Morvillez, Eric (dir.): Dix ans d’archéologie en Vaucluse, Etudes vauclusiennes numéro spécial 77-78, 163 p., 131 fig., ISSN 0153-9221
(Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, Avignon 2011)
 
Compte rendu par Nicolas Mathieu, Université Grenoble 2
 
Nombre de mots : 2319 mots
Publié en ligne le 2013-03-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1733
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          Ce volume rassemble certaines des communications présentées au cours des 19es journées de l’Association pour l’Antiquité tardive (tenues en Avignon du 1er au 3 juin 2007) et des contributions autres destinées à un numéro spécial consacré à dix ans d’archéologie dans le département. Tous ces articles traitent de découvertes récentes, d’interprétations renouvelées, de problèmes de restauration ou de mise en valeur du patrimoine vauclusien, principalement de certaines de ses villes (Apt, Avignon, Cavaillon, Orange, Vaison-la-Romaine) autour de trois thèmes : l’histoire du patrimoine et son historiographie ; des bilans actualisés de sites ou d’ensembles régionaux ; des découvertes ou des analyses ponctuelles de fouilles.

 

          La première série est introduite par M. Provost (p. 11-13) qui présente les traits du peuplement antique, la municipalisation (sept colonies latines ou romaines : Avignon, Orange, Carpentras, Apt, Cavaillon, Vaison) et les transferts de propriété à l’époque augustéenne via les recherches effectuées pour les deux volumes de la Carte archéologique de la Gaule (CAG) qu’il dirige, couvrant le département : CAG 84/1, Vaison-la-Romaine et ses campagnes et 84/2, Vaucluse, Avignon, Carpentras. Chr. Bezin (p. 15-29), dans un article à l’iconographie judicieusement choisie, s’intéresse aux destins conjugués de Joseph Sautel, Jules Formigé et Maurice Burrus au service de l’archéologie de Vaison. À travers la figure du premier fondateur de l’archéologie vaisonnaise - et pour ainsi dire fondateur de son épithète romaine - et les échanges de correspondance de J. Formigé, l’architecte en chef des monuments historiques, et M. Burrus, le mécène, c’est tout le contexte local, notamment dans sa dimension financière et technique, de fouille, de restauration, de présentation au public, qui est mis en lumière. Dans un même esprit historiographique, O. Cavalier (p. 31-37) s’attache aux pratiques antiquaires et aux collections à Avignon au XVIIIe s. avec les exemples du marquis de Caumont et d’Esprit Calvet. Enfin, D. Darde (p. 39-41) rend brièvement compte d’une exposition au musée de Nîmes en 2010 qui mettait en regard des maquettes en liège d’Auguste Pelet (1785-1865) et des aquarelles de J.-Cl. Golvin.

 

          Les bilans actualisés de sites permettent de caractériser le peuplement, les espaces ruraux ou urbains. Leurs auteurs, archéologues, chercheurs qui ont collecté la documentation et rédigé un volume de la CAG, donnent une synthèse précise, vivante, illustrée qui intéressera spécialistes ou amateurs et permettra assez bien, même à ceux qui ne sont pas familiers du département, de pénétrer dans ces lieux et les problèmes topographiques qu’ils posent. D. Caru examine le cas d’Avignon dans l’Antiquité tardive (p. 51-62). Comme Arles et Marseille, Avignon fut une des importantes villes méridionales des Ve-VIIIe s. qui, comme elles, est très mal connue d’après les sources et semble renaître quoiqu’elle n’ait pas été épargnée par les troubles, du siège de Clovis en 500 à l’expulsion des Sarasins en 737. Grâce à des sondages ou à des fouilles, plus ou moins récentes depuis 1978, de l’enceinte dans laquelle s’est repliée la ville, nous pouvons établir sûrement la quasi-totalité du tracé qui épouse le relief rocheux. Sont ainsi corroborés les indices d’occupation humaine constatés au début de la décennie 1970. De même, si nous savons par les textes que la ville avait une enceinte avant 500, l’archéologie permet de dater, entre la fin du IIIe s. et le milieu du Ve sa construction qui n’est donc pas contemporaine des troubles du IIIe siècle. À l’extérieur, il y a perpétuation de la localisation des nécropoles antiques. Quant à la question du pont sur le Rhône révélé par des éléments d’un tablier en bois, datés par dendrochronologie entre 290 et 530, non mentionné par les sources textuelles de cette époque, alors qu’en raison de la distance à franchir sur le Rhône malgré la présence possible d’îles, c’eût été un ouvrage exceptionnel qui aurait retenu l’attention, l’auteur se demande s’il ne faudrait pas la résoudre en pensant à une réutilisation, pour sa construction plus tardive, de poutres d’un autre édifice abandonnées au moment de la reconstruction de la cathédrale. Fr. Guyonnet s’intéresse à la topographie religieuse de Cavaillon dans l’Antiquité tardive et le Haut Moyen Âge (p. 63-71) du VIe au IXe s. Toutes les fouilles confirment la régression urbaine bien avant l’Antiquité tardive et une persistance d’occupation dans un espace réduit avec une présence chrétienne attestée par des graffitis sur des stèles gallo-grecques en remploi au nord de Cavaillon, quelques vestiges d’église sur des axes routiers ou au nord-est du centre monumental antique, deux églises associées à des nécropoles. La synthèse de L. Tallah (p. 73-84) sur le Lubéron et le Pays d’Apt rappelle, à propos d’Apt, que les découvertes archéologiques urbaines ont montré un carroyage précis dès la fondation de la colonie et un premier programme monumental constitué avec le théâtre. Un des traits remarquables du développement urbain est ici le long développement des nécropoles qui bordaient les voies d’accès à la ville. Quant aux zones rurales, l’élaboration de la Carte archéologique a permis de recenser de nombreux établissements ruraux répartis selon la ligne de crête du Lubéron : au nord, présence d’établissements agricoles relativement modestes, au sud de nombreuses habitations comme par exemple la villa de Villelaure, connue depuis 1832. Dans l’ensemble du territoire, il semble que la tradition gauloise s’efface. A. Roumégous et J.-M. Mignon montrent (p. 103-110) que les fouilles n’ont pas encore permis de situer ni de retrouver l’enceinte au nord de la ville d’Orange mais l’archéologie a mis en évidence une interruption homogène à la fin du IIIe s. de l’extension urbaine voire une rétractation, notamment dans le sud-est où des quartiers sont abandonnés ainsi qu’au sud-ouest. De manière concomitante, il y a des réutilisations ou des occupations de monuments antiques. É. Chassillan présente (p. 139-147) un essai de synthèse typo-chronologique sur les formes et les modes du bassin d’ornement dans l’architecture domestique urbaine de la Gaule Narbonnaise (voir la très utile figure, p. 142). Elle met en évidence des spécificités locales dans les maisons à jardin : par exemple la rareté du bassin de fond de jardin ou bien le lien entre présence, voire forme du bassin et position dans le jardin ou bien encore la fréquence relative du bassin en pi ou à bras, notamment à Saint-Romain-en-Gal. Elle met aussi en évidence des évolutions à partir de modèles italiens. Comme on s’y attendait, il apparaît que la présence d’un bassin signe la romanisation tout en innovant par rapport aux modèles. Enfin, trouve sa place ici la contribution de J. Mouraret sur les découvertes à Caumont-sur-Durance (p. 129-138) d’une villa augustéenne, au Clos-de-Serre, à caractère purement résidentiel. Aménagée en plusieurs phases et en tout cas occupée de l’époque augustéenne au IVe s., époque où des thermes privés ont été aménagés dans une partie du site, elle est remarquable par un jardin d’agrément somptueux de 1,3 ha, comportant en son centre, perpendiculairement au jardin, un bassin de 65 m de long, 1,20 m de large et 3,20 m de profondeur. Par ses dimensions il ne peut être comparé qu’au bassin de Welschbillig près de Trèves ou à celui de la maison de D. Octavius Quarto à Pompéi. On y accédait par paliers successifs grâce à un escalier. Inspiré de modèles italiens, il contribue, par sa position dans l’aménagement paysager et parce qu’il était situé dans l’axe de symétrie de la villa, à la mise en scène monumentale du domaine ce qui laisse naturellement supposer un ou des propriétaires aisés, peut-être de l’ordre sénatorial.

 

          Une dernière série d’articles traite de questions ou d’exemples archéologiques ponctuels. J.-M. Rouquette revient sur les portes ou arcs monumentaux en Vaucluse (p. 43-49) : Cavaillon, Carpentras, Orange, qu’il resitue architecturalement ou stylistiquement et qui témoignent, à Cavaillon par exemple, de la précoce diffusion de l’apollinisme augustéen, à Carpentras, de la fonction de passage du monument situé en limite du pomerium de la ville et dont le message iconographique majeur - une grande représentation de barbares captifs -  est situé non en façade de la porte mais sur les côtés. P. De Michele (p. 85-94) expose les importantes découvertes effectuées, à l’issue de campagnes de sondage en 2005 et 2006, dans les caves du centre-ville d’Apt dans le secteur de la cathédrale : traces du théâtre antique - notamment le dispositif du rideau de scène et des éléments liés au mur de scène ou au contrefort de celle-ci, statues et chapiteaux illustrant son décor. Il est de même établi, à l’issue de sondages pratiqués dans le collecteur d’égout, que l’utilisation des égouts était directement liée au fonctionnement du théâtre et que celui-ci a cessé au début du IIe s. Un habitat tardo-antique s’est installé sur la scène du théâtre. Parmi le matériel découvert à l’occasion de sondages dans l’habitat tardo-antique, des objets en bois de cerf, en os ou en bois, interprétés par Ph. Provost (p. 95-101), contribuent à caractériser une partie des activités et de l’habitat. Ce matériel a eu un usage domestique : outils fabriqués sur place pour un usage domestique (manche de couteau en bois) ou pour fabriquer d’autres outils (cas d’un percuteur en bois de cerf). L’étude par É. Morvillez des pavements en opus sectile ( p. 111-126) du site du cours Pourtoules à Orange, 4700 m² d’un riche quartier d’habitation, illustre le savoir-faire des marbriers qui ont terminé, en tesselles, le tapis d’une pièce pour laquelle ils ne disposaient plus de la matière première nécessaire et montre aussi comment l’observation de la parfaite jonction entre pavement et enduits des murs peut être un indice de datation en une ou plusieurs phases d’une construction.

 

          Deux articles sont relatifs à Fontaine de Vaucluse : l’un porte sur le site de la résurgence et la découverte d’un important ensemble de monnaies (R. Pastor, p. 155-158), l’autre sur une brève description de cet ensemble de 1624 monnaies (D. Carru, p. 159-162) : les monnaies tardives y sont majoritaires, parmi lesquelles un demi-silique de Constantin III daté entre 407 et 411. La question de la représentativité et de la nature de ces dépôts est posée. Enfin, P. De Michele évoque (p. 161-162) un trésor de 304 deniers d’argent daté de Galba/Vitellius à Septime Sévère trouvés dans la semelle de fondation d’un pilastre dans le secteur monumental et du forum de Cavaillon, dans l’Hôtel d’Agar.

 

          Au total, ce numéro spécial, abondamment illustré de photos ou cartes de bonne qualité et dont les articles sont complétés d’une bibliographie, est plus riche que son titre un peu plat mais il se mérite : les lecteurs avertis qui connaissent bien le département s’y retrouveront facilement. Pour les lecteurs moins familiers, une carte aurait permis de faire des rapprochements entre des lieux mentionnés au fil des articles ou dans des articles différents. Un ou deux mots supplémentaires dans l’avant propos auraient pu valoriser davantage la perspective thématique, l’organiser plus nettement, orienter la réflexion historiographique et suggérer au lecteur quelques liens entre les articles, ce que la seule table des matières ne suggère pas. Il est un peu dommage que certains aspects historiographiques ou méthodologiques n’aient pas été montrés. Ainsi, dans la brève présentation de l’exposition de Nîmes : avec les trois exemples comparés des maquettes en liège et des aquarelles d’évocation ou de restitution de monuments nîmois, outre la différence visuelle dans l’approche (3D contre 2D), est posée la question de temps représenté, de la connaissance scientifique que l’on a du bâti(ment), du degré ou de l’objectif de réalité ou d’idéalisation, toute la question aussi de l’utilisation possible ou de l’utilité de ces documents pour une meilleure connaissance du patrimoine, pour sa valorisation. En témoigne du reste l’image choisie pour la couverture de ce livre : une autre aquarelle, qui superpose, elle, à la lumière des dernières fouilles, une proposition de restitution du théâtre d’Apt et le quartier actuel de la cathédrale lui correspondant. En dépit de ces remarques, voilà un volume qui mérite de sortir du cercle des spécialistes et amateurs du département et de se trouver dans les bibliothèques.      

 

 

 

Sommaire

 

 

Le mot du président, René Moulinas, p. 5

 

Avant propos éditorial : Eric Morvillez, p. 7

 

Michel Provost : La part de l’Université d’Avignon et des pays de Vaucluse à l’élaboration de la Carte archéologique de la Gaule et ses avancées dans le recensement des connaissances archéologiques de la région. p. 11

 

Christine Bezin : Joseph Sautel, Jules Formigé et Maurice Burrus : des destins conjugués au service de l’archéologie de Vaison-la-romaine. p. 15

 

Odile Cavalier : Pratiques antiquaires et collections à Avignon au XVIIIe siècle, l’exemple du marquis de Caumont et d’Esprit Calvet. p. 31

 

Dominique Darde : Le monde gréco-romain : visions croisées maquettes d’Auguste Pelet - aquarelles de Jean-Claude Golvin - Exposition de musée de Nîmes, 17 avril - 31 décembre 2010. p. 39

 

Jean-Maurice Rouquette : Arcs de triomphe romain en Vaucluse. p. 43

 

Dominique Carru : Avignon durant l’Antiquité tardive : approches archéologiques et topographiques. p. 51

 

François Guyonnet : Quelques réflexions sur Cavaillon et sa topographie religieuse dans l’Antiquité tardive et Haut Moyen-Âge. p. 63

 

Linda Tallah : La Carte archéologique du Luberon et du Pays d’Apt : observations sur le patrimoine antique du Vaucluse. p. 73

 

Patrick De Michele : La résurgence du théâtre antique d’Apt. p. 85

 

Philippe Prévost : Un lot d’objets en matières osseuses animales dans un habitat tardo-antique d’Apt. p. 95

 

Anaïs Roumégous : Jean-Marc Mignon, Eléments de topographie d’Orange dans l’Antiquité tardive. p. 103

 

Eric Morvillez : A propos des pavements d’opus sectile du site du cours Portoules à Orange (Arausio). p. 111

 

Jacques Mouraret : Un site exceptionnel d’époque augustéenne à Caumont-sur-Durance. p. 129

 

Emilie Chassillan : Formes et modes du bassin d’ornement dans l’architec­ture domestique du Haut-Empire en Gaule Narbonnaise. p. 139

 

Roland Pastor : Recherches archéologiques récentes dans la Fontaine de Vaucluse. p. 155

 

Dominique Carru : A propos des dépôts monétaires de Fontaine-de-Vau­cluse : le sanctuaire de la source et son environnement. p. 159

 

Patrick de Michele : Le trésor monétaire de l’hôtel d’Agar récemment découvert à Cavaillon. p. 161