Pichot, Adeline: Les édifices de spectacle des Maurétanies romaines, 220 p., 108 fig., 8 tableaux, ISBN : 978-2-35518-026-2, 41 €
(Monique Mergoil 2012)
 
Rezension von Eloïse Letellier, Ecole normale supérieure, Paris
 
Anzahl Wörter : 1847 Wörter
Online publiziert am 2012-10-24
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1648
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          Cet ouvrage constitue la publication – il faut en saluer la rapidité – d’une thèse de doctorat soutenue en 2010 à l’université de Lausanne sous la direction de Thierry Lungibühl. Adeline Pichot y propose à la fois un catalogue des édifices de spectacle connus dans les Maurétanies romaines et une approche synthétique, permettant de les replacer dans un contexte beaucoup plus vaste. La démarche s’inscrit dans une longue tradition de catalogues d’édifices de spectacle, ouverte par le premier recensement de F. Drexel « Gebäude für die öffentlichen Schauspiele in Italien und den Provinzen », dans L. Friedländer (dir.), Darstellungen aus der Sittengeschichte Roms in der Zeit von Augustus zum Ausgang der Antonine, Leipzig, 1921, vol.4, p. 205-257. On dispose aujourd’hui de plusieurs catalogues se rapportant à des régions de l’Empire romain, depuis les travaux d’Edmond Frézouls (« Les théâtres romains de Syrie », Annales Archéologiques de Syrie, II, 1952, p. 46-100) jusqu’au catalogue des édifices italiens dirigé par Giovanna Tosi (Edifici per spettacoli dell’Italia romana, Rome, Quasar, 2003), en passant par de grands ouvrages comme les quatre volumes de Daria De Bernardi Ferrero, Teatri classici in Asia minore (Rome, L’Erma di Bretschneider, 1966-1974). De nombreux travaux de recensement d’édifices de spectacles ont également été accomplis pour des regiones de l’Italie romaine par exemple. À l’échelle de l’empire entier, les catalogues se spécialisent plutôt par types d’édifices, comme pour les théâtres : Paola Ciancio Rossetto, Giuseppina Pisani Sartorio, Teatri greci e romani, alle origini del linguaggio rappresentato : censimento analitico, Rome, Seat, 1994 ; pour les amphithéâtres : Jean-Claude Golvin, L’amphithéâtre romain : essai sur la théorisation de sa forme et de ses fonctions, Paris, de Boccard, 1988 ; ou pour les cirques : John H. Humphrey, Roman circuses: arenas for chariot racing, London, B.T. Batsford, 1986.

 

          Choisissant de s’intéresser à deux provinces africaines, l’auteur se place également dans la filiation des travaux d’Edmond Frézouls, « Teatri romani dell’Africa francese », Dioniso, XV, 1952, p. 90-103, et elle vient compléter le catalogue entrepris par Jean-Claude Lachaux, Théâtres et amphithéâtres d’Afrique proconsulaire, Aix-en-Provence, Édisud, 1979 ainsi que les travaux de Christophe Hugoniot, Les spectacles de l’Afrique romaine : une culture officielle municipale sous l’Empire romain, Lille, ANRT, 2003. Comme dans la plupart de ces catalogues, l’auteur ne se contente pas du recensement, mais s’attache à confronter les édifices étudiés à la fois à d’autres édifices du même type et au contexte dans lequel ils se sont développés. La problématique annoncée est ainsi clairement historique : l’auteur se donne pour objectif d’aborder la place et le rôle des Maurétanies dans l’Empire, du point de vue des jeux, qui sont une des manifestations flagrantes de la culture romaine. Elle aborde ainsi des questions culturelles, politiques et économiques et revient sur le thème de la romanisation.

 

           Le chapitre introductif reprend très brièvement les contours du sujet, qui englobe tous les édifices de spectacles (théâtres, amphithéâtres, cirques, stades, sans oublier les odéons, même s’ils ne sont par représentés dans le catalogue) dans le cadre historique et géographique des Maurétanies romaines. La zone étudiée correspond aujourd’hui à une partie du Maroc et de l’Algérie. L’auteur présente également sa méthode : elle s’est appuyée sur les textes antiques, l’épigraphie et l’archéologie. Les sources archéologiques publiées, se rapportant majoritairement à des travaux de fouilles antérieurs aux années 1980, ont été exhaustivement dépouillées. L’enquête a été complétée par des études de terrain au Maroc, ce qui n’a en revanche pas été possible pour les sites algériens.

 

          Les deux chapitres suivants sont des chapitres de synthèse qui tracent en préalable les grandes lignes du contexte des édifices étudiés.

          Le chapitre 2 pose les cadres géographique, historique et sociologique des Maurétanies romaines au sein des provinces d’Afrique. L’auteur y replace les trois provinces maurétaniennes (tingitane et césarienne, fondées en 42-43 ap. J.-C. et sitifienne, fondée en 303 ap. J.-C.) dans l’histoire de la conquête romaine et de l’évolution administrative et politique de l’empire. Elle explique leur formation et l’histoire de leur lien mouvementé avec Rome. Elle aborde ensuite quelques aspects de l’économie de ces provinces et de leur urbanisation, élément crucial pour le développement des édifices de spectacle. Enfin l’approche sociologique porte sur les notions d’otium et d’évergétisme.

 

          Le chapitre 3 reprend de manière très synthétique l’histoire architecturale des théâtres, odéons, amphithéâtres, cirques et stades et présente leur fonctionnement, les spectacles qu’ils accueillaient et le personnel qui les donnait. L’auteur s’appuie parfois sur des documents iconographiques africains comme la mosaïque de Zliten (Libye) ou celle de Baten Zammour (Tunisie), qui font l’objet de descriptions plus détaillées (quelques planches en couleurs auraient permis de mieux profiter de ces descriptions). Le chapitre se conclut sur une évocation du prix des bâtiments de spectacles et des jeux en Afrique d’après l’épigraphie et les textes, et sur une brève présentation de la répartition du public lors de ces jeux.

 

          C’est dans le quatrième chapitre que l’on trouve le catalogue détaillé des monuments de spectacle des Maurétanies romaines attestés par l’archéologie ou par les textes. Ce catalogue est classé par provinces puis par villes, de la capitale aux agglomérations moins importantes.  Sont traités les édifices suivants : théâtre, amphithéâtre, cirque et stade de Caesarea/Cherchell ; théâtre et amphithéâtre de Tipasa/Tipaza, amphithéâtre de Tigava Castra et cirque d’Auzia/Sour el-Ghozlane pour la Maurétanie césarienne ; théâtre, amphithéâtre et cirque de Sitifis/Sétif et cirque de Saldae/Bejaia pour la Maurétanie sitifienne ; amphithéâtre de Lixus/Larache et édifice de spectacle de Zilil/Dchar Jdid pour la Maurétanie tingitane.

 

          Pour chaque ville on dispose d’un récapitulatif historique, d’une description générale de l’établissement urbain puis des données concernant chaque édifice. Les rubriques retracent brièvement les fouilles et les recherches dont l’édifice a fait l’objet par le passé, puis donnent une description de toutes ses parties, une éventuelle discussion de sa datation, une présentation de son décor architectural et statuaire et de l’épigraphie associée. Les annexes 1 et 2 contiennent les catalogues des chapiteaux du théâtre et du cirque de Caesarea. Enfin, au sein de chaque province, l’auteur a recensé les éléments iconographiques des décors et objets du quotidien, mosaïques, lampes etc. qui peuvent refléter un attrait particulier pour les spectacles et les jeux (l’annexe 3 donne le catalogue des lampes romaines à thèmes ludiques trouvées en Algérie et au Maroc). Cette approche permet à l’auteur de mettre en valeur un très intéressant phénomène de concentration de représentations parodiques des jeux à Volubilis (p. 119-126).

 

          Le chapitre 5 revient à la synthèse pour interpréter les informations rassemblées en les replaçant au sein de l’histoire architecturale des édifices de spectacle, à l’échelle de l’Afrique et à celle de l’Empire romain. L’auteur y tente par exemple une enquête sur la généalogie des premiers édifices construits dans les Maurétanies, ceux de Caesarea, qu’elle place dans l’héritage direct des modèles de l’Urbs. Elle compare le théâtre à celui de Pompée à Rome. La mise à jour de la bibliographie et la consultation des derniers travaux sur ce modèle incontournable auraient peut-être permis de préciser ce point pour la publication (Antonio Monterroso Checa, Theatrum Pompei : forma y arquitectura de la génesis del modelo teatral de Roma, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 2010). Ce type d’approche se révèle difficile et peu concluant (comme pour la comparaison avec le théâtre de Marcellus, p. 134). L’auteur s’attache donc ensuite plutôt à des comparaisons entre les édifices africains et avec d’autres exemples dans l’Empire, à propos de certaines particularités architecturales, comme la présence d’un sacellum en haut de la cavea dans d’assez nombreux édifices africains. L’élément le plus intéressant concerne la mise en parallèle de la forme très particulière de l’amphithéâtre de Caesarea avec l’édifice de Virunum (province du Noricum), construit sous Hadrien. L’existence de plusieurs procurateurs ayant été actifs à la fois dans les Maurétanies et le Noricum à cette époque permet de soutenir l’hypothèse d’une influence maurétanienne sur l’édifice de Virunum, ce qui éclaire d’un nouveau jour la question de la circulation de modèles entre des provinces très éloignées. Pour finir, des éléments cruciaux comme le problème de la romanisation, le développement du culte impérial ou la fin des jeux font l’objet de courtes synthèses claires, mais qui n’utilisent pas toujours de manière très directe les informations recueillies dans le catalogue.

 

          Le chapitre de conclusion résume brièvement le propos et envisage des perspectives de recherche qui semblent très pertinentes et prometteuses, comme des travaux de fouilles dans l’édifice de spectacle de Zilil/Dchar Jdid au Maroc ou la recherche par prospections de vestiges liés à des bâtiments de spectacle dans des sites qui n’en ont pour l’instant étonnamment pas livrés, comme Tingis, Volubilis ou Sala.

 

          Ce livre se manie facilement, il est abondamment illustré, doté d’une bibliographie bien lisible, d’une table des matières détaillée, d’une liste des figures et tableaux ainsi que d’annexes – outre celles déjà évoquées : une restitution de deux longues inscriptions (annexe 4) et une chronologie générale (annexe 5). L’écriture, sobre et claire, et le parti-pris synthétique rendent la lecture de l’ouvrage aisée et rapide. Cependant il nous a semblé parfois que trop de concision occultait certains points problématiques. Ainsi, s’il était louable de ne pas oublier les odéons au sein des édifices de spectacle romains, le paragraphe qui leur est consacré (p. 40) est trop bref pour pouvoir présenter toutes leurs ambiguïtés. Un édifice africain comme l’odéon de Carthage, d’une centaine de mètres de diamètre, contredit déjà les affirmations concernant la taille réduite et le caractère nécessairement intimiste de ces édifices et pose également le problème de la couverture. De même la question du prix des places ou de leur gratuité (p. 63) n’est pas facile à aborder et aurait mérité des éclaircissements plus approfondis d’après les sources. L’allusion aux représentations d’édifices de spectacles sur la colonne trajane (p. 168) ne laisse pas assez de place aux larges débats sur l’identification des édifices et des villes évoqués. Du point de vue de la forme, les fiches du catalogue sont entièrement rédigées, ce qui permet bien d’envisager la singularité de chaque bâtiment sans le réduire aux cases d’un tableau. Le travail de dépouillement a été mené de façon très systématique ; on aurait cependant apprécié de pouvoir disposer en plus d’une bibliographie complète par édifice. D’autre part le choix de procéder à la description de manière topographique, en suivant les différentes parties de l’édifice, et non par phases, rend parfois la compréhension plus difficile (par exemple pour le théâtre de Caesarea, transformé en amphithéâtre, p. 69-71). Enfin, si l’on apprécie la grande quantité des illustrations, on regrette souvent leur trop petite taille ou le manque de netteté de certaines photographies et dessins (annexes 1 et 2 par exemple).

 

          Le livre d’Adeline Pichot est le fruit d’un important travail sur des provinces dont les édifices de spectacle ne comptent pas parmi les plus connus du monde romain. Il faut la remercier de leur avoir consacré la première étude exhaustive qui permet de les replacer dans le contexte général des spectacles en Afrique et dans l’Empire romain. L’ouvrage intéressera donc tout autant les spécialistes des jeux et de l’architecture des spectacles que ceux qui voudraient mieux connaître les provinces maurétaniennes et leur développement urbain au sein de l’empire.