Chroscicki Juliusz A., Hengerer, Mark & Sabatier, Gérard (dir.): Les funérailles princières en Europe, 16e-18e siècle. 1. Le grand théâtre de la mort, Collection Aulica, 17x24 cm broché, 412 p., cartes, généalogies, ill. + 16 pl. h.t. en coul.
(Maison des sciences de l’homme & Centre de recherche du château de Versailles 2012)
 
Rezension von Anne-Sophie Bessero
 
Anzahl Wörter : 1929 Wörter
Online publiziert am 2013-03-29
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1714
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          Premier des trois opus consacrés aux funérailles princières en Europe, ce volume traite de la mise en scène de la mort et des funérailles. Les articles recensent les interventions prononcées lors des trois colloques internationaux organisés par le Centre de recherche du château de Versailles, le premier « De la mort au tombeau, les pratiques cérémonielles » s’est tenu à Cracovie du 14 au 16 octobre 2007, le second « Las representaciones funerarias en las Casas Reales europeas (s. XVI-XVIII) » eut lieu à Madrid et à l’Escorial du 27 au 29 novembre 2008, le dernier « Funérailles princières et opinions publiques (XVIe-XVIIIe siècle) » fut organisé à Versailles et à Saint-Denis du 26 au 28 novembre 2009. Les colloques portaient sur l’étude de l’ensemble des pratiques qui suivent la mort du prince, dans une chronologie moderne allant du XVIe siècle au XVIIIe siècle, et dans un espace géographique vaste qui couvre toute l’Europe chrétienne de l’occident à l’orient. Certains articles sont documentés d’une généalogie dont on regrettera qu’elle se trouve à la fin de l’article et non en ouverture. Chaque article dispose de sa propre bibliographie et la majorité est illustrée par des reproductions d’estampes. Un cahier de 15 planches couleur se trouve au centre de l’ouvrage.

 

          L’introduction par MM. Juliusz A. Chrościcki, Mark Hengerer et Gérard Sabatier, rappelle que l’histoire des funérailles peut être perçue comme une histoire des rituels de passage, de transmission du pouvoir, ou comme une histoire des sensibilités et des comportements. Pour les historiens de l’art, les funérailles fournissent une matière abondante puisqu’elles sont la source d’apparats éphémères, d’œuvres statuaires, etc. Les funérailles font parties de l’intronisation du successeur, il s’agit souvent pour ce dernier de les organiser de manière à faire valoir ses propres droits, la cérémonie devenant une mise en scène de son nouveau pouvoir. Les funérailles sont importantes tant à l’intérieur du royaume qu’à l’extérieur, où rivalités et compétitions s’exacerbent. Les « livres de funérailles » issus du monde germanique y trouvent leur place. Les divers ouvrages comme les gazettes et les oraisons funèbres aident à la constitution et la diffusion d’un panthéon dynastique. Les funérailles finissent par dépasser le rite de passage et deviennent des stratégies politiques et culturelles.

 

          MM. Gérard Sabatier et Mark Hengerer, dans l’introduction de ce premier volume «  Le grand théâtre de la mort » décrivent les trois temps des funérailles princières : l’exposition du corps, le convoi vers le lieu de la sépulture puis l’office religieux. Chaque cérémonie reflétait la sensibilité ou la stratégie du moment. Certains ont préféré une exposition du corps dans l’humilité chrétienne alors que pour d’autres l’exposition du corps était l’occasion de montrer leur souveraineté. Dans un premier temps, le cortège funèbre fut l’élément le plus important où s’exprimaient les enjeux politiques puis ce modèle, en crise au XVIIe siècle, aboutit au XVIIIe siècle à un nouveau modèle commun où l’office religieux devint l’élément central des funérailles.

 

         Gérard Sabatier démontre dans son article « Les funérailles royales françaises XVIe-XVIIIe siècle », que les cérémonies françaises créèrent successivement deux modèles. Le premier, mis en place à la mort d’Henri II en 1559, consacrait une part importante au défilé et à l’investissement de l’espace public, ce « modèle Renaissance » s’inspirait des triomphes à l’antique. Les funérailles duraient plusieurs mois comprenant l’exposition, le cortège funèbre et les offices religieux. Une effigie en cire était substituée au corps du souverain et recueillait les mêmes attentions. À la mort de Louis XIII en 1643, le cérémoniel des funérailles changea profondément avec une réduction de la durée d’exposition à cinq jours, et la suppression du convoi en plein jour. Le convoi funèbre se déplaça de nuit, à la lumière des cierges. Le souverain fut mis en scène dans une humilité chrétienne, sans rien céder à la gloire du monarque.

 

          Frédérique Leferme-Falguières expose dans « Les pompes funèbres des Bourbons 1666-1789 » les conséquences de la Contre-Réforme et notamment un renforcement de l’ostentation funèbre et du goût pour le macabre, que l’on retrouva dans l’exposition du corps et le convoi nocturne, la hiérarchie de la cour se reflétant dans l’organisation des cérémonies.

 

          Pauline Lemaigre-Gaffier propose un article original portant sur le financement des cérémonies « Les Menus Plaisirs et l’organisation des pompes funèbres à la cour de France au XVIIIe siècle ». Ces dernières représentaient environ un quart du budget annuel de l’administration, mais ce coût restait néanmoins inférieur à celui d’un sacre ou d’un mariage. Les Menus Plaisirs tentèrent de s’organiser pour réutiliser les matériaux et rationaliser les décors. Ils furent amenés à travailler avec d’autres départements de la Maison du Roi comme les Écuries, la Chapelle, la Maison militaire, la Fruiterie, etc. Il leur fallut généralement entre 30 et 50 jours après le décès pour organiser le service à Saint-Denis.

 

          Béatrice Bastl et Mark Hengerer présentent « Les funérailles impériales des Habsbourg d’Autriche XVe-XVIIIe siècle ». De 1493 à 1612, le rituel permit à l’Empereur de manifester la cohésion de son territoire, avec un défilé des princes et des provinces lors de l’offertoire. Au XVIIe siècle, l’instauration d’un protocole de la cour en matière de cérémonies intervint dans la stabilisation d’un nouveau modèle autrichien où l’accent fut mis sur le castrum doloris et le programme allégorique.

 

          Michael Schaich détaille « L’organisation des funérailles royales en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècle ». Le Privy Council coordonnait la préparation avec la Great Wardrobe, le Board of green Cloth, l’Office of Works et le College of Arms. Le College of Arms, par sa gestion des archives cérémonielles, collectait les informations. Grâce à cette connaissance des funérailles, ils acquirent le monopole du savoir et de l’organisation car chaque cérémonie devait s’inscrire dans la tradition de la précédente. Le monarque n’intervenait pas dans les préparatifs et, comme dans de nombreux royaumes, ne participait pas à la cérémonie.

 

          « Les pompes funèbres des tsars et tsarines en Russie, XVe-XVIIIe siècle» sont présentées par Marie-Karine Schaub. Du XVe au XVIIe siècle, les funérailles du monarque épousèrent la tradition de celles du peuple russe. Le souverain décédait en moine puis était inhumé dans la journée, en présence de sa famille. Des messes étaient célébrées pendant 40 jours. Les cérémonies du XVIIIe siècle s’inspiraient des modèles français, allemand et suédois. Il y avait une exposition de 30 jours en vêtements impériaux et regalia, puis une procession. Lors de la cérémonie religieuse, on assistait à une remise des bannières des provinces, des regalia et des ordres militaires.

 

          Marcello Fantoni détaille « Les rituels funéraires comme fondement de la souveraineté chez les Médicis, XVIe-XVIIe siècle ». Les Médicis, famille de banquiers, s’élevèrent jusqu’à la dignité de souverain de Florence et d’une partie de la Toscane. Ils utilisèrent les funérailles comme un rituel participant à leur légitimation en conciliant les différents rites européens. C’est autour du corps qu’ils mirent en place un simulacre de royauté et de sacralité.

 

          Giovanni Ricci dans son article « De Ferrare à Modène, mort et funérailles des Este, XVIe-XVIIIe siècle » décrit les pratiques funéraires familiales : « les vivants étendent leurs droits sur les défunts, en mettant ces derniers au service de leurs ambitions personnelles et de leurs projets politiques ». La maison d’Este fut plus ambitieuse que puissante. Elle s’inspira des funérailles françaises de la Renaissance, puis, dans un climat de Contre-Réforme, elle s’attacha à organiser des funérailles témoignant d’une certaine humilité chrétienne.

 

          Paolo Cozzo présente la « Stratégie dynastique chez les Savoie : une ambition royale, XVIe-XVIIIe siècles », qui créèrent leur rituel à partir des traditions française et espagnole. On note comme particularité que le lit nuptial fut utilisé comme lit d’exposition pour l’effigie funéraire.

 

          Blythe Alice Raviola dans son texte sur le « Cérémonial funèbre chez les Gonzague : dans le tourbillon des alliances, XVIe-XVIIIe siècle », étudie les cérémonies funéraires de trois femmes importantes dans la dynastie : Anne d’Alençon, Marguerite Paléologue et Marguerite de Savoie-Gonzague.

 

          « Les funérailles des princes protestants dans l’Empire aux XVIe et XVIIe siècles » par Naïma Ghermani, détaille la naissance d’un modèle luthérien qui mit l’accent sur les sermons et les chants lors de l’office. Ce modèle rejeta les insignes du pouvoir et le castrum doloris. La cérémonie s’attachait à mettre en valeur les qualités de l’individu. À la fin du XVIe   et du  XVIIsiècle, on assista cependant à une déconfessionnalisation de la cérémonie. Les cérémonies protestantes et catholiques ne se différencièrent plus.

 

          Hans-Georg Aschoff propose un sujet original, celui des funérailles luthériennes d’une famille de rang moyen à l’époque moderne, les Welf.

 

           Ewald Frie s’intéresse à l’installation d’un rituel chez les Hohenzollern, rois de Prusse, dans un article intitulé « Les funérailles contrastées des rois de Prusse au XVIIIe siècle ». En l’absence de tradition familiale, s’agissant d’une maison princière « sans passé », ils cherchèrent à se construire une tradition jusqu’à prendre en référence les extravagances de Frédéric-Guillaume Ier, le roi sergent.

 

          « Les funérailles royales en Suède et au Danemark, XVIe-XVIIe siècle : entre conflit, compétition et consensus », par Brigitte Boggild Johannsen, nous livre une étude comparative entre les funérailles royales suédoises et danoises qui oscillèrent entre rapprochement avec le voisin  et rejet explicite de celui.

 

          Par son article « De la procession à l’œuvre d’art totale : les transformations de la cérémonie funéraire royale dans la Suède du XVIIe siècle », Marten Snickare termine ce volume en explorant le basculement des efforts artistiques du cortège vers le décor des églises, qui peut s’expliquer en Suède par la rédaction de textes de loi sur l’ordonnancement des funérailles et l’arrivée d’artistes européens à la cour suédoise comme Tessin le Jeune.

 

 

Sommaire

 

Les funérailles princières en Europe, XVIe-XVIIIe siècle, par Juliusz A. Chrościcki, Mark Hengerer et Gérard Sabatier, p. 1

Le grand théâtre de la mort, par Gérard Sabatier et Mark Hengerer, p.7

Les funérailles royales françaises, XVIe-XVIIIe siècle, par Gérard Sabatier, p.17

Les pompes funèbres des Bourbons, 1666-1789, par Frédérique Leferme-Falguières, p.49

Les Menus Plaisirs et l’organisation des pompes funèbres

à la cour de France au XVIIIe siècle, par Pauline Lemaigre-Gaffier, p. 73

Les funérailles impériales des Habsbourg d’Autriche, XVe-XVIIIe siècle, par Beatrix Bastl et Mark Hengerer, p. 91

L’organisation des funérailles royales en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles, par Michael Schaich, p. 117

Les pompes funèbres des tsars et tsarines en Russie, XVe-XVIIIe siècle, par Marie-Karine Schaub, p. 141

L’enjeu des funérailles royales dans la monarchie élective polonaise, XIVe-XVIe siècle, par Wojciech Fałkowski, p. 167

Les rituels funéraires comme fondement de la souveraineté chez les Médicis, XVIe-XVIIIe siècle, par Marcello Fantoni, p. 193

De Ferrare à Modène, mort et funérailles des Este, XVIe-XVIIIe siècle, par Giovanni Ricci, p. 201

Stratégie dynastique chez les Savoie : une ambition royale, XVIe-XVIIIe siècle, par Paolo Cozzo, p. 217

Cérémonial funèbre chez les Gonzague : dans le tourbillon des alliances, XVIe-XVIIIe siècle, par Blythe Alice Raviola, p. 237

Les funérailles des princes protestants dans l’Empire aux XVIe et XVIIe siècles, par Naïmma Ghermani, p. 251

Les funérailles luthériennes des Welf à l’époque moderne, par Hans-Georg Aschoff, p. 267

Les funérailles contrastées des rois de Prusse au XVIIIe siècle, par Ewald Frie, p. 285

Les funérailles royales en Suède et au Danemark, XVIe-XVIIe siècle : entre conflit, compétition et consensus, par Birgitte Boggild Johannsen, p. 303

De la procession à l’oeuvre d’art totale : les transformations de la cérémonie funéraire royale dans la Suède du XVIIe siècle, par Marten Snickare, p. 335

Index des lieux cités, p. 355

Index des noms de personnes, p. 365

Table des illustrations, p. 397