la collection. Nattier, De Troy, Greuze, Drouais, Fragonard accompagnent les portraitistes de la fin du siècle comme Ducreux, Trinquesse, Voille, Vigée le Brun ou David. Le goût du couple de collectionneurs est nettement marqué pour les scènes de galanterie et les portraits ; les sujets historiques, religieux et mythologiques étant les grands absents de la collection. Comme l’a exprimé Francis Haskell dans une phrase devenue célèbre, le couple s’est « détourné du Christ et d’Apollon pour rejoindre l’homme ».

 

          Très précis au risque parfois de devenir complexes, les commentaires d’œuvres n’ont de cesse de mettre en doute les attributions et identifications antérieures. Véritable enquêtrice, Florence Gétreau confronte ses précédentes recherches, l’abondante littérature artistique et les informations nouvellement communiquées par les spécialistes (on regrette à ce sujet que ces derniers ne soient pas mieux introduits par l’auteur), et synthétise avec brio l’inépuisable documentation accumulée. Un élément toutefois mérite d’être souligné, l’absence sans doute, dans les premières notices (par exemple cat. 9, 11, 13, 14, 17, 20...), de renvoi, dans le corps de texte, aux tableaux comparatifs. En dépit de cela, ce très beau volume permet au musée de se doter d’un ouvrage de grande qualité scientifique. Le courage, la volonté et la persévérance dont a fait preuve Florence Gétreau ne rendent que plus estimable ce catalogue. Remarquable pour ses collections, l’établissement l’est désormais aussi pour ses publications.