Kallala, Nabil - Sanmarti, Joan (dir.): Althiburos I. La fouille dans l’aire du capitole et dans la nécropole méridionale. (Documenta ; 18). 443 p. : il. col. Texto en francés con resumen en catalán y castellano. ISBN: 978-84-939033-1-2, 53€
(Institut Català d’Arqueologia Clàssica, Tarragona 2011)
 
Compte rendu par Ariane Bourgeois, Université Paris 1 (Sorbonne-Panthéon)
 
Nombre de mots : 2031 mots
Publié en ligne le 2012-08-31
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1627
Lien pour commander ce livre
 
 

          Althiburos/El Medeina (gouvernorat du Kef, Tunisie) est un site connu et exploré depuis près d’un siècle et demi par de grands savants, d’abord français, puis tunisiens. Par leurs travaux fondateurs, ils ont attiré l’attention sur cette ville antique. Ainsi, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, avec des méthodes alors novatrices pour leur temps, même si on peut regretter après coup le côté rudimentaire des prospections et des fouilles, les premiers découvreurs, comme Alfred Merlin, signalèrent leurs découvertes, dont des documents maintenant disparus. Malheureusement, ils s’intéressèrent presque exclusivement à la ville romaine, ignorant les époques antérieures et postérieures, ces dernières en partie détruites pour arriver aux niveaux romains. L’autre grand nom attaché à ce municipe d’Hadrien est celui de Mongi Ennaïfer, connu internationalement pour ses travaux sur la mosaïque romaine : il y a environ quarante ans, il a fouillé et publié le site, notamment d’importants pavements. Depuis dix ans, leur succession est assurée par une équipe pluridisciplinaire réunissant universitaires tunisiens et catalans, à la pointe des connaissances et des techniques archéologiques les plus modernes (p. 18). Le présent livre, sous la direction des deux signataires, est le premier d’une série et expose les recherches menées dans le secteur du Capitole, ainsi que dans une petite partie de la nécropole sud-est. Toutes les données préliminaires, historiographie et conditions géographiques actuelles (localisation, relief, hydrographie, agriculture, relations avec Tunis située à 215 km au nord-est, et avec les côtes tunisiennes) sont exposées dans le premier chapitre (Présentation géographique et problématique de la recherche, p. 9-29). Le suivant développe plus largement ce qu’était Althiburos, le pourquoi de son développement et de sa richesse économique de l’époque numide aux Byzantins, et enfin, après une interruption de quelques siècles, lors d’une courte reprise de la vie humaine sur le site du IXe au XIIIe siècle (Synthèse des résultats : 2000 ans d’histoire d’Althiburos, p. 31-43).

 

          L’époque numide a fait l’objet de toutes les attentions dans les chapitres 3 à 5, qui relatent des sondages dans trois zones, l’une dans l’angle sud-est du Capitole et le portique qui l’entourait (chapitre 3, Les sondages de la zone 1, p. 45-151), une autre sur tout le côté nord-ouest du monument (chapitre 4, Les sondages de la zone 2, p. 153-392), la dernière dans une nécropole au sud-est de la cité (chapitre 5, La fouille de la zone 3, p. 393-410). En effet cette période, tout au long du premier millénaire avant J.-C., est encore mal connue sur le plan archéologique, notamment l’évolution sociale et culturelle ou l’économie des sociétés autochtones de Tunisie ; il faut donc rectifier les erreurs et idées reçues héritées des écrivains romains, sans compter que la période coloniale a cru répéter le même schéma idéologique d’une civilisation évoluée apportée par les Européens aux populations locales tenues pour moins avancées ! Grâce aux fouilles très méthodiques, aux données fournies en laboratoire par les scientifiques et aux datations par le C14, les chercheurs actuels ont distingué à Althiburos trois phases principales, parfois discontinues, la plus ancienne aux IXe-VIIIe/début du VIIe siècles (« NA »), une période moyenne de la fin du VIIe à la fin du Ve/début du IVe (« NM »), puis une phase récente, du IVe à l’époque augustéenne (« NR »). Toutes ont laissé des traces architecturales rendues très ténues par la superposition des monuments ultérieurs qui ont fait table rase du passé, et même surcreusé certains secteurs pour établir fondations et fosses. Les fouilles sommaires d’il y a cent ans, se limitant à la période romaine, ont involontairement un peu épargné les niveaux numides là où ils subsistaient. Une autre difficulté est de dater les mobiliers retrouvés dans ces horizons, non pas les rares céramiques importées, plus nombreuses au fil du temps (vases phéniciens puis puniques ou d’autres régions méditerranéennes, amphores) et les quelques monnaies puniques, mais les productions modelées locales, lustrées ou à engobe rouge (p. 34). Tout aussi indatables sont les restes de métallurgie du fer et les poids de métiers à tisser. On constate que très tôt tout cela émane de populations sédentaires, aux maisons en dur, pourvues de sols aménagés, avec des fours en argile et des fosses, même si aucun plan complet n’est connu (ibidem et p. 46-53), protégées par un rempart dès le IVe siècle, qui donne une allure « urbaine » à l’agglomération (p. 36-38, 46). Outre les activités artisanales, ces Numides pratiquaient une agriculture diversifiée (céréales, légumineuses, vignes et oliviers, lin, élevage des quatre espèces domestiques habituelles). Près de la bourgade numide s’étendait la nécropole sud-est dont cinq tombes protohistorique ont été fouillées et étudiées, certaines collectives (familiales ? p. 395-396), au mobilier bouleversé par un pillage antique difficile à dater.

 

          L’époque romaine est celle du Capitole, de son portique et des monuments les plus proches comme l’arc d’Hadrien, deux rues importantes et deux bâtiments dits « A » et « B ». Le premier édifice, aux restes spectaculaires, à la différence du reste de la ville, très détruite par le temps, a été réétudié à la marge, avec sa dédicace déjà commentée par Alfred Merlin, puis à nouveau par Nabil Kallala. Les fouilles actuelles ont confirmé sa construction sous Commode (p. 40 sq, 54, 172-174), dans le cadre d’un programme architectural au cœur de la ville, marqué par l’arc au nom du conditor municipii, Hadrien. Dans le deuxième quart du IIIe siècle sont édifiés les portiques et les escaliers les reliant à la rue. À vrai dire, avant le IIe siècle de n. è., ce secteur était déjà bâti, sans qu’on identifie les constructions dont quelques élévations mal conservées subsistent dans les sondages (p. 54-55, 167-172). Dès le début du règne d’Auguste, il s’agit de deux longues salles ouvrant sur la rue, au rôle peut-être public, voire religieux (bâtiments « A » et « B », celui-ci aux minces traces, car rasé par la construction du secteur du Capitole). Ici et dans les sondages des portiques, le mobilier récolté est abondant. Au Bas-Empire et dans l’Antiquité tardive, jusqu’au Ve siècle, le Capitole garda son rôle politico-religieux et l’occupation du secteur resta dense, avec de nombreuses transformations du bâti. La destination de l’espace nord change, dédié plutôt à l’habitat. Mais la connaissance en est rendue difficile par de grands travaux réalisés à la période vandale qui ont détruit de nombreux niveaux et structures antérieures d’époque impériale (p. 41 ; 56 sq, 174-177), à cause d’un important décaissement. Une tombe de la nécropole sud-est illustre ces moments-là : construite en tegulae disposées en bâtière dans une fosse, elle contenait un squelette féminin mal conservé, paré d’une agrafe de fer sur l’épaule, non datée mais probablement tardive. D’autres tombes, tardives elles aussi (?), sont indatables faute de mobilier (p. 395-396). Sur le plan économique (p. 40-43), les habitants d’Althiburos, à côté des céréales, ont beaucoup développé l’oléiculture et l’élevage du porc, puis au Bas-Empire, celui des chèvres et des moutons. Ils importaient des produits italiens et méditerranéens, qui prouvent la perpétuation des échanges de la ville avec la côte tunisienne, surtout au Ier siècle. En revanche, la production artisanale locale est difficile à identifier. Il en va de même pour les périodes vandale et byzantine.

 

          Après un hiatus de deux ou trois siècles, on constate une présence humaine médiévale, grâce aux nombreuses fosses des IXe-XIe siècles, peut-être des silos, creusées autour du Capitole, dont l’habitat correspondant reste inconnu (p. 65-69), largement détruit par les dégagements d’il y a cent ans. Aux XIIe-XIIIe siècles, une grande maison semble avoir englobé le Capitole (p. 43, 181-182).

 

          Grâce aux nombreux spécialistes engagés dans cette fouille, les résultats acquis sont très importants. Ils permettent de connaître l’évolution d’une petite ville de l’intérieur de l’Africa, apportant ou rectifiant des typologies et chronologies de mobiliers, surtout céramiques. Le souci de précision apporté au texte dense et serré se retrouve dans l’illustration complète et soignée, organisée selon le même plan qui accompagne chaque chapitre, avec des légendes claires résumées p. 29 : il y a en tout près de 400 plans et relevés des diverses structures, des coupes très nombreuses, des photos surtout en couleur des différents dégagements, sondages et détails architecturaux (on aimerait parfois des précisions de détail dans les légendes ou alors le renvoi au texte correspondant à l’image). S’y ajoutent près de 150 figures de matériel, présenté de manière exhaustive, après quelques pages de catalogue descriptif des différentes catégories, classées par unités stratigraphiques, pas seulement la céramique mais tous les matériaux possibles : les objets sont dessinés en général au tiers et l’emploi de nuances variant du noir au gris clair indique les couleurs différentes des parois des vases ; on constate qu’il y a un certain nombre de récipients archéologiquement complets des diverses époques, ce qui est particulièrement précieux pour la période numide aux productions si mal connues et datées. Dans leurs phases successives sur près d’un millénaire, la coexistence avec des vaisselles importées d’Italie ou d’ailleurs, bien situées dans le temps, invite à établir un début de chronologie des multiples productions. Une typologie des vases numides d’Althiburos ne sera pas forcément utilisable partout en Afrique du Nord, à cause du caractère local, voire domestique, des fabrications, mais il y a tout de même quelques grandes tendances, et cet ouvrage sera d’une grande utilité pour les chercheurs, en fournissant des éléments de comparaison.

 

          Ce livre remarquable comporte tout de même de légères imperfections. On peut tout d’abord regretter l’absence d’une table des figures qui expliquerait pourquoi, dans le chapitre 1, les figures 1.11 et 1.12 se trouvent reliées après les figures 1.13 et 1.14 (p. 23-24), et de prime abord il semble y avoir une lacune dans la numérotation entre les figures 1.10 et 1.13. Il en va de même dans les chapitres 3 et 4, et ces discontinuités sont donc au début un peu déroutantes pour le lecteur. La bibliographie (p. 411-414) fait des entorses à l’ordre alphabétique des noms (le nom de « Louhici, A. 1997 » est bizarrement intercalé entre « Lancel, S. 1987 » et « Lévêque, P., 1986 » ; de même « Rakob, F. 1979 »  vient après « Ramon Torres, J. 1995»). Par ailleurs, p. 41, la note 22 évoque « Lund 1995 », alors que cette référence dans la bibliographie figure sous la forme « Lund, J. ; Berg Nielsen, M. 2000 », la date de 1995 étant celle de la table-ronde de Naples où a été prononcée la communication dont résulte l’article publié.

 

          Cet ouvrage est ainsi une étape importante de la recherche archéologique tunisienne, grâce à l’effort conjoint des Tunisiens et des Catalans (il comporte à la fin un résumé en catalan, p. 415-428, et un autre en espagnol, p. 429-443). Il inaugure donc une série dont on attend avec impatience les volumes suivants et devra figurer dans toutes les bibliothèques archéologiques, notamment celles dédiées à l’Afrique du Nord et à la période numide : il apporte beaucoup de nouveautés sur ces populations qui n’étaient pas arriérées comme on l’imaginait jadis, mais au contraire évoluées et ouvertes sur le monde extérieur, surtout phénicien puis carthaginois, et par leur intermédiaire sur la Méditerranée.

 

 

 

Sommaire

 

Chapitre 1, Présentation géographique et problématique de la recherche, p. 9-29, dont p. 20-29 : 27 figures (Kallala, Nabil - Sanmarti, Joan).

Chapitre 2, Synthèse des résultats : 2000 ans d’histoire d’Althiburos, p. 31-43 (Kallala, Nabil - Sanmarti, Joan) ;

            2.1. La période numide ;

            2.2. La période romaine ;

            2.3. La période médiévale.

Chapitre 3, Les sondages de la zone 1, p. 45-152, dont p. 70-110 : 110 figures ; p. 119-151 : mobilier (Belarte, Maria Carme).

            3.1. Introduction ;

3.2. La période numide ;

            3.3. La période romaine : le Haut-Empire ;

            3.4. L’époque tardo-antique ;

            3.5. L’occupation médiévale.

Chapitre 4, Les sondages de la zone 2, p. 153-391 dont p. 183-262 : 237 figures ; p. 279-391 : mobilier (Torres Ramon, Joan – Maraoui Telmini, Boutheina )

            4.1. Introduction générale ;

4.2. La période numide ;

            4.3. La période romaine et tardo-antique ;

            4.4. La période médiévale;

Chapitre 5, La fouille de la zone 3, p. 393-410, dont p. 397-405: 30 figures ; p. 409-410: mobilier (Jornet, Rafel –Fadrique, Thaïs – Sanmarti, Joan).

            5.1. Introduction ;

            5.2. Les sépultures ;

            5.3. Remarques finales.