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Compte rendu par Yvan Maligorne, Université de Bretagne occidentale Nombre de mots : 1218 mots Publié en ligne le 2013-06-27 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1667 Lien pour commander ce livre
Ce petit ouvrage constitue le catalogue rétrospectif d’une brève exposition qui s’est tenue du 7 au 15 mai 2011 au musée Biblique de Tarragone. Il présente l’originalité d’être trilingue : au texte catalan, accompagné de clichés et plans, sont adjointes des traductions en castillan (p. 50-66) et en anglais (p. 67-83), cette dernière n’étant pas irréprochable.
L’exposition présentait au public le résultat des recherches archéologiques conduites sur l’acropole de Tarragone. Depuis plusieurs décennies, des enquêtes fécondes ont précisé la morphologie de cette colline, sur laquelle, à partir de l’époque flavienne, s’étagent en une remarquable séquence monumentale les composantes de ce que l’on a coutume d’appeler le sanctuaire provincial du culte impérial. Les fouilles documentent l’existence d’un cirque et de deux places enserrées par des triportiques, celui de la place supérieure étant agrémenté d’une exèdre axiale dans laquelle on a proposé de reconnaître une salle cultuelle, voire une véritable cella. Mais de nombreux chercheurs proposaient de compléter cet ensemble déjà impressionnant en restituant au centre de la place supérieure, à l’emplacement de la cathédrale médiévale, le temple du divin Auguste dont la construction est attestée par un passage fameux de Suétone. C’est autour de ce temple que se serait constitué à l’époque flavienne le sanctuaire provincial. Cette hypothèse semblait étayée par la découverte de blocs d’architecture d’époque julio-claudienne, en particulier une magnifique frise de rinceaux, appartenant selon toute vraisemblance à une aedes plus précoce que les autres structures, lesquelles ont livré un abondant décor architectonique dont la datation flavienne n’est pas contestable.
C’est cette hypothèse que les archéologues catalans ont voulu vérifier : les prospections géophysiques entreprises en 2007 ont révélé la présence de structures architecturales sous la cathédrale et ont entraîné la tenue de fouilles, qui ont eu lieu en 2010-2011. Celles-ci ont mis au jour les vestiges d’un temple imposant. Rien ne permet d’en identifier avec certitude le titulaire, mais une attribution au divus Augustus est tenue pour très vraisemblable par tous les chercheurs qui se sont exprimés sur cette découverte.
Si les structures monumentales d’époque impériale constituent le prétexte de l’ouvrage, l’exposition a pris soin de les replacer dans une longue séquence chronologique et d’examiner l’évolution du site de la période républicaine à l’époque moderne. L’ouvrage s’ouvre sur une rapide présentation synthétique de l’histoire du site (p. 3). Suit une présentation succincte des vestiges du temple tibérien et du sanctuaire flavien (p. 6-9), à laquelle est adjoint un court exposé sur le temple "urbain" de Mars Ultor, modèle supposé de l’aedes de Tarragone. Ces brefs développements ne donnent pas une image très claire du site, les évolutions intervenues à l’époque flavienne n’étant pas exposées avec la précision souhaitable ; quant à la présentation du temple du forum d’Auguste, elle est fort mal articulée au reste du discours et introduite abruptement. Du temple de Tarragone, n’a été retrouvée qu’une plate-forme maçonnée sur laquelle reposait le podium ; les dimensions de l’aedes sont estimée à 27 x 47 m, et sont compatibles avec un plan octastyle. Les divers états de la cathédrale sont ensuite présentés (p. 9-12) : au VIe s., le site est peut-être devenu siège épiscopal, et la cathédrale wisigothique aurait occupé l’emplacement de l’aula cultuelle flavienne ou d’une des exèdres du portique. Après une solution de continuité de quatre siècles due à l’occupation arabo-berbère de 713, le site est à nouveau occupé à partir de la fin du XIe s. C’est durant la seconde moitié du XIIe s. qu’est reconstruite la cathédrale.
Les illustrations de cette première partie de l’ouvrage – clichés de fouilles, plans, maquettes – sont rassemblées aux pages 13-20.
Les différentes phases sont ensuite représentées par de petites illustrations, flanquées chacune d’une courte citation littéraire (p. 22-23). Ces vignettes sont certes très évocatrices, mais elles ne sont pas commentées ; surtout, elles sont orientées différemment, ce qui ne facilite pas la lecture des évolutions du site, notamment quand sa morphologie subit des bouleversements profonds.
Le catalogue des pièces exposées, dont on doit la découverte aux fouilles récentes, constitue à lui seul près de la moitié de l’ouvrage (p. 24-46). Les fragments d’architecture antiques sont bien représentés. Tous sont de dimensions réduites. La plupart, taillés dans un marbre de Luni, sont attribuables à la phase flavienne du complexe et se rapportent à des structures déjà bien connues, comme la succession de clipei et de candélabres décorant l’attique des portiques de la terrasse supérieure, à l’imitation du décor du forum d’Auguste dans l’Urbs ; mais deux fragments de corniches, sculptés dans un marbre de Proconnèse sont attribués à la réfection hadrianique du temple, documentée par l’Histoire Auguste. On notera aussi la présence d’un modeste fragment de sculpture colossale (un orteil) prudemment attribué à la statue de culte du temple (p. 34). Un infime fragment d’inscription, une monnaie constantinienne et des fragments de céramique complètent ces découvertes d’époque romaine. Suivent des fragments de céramique d’époque wisigothique, et les trouvailles médiévales (monnaies, céramique, orfèvrerie), moderne et contemporaines (numismatique et céramique). Deux maquettes, l’une du temple romain, l’autre du projet de la cathédrale gothique, clôturent le catalogue (p. 46).
L’ouvrage s’achève sur une bibliographie succincte (p. 48) et un dépliant photographique récapitulant les différentes étapes du projet de recherche ayant affecté l’acropole.
Ce bref ouvrage ne peut offrir qu’un survol rapide de l’histoire du site et de ses évolutions. Alors que la première partie s’adresse manifestement à un public assez large, il est à craindre que seuls les spécialistes puissent saisir l’intérêt des pièces souvent très fragmentaires présentées dans le catalogue. Ce livret n’en constitue pas moins un aide-mémoire agréablement conçu, et l’on ne peut que saluer le choix d’une édition trilingue, qui témoigne d’un réel souci pédagogique. La découverte du temple de Tarragone constitue l’une des avancées les plus importantes de l’archéologie récente de la péninsule Ibérique ; plusieurs études détaillées lui ont déjà été consacrées, qui complètent utilement la consultation du catalogue recensé ici, lequel conserve d’ailleurs toute son utilité, puisqu’il est le seul à notre connaissance qui publie des clichés du mobilier archéologique : citons ainsi R. Mar et P. Pensabene, "Finanziamento dell’edilizia pubblica e calcolo dei costi dei materiali lapidei : il caso del foro superiore di Tarraco", dans S. Camporeale, H. Dessales, A. Pizzo (éd.), Arqueologia de la construcción, II, Los procesos constructivos en el mundo romano : Italia y provincias orientales, Madrid, Mérida, 2010, p. 509-537 et surtout P. Pensabene et R. Mar, "Il tempio di Auguso a Tarraco. Gigantismo e marmo Lunense nei luoghi di culto imperiale in Hispania e Gallia", Archeologia Classica, LXI, 2010, p. 243-307, article qui dresse un bilan historiographique détaillé, présente une description des structures et des blocs d’architecture et propose une restitution. On ne peut guère douter que la production scientifique autour du monument est appelée à croître rapidement, et qu’elle ne se limitera pas aux questions architecturales et archéologiques : la découverte probable du temple "municipal" du divin Auguste au centre du sanctuaire ou forum "provincial" ne peut que susciter de nouveaux débats sur la question du statut de cet espace, déjà abordée par W. Trillmich ("Foro municipal" und "Foro provincial" in den hauptstädten der drei hispanischen Provinzen : eine Fiktion ?, dans J. Arce et P. Le Roux eds., Ciudad y comunidad civica en Hispania [siglos II. y III. después de J.C.], Paris, 1993, p. 115-124).
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |