Galliano, Geneviève: Un jour, j’achetai une momie... Emile Guimet et l’Egypte antique. Catalogue d’exposition. 288 pages, 385 ill., 250x280 mm, EAN : 9782754106214, ISBN : 978-2-7541-0621-4, 39,00 €
(Hazan, Malakoff 2012)
 
Reseña de Julie Masquelier-Loorius, CNRS
 
Número de palabras : 2134 palabras
Publicado en línea el 2012-09-29
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1678
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          Le musée Guimet, installé place d’Iéna à Paris ne laisse rien transparaître du rôle de son créateur dans la constitution de collections d’antiquités égyptiennes. Ce catalogue de l’exposition organisée au musée des Beaux-Arts de Lyon du 30 mars au 2  juillet 2012 touche différents domaines de recherche et met en exergue l’éclectisme d’Émile Guimet.

 

           Les études qui précèdent le catalogue des objets exposés, issus des collections d’Émile Guimet, retracent la biographie de ce personnage (1836-1918) et sa contribution à la mise en valeur de la production « artistique » de l’Égypte antique. Son rôle dans la création des musées et la diffusion des savoirs « scientifiques » est mis en évidence.

 

          Le catalogue des œuvres exposées suit un plan différent de celui des quatre parties qui le précèdent et ses thématiques ne correspondent pas aux sections de l’exposition. Il est hiérarchisé suivant le type d’acquisitions ou l’étape de formation de la collection, puis par site archéologique ou type d’objets. En outre, certaines pièces exposées n’ont pas fait l’objet de notices dans le catalogue, comme les documents écrits et l’album de photographies familiales. La large palette d’artefacts égyptiens couvre toutes les périodes, du prédynastique à l’époque hellénistique et romaine, et certaines pièces datent de l’époque byzantine.

 

          Enfin, une liste des personnes en relation avec Émile Guimet et une bibliographie complètent les contributions au catalogue et les notices relatives aux pièces muséales.

 

           Émile Guimet est un personnage au parcours atypique et à la personnalité complexe. L’entreprise familiale fondée par son père est mondialement connue depuis les années 1830 pour la mise au point de l’outremer artificiel ou « bleu Guimet », notamment utilisé pour l’azurage du linge et des papiers, comme la florissante Compagnie des Produits Chimiques d’Alais et de Camargue, qui va devenir le groupe industriel de production d’aluminium Péchiney. Émile Guimet prend la direction de la manufacture en 1867, l’année où il devient membre de l’académie des Belles-Lettres et Arts de Lyon. Cet industriel compétent avait de multiples centres d’intérêt, comme le montre sa prédilection pour les Beaux-Arts et les arts libéraux, qui en ont fait un collectionneur d’antiquités, mais aussi pour l’« ailleurs », qu’il découvre lors de ses multiples voyages en Méditerranée (Espagne, Italie, Sardaigne, Grèce, Turquie, Algérie, Égypte à plusieurs reprises ; carnets de voyages, illustrations [cat. 6 à 8, 99], croquis, photographies de Beato) et en Orient (en particulier, son tour du monde en 1876 avec le dessinateur Félix Régamey : États-Unis d’Amérique, Pacifique, etc.). Mélomane, compositeur de musique instrumentale, mais aussi de chansons (il est le parolier ou il utilise les œuvres de Molière, Hugo ou Musset), Guimet, aussi passionné de théâtre (p. 28), compose un opéra en 5 actes (intitulé Taï Tsoung, d’après une chinoiserie écrite par Ernest d’Hervilly, cat. 139). On ne lui connaît pas de diplôme particulier, mais ses aptitudes dans les arts et lettres ont contribué à le former à l’égyptologie, en tant qu’amateur d’art et féru d’histoire des religions. Plus qu’un égyptophile éclairé, Guimet avait une « place unique entre mécènes et savants » (p. 100). Ainsi, l’œuvre de Guimet ne se résume pas à la création et à l’alimentation de musées nationaux, ni au financement de fouilles archéologiques.

 

          Ce chef d’entreprise avait de très nombreux contacts avec le milieu scientifique, auquel en tant qu’auteur et conférencier, il est finalement intégré. L’apport de ses publications égyptologiques à la discipline est considérable pour l’époque (p. 149). La première édition du Petit guide illustré du musée Guimet date de 1890. En 1909, paraît le Catalogue du musée Guimet. Galerie égyptienne. Stèles, bas-reliefs, monuments divers, la « première publication scientifique consacrée aux Antiquités égyptiennes » préparée par Alexandre Moret, seul égyptologue qui a été nommé conservateur au musée Guimet (p. 142-143). En 1912, Guimet publie les portraits d’Antinoé.

 

          Ce « communicant » souhaite initier et former les moins lettrés à la culture par la visite (volontaire) des musées et la participation à des conférences : « Je cherche à propager la science, à semer de la graine de savants, et si sur cent graines une seule prospère, j’aurai atteint mon but » (p. 21). Membre de sociétés savantes, françaises et étrangères, il favorise l’échange avec les conférenciers, en diffusant leurs travaux et en mettant à leur disposition la documentation (objets archéologiques au musée et études en bibliothèque). Son ambition pédagogique consiste à « allier l’étude scientifique et la transmission des connaissances, l’éducation des élites et celle du peuple » (p. 138) et présenter une nouvelle approche de la religion, différente de celle proposée par le Christianisme. Son souhait est de créer un musée au service des sciences religieuses (p. 135), mettant en exergue la pluralité des cultures (p. 140).

 

          Guimet a un véritable « coup de cœur » en visitant le musée de Boulaq, en 1865. Il publie alors Croquis égyptiens. Journal d’un touriste et s’inspire des installations de ce musée pour la présentation de la collection familiale à Lyon, dans le nouveau musée qui portera son nom. La maison Guimet (peintures, buste des membres de la famille, cat. 1 à 5) ou « musée de Fleurieu » est encombrée de presque 500 antiquités égyptiennes, achetées en Égypte ou, à partir de 1875, acquises auprès d’antiquaires à Paris. Les collections du musée Guimet à Lyon sont très importantes et la place pour les exposer manque. Son fondateur décide alors d’offrir ses collections à l’État en 1885. Les pièces sont déménagées en 1889 dans un nouveau musée national qu’il va diriger à Paris, dans un contexte scientifique et culturel qu’il espère plus propice à leur diffusion. Le musée reçoit une partie des objets issus des fouilles françaises en Égypte et en particulier, d’Antinoé. Le nombre d’antiquités égyptiennes acquises par le mécène s’accroît considérablement, surtout après le voyage en Égypte de 1895. Si Guimet ne réussit pas dans un premier temps à obtenir des objets provenant des fouilles de Dahchour et d’Abydos, il réussit à acquérir progressivement du matériel constituant un remarquable témoignage des sépultures royales de la Ire dynastie égyptienne, aménagées dans la nécropole d’Oumm el-Qaab à Abydos. Un musée Guimet rouvre à Lyon en 1913, accueillant en dépôt des œuvres du musée homonyme parisien, du musée du Louvre et de la collection personnelle d’Émile Guimet, ainsi que des objets issus des fouilles de Coptos (principale collection française d’objets provenant de ce site). En 1918, Émile Guimet décède dans la maison où se sont formées ses collections d’antiquités. À la suite de la réorganisation des musées nationaux, en 1969, les objets des galeries égyptiennes du musée Guimet lyonnais sont transférés au musée des Beaux-Arts de la ville. Après la Seconde Guerre mondiale, le musée Guimet place d’Iéna à Paris rénové est désormais dédié aux œuvres d’Extrême-Orient : plus de 6000 objets sont transférés au département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre (incluant les numéros inv. E 17500 à E 22499), dont certains proviennent  d’Abydos, de Touna el-Gébel et d’Antinoé.

 

          Ce mécène décide de créer des musées et des bibliothèques, avec ses propres collections, mais aussi de subventionner des fouilles archéologiques, qui alimenteront les collections déjà existantes (Antinoé a livré du matériel en terre cuite, des momies, des tissus comme le fameux « “châle” de Sabine », des papyrus rédigés en grec et en copte ; Coptos, une centaine d’objets incluant des éléments architecturaux en pierre, des statuettes, des figurines, mais aussi des vases et des lampes à huile en terre cuite). Il avoue « bibeloter » chez les marchands et, par exemple, acquiert une momie (« un jour, j’achetai une momie »), puis une autre. Ces dépouilles humaines, placées dans la chambre, devront être enjambées par Guimet tous les soirs afin qu’il puisse atteindre son lit (p. 64). Cependant, la politique d’acquisitions d’Émile Guimet s’apparente globalement à une « démarche cohérente et constante » (p. 127), qui inclut un important fonds extrême-oriental (peintures, sculptures, manuscrits et objets de culte, p. 116), rapporté de ses missions scientifiques, ainsi que des pièces issues d’autres continents (Afrique, Amérique, Océanie). Ses collections d’antiquités égyptiennes sont marquées par un éclectisme qui tient à la fois à la variété, à la quantité, comme à la qualité des pièces. Il a acquis de nombreux petits objets, comme les amulettes et les scarabées, mais aussi des sarcophages et des plastrons d’Antinoé, uniques pièces de grande taille avec les momies et seulement une trentaine de statues, mais qui proviennent de « collections prestigieuses » (comme la statue d’Isis lactans dédiée à la divine adoratrice d’Amon Chépénoupet (II) [cat. 24]), sans compter les vases canopes, les stèles, les serviteurs funéraires, les bijoux et les instruments de toilette, les vases et les lampes de terre cuite. Une cinquantaine de figurines divines en bronze, des « isiaques » découverts en Gaule (vallée rhodanienne), font également partie de cet ensemble. L’accumulation (fortuite ?) de pièces en rapport avec les cultes isiaques, les images d’Harpocrate, les modèles en bois (en particulier ceux provenant de la nécropole de Meir du Moyen Empire, cat. 40, 45 à 47) et les artefacts en terre cuite, est remarquable dans les collections Guimet.

 

          Si les études développées dans le catalogue couvrent les différents aspects de la vie d’Émile Guimet et de ses collections, l’environnement intellectuel et artistique de l’époque a été évoqué. Ainsi, l’architecture et la décoration des musées Guimet de Lyon et de Paris ont été traitées : le musée Guimet parisien est une copie conforme du musée homonyme lyonnais ; Émile Guimet parle du « déplacement » d’une usine et du transfert des lieux d’accueil et des pièces muséales. De même, les deux collections égyptologiques préexistant à celles de Guimet à Lyon sont abordées : celle du Palais Saint-Pierre, actuel musée des Beaux-Arts (bronze de Hâpy, dyade privée, papyrus, cercueil) et celle du muséum d’Histoire naturelle qui prenait place dans l’aile Est du Palais (terre cuite prédynastique, cat. 144 ; objets osiriens de Gabbanat el-Gouroud, cat. 145-147 ; momies animales de l’époque hellénistique et romaine, cat. 148-149). Un quatrième « fonds » se développe à Lyon à partir de 1895, grâce au dépôt de presque 400 pièces du musée du Louvre à la Faculté de Lettres, à la demande de Victor Loret (objets en fibres végétales et reliquaire en bronze, cat. 150-152).

 

          La vocation du catalogue était probablement de rassembler les objets archéologiques des collections Guimet dispersés dans différents musées, achetés auprès d’antiquaires ou de chargés de mission, ou provenant du partage de fouilles et de montrer ainsi la spécificité de certains lots (comme la trentaine de serviteurs funéraires provenant de la cachette royale de Deir el-Bahari achetés auprès de l’antiquaire français Eugène Allemant, qui a fourni 250 antiquités d’Égypte en 6 ans ; ou les serviteurs funéraires de qualité d’exécution médiocre provenant principalement de la nécropole du Nouvel Empire de Tounah el-Gébel [cat. 44], fouillée par Weill et dont de très nombreux autres exemplaires ont été dispersés dans les musées). Mais la multitude d’axes de recherches possibles sur la thématique a conduit à mener certaines études (appuyées par l’exposition de certaines pièces) qui apparaissent comme des digressions, si l’on s’en tient au titre de l’ouvrage : le développement sur la collecte des objets asiatiques (point IV de l’étude) et même l’acquisition de tous les objets non-égyptiens (point VI, cat. 105 à 138 : Antiquité classique et proche-orientale ; Japon, Tibet, Chine, Inde du Sud, Asie du Sud-Est ; mais aussi des pièces qui feraient aujourd’hui partie des collections dites d’« arts premiers » d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique). L’intitulé du catalogue aurait pu être modifié, étant donné qu’il traite de la vie et de l’œuvre d’Émile Guimet, mais aussi de sa contribution à la mise en valeur et à l’enrichissement des collections nationales, avec une focalisation sur les antiquités égyptiennes.

 

          Une chronologie aurait permis de présenter de manière synthétique les différents événements liés à la vie et à l’œuvre de Guimet.

 

1836 : naissance d’Émile Guimet à Lyon

1865-1866 : premier voyage en Égypte

1867 : Guimet directeur de la manufacture familiale

          membre de l’académie des Belles-Lettres et Arts de Lyon

1876-1877 : voyage autour du monde

1879 : création du musée Guimet à Lyon

          création d’un enseignement d’égyptologie à la Faculté de Lyon

1885 : Guimet cède ses collections à l’État

1889 : création du musée (national) Guimet à Paris (Émile Guimet en est le directeur), à partir des collections précédemment exposées au musée Guimet de Lyon

1913 : ouverture d’un nouveau musée Guimet à Lyon, alimenté par les pièces en dépôt du musée Guimet parisien, du musée du Louvre, des collections personnelles de Guimet et des fouilles de Coptos

1948 : transfert des collections égyptiennes du musée Guimet de Paris au musée du Louvre

1969 : transfert des Antiquités de la galerie égyptienne du musée Guimet de Lyon au musée des Beaux-Arts de cette ville

1918 : décès d’Émile Guimet à Fleurieu (maison familiale)

1991 : le musée Guimet de Lyon devient le muséum d’histoire naturelle

2014 : l’ouverture du musée des Confluences permettra une nouvelle mise en valeur des collections.

           

          Enfin, on notera qu’une série de documents relatifs à Émile Guimet (conférences, écrits, comme Croquis égyptiens. Journal d’un touriste) est disponible en ligne, sur le site de la bibliothèque nationale de France (http://gallica.bnf.fr/).