Werren, Jacques : Jules Ziegler - Céramiste, peintre, photographe. ISBN: 978-2-913566-55-2, 55 €
(Editions de la Reinette, Le Mans 2010)
 
Compte rendu par Jean-François Luneau, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand
 
Nombre de mots : 1325 mots
Publié en ligne le 2012-09-21
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1656
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         Enfin un livre sur Ziegler, à la fois peintre d’histoire, photographe et céramiste ! Certes le personnage était déjà connu, mais d’une manière assez parcellaire. Stéphane Guégan a consacré sa thèse de doctorat au peintre en 2000, hélas non publiée à ce jour (Stéphane Guégan, Jules Ziegler, peintre, thèse de doctorat d’histoire de l’art, Paris IV, 2000, sous la direction de Bruno Foucart). L’auteur lui-même, dans la suite de l’étude pionnière de Marguerite Coffinier parue en 1978 dans le Bulletin du Groupe de recherches et d’études de la céramique du Beauvaisis (GRECB), a repris le dossier en publiant successivement dans le même bulletin une étude sur le rénovateur du grès artistique en France au XIXe siècle (GRECB, 1995), un deuxième article sur les continuateurs de l’œuvre céramique de Ziegler (GRECB, 1998), puis une troisième étude sur l’influence européenne de Ziegler céramiste (GRECB, 2004). Dans le même temps, Jacques Werren s’est intéressé à la question de Ziegler photographe et a publié un article sur le sujet en 2002 dans les Études photographiques. De toutes les facettes du personnage, le grand public ne connaissait jusque-là que le céramiste, grâce à la présentation de quelques pièces à l’exposition sur l’âge d’or des arts décoratifs en 1991 (Un âge d’or des arts décoratifs [cat. exp.], Paris, RMN, 1991, n° 247 à n° 249, p. 435-437) et à un article de L’Estampille en 1993 (Yves Peltier, « J.C. Ziegler, céramiste novateur », L’Estampille. L’objet d’art, n° 274, novembre 1993, p. 66-75). Il faut donc saluer la publication de cet ouvrage qui met pour la première fois à la disposition du public la synthèse des travaux antérieurs de l’auteur. Si le livre insiste particulièrement sur l’œuvre céramique, il n’élude pas pour autant le peintre ou le photographe.

 

          Le premier chapitre est consacré à la biographie de Jules Ziegler, personnalité attachante, curieuse de tout (Un esprit « éminemment chercheur » p. 13-52). Né à Langres en 1804, il suit des études de droit pour devenir avocat. Ses goûts personnels le portent plutôt à la peinture, et, contre l’avis paternel, il entre tardivement dans l’atelier de Heim en 1825, puis bientôt dans celui d’Ingres en 1826, tout en étudiant la botanique. Au prix d’un grand labeur, il brûle les étapes, et obtient un premier succès au Salon de 1833 avec Giotto dans l’atelier de Cimabue. Grâce à son talent et à l’étendue de son réseau d’amitiés, il obtient des commandes officielles de tableaux d’histoire pour le Musée de Versailles (1835) ou de projets de vitraux pour la manufacture de Sèvres (chapelle du château de Compiègne, 1837). Cependant, en 1835, Thiers lui confie la peinture de la coupole de l’église de La Madeleine, un décor de 250 m² qu’il achève en 1838, et qui le fait considérer par certains comme le « Cornelius français », alors que, grâce au Prophète Daniel de 1838, il est décrit comme « le fils de l’art espagnol ». Ces trois années dans la pénombre de l’église lui valent une grave maladie des yeux, et il part se reposer dans l’Oise. C’est alors qu’il se lance dans la céramique, à Voisinlieu, une activité qui l’occupe pendant cinq ans. En 1843, il abandonne son affaire à son associé : il retourne à la peinture, et se consacre aussi à la rédaction de son ouvrage, Études céramiques, qui paraîtra en 1850. L’auteur évoque aussi, en ces années, l’investiture maçonnique probable, le militantisme associatif au profit des artistes, l’engagement politique de 1848, et le dévouement à la cause de la Société de la Paix en 1851. Par ailleurs, Ziegler pratique le daguerréotype dès 1842, puis les procédés au collodion au côté d’Hippolyte Bayard. C’est en tant que membre fondateur de la Société héliographique qu’il est choisi comme juré de l’Exposition universelle de Londres en 1851. Le début de la décennie 1850 est marqué par les travaux photographiques et par la poursuite de sa carrière de peintre. En 1854, Ziegler est nommé conservateur du musée de Dijon et directeur de l’école des Beaux-Arts de la même ville. Il y reste jusqu’en février 1856. Rentré à Paris, Ziegler succombe d’une crise d’apoplexie à la fin du mois de décembre 1856.

 

          Le deuxième chapitre, de loin le plus important, aborde la production céramique de Jules Ziegler (Le rénovateur du grès artistique, p. 53-194). Appuyé par une documentation abondante, parmi laquelle figurent des planches des calepins de Ziegler, des pages tirées du traité de Brongniart sur les arts céramiques ou de la description du musée de Sèvres par le même Brongniart et Riocreux, ainsi que de nombreuses photographies d’œuvres conservées dans les collections publiques et privées, françaises et étrangères, Jacques Werren décrit en quatre parties l’œuvre du céramiste. La première aborde les étapes de la redécouverte de la technique du grès salé, la deuxième évoque le succès commercial de l’entreprise fondée par Ziegler. La troisième s’attache à l’analyse des Études céramiques, traité publié en 1850. Enfin, la quatrième section décrit la fécondité stylistique des créations céramiques de Ziegler, où le naturalisme végétal inspiré de Bernard Palissy voisine avec des pièces surmoulées sur des grès allemands de la Renaissance, où la copie de modèles anglais contemporains ou des vases créés à Sèvres d’après des dessins de Chenavard côtoie la création de pièces inspirées de l’Égypte, de l’Inde, de la céramique étrusque ou chinoise, ou encore de l’art hispano-mauresque. Comme l’indique le dernier paragraphe, il s’agit d’une « production inventive éclectique ». La plupart des vases produits par Ziegler ne sont pas tournés, mais moulés. Une grande partie du décor est constituée d’éléments façonnés à part et rapportés à la barbotine, ce qui permet de varier à l’infini l’ornementation. Les grès cuits sortent du four avec une couleur brune ou marron qui les caractérise, mais certains, cuits en atmosphère réductrice, prennent une teinte grise. Enfin, Ziegler expérimente également l’émaillage des vases, qui permet, en combinant la coloration avec la multiplicité des décors en relief, d’obtenir une grande diversité dans sa production, laquelle s’élève à un demi-millier de pièces actuellement repérées.

 

          Le dernier chapitre analyse la postérité céramique de Jules Ziegler (L’école de Voisinlieu, p. 195-228). Car Ziegler, malgré ses difficultés avec les potiers locaux qui refusaient de se départir de leurs habitudes, a fini par faire école malgré la brièveté de son investissement dans la céramique. Sa propre manufacture a poursuivi son travail, avec des bonheurs divers, jusqu’à sa fermeture en 1857. Plusieurs autres fabriques travaillant dans le même esprit que celui du fondateur, ouvrent également dans l’Oise, la plupart fondées par d’anciens employés. Trois d’entre elles font l’objet d’une analyse plus poussée, montrant la longue postérité du céramiste de Voisinlieu au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Jacques Werren donne ensuite un aperçu des productions inspirées de Ziegler dans plusieurs pays, en Angleterre, notamment chez Minton, en Belgique, en Allemagne ou en Autriche, ou encore dans de nombreuses régions françaises (région parisienne, Nord, Lorraine, Centre, Bretagne, Bourgogne, Auvergne).

 

          Le livre s’achève par une riche partie documentaire qui débute par trois annexes. La première réunit un grand nombre de photographies d’anses exécutées par Ziegler pour ses vases. La deuxième reproduit toutes les marques relevées sur les céramiques de l’entreprise, cachet personnel de Ziegler, marque de potiers, marque commerciale des successeurs, etc. La dernière annexe est une réimpression du traité de Ziegler, Études céramiques. La bibliographie qui fait suite aux annexes est, à notre avis, fort peu académique : d’une part les sources d’archives sont mêlées aux titres des livres, d’autre part la littérature primaire, contemporaine de Ziegler, n’est pas séparée de la littérature secondaire historique ou critique. Enfin la rubrique des catalogues d’exposition, sans doute pour une raison de maquettage, est placée au beau milieu de la bibliographie générale sans indication typographique qui la distingue du reste. Un utile index des noms de personnes termine cette partie. Deux résumés en anglais et en allemand, placés sur les rabats de la couverture, complètent cet ouvrage documentaire remarquablement illustré, qui sera aussi utile à l’historien ou au conservateur qu’à l’amateur ou au collectionneur.