Liu, Li - Chen, Xingcan : The Archaeology of China. From the Late Paleolithic to the Early Bronze. Age. 482 pages, 97 b/w illus. 42 maps 11 tables, Dimensions: 253 x 177 mm, Weight: 1.04kg, ISBN:9780521644327, AUD$49.95, Publication date:June 2012
(Cambridge University Press, Cambridge 2012)
 
Recensione di Danielle Elisseeff, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris
 
Numero di parole: 2005 parole
Pubblicato on line il 2013-01-31
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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         Les auteurs font dans ce livre un fort utile et intéressant effort pour synthétiser les données essentielles de l’archéologie chinoise, telle qu’elle s’est développée depuis un siècle. Poursuivant le projet ambitieux de balayer et d’éclairer ainsi dix millénaires d’histoire en y traquant la formation des cultures et des Etats, ils ont, entre autres mérites, celui de sortir du seul cadre de la typologie : notamment la typologie de la céramique qui a structuré pendant si longtemps et marque encore si souvent la discipline dans ce pays. Pour ce seul fait, cette somme suscite d’entrée de jeu le respect. On apprécie également une riche illustration (voir la table p. XIII-XVII) : au total, 137 documents (dessins, plans, cartes et photographies en noir et blanc) tirés tant de rapports de fouilles que des recherches et travaux antérieurs des auteurs. D’un chapitre à l’autre (présentés ci-dessous) court en exergue un fil conducteur émouvant : une brève citation (en chinois et traduite en anglais) tirée des « Classiques » ou de textes anciens bien connus (successivement : le Liji, le Hanshu, le Yijing, le Zhuangzi, le Zuo zhuan, le Shanhaijing et le Shijing) dont une forme de témoignage est ainsi poétiquement appelée à la rescousse.

 

          Chap. 1 :  « Chinese Archaeology: Past, Present and Future »  (p. 1-21). Ce chapitre présente une histoire récente (depuis la fin du XIXe siècle) de l’archéologie chinoise en soulignant judicieusement les arrière-plans et les implications politiques qui ont conditionné son développement. Au concept ethnocentrique qui prévaut à la fin de la dynastie des Qing se substitue en effet, après la naissance de la République (1912), celui d’une archéologie au service de la construction de l’État. C’est néanmoins plus tard, à partir de la fondation de la République populaire (1949) que l’archéologie devient clairement un outil important, tant de réflexion que de propagande ; on demande alors aux archéologues de démontrer, entre autres, que la société chinoise est, depuis ses origines, multiethnique (p. 3). Les auteurs présentent ensuite les modèles ayant cours depuis trente ans, notamment celui des « catégories de régionalisation » ou « modèles régionaux » (quxi leixing 区系) proposé pour la première fois par Su Bingqi  苏秉au début des années 1980. Puis ils abordent, comme il se doit, les thèmes qui ont tant obsédé les politiques chinois durant les années 1990 et le début des années 2000 : « l’unité à partir d’origines multiples » (duoyuan yiti 多元一体) décrite par Fei Xiaotong 费孝通 en 1989 (un thème dont Lothar von Falkenhausen soulignait l’émergence dès 1993 : « On the Historiographical Orientation of Chinese Archaeology », Antiquity, 67, 1993, p. 839-849.) ; et surtout « l’origine de la civilisation » (wenming qiyuan 文明起源) inspirant le fameux projet de recherche sur les dynasties antiques, le « Xia, Shang, Zhou Chronology Project » lancé dès 1996 (p. 17-19). Il est fait aussi, et légitimement, référence au travail « re-fondateur » de Chang Kwang-chih 張光直 (1931-2001), travaillant aux Etats-Unis, à l’université Harvard : il a eu l’immense mérite, écrivant en anglais, de diffuser auprès d’un public international les données les plus actuelles, en son temps, de la discipline telle qu’elle évoluait non seulement en Occident, mais aussi et surtout en Chine.

 

          Chap. 2 : « Environment and Ecology » (p. 22-41). Les auteurs soulignent ici la variété des régions chinoises et l’adaptabilité des populations qui s’y sont développées. Rappelant l’importance des communications inter-régionales, ils tentent de casser l’image trop longtemps répandue d’une civilisation chinoise superbement isolée.

 

          Chap. 3 : « Foragers and Collectors in the Pleistocene-Holocene Transition (24,000-9000 CAL. BP) » (p. 42-74). Après une présentation des principaux sites classés par grandes régions, les auteurs abordent la question des origines de la céramique en Chine (p. 64), en liaison avec son développement dans l’ensemble de l’Asie orientale (p. 68) et les progrès de la sédentarisation (p. 70) liée à la culture des céréales : un phénomène qu’ils situent en Chine vers 9000 BP.

 

         Chap. 4 : « Domestication of Plants and Animals » (p. 75-122). Cette synthèse est, de mon point de vue, à marquer d’une pierre blanche puisqu’elle aborde enfin un thème que les archéologues chinois, devant oeuvrer dans l’urgence et submergés par l’abondance et l’ampleur des tâches à accomplir, ont longtemps laissé de côté : le travail sur les vestiges animaux et végétaux ainsi que, plus généralement, la domestication, et notamment la domestication animale.

 

          Chap. 5 : « Neolithization : Sedentarism and Food Production in the Early Neolithic (7000-5000 BC) » (p. 123-168). Comme on peut s’y attendre, ce chapitre reprend et développe les thèmes abordés dans les pages précédentes.

 

          Chap. 6 : « Emergence of Social Inequality  ‑ The Middle Neolithic » (p. 169-215). Ce titre me trouble car il pose en présupposé que dans les temps anciens régnait l’égalité, ce qui n’a rien de prouvé ; des distinctions pouvaient en effet exister qui n’ont laissé que peu ou pas de vestiges. Les auteurs décrivent, région par région, le développement des principales cultures de la période considérée. Les conclusions de ce chapitre me semblent souvent très théoriques (p. 210), articulées autour de la notion de complexity.

 

          Chap. 7 : « Rise and Fall of Early Complex Societies : the Late Neolithic (3000-2000 BC) » (p. 213-252). Ce titre évoque un peu fâcheusement le schéma théorique des « histoires dynastiques », auquel les historiens récents tentent de toutes leurs forces d’échapper. Mais il est vrai que, pour avancer, il faut théoriser ! Les auteurs évoquent ainsi l’approche « classiquement évolutionniste » de Xia Nai 夏鼐 (1910-1985) dans les années 1980, puis celle de Su Bingqi (1909-1997) dans les années 1990 (p. 254-256), avant de présenter l’approche historique et la quête éperdue de la dynastie des Xia (p. 259-262) qui marque la discipline depuis trente ans. Outre la description des principaux sites par régions, ils tentent ici d’en définir les traits essentiels (les patterns) en matière d’organisation soit de la vie, soit de la mort. Une place est donnée aussi aux « signes et symboles » (p. 220-221), sans prendre parti dans la querelle opposant ceux qui y voient l’origine des caractères chinois et ceux qui réfutent cette hypothèse. Une longue partie est consacrée à Erlitou et Erligang dont l’articulation avec la phase moyenne (vers 1400-1250 BC) de la culture Shang n’est pas toujours très claire. Ce qui est ici un peu gênant, de mon point de vue, est la tendance à tirer de ce magnifique ensemble de données des conclusions forcées sur le caractère unique de la civilisation chinoise dont « l’orientation rituelle politique de l’Etat » (politicized ritual orientation of statecraft , p. 296) remonterait à une époque très ancienne, fondant ainsi le dogme officiel actuel : l’État chinois est le plus ancien au monde encore vivant, comme s’il n’y avait jamais eu aucune rupture, et comme si les dirigeants d’aujourd’hui étaient les descendants directs de ceux des débuts de l’âge du Bronze.

 

          Chap. 9 : « Bronze Cultures of the Northern Frontiers and beyond during the Early Second Millenium BC » (p. 297-349). Ici est abordée la complexe question des régions dont l’économie principale est pastorale et non agricole, ce qui n’empêche nullement les habitants de développer d’abord la taille du jade puis, plus tard, une industrie du bronze. Les auteurs soulignent à juste titre l’impact de conditions climatiques particulièrement changeantes au cours de la première moitié du IIe millénaire avant notre ère et les liens que ces populations ont tissés avec celles des steppes voisines dont ils partageaient le mode de vie. Si les découvertes récentes tendent à mettre en évidence des échanges entre ces cultures du Nord et celles, contemporaines, d’Erlitou et d’Erligang au Henan, elles montrent aussi que ces diverses sociétés étaient politiquement indépendantes.

 

          Chap. 10 : « The Late Shang Dynasty and its Neighbors (1250-1046 BC) ». Cette période est cruciale dans l’histoire du développement des diverses sociétés ou États anciens installés sur le sol chinois. Au temps d’instabilité et de décentralisation qui correspondrait au milieu des Shang (mais je n’ai pas l’impression qu’on en ait vraiment parlé plus haut ?), succède un renouveau du pouvoir Shang désormais installé au Sud de la Huan, en même temps que plusieurs sociétés régionales, extérieures au Henan, se hissent au rang de sociétés étatiques, à mesure que les échanges s’intensifient non seulement à l’échelle de la grande Plaine, mais bien au-delà. Les auteurs centrent délibérément leur étude de cette période sur les Shang, les autres communautés régionales ne s’élevant, sous leur plume, qu’au statut de « voisin » (cf. la carte, p.É351). Pour mener à bien cette analyse, ils s’appuient en effet sur le schéma du « noyau » et de sa « périphérie » (p. 353). Certes, les autres cultures (par exemple Sanxingdui) n’en sont pas moins soigneusement présentées, mais dans la catégorie des cultures de la « périphérie ». Ce point de vue me semble fâcheux car il induit d’avance les résultats de l’analyse, puisque les rapports entre les cultures sont d’emblée perçus comme allant du dominant vers le dominé, même si les auteurs admettent honnêtement que les cultures « périphériques » n’étaient pas toutes sous le contrôle direct des Shang et que l’ensemble formait plutôt une « mosaïque ». Ce chapitre d’une grande richesse est une somme extrêmement utile et comporte nombre d’analyses stimulantes ; il n’en apparaît pas moins terriblement sino-centré en fonction des implications politiques actuelles et, de ce fait, ne se lit pas sans un certain agacement. Les auteurs ont ainsi du mal à envisager la diffusion de la culture du bronze autrement que par les migrations d’artisans issus des seuls ateliers Shang (p. 391).

 

          Ch. 11 : « Chinese Civilization in Comparative Perspective » (p. 392-440). Le nationalisme de plus en plus présent d’un chapitre à l’autre pourrait bien culminer ici dans ces pages qui constituent la conclusion de l’ouvrage et se terminent sur la notion de Chineseness (p. 400). Après avoir été légitimement enthousiasmé et avoir admiré cette remarquable synthèse de la recherche archéologique actuelle en Chine, la lecture se termine ainsi sur un certain malaise. Cette conclusion en effet cherche moins à rappeler les grandes lignes de ce que l’on sait actuellement des civilisations nées sur l’actuel territoire chinois qu’à définir ce que signifie être Chinois ainsi que l’antiquité, posée comme évidente, de cette qualité. Les auteurs reprennent ici les fils de leur démonstration : depuis la plus haute antiquité, les territoires chinois ont nourri des civilisations originales (cette originalité devant beaucoup aux caractères géographiques naturels) qui ont interagi avec les autres parties du monde. Les auteurs reconnaissent honnêtement qu’un certain nombre de techniques (la métallurgie, la domestication des chevaux, les chariots, p. 396) sont ainsi venues d’ailleurs, mais remarquent qu’elles ont été intégrées, non pas en simple copie, mais d’une manière innovante (p. 395), par les diverses communautés de la grande Plaine. Ils soulignent par ailleurs que dès l’origine « la Chine » (manifestement perçue comme une entité qui existe depuis l’aube des temps) pouvait se suffire matériellement à elle-même (ce qui, disent-ils, n’était pas le cas des civilisations de la Mésopotamie par exemple).

 

          Ils concluent sur l’idée que les systèmes politiques anciens n’ont évidemment pas survécu au passage des siècles. Alors qu’ ils soulignent combien les « valeurs culturelles » chinoises sont anciennes et ont contribué à la durée de la civilisation qu’elles ont engendré (avec l’idée sous-jacente, si souvent exprimée dans les discours officiels, qu’il n’y a pas de solution de continuité des Zhou à la République Populaire de Chine et que, de ce fait, le gouvernement chinois actuel est le plus ancien dans la durée, et donc le plus ancien du monde d’aujourd’hui).

 

          L’ouvrage comporte, comme il se doit, de fort utiles appendices : « Horse Bones in Faunal Assemblages from Neolithic and Early Bronze Age Sites in North China » (p. 401-402) ; un glossaire des caractères chinois (p. 403-411; on regrettera l’absence de ces mêmes caractères chinois dans le corps d’un texte qui n’est pourtant pas conçu pour le grand public. C’est peu compréhensible car les logiciels multilingues actuels ne posent plus aucun problème grave d’utilisation). Et bien sûr le livre se termine sur  l’indispensable index (p. 463-475), ainsi qu’une très importante bibliographie (p. 413-462) : près de 1500 titres ! Malheureusement, seuls des ouvrages en chinois ou en anglais y sont cités : pas un titre japonais, ni cet important ouvrage français sur le paléolithique, Henri de Lumley et Li Tianyuan, Le site de l’homme de Yunxian - Quyuanhekou, Qingqu, Yunxian, Province du Hubei, Paris, CNRS.