Andreae, Bernard : L’art romain : Volume 3, D’Auguste à Constantin, 320 pages, Collection Picard Histoire, ISBN-10: 2708409107, ISBN-13: 978-2708409101, 90 euros
(Editions Picard, Paris 2012)
 
Compte rendu par Alexandra Dardenay, Université Toulouse II
 
Nombre de mots : 1551 mots
Publié en ligne le 2014-03-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1686
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          Cette édition française de l’ouvrage de B. Andreae (Römische Kunst. Von Augustus bis Constantin, Darmstadt, 2012) trouve place dans la collection consacrée par les éditions Picard à l’histoire de l’art romain. Cette initiative est remarquable, car rares sont les monographies consacrées à l’art romain publiées en français. Le projet des éditions Picard est particulièrement ambitieux en proposant, à terme, cinq volumes sur l’art romain des origines à la fin de l’empire d’Occident, là où la collection Univers des Formes (qui jusqu’ici faisait référence, en français, par son ampleur, à cette période) en proposait trois, de la plume de R. Bianchi Bandinelli. Le savant allemand B. Andreae, qui avait signé en 1973 le volume d’art romain de la collection Mazenod a donc été sollicité pour le deuxième ouvrage publié (mais troisième volume de la tomaison) après celui de F. Coarelli consacré à l’Art romain des origines au IIIe siècle av. J.-C. Deux volumes de G. Sauron (2. L’art romain des conquêtes aux guerres civiles ; 4. L’art romain, un art universel. L’Empire à l’image de Rome) et un volume de J. Engemann (5. L’art romain de Constantin à la fin de l’Empire romain) viendront compléter cette collection.

 

          B. Andreae a construit ce volume autour de « concepts » (p. 7) permettant de rendre perceptibles les spécificités des oeuvres produites en contexte romain. Le sommaire se présente ainsi comme la somme des 48 mots clés qui selon lui « s’imposent à toute personne confrontée à l’art romain ». Après les quelques paragraphes d’avant-propos, le lecteur est plongé immédiatement dans le vif du sujet, avec le thème 1-Loisirs et Affaires. L’organisation de l’ouvrage est donc très originale ; il n’est pas articulé autour de "parties" ni même de « chapitres », mais comme une succession de très courtes digressions (jamais plus de deux ou trois pages de texte) sur des thèmes clés des arts et civilisation romaines. Toutefois, bien que cela ne soit pas précisé dans son avant-propos, le lecteur comprend, après avoir lu les 10-15 premiers mots clés, que l’ouvrage suit, en réalité, une logique chronologique. D’Auguste à Constantin, l’auteur a choisi des ouvrages architecturaux et des œuvres phares de la production de chaque règne et tisse en filigrane une histoire politique de l’Empire romain. Il cherche ainsi à mettre en évidence la manière dont l’iconographie, la production architecturale et artistique, se mettent au service du pouvoir afin de répondre aux besoins de légitimation des empereurs. Il fait ainsi une distinction entre la dynastie julio-claudienne qui s’appuie, depuis César et Auguste, sur des liens généalogiques avec les ancêtres du peuple romain pour asseoir leur pouvoir, puis sur la transmission héréditaire du pouvoir. À la suite des Flaviens qui ne peuvent revendiquer de légitimité généalogique pour assurer leur domination sur l’Empire, les empereurs, d’après Andreae, mettent en place, grâce à l’art et à l’architecture, d’autres procédés de légitimation. Ainsi l’auteur explique-t-il, p. 129 : « Notre principale préoccupation sera alors de comprendre comment la propagande artistique compensa l’absence de légitimation juridique en s’appuyant non seulement sur le succès du souverain, mais aussi sur le fatum, la destinée d’essence divine et donc supérieure aux lois ». Les exemples choisis tout au long de l’ouvrage permettent à l’auteur de justifier son allégation.

 

          L’ouvrage se lit avec intérêt, même si l’interprétation qui est faite de certaines œuvres pourra apparaître discutable, et même si l’auteur reprend ici certaines de ses hypothèses les plus controversées. C’est le cas, notamment de son interprétation de la statue de Venus Genetrix provenant du temple éponyme du forum de César, dans laquelle l’auteur reconnaît une représentation de Cléopâtre en Vénus-Isis (fig. 22). Plus problématique est la chronologie proposée des portraits d’Auguste (p. 49-50) qui méconnaît (ou plutôt, peut-être, écarte volontairement) celle de Boschung. On lit à ce propos un passage étrange (p. 49) où il qualifie le type Forbes de « type principal, puisque la majorité des cent cinquante portrait sculptés d’Auguste s’y conforme, tant les exemplaires les plus précoces que ceux réalisés après sa mort ». Cette allégation est frappante, dans la mesure où l’on sait fort bien, grâce notamment aux travaux de D. Boschung et de J-C. Balty, que le type le plus répandu des portraits d’Auguste est le type Prima Porta…Un autre regret concerne les erreurs peut-être imputables à la traduction, notamment sur les dates, repérées dans les premiers chapitres de l’ouvrage (par exemple p. 54, l’ara Pacis est « érigé par le Sénat entre 13 et 19 av. J.-C. » ; p. 67, pour l’attribution par le Sénat du titre d’augurium augustum à Octave la date mentionnée est celle du 27 janvier de l’an 16 av. J.-C., au lieu du 16 janvier de l’an 27 av. J.-C.; autre exemple p.72, l’écrivain P. Petronius Niger est conduit au suicide en 66 av. J.-C. par l’empereur Néron…).

 

          Certains commentaires autour des œuvres paraissent clairement subjectifs – quand l’auteur qualifie l’ara Pacis Augustae d’ « œuvre la plus importante de l’art religieux romain » (p. 54) – voire arbitraires, comme l’impression laissée par les pages de l’article « Civilisation » qui ne traitent que d’arcs de triomphe. On ne suivra pas non plus l’auteur dans le choix qu’il a fait du fragment de peinture connu sous le nom de « Noces Aldobrandines » (p. 68-69 à propos du thème « Structure ») pour illustrer ses réflexions sur la structure axiale de l’art romain. Il s’agit en effet d’un fragment d’une frise figurée qui courait le long des parois d’une pièce décorée en IIe style pompéien, et non d’un tableau dont le personnage masculin assis sur le sol au pied de la banquette serait la figure centrale…Ce fragment d’œuvre picturale ne peut donc se prêter à une telle démonstration. De manière générale, la peinture ne paraît pas le domaine artistique le plus familier à l’auteur, qui n’hésite pas à affirmer à plusieurs reprises (p. 58 et p. 93) que la peinture murale n’évolue plus après le IVe style pompéien, alors que depuis plusieurs décennies notre connaissance de la peinture post-pompéienne s’est considérablement enrichie et offre désormais suffisamment d’exemples prouvant que les arts picturaux n’ont cessé d’évoluer stylistiquement et iconographiquement jusqu’au Haut Moyen Âge. Il est donc erroné d’affirmer, comme le fait l’auteur p. 94 : « Tout ce qu’un décor pictural peut offrir a été expérimenté, si bien que la peinture perd effectivement de son importance en tant que forme d’art à partir de la fin du Ier siècle de notre ère ».

 

          À partir du  « thème clé » 22, B. Andreae renoue avec des édifices qui lui sont particulièrement familiers : la villa de Tibère à Sperlonga, le nymphée de Claude à Baia et les antra cyclopis (jusqu’à celui de la villa Hadriana). Il s’agit de sujets sur lequel l’auteur a abondamment publié, et dont les principaux résultats sont ici résumés. Dans ses digressions, B. Andreae reste fidèle à sa problématique initiale, dans laquelle il se proposait d’identifier dans des chefs d’œuvres de la sculpture et de l’architecture romaine les commandes d’empereurs soucieux de légitimité politique. C’est ainsi que plusieurs groupes statuaires sont interprétés dans une telle perspective, comme par exemple le « Taureau Farnèse » (p. 143) qui représente le supplice de la reine thébaine Dircé attachée par Amphion et Zéthos à un taureau fougueux, et pourrait, d’après l’auteur, trouver son origine, pour la version romaine de cette œuvre hellénistique, dans une commande de Claude destinée à un monument à la gloire de Germanicus et Antonia Minor. Dans son souci de rattacher des œuvres clés à des commandes impériales, B. Andreae se laisse peut-être parfois aller à la surinterprétation. C’est le cas lorsqu’il soutient fermement l’appartenance de la villa d’Oplontis à Poppée (alors que cette attribution ne reste que très hypothétique) et qu’il attribue le choix du décor de l’aile sud à son époux, l’empereur Néron. Pour les thèmes 28 à 32, l’auteur disserte sur les conséquences des règles de succession chez les empereurs sur l’architecture et l’iconographie romaine. Il reprend l’idée d’une « apogée de l’empire » au IIe siècle, sous les Antonins, jusqu’à Marc-Aurèle, avec le principe de l’adoption par l’empereur régnant de l’« optimus » pour lui succéder. Pour illustrer ces sommets de l’art et de la civilisation romaine, l’auteur choisit des ouvrages particulièrement spectaculaires, arcs de triomphe, colonnes historiées, marchés de Trajan, villa Hadriana….

 

          Pour évoquer le IIIe siècle et le déclin du système dynastique, B. Andreae articule sa réflexion autour du portrait féminin - en insistant sur l’importance des femmes au sein de la domus Augusta jusqu’à Constantin - et de l’art funéraire. Pour lui, à partir de la fin du IIe siècle, « l’art s’emploie à montrer qu’il existe au-delà de la nature quelque chose qui semble d’un intérêt supérieur »  (p. 233) et la pratique croissante de l’inhumation (à laquelle on doit les nombreux sarcophages mis au jour) matérialise un nouvel espoir en une vie après la mort (p. 268).

 

          Même si on ne suit pas toujours B. Andreae dans ses exégèses, cet ouvrage est celui d’un grand érudit et à ce titre, mérite qu’on s’y attarde, d’autant plus qu’il est servi par une magnifique illustration, qui comprend de nombreuses photographies en pleine page de très grande qualité, reproduisant des œuvres très célèbres, mais également quelques unes moins connues. Trois index viennent aider le lecteur dans sa consultation de l’ouvrage : un index des noms de personnes, un index des lieux et un index thématique.