Mathieu, Nicolas - Rémy, Bernard - Leveau, Philippe : L’eau dans les Alpes occidentales à l’époque romaine. 135 ill.+2 pl. hors texte, 474 p., 16 x 24 cm, ISBN 978-2-913905-19-1, 25 euros
(CRHIPA (Centre de Recherche en Histoire et histoire de l’art. Italie-Pays Alpins, Grenoble 2011)
 
Recensione di André Buisson, Université Lyon III
 
Numero di parole: 2561 parole
Pubblicato on line il 2012-05-15
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1643
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          À la suite du colloque sur La ville des Alpes occidentales à l’époque romaine, qui avait donné lieu à une publication sous le même titre dans la même collection (Cahiers du CRHIPA n°13, 2008), les organisateurs publient aujourd’hui les actes du colloque d’octobre 2010 sur le thème de l’Eau dans les Alpes occidentales à l’époque romaine. Les quinze communications ont été regroupées en quatre chapitres, une « Présentation générale », « L’administration de l’eau des villes et sa gestion », « Hydraulique rurale et risque environnemental » et « Les usages de l’eau ».

 

          Le périmètre de l’étude est le même que celui du précédent colloque, il couvre les Alpes occidentales (France, Suisse et Italie) ; la période concernée est principalement l’époque romaine, bien que l’on remarque, avec intérêt, l’étude menée par A. Belmont sur la vallée des Écouges à l’époque moderne et sur laquelle nous reviendrons. Le thème permet de souligner l’importance de la relation de l’homme à l’eau dans une région de montagne où les contrastes climatiques permettent de rendre compte des différences d’adaptation de l’homme au milieu naturel, entre les zones septentrionales, comme Martigny en Valais et les zones méridionales comme Cimiez et Antibes. Les approches choisies par les communicants sont très variées et permettent de fournir un panorama actualisé des usages. Le cadre géographique est suffisamment lâche pour intégrer à cette livraison des études sur l’eau à Vienne (Isère) ou à Aoste (Isère également), agglomérations intégrées dans le sujet car appartenant au territoire des Allobroges, peuple considéré comme « alpin ».

 

          Après une rapide présentation due à P. Leveau, la première partie propose deux communications : J. Planchon, avec « Les Voconces et l’eau : tour d’horizon », recense, principalement à partir des données des Cartes archéologiques de la Gaule 04, 05, 26 et 84/1-3, les différentes découvertes d’aménagements liés à l’eau : autour des voies d’eau, les ponts et gués, la présence de corporations ; les canalisations (aqueducs, notamment celui de Die, qui fait l’objet d’un examen très attentif, égouts, tuyaux…), les aménagements hydrauliques (thermes, citernes, fontaines et, plus neuf, les aménagements de berges, qui rentrent aussi dans la thématique du risque. L. Lautier et S. Ardisson étudient « La gestion de l’eau dans le département des Alpes maritimes… », sous la forme d’un bilan documentaire lui aussi issu de l’inventaire de la CAG (CAG 06). L’étude débute avec une approche très originale, liée à l’étude d’un milieu où l’eau est rare, celle de la proximité ou de l’éloignement entre lieux d’approvisionnement et installations humaines (ainsi on note un rapprochement significatif de l’homme par rapport à l’eau entre l’Âge du Fer et l’époque romaine, lié notamment à l’abandon des habitats perchés). Ensuite les auteurs inventorient les aqueducs d’Antibes puis de Cimiez, avec nombreux détails, notamment concernant les différentes citernes de cette dernière. Les communicants avouent cependant la pauvreté de la documentation archéologique sur les implantations rurales.

 

          La seconde partie, consacrée à « L’alimentation en eau des villes et sa gestion » regroupe des communications sur Aoste (en Dauphiné), Riez, Vienne, Martigny et Aoste (Augusta Praetoria). Consacré à des agglomérations d’importance variée dans l’Antiquité (Aoste est un simple vicus « rural », Vienna la capitale des Allobroges…), ce chapitre présente des aspects relativement nouveaux, notamment pour ce qui concerne l’exploration des réseaux souterrains de captage et des ouvrages d’adduction d’eau. J.-P. Jospin et S. Bleu étudient le cas d’Aoste (en Bugey) auquel ils ont déjà consacré de nombreux travaux. Leur apport est important pour ce qui concerne la question des captages des sources auxquels a été consacrée une activité spéléologique attentive (sur les communes de Romagnieu, de Chimilin et de Granieu). Le site du vicus a livré également des restes de fontaine publique et de thermes. Les auteurs mettent en avant la nouveauté de cette exploration du réseau souterrain, et la découverte de ces « mines d’eau » dont toutes n’ont pas encore livré leurs secrets. H. Aulagnier et al. étudient « l’Eau dans la cité de Riez », ville très exposée au risque torrentiel, comme l’avait déjà souligné C. Allinne. C’est là encore principalement la problématique des « mines d’eau » qui est mise en valeur par les auteurs, avec une exploration délicate de la plupart d’entre elles. L. Brissaud revient sur « l’évolution et l’organisation des réseaux d’adduction d’eau… de Vienne », étude prolongée par celle des noms de personnes sur les tuyaux de la cité. L’auteur relie l’évolution des réseaux d’adduction d’eau à celle des plans d’urbanisme successifs de Vienne, et les liens entre les deux rives à partir de sa connaissance de l’évolution du quartier de la rive droite du Rhône. Son analyse très précise des installations à l’intérieur de chaque îlot du site de Saint-Romain-en-Gal lui permet d’évoquer les différentes séquences chronologiques de son installation, avec toujours des questions sur l’origine de cette eau qui alimentait le quartier : on revient alors sur l’hypothèse d’un franchissement du fleuve par une ou des canalisations longeant les deux ponts sur le Rhône (l’un au nord de la Gère, l’autre au sud de l’église Saint-Pierre), hypothèse confortée par la découverte de tuyaux de plomb immergés dans le lit du fleuve et qui font penser à des aménagements du type de ceux d’Arles. Dans la suite de ce travail, elle revient, avec B. Rémy et N. Mathieu, sur « Les noms de personnes inscrits sur les tuyaux de plomb de la cité de Vienne ». Ces tuyaux, qui apparaissent à partir des Flaviens, proviennent principalement de Vienne, illustrant par exemple la présence d’une cura aquarum dans la ville (en annexe, un catalogue des noms et des marques). F. Wiblé présente « La gestion de l’eau dans la ville de Forum Claudii Vallensium… » et montre, tout d’abord, que la ville a été construite sur un site largement touché par les divagations de la Dranse et le risque inondation a été constaté dans les fouilles du mithraeum, de l’insula 8 et beaucoup d’autres lieux, notamment en périphérie de l’agglomération, où les traces n’ont pas été effacées par l’homme. L’approvisionnement en eau (très pure) se faisait par un aqueduc bien connu, à forte pente ralentie par un palier, pour des besoins nombreux liés à des thermes, fontaines et un nymphée (connu par l’inscription de 253 (AE, 1982, 674). Enfin, P. Framarin présente « La distribuzione e lo smaltimento idrico al Augusta Praetoria (Aoste). Nuovi dati dagli scavi urbani ». Beaucoup de nouveautés là encore, avec le produit de fouilles très récentes sur les castelli secondaires repérés au franchissement des portes de la ville et le parallèle possible avec les aménagements de Pompéi. Un élément de réseau en plomb a également été retrouvé en place dans une fouille urbaine en 2005. 

 

          La troisième partie concerne « (l’)Hydraulique rurale et risque environnemental ». Elle permet de présenter les études menées dans « la région des grands marais de Bourgoin-La Verpillière (Isère) » par différents auteurs dont N. Bernigaud se fait le présentateur. La prospection archéologique menée depuis plusieurs années dans cette zone marécageuse montre l’existence d’une bonification datant de l’époque du haut Empire, avec trois phases principales dans la « colonisation » : expansion de l’occupation humaine jusqu’à la fin du 1er s. de notre ère, déprise au début du 2e siècle, puis reprise forte entre 150 et 250 et baisse peu notable au Bas-Empire. La présence humaine aurait un lien avec les activités de métallurgie du fer, le filage (du chanvre ?) et l’exploitation de l’énergie hydraulique par le biais de moulins dont des biefs ont été repérés et datés par la dendrochronologie entre la Tène finale et le début du second siècle de notre ère, rejoignant les autres indices de la forte bonification « flavio-antonine » (tabl. 1, fig. 7-8). G. Gaucher et al. étudient ensuite « La gestion des eaux fluviales dans les bassins rhodaniens des Basses Terres et de Malville ». Cette zone a fait l’objet d’une forte évolution dynamique durant l’Antiquité, déjà mise en évidence par J.-P. Bravard (1983). Les auteurs soulignent la relative proximité des implantations humaines à l’eau fluviale ; des aménagements portuaires ont pu être relevés, ainsi que des installations liées au rouissage du chanvre, avec toutefois un risque inondation très présent et marqué par la construction de plusieurs canaux de drainage à l’époque romaine. G. De Gattis propose ensuite une étude sur « Donnais-Bard, tronçon de la voie consulaire dite « des Gaules » à travers la vallée d’Aoste ». Il étudie un tronçon particulièrement difficile de cet axe routier et les aménagements considérables effectués pour permettre le bon fonctionnement de la voie et sa conservation dans les conditions extrêmes d’usure et d’érosion et s’intéresse principalement aux aménagements d’un contrefort en appareil polygonal imposant.

 

          La quatrième partie s’attarde sur « Les usages de l’eau ». P. Arnaud fournit une étude sur « Le traitement juridique des usages du cours d’eau selon le Corpus Iuris Civilis ». Il donne les bases de l’analyse juridique romaine de la notion de fleuve public, avec son lit (mineur exclusivement) et ses rives, en fonction principalement de son rôle de voie navigable (proche, ainsi, des viae publicae) dont on doit maintenir la liberté de circulation, au détriment de la construction d’ouvrages de franchissement ou de protection, en pleine opposition avec les « libertés » prises au Moyen Âge face au fleuve. P.-J. Rey propose une réflexion sur les « Réservoirs et systèmes d’irrigation dans les alpages du col du Petit-Saint-Bernard… », difficilement datables, mais liés aux différences de quantités de précipitations entre les versants d’une même montagne, et certainement liés aux techniques d’irrigation des prairies et des cultures. À partir de la découverte de deux structures d’occupation humaine antique en altitude (supérieure à 1500 m), en zones de fortes pentes, l’auteur avance l’hypothèse d’une intensification de l’occupation de la montagne à l’époque romaine et, peut-être, le lien avec la présence des premiers canaux d’irrigation. A. Belmont, dans « De la source à la bouche … », propose ses remarques sur l’occupation humaine de la vallée des Ecouges entre le XIIe et le XIXe s. Celles-ci, bien que débordant du cadre chronologique assigné aux auteurs par les organisateurs du colloque, forment en effet un très bon ensemble de points de comparaisons avec les périodes précédentes, mais cette fois étayées par une relative abondance des sources archivistiques : la vallée (située à une altitude allant de 900 à 1600 m), occupée par une ferme, un moulin et deux charbonneries à l’époque carolingienne, est choisie en 1116 pour l’installation d’une chartreuse qui fut abandonnée en 1422. Extraction de meules de moulins, fabrication de bois d’œuvre, moulin, sont détaillés sur les plans du XVIIIe s. Une grande scie hydraulique est en place en 1873, à côté de bâtiments d’alpage avec leur système d’adduction d’eau. Enfin, avec « Alpini aquatores », A. Sartori donne une réflexion (en italien) sur les « notables prenant en charge la réalisation d’ouvrages hydrauliques ». Les trop rares inscriptions témoignant de cet aspect sont peut-être à lier à l’abondance d’eau et aux faibles besoins en équipements des petites communautés locales.

 

          Les « Remarques conclusives » de P. Leveau occupent plus d’une vingtaine de pages, avec une bibliographie spécialisée. Il distingue tout d’abord les zones alpines en secteurs climatiques et géologiques, puis la spécificité des travaux d’édilité en secteur montagnard, prenant l’exemple de la construction du pont vertigineux dans la gorge du Grand Eyvia (val d’Aoste) en 3 ap. J.-C. Il trouve des comparaisons en matière de creusement, de tunnels à Vieu-en-Valromey (Ain), mais aussi dans la vallée de l’Arve ; je serais plus distant avec celui de Briord (Ain), qui a une fonction de drain plutôt que de « mine d’eau » à mon avis. En matière de risque environnemental, il revient sur les études communes aux deux colloques du CRHIPA, ainsi qu’à des réunions scientifiques d’Aosta : les dévastations liées aux crues n’ont pas toujours laissé les traces escomptées par les archéologues ! Par contre, les habitats ruraux se sont souvent fort bien accommodés de territoires où le risque inondation était élevé, par la construction de canaux de drainage et la pratique de l’irrigation.

 

          Le premier point très positif de ces Actes est le souci des coordinateurs d’en avoir fait un véritable livre, avec six indices (des noms, géographique, des sources épigraphiques, des sources littéraires, des sources juridiques et rerum), ainsi qu’une table des légendes et une table des tableaux (p. 436-474), ce qui, après la lecture directe de l’ouvrage, permet un retour aisé aux différents détails. Cette pratique, qui a demandé aux organisateurs un gros travail éditorial, est suffisamment rare pour être soulignée. Le second point est qu’outre les études « classiques » pointant le recensement des aménagements hydrauliques (Antibes, Cimiez, Die…), le colloque a laissé à voir les perspectives sur des études diachroniques, comme celles portant sur les aménagements hydrauliques de moyenne et de haute montagne ; on aurait pu croiser ces travaux avec ceux menés sur les régions minières (on pense aux mines de Brandes-en-Oisans). Enfin, la recherche sur les thèmes environnementaux, présente ici notamment dans deux communications sur le département de l’Isère, débouche sur les études de séquençage chronologique de la période romaine, à mettre peut-être en relation avec les variations climatiques ?

 

 

TABLE DES MATIERES

 

Liste des auteurs, p. 3

Avant-propos, p. 5

Introduction, p. 7

 

L’eau dans les Alpes romaines : usages, risques (Ier siècle avant J.-C. – Ve  siècle après J.-C.)

Philippe Leveau, p. 7

 

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Les Voconce et l’eau : tour d’horizon

Jacques Planchon, p. 15

La gestion de l’eau dans le département des Alpes-Maritimes à l’âge du Fer et durant la période antique : bilan documentaire des aménagements hydrauliques dans les centres urbains et en milieu rural

Laurence Lautier, Sandrine Ardisson, p. 41

 

L’ALIMENTATION EN EAU DES VILLES ET SA GESTION

Captages et ouvrages d’adduction d’eau autour du vicus d’Aoste

Jean-Pascal Jospin, Stéphane Bleu, p. 79

L’eau dans la cité de Riez

Hélène Aulagnier, Philippe Borgard, Jean-Louis Guendon, Lucas Martin, p. 103

Évolution et organisation des réseaux d’adduction d’eau en rive droite de Vienna, capitale des Allobroges (Ier siècle avant J.-C. – IIIe siècle après J.-C.)

Laurence Brissaud, p. 125

Les noms de personnes inscrits sur les tuyaux de plomb de la cité de Vienne

Bernard Rémy, Nicolas Mathieu, Laurence Brissaud, p. 167

La gestion de l’eau dans la ville de Forum Claudii Vallensium / Martigny (Valais, Suisse)

François Wiblé, p. 213

La distribuzione e lo smaltimento idrico ad Augusta Prætoria (Aosta). Nuovi dati dagli scavi urbani

Patrizia Framarin, p. 239

 

HYDRAULIQUE RURALE ET RISQUE ENVIRONNEMENTAL

La bonification antique des grands marais de Bourgoin - La Verpillière (Isère) : colonisation, grande hydraulique agricole et mise en culture pendant le Haut-Empire

Nicolas Bernigaud, Jean-François Berger, Stéphane Bleu, Laurent Bouby, Claire Delhon, Odile Franc, Grégory Gaucher, Catherine Latour-Argant, p. 265

La gestion des eaux fluviales dans les vallées préalpines à l’époque romaine : les bassins rhodaniens des Basses Terres et de Malville (Ain, Isère)

Grégory Gaucher, Jean-François Berger, Stéphane Bleu, Pierre-Gil Salvador, p. 291

Donnas-Bard, tronçon de la voie consulaire dite « des Gaules » à travers la Vallée d’Aoste

Gaetano De Gattis, p. 317

 

LES USAGES DE L’EAU

Le traitement juridique des usages du cours d’eau selon le Corpus Juris Civilis

Pascal Arnaud, p. 333

Réservoirs et systèmes d’irrigation dans les alpages du col du Petit-Saint-Bernard : vers l’identification de structures antiques ?

Pierre-Jérôme Rey, p. 353

De la source à la bouche. Les usages de l’eau dans la vallée des Écouges (Vercors), du XIIe  au XIXe  siècle

Alain Belmont, p. 377

Alpini aquatores

Antonio Sartori, p. 403

L’eau dans les Alpes romaines occidentales. Exploitation de la ressource hydraulique et gestion du risque Remarques conclusives

Philippe Leveau, p. 413

 

Table des légendes, p. 436

Table des tableaux, p. 442

Index des noms, p. 443

Index géographique, p. 447

Index des sources épigraphiques, p. 455

Index des sources littéraires, p. 455

Index des sources juridiques, p. 455

Index rerum, p. 457