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Compte rendu par Nicolas Monteix, Université de Rouen Nombre de mots : 2287 mots Publié en ligne le 2015-10-05 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1759 Lien pour commander ce livre
Ce volumineux ouvrage constitue l’achèvement, pour la Suisse, du projet CRAFTS, initié en 2000 et qui portait sur l’artisanat antique en Italie (entendue comme cisalpine) et les provinces occidentales (entendues comme la Gaule Belgique, une partie des Germanies, les provinces alpines, la Rhétie, le Norique). Parmi l’imposante bibliographie générée par ce projet dont les publications ont scandé les années 2000, avec une alternance entre colloques, monographies et synthèses régionales, ce volume apparaît sans conteste comme le plus abouti.
Avant d’aborder les apports de ce « recensement » et de ces « premières synthèses », quelques remarques plus formelles sont nécessaires. Au premier abord, que ce soit à la découverte du volume ou lors de sa lecture, l’inévitable multilinguisme adopté au fil des chapitres frappe. S’il est salutaire que chaque auteur ait publié dans sa langue maternelle (allemand, français et italien), le passage d’un idiome à l’autre est parfois décontenançant. La lecture reste cependant aidée non seulement par la traduction de tous les titres – la première langue utilisée étant celle du développement –, mais aussi par la présence d’un très utile glossaire trilingue (p. 371-377).
L’ouvrage est divisé en quatre chapitres. Dans le premier (p. 9-26), les ressorts méthodologiques sont exposés, en allant d’un rappel des fondements du projet CRAFTS, jusqu’à l’organisation de la base de données, remplie jusqu’en 2004 avec 925 entrées, dont 916 correspondant à des éléments matériels. Dès ce premier chapitre, une double révolution historiographique est à l’œuvre. En effet, loin de se cantonner aux définitions classiques de l’« artisanat », généralement limitées aux métaux – surtout le fer pour la période romaine –, à la céramique – entendue comme vaisselle –, au verre et, marginalement, aux autres productions dont de rares vestiges sont visibles[1], les auteurs ont ouvert le champ à tous les produits issus de la transformation de matière première. Une telle définition les amène naturellement à intégrer les productions issues de produits organiques, dont les productions alimentaires. Le second changement, assez radical, même au regard de la production issue du projet CRAFTS, est que les problématiques de la question, parfois ruminées depuis plus d’un siècle, sont maîtrisées et dépassées, ce qui libère les auteurs de freins parfois handicapants. Dans la constitution de leur corpus, ils ont ainsi d’abord écarté les questions d’échelle de production – la différence entre production domestique et production commerciale – ou les problèmes issus de la querelle opposant primitivistes et modernistes, sans les ignorer, pour mieux les discuter chaque fois que nécessaire, après avoir passé en revue les données sans a priori.
Le second chapitre (27-162) présente les 925 attestations, mélangeant inscriptions, découvertes isolées, ensembles funéraire et surtout vestiges d’ateliers. Cette partie suit une division organisée en fonction des matières premières. Sont ainsi décrites les productions à base d’argile, de verre, de métal, de pierre, de bois, puis des sous-produits animaux ou végétaux : textile, cuir et fourrures, alimentation. Dissociées de ces activités de transformation attendues, sont également décrites des productions plus rarement attestées, comme celle de cire, de poix, de colle, de charbon ainsi que la réparation de vaisselle. Pour chacun des produits, la chaîne opératoire, les différents aménagements et outils permettant de les reconnaître sont décrits. Ensuite, chaque auteur procède à une analyse de la répartition spatiale des attestations par production. On pourrait ici regretter que les illustrations, déjà nombreuses, restent malgré tout insuffisantes pour étancher la soif du lecteur qui devra se reporter à la bibliographie des sites décrits au fil du texte dans le catalogue final. Néanmoins, la synthèse ainsi offerte dépasse largement le cadre de la Suisse et pourrait servir de guide raisonné à la fouille de ces vestiges souvent labiles, malgré les relativement bonnes conditions de conservation observées sur le territoire helvétique. Il serait a priori possible de gloser longuement sur l’isolation initiale de certains types de production, comme le travail de l’os et des bois animaux, que l’on associerait volontiers avec le travail du bois, éventualité rapidement mentionnée (108). Cependant, une telle glose de détail serait aussi injuste qu’inutile : en maintenant tout au long de ce chapitre une approche par matière première, les auteurs sérient leurs données et surtout conservent la question des associations de métiers pour le chapitre suivant.
Le contenu du troisième chapitre (163-172), malgré sa brièveté, constitue certainement le principal corollaire du changement de perspective initié dans cet ouvrage. Les auteurs abordent des problématiques touchant l’ensemble du système technique en s’interrogeant sur l’existence de caractères communs aux différents producteurs. Il s’agit tout d’abord de comprendre si la spécialisation des producteurs antiques correspond à la perception archéologique de leur(s) production(s)[2]. L’exemple de l’« artisan des matières osseuses », dont les produits interviennent notamment dans la fabrication de meubles ou d’armes est à fort juste titre discuté (164-165). Une autre manière de chercher les interactions entre producteurs consiste à tenter de percevoir une utilisation commune d’outils, ou une concentration d’outils renvoyant à des productions différentes en un même lieu. Les différents exemples déployés tendent tous à miner l’idée d’une hyperspécialisation telle qu’immédiatement perceptible à travers les vestiges mis au jour. Le troisième point discuté touche à la saisonnalité des activités et trouve son fondement dans l’utilisation de matières premières organiques non disponibles tout au long de l’année et ne pouvant pas nécessairement être stockées. Parallèlement, certaines activités sont également touchées par les cycles climatiques. La question du caractère sédentaire des personnes travaillant dans ces secteurs de production est alors soulevée ; une des réponses apportées tend vers la migration saisonnière et donc vers la pluriactivité. Si certaines activités peuvent avoir un établissement fixe et fonctionnel toute l’année, d’autres en revanche, par leur hyperspécialisation, entraînent la mobilité des artisans, qui constitue le quatrième point discuté. Enfin, le chapitre s’achève en évoquant les questions de productivité et de marché : malgré les difficultés pour aboutir à une conclusion définitive, les échanges paraissent avoir eu pour cadre un marché n’allant qu’à de rares exceptions au-delà du cadre local ou régional.
Le quatrième chapitre (173-208) propose un panorama chronologique – de la Tène finale à l’Antiquité tardive – organisé selon un plan scalaire, permettant d’analyser la répartition spatiale des attestations de productions sur les 260 sites recensés (pour 1205 sites romains connus en Suisse). Les traces d’activités préromaines sont faibles : si de nombreux produits finis sont connus, les sites de production restent peu nombreux et sont essentiellement cantonnés dans les oppida ou dans les sites d’habitat ouvert. Il est regrettable que les productions issues de matières premières organiques n’aient pas été ici prises en compte. Le tableau dressé pour les agglomérations principales dépend de l’activité archéologique dans les villes modernes. L’essentiel des données provient d’Avenches et d’Augst, Nyon et Martigny ayant été moins explorées. La majeure partie des activités reconnues sont banales, « de proximité », et faisaient montre d’une productivité vraisemblablement limitée. La question des concentrations d’activités (les mal nommés « quartiers artisanaux »)[3] est présentée et discutée. Il en ressort que des concentrations horizontales – d’activités similaires – existent, plutôt vers les marges du tissu urbain, mais sans véritable règle. Ainsi, à Augst, des potiers s’installent-ils à proximité du théâtre. De toute façon, aucun de ces groupements ne montre de véritable monoactivité, d’autres productions étant attestées à proximité des potiers ou des forgerons. Parallèlement, des concentrations verticales ont été observées pour les métiers dont la matière première est organique, trahissant des coopérations entre producteurs. La situation des agglomérations secondaires est proche : les activités sont également banales pour l’essentiel, avec une moindre représentation des espaces liés à la transformation alimentaire. Le panorama des productions de ces agglomérations reste toutefois plus difficile à établir. Cependant, que ce soit dans les principales villes ou dans les agglomérations secondaires, les activités supposées générer des nuisances n’apparaissent pas rejetées hors du tissu urbain. Les espaces ruraux sont décrits à la fois comme le point de départ des produits alimentaires – éventuellement partiellement préparés – et comme des lieux de productions domestiques, ou utilisées « en autarcie ». Il est probable que, pendant la période impériale, la transformation se fasse hors des domaines ruraux, même si un changement est notable à partir du IIIe siècle. Sinon, les forges semblent omniprésentes, là encore pour les besoins des établissements ruraux. Pour expliquer la relativement grande fréquence des ateliers de terres cuites architecturales, la question de la production saisonnière de ces dernières – avec une cuisson hivernale – est très légitimement soulevée. Enfin, les conditions de la production dans les camps militaires est discutée. Une forte évolution chronologique apparaît : la production locale est en croissance progressive du Ier au IIIe siècle, en lien avec le développement des établissements civils proches des camps et avec la réduction des importations italiennes ou gauloises. Une véritable rupture est perceptible au IVe siècle, conséquemment aux transformations du ravitaillement de l’armée ; les activités dans les camps sont alors réduites à de petites quantités ou à des réparations.
Le volume s’achève par le catalogue des différentes attestations discutées (213-334), présentées sous la forme de fiches synthétiques directement tirées de la base de données fondatrice de cette recherche. Deux regrets touchent ce point. Tout d’abord, le lecteur se demande avec angoisse, mêlée d’une déception anticipée, si cette base de données a été alimentée après 2004. Le second regret touche à la disponibilité de cette base, quand bien même elle serait incomplète : il aurait certainement été préférable de la rendre disponible en ligne plutôt que d’en extraire des fiches pour les imprimer. De la sorte, cela constituerait un outil très appréciable pour toutes les questions économiques.
Malgré ce léger bémol, le volume est d’un intérêt rare, tant son foisonnement et les nouvelles pistes de recherche qui y sont présentées permettent de dresser un tableau des activités de production beaucoup plus complexe que les synthèses traditionnelles. Gageons que cette boîte à outils saura rapidement trouver des utilisateurs, jusque dans le monde anglo-saxon.
[1] Cf., dans le cadre du projet CRAFTS : S. Santoro, « Artigianato e produzione nella Cisalpina romana: proposte di metodo e prime applicazioni », S. Santoro (éd.), Artigianato e produzione nella Cisalpina (Flos Italiae, 3), Firenze, 2004, p. 19-69, p. 24 (l’alimentation est éliminée aux pages 26 et 35) ; M. Polfer, L’artisanat dans l’économie de la Gaule Belgique romaine: à partir de la documentation archéologique (Monographies Instrumentum, 28), Montagnac, 2005, p. 16. L’absence de prise en compte des données « non matérielles » reste une pratique courante, cf. e.g. A. Ferdière, « Réflexions sur la relativité de la valeur heuristique des sources en histoire économique et sociale pour l’Antiquité: l’exemple des différents artisanats en Gaule romaine », P. Chardron-Picault (éd.), Aspects de l’artisanat en milieu urbain (Suppléments à la RAE, 28), Dijon, 2010, p. 163-172, p. 164 et n. 2. [2] Voir également les réflexions en ce sens menées par M. Pernot, « Quels métiers les arts des plombiers, bronziers et orfèvres impliquent-ils? », N. Monteix, N. Tran (éd.), Les savoirs professionnels des gens de métier études sur le monde du travail dans les sociétés urbaines de l’empire romain (Collection du Centre Jean Bérard, 37), Naples, 2011, p. 101-118. [3] Sur cette question, voir les différentes contributions parues dans A. Esposito, G.M. Sanidas (éd.), « Quartiers » artisanaux en Grèce ancienne: une perspective méditerranéenne (Archaiologia), Villeneuve d’Ascq, 2012.
Vorwort (Eckhard Deschler-Erb) . 7
1 Einleitung 9 1.1 Die Publikation und ihr Umfeld 9 1.1.1 CRAFTS, ein europäisches Forschungsprojekt (Eckhard Deschler-Erb) 9 1.1.2 Die Schweizer Arbeitsgruppe (Eckhard Deschler-Erb I Sabine Deschler-Erb) 11 1.2.3 Zur Publikation (Eckhard Deschler-Erb) 12 1.2 Das Handwerk in der Antike 13 1.2.1 Definitionsfragen (Eckhard Deschler-Erb) 13 1.2.2 Forschungsstand in der Schweiz (Eckhard Deschler-Erb) 15 1.2.3 Forschungsstand und Methodik der Archäobiologie (Sabine Deschler-Erb) 16 1.3 Zur Datenerfassung 23 1.3.1 Kriterien und Vorgehen bei der Datenerfassung (Eckhard Deschler-Erb) 23 1.3.2 Structure de la base de données CRAFTS et cartes de répartition (Lionel Pernet / Norbert Spichtig) 24
2 Die verschiedenen Handwerkszweige 27 Einleitung (Eckhard Deschler-Erb) 27 2.1 Tonverarbeitung (Eckhard Deschler-Erb) 29 2.1.1 Die Gefässkeramik 29 2 .1.2 Die Baukeramik 40 2.2 Glasverarbeitung (Heidi Amrein) 48 2.3 Metallverarbeitung 56 2.3.1 Le travail du fer (Anika Duvauchelle) 56 2.3.2 Buntmetallverarbeitung (Eckhard Deschler-Erb) 63 2.3.4 Bleiverarbeitung (Eckhard Deschler-Erb) 74 2.3.5 Edelmetallverarbeitung (Eckhard Deschler-Erb) 76 2.4 Les métiers de la pierre 77 2.4.1 La pietra nella costruzione (Eva Carlevaro) 77 2.4.2 Kalkbrennerei (Eckhard Deschler-Erb) 81 2.4.5 Gipsproduktion (Eckhard Deschler-Erb) 86 2.4.6 Le décor architectural (Anika Duvauchelle) 88 2.4.7 La scultura (Eva Carlevaro) 94 2.4.8 I recipienti e gli strumenti in pietra (Eva Carlevaro) 98 2.5 Les métiers du bois (Anika Duvauchelle) 104 2.6 Bein- und Homverarbeitung (Sabine Deschler-Erb) 113 2.6.1 Knochen- und Geweihverarbeitung 113 2.6.2 Hornverarbeitung 119 2.7 Textilverarbeitung (Sabine Deschler-Erb) 121 2.8 Herstellung und Verarbeitung von Leder und Pelzen (Sabine Deschler-Erb) 127 2.8.1 Gerbereien 127 2.8.2 Lederverarbeitung 135 2.8.3 Pelzverarbeitung 136 2.9 Nahrungsmittelproduktion (Sabine Deschler-Erb) 137 2.9.1 Öfen zur Verarbeitung organischer !?--ohstoffe 137 2.9.2 Tierische Produkte 142 2.9.3 Pflanzliche Produkte 152 2.10 Andere Produktionszweige 157 2 .10 .1 Wachsproduktion (Sabine Deschler-Erb) 157 2.10.2 Pech- und Teerherstellung 157 2.10.3 Leimsiederei (Sabine Deschler-Erb) 158 2 .10 .4 Köhlerei (Sabine Deschler-Erb) 161 2.10.5 Gefässflicker (Eckhard Deschler-Erb) 161 2.11 Unbestimmtes (Eckhard Descbler-Erb) 162
3 Das Handwerk im gemeinsamen Prozess (Eckhard Deschler-Erb/Sabine Descbler-Erb) 163 3.l Materielle und technische Zusammenarbeit 163 3.1.1 Materielle Zusammenarbeit 163 3.1.2 Technische Zusammenarbeit 166 3.1.3 Schlussfolgerungen 168 3.2 Saisonalität 168 3.3 Mobilität 170 3.4 Produktivität und Absatzmarkt 171
4 Räumliche und zeitliche Verteilung des Handwerks I répartition spatiale et chronologique de l'artisanat 173 4.1 Avant l'arrivée des Romains : la Situation à La Tène finale (Lionel Pernet) 173 4.2 Pax Romana. L'artisanat dans la Suisse romaine I Das Handwerk in der römischen Schweiz 181 4.2.1 Les agglomerations principales (Anika Duvauchelle) 181 4.2.2 I vici e gli insediamenti rurali di piccole dimensioni (Eva Carlevaro) 194 4.2.3 Die ländliche Besiedlung (Eckhard Deschler-Erb) 199 4.2.4 Militärische Einrichtungen (Eckhard Deschler-Erb) 204 4.2.5 Siti di diversa natura e la cui funzione rimane indeterminata (Eva Carlevaro) 208
5 Zusammenfassung / Résumé / Riassunto / Summary 209 Zusammenfassung 209 Résumé 210 Riassunto 211 Summary 212
6 Katalog / Catalogue 213 6.1 Katalog der Nachweise zum Handwerk / Catalogue des attestations d'artisanat. 213 6.2 Katalog der Fundorte / Catalogue des sites 317
7 Bibliografie, Register und Glossar / Bibliographie, Index et Glossaire 335 7.1 Bibliografie / Bibliographie 335 7.2 Index / Register 368 7.2 .1 Index des artisanats par sites / Index der Handwerksbelege pro Fundort .... 368 7.2.2 Glossar deutsch/französisch/italienisch der Fachbegriffe / Glossaire allemand /français/ italien des termes techniques 371
Abbildungsnachweise / Crédit des illustrations 378
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |