Aurenche, Olivier: Vous avez dit ethnoarchéologue ? Choix d’articles (1972-2007). Collection de la Maison de l’Orient, 47 ; Série archéologique, 16 – 524 p. : 228 ill. ; 25 cm – ISBN 978-2-35668-027-3 – 48 €
(Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, Lyon 2012)
 
Compte rendu par Stéphane Lebreton, université d’Artois
 
Nombre de mots : 1363 mots
Publié en ligne le 2013-08-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1671
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          Cet ouvrage est constitué d’un choix d’articles publiés sur 35 ans, entre 1972 et 2007, par Olivier Aurenche, actuel professeur émérite à l’université de Lyon 2. D’une certaine façon, ce recueil propose le bilan d’une carrière scientifique, que l’on sent passionnée, au service de l’ethnoarchéologie. Le champ géographique de l’enquête sur ces 35 années est large puisqu’il concerne une grande partie du Proche-Orient (Turquie, Chypre, Syrie, Liban et Jordanie), même si un grand nombre d’études s’intéresse principalement à la Syrie. Le livre adopte un plan à échelles emboîtées en s’organisant en quatre grandes parties. La première propose une présentation de la méthode (3 articles). La deuxième constitue une réflexion théorique sur ce que peut apporter l’ethnoarchéologie, en particulier pour penser le nomadisme et le processus de sédentarisation (6 articles). Les deux dernières parties sont des études de cas divisées en deux sous ensembles : « architecture et habitat » (15 articles) et « techniques et objets » (4 articles). Le tout est précédé de deux écrits « en guise de prolégomènes » : « Histoire grecque et "actualisme" politique. À propos de l’Alcibiade de J. de Romilly » et « Il était une fois le Liban. Conte politique ». Ces deux articles, libres de ton, sont les moins convaincants et dénotent par rapport au reste de l’ouvrage. De la même manière, pour rester dans la critique, on pourrait regretter l’impression de répétition d’un article à un autre, surtout dans la partie 3 consacrée aux études de cas concernant l’architecture et l’habitat. Par l’agencement des articles, le lecteur peut avoir le sentiment d’avoir à faire à une déclinaison d’exemples permettant de valider un modèle théorique initial. Et ce serait réducteur puisque c’est bien par la multiplication des enquêtes sur le terrain (partie 3) qu’O. Aurenche peut proposer un cadre général, s’apparentant par certains aspects à un modèle (parties 1 et 2). De fait, la 3e partie, voire la 4e, ne sont pas forcément à lire en continu, mais selon l’intérêt des développements ou pour comprendre l’argumentation des propositions avancées dans les deux premières parties.

 

          Une grande part des études proposées s’intéresse aux conditions de sédentarisation d’une population nomade, cela en suivant deux axes d’analyse. Tout d’abord, l’auteur tente de comprendre comment l’installation progressive d’un groupe de nomades se concrétise spatialement. Il définit ainsi trois phases principales (par exemple : p. 145). Dans la première, l’occupation est assez lâche. L’installation des premiers habitats est dispersée, reprenant les habitudes d’un campement. L’habitat se densifie progressivement dans une deuxième phase, soit par l’extension des constructions primitives, soit par l’érection d’habitations intercalaires. Ce développement peut constituer un noyau assez dense qui entraîne parfois une saturation de l’espace. Si bien, qu’au bout de deux à trois générations, le site est abandonné par essaimages successifs de groupes qui partent fonder de nouvelles implantations ou par glissement latéral de l’habitat (3e phase). Parallèlement, O. Aurenche se penche sur les conditions matérielles de l’implantation d’une population nomade. Ils s’interrogent sur les matériaux employés, sur l’origine des techniques utilisées et sur l’architecture adoptée pour les premiers habitats par une population qui n’a pas forcément d’expérience en la matière.

           

          Mais l’objectif de l’auteur n’est pas de constituer un simple inventaire d’enquêtes ethnographiques à partir de l’étude de sociétés traditionnelles. Il est bien plus ambitieux en considérant que « l’ethnoarchéologie peut fournir un catalogue d’hypothèses » valables pour d’autres périodes, dans lequel l’archéologue a la possibilité de trouver une source d’informations pour sa propre activité (p. 44). Sa réflexion se fonde sur des comparaisons avec les données archéologiques recueillies sur des sites fouillés dans le même espace géographique et sur la connaissance personnelle de certains de ces gisements. L’auteur a ainsi pu constater des similitudes dans le temps des modes de constructions, des techniques employées et de l’organisation des fonctions dans l’habitat. « Tout se passe comme si, les possibilités des matériaux utilisés n’étant pas illimitées, les mêmes réponses avaient été apportées par des constructeurs différents à des millénaires d’intervalle » (p. 43). Une technologie similaire aurait permis d’obtenir des résultats comparables en raison de la nécessité d’employer les mêmes matières premières disponibles. Toutefois, pour O. Aurenche, cette apparente continuité ne proviendrait pas d’une transmission directe. D’ailleurs, ces sociétés n’ont pas forcément de liens dans le temps. Dans ces conditions, il est difficile de considérer qu’il y a eu une filiation des savoir-faire. C’est davantage parce que les matériaux et les conditions d’existence sont semblables que les techniques sont apparentées. « La comparaison de réalités distinctes fait (…) apparaître un faisceau de convergences dans les résultats obtenus » (p. 44). C’est pourquoi, l’auteur préfère parler de convergences et non d’influences par-delà le temps.

 

          Autant l’avouer, si j’ai choisi de faire le compte rendu de cet ouvrage, c’est moins en spécialiste de la question que par intérêt intellectuel pour ce que peut apporter l’ethnoarchéologie. Or, je suis sorti de la lecture de ce recueil d’articles en étant convaincu de la démarche. Voici un livre réjouissant autant pour l’archéologue que pour l’historien. Il est même probable qu’il soit plus utile à l’historien, sans doute moins familier de ce type d’approche. L’ethnoarchéologie, telle qu’elle est pratiquée ici, apporte une connaissance concrète du terrain quand l’historien en a souvent un point de vue éloigné et livresque. Elle permet ainsi de frotter ses connaissances et ses a priori aux réalités pragmatiques d’un territoire. Plus encore, cette lecture est stimulante par la différence du regard qu’elle suscite. Les études d’histoire ancienne privilégient souvent le phénomène urbain. Nous en abordons ici les marges en prenant en considération le nomadisme, les modalités de la sédentarisation, l’évolution d’un village sur quelques générations. Ce renversement de perspectives permet de relativiser l’approche traditionnelle. Il donne la possibilité d’interroger le « manque » des sources. Prenons un exemple. La lecture d’O. Aurenche sur les conditions du nomadisme (p. 107-109 ; 129-140) peut ainsi amener à réfléchir sur la description de Strabon (XII, 6, 1) de la Lycaonie en Asie Mineure. En comparant ce texte, malheureusement trop bref, avec les données recueillis par O. Aurenche, on se rend compte à quel point ce territoire peut réunir les conditions propres à une économie basée sur le nomadisme, tout en étant parfaitement intégrées aux régions adjacentes : paysage de steppes, développement de troupeaux de moutons, présence de salines qui permettent « d’assaisonner le fourrage sec donné au bétail en hiver » (p. 134), mention d’ânes sauvages dont la chasse est traditionnellement un complément pour les habitants de la steppe (p. 133). Si la présence du pastoralisme a déjà été notée en Lycaonie1, on n’en a peut-être pas saisi toutes les conséquences pour la région. La lecture de cet ouvrage permet ainsi de réévaluer, de questionner différemment les indications littéraires. Pareillement, l’article sur la comparaison des palais pour en définir l’organisation et les fonctions (p. 233-262), ou celui sur les villages d’été et villages d’hiver dans la vallée de l’Euphrate (p. 321-332), entre autres exemples, peuvent donner des clefs de lecture très intéressantes sur des sujets souvent peu abordés par ailleurs.

           

          Les études anatoliennes, dans la tradition française, se réfèrent très régulièrement aux travaux fondateurs de L. Robert. On souligne souvent l’intérêt que le savant a porté à la géographie des lieux traversés. On reconnaît son aptitude à considérer les traditions locales, à chercher à comprendre l’utilisation de certaines techniques ou l’emploi de matériaux particuliers pour mieux interpréter les textes. Si la partie épigraphique de l’œuvre de L. Robert a été amplement poursuivie, le volet « ethnographique » a été quelque peu laissé de côté dans une Turquie qui, il est vrai, s’est aussi rapidement transformée. Or, les études proposée ici par O. Aurenche reprennent cet héritage et en dépassent même le cadre au travers d’une méthode plus aboutie.

           

          Terminons en soulignant l’intérêt particulier de l’article 6 « l’ethnologie dans le Levant » qui soumet une bibliographie commentée très utile par aire d’étude.

 

 

1- De la même façon, on peut se demander si Soatra et Garsaoura, qui apparaissent comme des bourgs urbains installés autour de points d’eau dans cette description de la Géographie, ne sont pas des agglomérations qui se sont fixées progressivement sur des routes de « nomadisme moutonnier », en connaissant le processus de sédentarisation de groupes de nomades décrit par l’auteur (p. 109 par exemple).