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Compte rendu par Gwenn Gayet, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand Nombre de mots : 3934 mots Publié en ligne le 2014-04-16 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1780 Lien pour commander ce livre
Goûts privés et enjeux publics dans la patrimonialisation, XVIIIe-XXIe siècle est un ouvrage collectif dont la direction scientifique a été assurée par le Professeur Dominique Poulot. Cet ouvrage est le quatrième de la collection Histo.art, dont les volumes édités sont la résultante des travaux de l’école doctorale 441 histoire de l’art de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. L’ensemble des textes a été réuni et édité par Dominique Poulot et Nathalie Cerezales. L’ouvrage présente des textes principalement issus de Journées d’Études, notamment celle organisée le 24 juin 2010, arborant le même intitulé que l’ouvrage : « Goûts privés et enjeux publics dans la patrimonialisation, XVIIIe-XXIe siècles ». La majeure partie des auteurs sont de jeunes docteurs ou doctorants avancés (principalement de l’Université Paris 1) et issus du Master Politique et histoire du patrimoine et des musées ou appartenant au groupe Art, patrimoine, institution. D’autres auteurs, par leur provenance, témoignent de la volonté d’histoires croisées et d’échanges culturels autour de ce même thème. L’ouvrage présenté permet au lecteur d’identifier différentes approches culturelles sur les notions de patrimoine et des politiques muséales. Les questions soulevées touchent aussi à la patrimonialisation d’autres cultures.
L’introduction de Dominique Poulot expose la genèse de l’ouvrage tout en présentant un panorama résumé des parties, par une succincte présentation de chacun des textes (pp. 7-18). À la suite de cette introduction, une communication générale de Dominique Poulot est intitulée « Le Musée, les individus et les communautés ». Il questionne de façon universelle le circuit des œuvres. L’auteur s’attarde plus particulièrement sur la présentation de la définition d’un musée, entité complexe entre domicile et propriété de l’art ; appropriations du patrimoine ; idéologies des sujets présentés ; questions de conservation et de persuasion autour des visites ; l’esprit des lieux ainsi que sur l’interpellation des publics. Ces thèmes représentent l’ensemble des interrogations soulevées par les divers textes à suivre (pp. 19-42).
L’ouvrage se compose de trois parties : Les modes d’appropriations d’un patrimoine dans l’espace public, Artistes, amateurs, marché et institutions, et enfin, les Patrimonialisations projetées par le biais d’autres cultures. Ces thèmes, bien que traités de façons distinctes, forment une continuité dans les réflexions amenées.
I. La première partie de l’ouvrage, Les modes d’appropriation d’un patrimoine dans l’espace public, est composée de six textes (pp. 45-177).
I.1 Jean-Philippe Uzel (docteur en sciences politiques ; Professeur d’histoire de l’art à l’Université du Québec, Montréal) : L’Abbé du Bos, théoricien du « grand public », (pp. 45-61).
Après une présentation générale du personnage, l’auteur analyse la conception élargie de la notion de « public ». La recherche du sens premier du terme, le développement de la notion « d’opinion publique » comme l’apparition d’une dimension politique posent les fondements de l’ouvrage et des articles à venir. Avec l’exemple de Du Bos, Jean-Philippe Uzel juxtapose deux conceptions du terme « public » : un public apportant sa caution esthétique à un pouvoir politique et un public restreint correspondant à une société d’amateurs aptes à se prononcer sur l’art. A l’origine d’une première réflexion sur la notion d’échanges entre art et espace public, Du Bos s’imposa dès le XVIIIe siècle comme un acteur central de la scène artistique et politique.
I.2. Richard Wittman (Associate Professor au département d’histoire de l’art et d’architecture de l’Université de Californie, Santa-Barbara) : L’architecture, le public et ses lieux en France au XVIIIe siècle, (pp. 61-89).
Dans cet article, l’auteur s’interroge sur notre relation au temps et à l’espace qui, aujourd’hui, est différente de celle des siècles passés. Par sa nature matérielle, l’architecture est devenue un thème majeur de la sphère publique nationale. L’analyse proposée ici traite de l’introduction de l’architecture dans cette sphère publique d’information ; et bien que les bâtiments demeurent attachés à un lieu, le public, lui, devient national. Richard Wittman achève sa démonstration en annonçant qu’aujourd’hui, cette sphère publique d’information existe toujours depuis le XVIIIe siècle. Là réside tout l’enjeu de l’appropriation d’un patrimoine dans l’espace que l’on définit progressivement comme public.
I.3 - Fabienne Seillan (docteur en histoire de l’art, spécialiste de l’architecture et de l’urbanisme à Paris) : Le lotissement ou la dislocation du tissu urbain (étude de cas des lotissements opérés à Paris sur des hôtels de la rue Grange-Batelière, au cours des années 1770-1780), (pp. 89-113).
La construction des tissus urbains étant un phénomène complexe à appréhender, l’auteur en présente les difficultés : la documentation insuffisante entrave souvent les recherches portant sur les aménagements urbains. Le lotissement, principal mode de construction de l’espace urbain (XVIe-XIXe siècles) consistant en la séparation d’un terrain en plusieurs parcelles, suivie d’une vente ou d’une dislocation, n’exigeait en effet aucune autorisation administrative jusqu’à la loi Loucheur (1924). L’auteur nous éclaire sur les anciennes conditions réglementaires et économiques du lotissement par l’exemple du quartier Grange-Batelière à Paris, constitué par le financier Jean-Joseph de Laborde. L’historique de la construction du quartier met en exergue le processus d’une appropriation d’un espace, devenant public. En dépouillant les différents types de ventes, acquisitions, échanges, réseaux et flux, l’auteur nous présente une évolution parcellaire dont nous avons hérité. À la fois constitution et dislocation du tissu urbain, le lotissement illustre parfaitement la question des modes d’appropriation d’un patrimoine dans l’espace public.
I.4 - Aysegül Cankat, (Maître-Assistant à L’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, architecte et docteur en architecture) : Un mythe à Istanbul : l’habitat comme identité communautaire, (pp. 113-139).
L’habitat est ici interrogé comme une identité communautaire de minorités vivant à Istanbul. Des spécificités communautaires ou identifications spatiales se répandent chez différents acteurs : politiques, écrivains ou encore universitaires. Pourtant, l’auteur nous sensibilise au fait que l’iconographie et les objets physiques ne mènent pas à l’affirmation d’une spécificité différenciatrice qualifiée par l’appartenance communautaire. Une étude portant sur les objets physiques montre que les schémas spatiaux sont à l’origine des types d’habitat, et ce sans distinction de religion. A Istanbul, ville multiple à la culture plurielle, le mode d’habiter est partagé au-delà des confessions. L’auteur présente différents « marqueurs d’espaces » qui se superposent à une configuration géographique, inscrivant le tout dans une continuité historique. La division des espaces selon une appartenance communautaire serait donc un mythe reléguant au second plan la qualité d’espace, d’usage d’un habitat qui s’inscrit dans la dynamique de ville actuelle. L’auteur souhaite interroger les transformations du XIXe siècle dans le processus de modernisation occidentale : pourquoi parler d’occidentalisation à propos d’Istanbul (en la plaçant alors en Orient) et de modernisation pour Paris ? Où se situe la limite Orient-Occident quand Istanbul est une plaque d’échanges interculturels ? Plusieurs conceptions du patrimoine qu’il s’agit de confronter sont proposées au lecteur et relèvent de trois visions : occidentale, nationaliste et confessionnelle.
I.5 - Christina Ntaflou (docteur en histoire de l’art) : Donateurs et musées dans la Grèce contemporaine, (pp. 139-161).
De cet article ressort une « micro-histoire » des goûts et intérêts privés entrés officiellement dans le domaine public par l’action évergétique. Avec la Pinacothèque nationale affichant la continuité de l’art grec (de l’époque antique à celle contemporaine), quatre grands musées d’art furent créés en Grèce à la fin des années 1990. L’auteur entame sa réflexion en exposant ces créations, avant de présenter individuellement ces nouveaux lieux culturels. Résultant de legs ou donations, les annexes de la pinacothèque nationale sont identifiées comme des espaces d’évergétisme, où le devoir de mémoire d’une famille, d’un nom, répond à la modernité d’un espace. « Ce sont finalement les conceptions esthétiques, historiques, artistiques et nationales d’une minorité – une élite culturelle et sociale issue de la bourgeoisie – qui sont exposées aux yeux des visiteurs au sein de musées nationaux, destinées à cultiver le sens esthétique du public » (pp. 156-157). Par cette réflexion, l’auteur démontre que l’histoire de la culture européenne passe par une étude des institutions culturelles (et spécifiquement de la structure muséale). C’est en Grèce que Madame Ntaflou propose au lecteur d’étudier les modes d’appropriation d’un patrimoine dans l’espace public.
I.6 - Nathalie Cerezales (doctorante à Paris 1, Panthéon-Sorbonne, en codirection avec l’Université de Valladolid) : José Velicia et « Las edades del hombre » : la redécouverte du patrimoine religieux en Espagne, (pp.161-177).
Après une présentation générale des principes, tenants et aboutissants de l’exposition « Las edades del hombre », l’auteur insiste sur la prise de conscience patrimoniale de la société espagnole. Par l’art et l’histoire furent retrouvées la mémoire et l’estime d’une terre. Trois composantes furent indispensables à cette réussite, à savoir des collections artistiques sélectionnées, des moyens technologiques présentant les œuvres d’une façon spectaculaire, le tout dans un bâtiment religieux. Devenant une fierté régionale en Castille-et-León, les multiples objectifs des expositions « Las edades del hombre » s’attachaient à faire renouer le public avec l’art religieux, montrer à travers l’art la présence de l’Église en Castille-et-León et enfin, à pérenniser ce projet. Nouveau moyen de dialoguer avec les masses, gratuité et succès de fréquentation, l’exposition a essaimé, installant dans l’idée générale une image de musée itinérant. Le patrimoine dans l’espace public est ici décliné en de nombreuses formes, et l’étude nous en montre l’une des multiples possibilités.
II. Le second volet de l’ouvrage (pp. 179-295) porte sur les Artistes, amateurs, marché et institutions. Les sujets sont abordés par six auteurs dont les sujets et approches d’intervention cernent complètement le thème :
II.1 – Christine Godfroy-Gallardo (doctorante en histoire de l’art à l’université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) : L’expert, le musée et l’appréciation des objets d’art sous le premier Empire, (pp. 181-195).
Par son texte soigné, l’auteur présente le cadre novateur dans lequel l’expert et les institutions muséales émergent depuis la Révolution. Pourtant, la confiscation des biens du clergé, puis des émigrés et la saisie des œuvres d’art n’ont donné lieu à aucun inventaire spécifique, à l’exception des collections royales. La consultation des catalogues étant fastidieuse, ce manque de rigueur engagea le Premier Empire à composer un cadre nouveau autour des collections. Par l’exemple de Guillaume-Jean Constantin, conservateur des tableaux de l’Impératrice, chargé d’en dresser l’inventaire en 1811, l’auteur mène une étude des inventaires et de leur mise en place règlementée. Par son regard attentif aux translations furtives d’œuvres, elle met en évidence tout l’intérêt d’une histoire du goût et des collections.
II.2 – Arnaud Bertinet, (docteur en histoire de l’art ; ingénieur d’études au sein du laboratoire InTRu à Tours) : Les fondations de musées sous le Second Empire : l’exemplaire M. Jubinal, (pp. 195-211).
Nous donnant dans un premier temps une définition d’un musée tel qu’il était perçu sous le Second Empire, Arnaud Bertinet souligne que les origines de l’institution se trouvent dans la notion de patrimoine national ainsi que dans une volonté pédagogique de partage d’un savoir encyclopédique. L’auteur illustre ainsi la multiplication des musées tout au long du XIXe siècle. En parallèle émergent de multiples actions privées : les fondations de musées. L’auteur s’interroge alors sur le rôle de ces institutions face à l’État. Par l’exemple d’Achille Jubinal, fondateur des musées de Tarbes et Bagnères-de-Bigorre, il s’agit d’étudier le développement des musées de province et de leurs collections. Images du temps, reflets d’une société, les créations de ces institutions sous Napoléon III sont d’une grande richesse. Les musées de province, qu’ils soient issus de fondations privées ou de l’action des élites publiques locales en sont le témoignage.
II.3 – Géraldine Masson, (documentaliste au musée d’Orsay, doctorante à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) : Conservateurs artistes et érudits dans les musées français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, (pp. 211-224).
Le questionnement de cet article porte sur les rôles du conservateur de musée de la fin du XIXe siècle, et ce, selon ses origines, ses goûts et ses réseaux sociaux. Par des statistiques et illustrations explicites, Géraldine Masson démontre que l’origine professionnelle des conservateurs de musées de la fin du XIXe siècle interféra dans la patrimonialisation des collections muséales. En présentant les limites d’action du conservateur, l’auteur expose les conditions d’exercice qui inhibaient alors toute velléité personnelle. Le conditionnement et la nature des collections, leur présentation, n’étaient pas le fait du conservateur. La réflexion proposée détaille, en s’appuyant sur des exemples concrets et des données chiffrées, les natures de collections, selon l’origine de son conservateur. Ce sujet complexe met en évidence que le conservateur du XIXe siècle était un médiateur privilégié entre goûts privés et collections publiques et qu’il « est l’un des principaux acteurs du processus de patrimonialisation » (p. 224).
II.4 – Anne-Lise Auffret, (doctorante à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) : Champfleury et le « Nouveau » musée de Sèvres (1872-1889), (pp. 225-242).
Après une présentation générale du personnage étudié, l’auteur propose une approche singulière confrontant les écrits de l’écrivain Champfleury, à sa correspondance professionnelle, témoignant des actions d’un homme de musée. Comparant le rôle qu’il joua dans la conception et l’administration de l’institution muséale à ses œuvres littéraires, Anne-Lise Auffret présente une étude à double échelle. Les stratégies d’exposition, la muséographie, mais également l’éducation ouvrière et les préoccupations sociales tiennent une place importante au sein de la manufacture de Sèvres, administrée par Champfleury. Faisant preuve de modernité dans sa façon d’appréhender le musée d’art industriel, Champfleury sut mettre en exergue son parti pris dans un contexte où les musées d’art industriel étaient encore très peu nombreux en Europe et où les débats foisonnaient autour des arts décoratifs. L’analyse de l’auteur montre que de nombreux facteurs « ont favorisé les interactions et contribué à l’établissement de relations privilégiées avec les collectionneurs et les conservateurs de nombreux musées » (p. 242).
II.5 – Pascale Dhaussy-Martinez, (enseignante en histoire de l’art à l’Université Catholique de l’Ouest ; doctorante à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) : Les tableaux des persécutions chrétiennes du musée Grévin, de 1902 à 1934, (pp. 243-266).
Cet article est l’illustration d’une découverte surprenante : un ensemble de « sculptures réalistes » de cire, composant les tableaux de la vie des premiers chrétiens dans les catacombes. Projet d’illustration de l’œuvre littéraire Quo Vadis d’Henryk Sievkiewicz, il s’agit d’une installation et présentation muséographique de 1903 où les figures étaient regroupées en huit tableaux sous la rubrique « Les catacombes à l’époque des persécutions chrétiennes Ier et IIe siècles ». Par ses notes, l’auteur présente le parcours des créations de cire, et ce, grâce aux documents d’archives du musée Grévin, des rapports de restauration ainsi que des campagnes de photographies et radiographies. Pascale Dhaussy-Martinez propose une analyse technique des mannequins de cire, une étude de la fiction d’une recomposition historique, l’examen d’un contexte législatif (loi de séparation des Églises et de l’État en 1905), afin de resituer cet ensemble exceptionnel, témoignage d’une histoire du divertissement et de la culture parisienne au tournant des XIXe et XXe siècles.
II.6 – Nathalie Hamel, (docteur en ethnologie ; consultante en patrimoine auprès du ministère de la Culture du Québec) : La collection Coverdale et la mise en valeur des identités québécoise et canadienne, (pp. 267-295).
Par l’étude des collections de deux hôtels : celui de Toudoussac et le « Manoir de Richelieu » au Québec, Madame Hamel présente le processus de collectionnement (1) réfléchi et mené par William H. Coverdale. Elle met en évidence le parcours singulier de cette collection, révélatrice des conceptions du patrimoine au Canada, et plus particulièrement au Québec. Les notions d’identité collective comme d’histoire nationale sont les vecteurs de la réflexion proposée. Le but de la collection était double : orner les hôtels, tout en sauvegardant et protégeant un patrimoine en lien avec l’histoire du pays, avant la confédération canadienne. Par son champ de collectionnement novateur, le produit original était rattaché à une culture locale. L’auteur démontre que la collection Coverdale, par l’évolution de ses préoccupations, dégagea de nombreuses questions de conservation patrimoniale au Québec. La préservation des trésors collectifs devint progressivement un devoir mémoriel. Cette position confirme la reconnaissance d’un patrimoine et explique l’achat par le Ministère des Affaires Etrangères, en 1968, d’objets devenus patrimoniaux. Ce passage au domaine public de la collection Coverdale est, comme le démontre l’auteur, l’aboutissement de trente années de diffusion d’un ensemble. Les actes officiels comme la reconnaissance publique transformèrent l’héritage Coverdale en un héritage collectif.
III. La dernière partie de l’ouvrage intitulée « patrimonialisations projetées » (pp. 297-386) s’attache à l’étude des flux, circulations, échanges et réseaux d’autres cultures, pour en évoquer les processus de patrimonialisation. L’ethnographie est ici une discipline complémentaire nécessaire aux quatre études proposées.
III.1 – Maria Paola Rodriguez Prada, (docteur en histoire de l’art) : Un musée au service de la construction nationale en Colombie, 1819-1830, (pp. 299-319).
L’étude de l’aérolithe dit « de Santa Rosa de Viterbo » marque le point de départ d’une culture matérielle scientifique qui trouve sa place dans le musée national des Sciences Naturelles de Colombie, à Bogota. Maria Paola Rodriguez Prada montre au cours de son article, comment certains portraits privés et européens ont influé sur le destin public colombien. L’étude présentée suggère que les intérêts d’individus peuvent devenir par la suite des éléments de patrimoine. De même, elle précise que tout un chapitre de l’histoire patrimoniale française et colombienne s’est écrit au cœur des voyages, expéditions scientifiques, récits publics comme privés. S’appuyant sur des extraits de lettres mettant en évidence la difficulté de constituer des collections, la réflexion amène le lecteur à s’interroger sur les collections ethnographiques des musées français. Les difficultés politiques et matérielles de la Colombie, l’absence d’une génération de chercheurs compromettent la pérennité de l’héritage scientifique et patrimonial du musée des Sciences naturelles de Bogota. Pourtant, les collections du premier musée constituent aujourd’hui un des éléments du patrimoine des institutions muséales colombiennes et françaises.
III.2 – Paulina Faba Zuleta, (docteur en histoire de l’art ; professeur assistant à la Pontificia Universidad Catolica de Chile et à la Universidad ARCIS, Santiago) : De Valparaiso à Hanga Roa, du XIXe au XXe siècle : Trajectoires de la patrimonialisation missionaire de Rapa Nui (île de Pâques), (pp. 320-342).
L’auteur propose l’étude du rôle des missionnaires dans la patrimonialisation des vestiges de Rapa Nui (île de Pâques). Le caractère ethnographique indéniable de cette étude permet de saisir le phénomène dans toute sa complexité. Paulina Faba Zuleta analyse différentes trajectoires de la patrimonialisation rapanui et démontre que, dans la longue et riche histoire de l’île, les missionnaires occupèrent très tôt un rôle central, les plaçant « au premier rang d’un projet de société où la patrimonialisation est essentielle » (p. 341). Pour l’auteur, le missionnaire Sébastien Englert reflète cette époque de transition, ouvrant sur de nouvelles formes de patrimonialisation. Avec prudence, elle met toutefois le lecteur en garde face à l’instrumentalisation de la mémoire et au triomphe de stratégies de domination, de transformation sociales liées au système colonial, qui pourrait aujourd’hui se retrouver dans un processus de mondialisation.
III.3 – Paz Nunez-Regueiro, (Conservateur du patrimoine, responsable des collections américaines au musée du Quai Branly ; doctorante à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) : Le patrimoine Mapuche-Tehuelche en France à la fin du XIXe siècle : les collectes de Charles Wiener et d’Henry de la Vaulx au musée d’ethnographie du Trocadéro, (pp. 343-368).
Le point de départ du travail présenté est constitué par les collections nationales françaises provenant de l’extrême sud du continent américain. Résultant d’ambitions politiques, économiques et scientifiques, ces collections du XIXe siècle se voulaient le reflet d’une humanité perçue dans son état le plus primitif. Alors que les domaines privé et public développent un goût et un intérêt spécifiques pour ce finis terrae (récits de voyage, développement de l’anthropologie, des musées), Paris voit naître un musée national dédié aux collections ethnographiques en 1878. Résultats de missions d’exploration, les premiers objets enrichissant les collections dépendent des goûts du collectionneur. Qu’il s’agisse de Charles Wiener (1851-1913) en poste au Chili, ou de l’explorateur Henry de La Vaulx (1870-1930) qui parcourut la Patagonie argentine, l’auteur démontre que les premiers envois relatent une « micro-histoire des collections ». Elle met alors en lumière les enjeux individuels et collectifs des entreprises, manœuvrées au privilège des institutions françaises. « Au final, ce qui unit les deux collectes abordées dans cet article, réalisées par des individus aux profils semblables, dans un cadre politique et institutionnel similaire, ce ne sont pas leurs aspects scientifiques mais leurs objectifs coloniaux. » (p. 367).
III.4 – Domitille Barbe, (doctorante à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) : Des anthropologues au service du patrimoine Kanak, (pp. 369-385).
Tandis que les années 1970 faisaient état d’une angoisse de disparition des traditions et de la culture kanake, l’auteur propose une analyse sur le retour à la tradition, de la place prise par la coutume, en omettant sciemment la problématique de l’émergence du patrimoine. Par l’étude de manifestations comme « Mélanésia 2000 » ou « Calédonia 2000 » Domitille Barbe témoigne de la diffusion, puis de la vulgarisation du patrimoine kanak, des années 1970 à 1998, date d’ouverture du centre culturel Tjibaou et de la signature des accords de Nouméa. De la reconstitution de la mémoire kanake au sauvetage du patrimoine, elle interroge le lecteur sur l’industrie culturelle et l’art actuel et ce par le biais de l’anthropologie. Cette analyse doit être restituée dans un contexte plus large : celui d’un travail de recherches portant sur le processus de patrimonialisation en Nouvelle-Calédonie.
En tout, 52 illustrations en noir et blanc réparties dans l’ensemble de l’ouvrage, étayent les textes. Une table des illustrations, présentée par ordre d’apparition de textes (pp. 387-390), des biographies présentées par ordre alphabétique des noms d’auteurs (pp. 931-394), une table des matières ainsi qu’un cahier d’illustrations couleurs (pp. 397-404) enrichissent l’ensemble de l’ouvrage. Cet ouvrage, très complet par ses multiples approches de la notion de patrimonialisation, aurait pu s’achever par une conclusion générale, répondant à l’introduction.
(1) Terme québécois définissant les actes de constitution d’une collection.
Table des matières
Introduction. Dominique Poulot 1-7 Communication générale. Dominique Poulot : Le Musée, les individus et les communautés 7-44
I. Les modes d’appropriation d’un patrimoine dans l’espace public 45-177
I.1 Jean-Philippe Uzel : L’Abbé du Bos, théoricien du « grand public » 45-61 I.2. Richard Wittman : L’architecture, le public et ses lieux en France au XVIIIe siècle 61-89
I.3 - Fabienne Seillan : Le lotissement ou la dislocation du tissu urbain (étude de cas des lotissements opérés à Paris sur des hôtels de la rue Grange-Batelière, au cours des années 1770-1780) 89-113 I.4 - Aysegül Cankat : Un mythe à Istanbul : l’habitat comme identité communautaire 113-139 I.5 - Christina Ntaflou : Donateurs et musées dans la Grèce contemporaine 139-161 I.6 - Nathalie Cerezales : José Velicia et « Las edades del hombre » : la redécouverte du patrimoine religieux en Espagne 161-177
II. Artistes, amateurs, marché et institutions 179-295
II.1 – Christine Godfroy-Gallardo : L’expert, le musée et l’appréciation des objets d’art sous le premier Empire 181-195 II.2 – Arnaud Bertinet : Les fondations de musées sous le Second Empire : l’exemplaire M. Jubinal 195-211 II.3 – Géraldine Masson : Conservateurs artistes et érudits dans les musées français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle 211-224 II.4 – Anne-Lise Auffret : Champfleury et le « Nouveau » musée de Sèvres (1872-1889) 225-242 II.5 – Pascale Dhaussy-Martinez : Les tableaux des persécutions chrétiennes du musée Grévin, de 1902 à 1934 243-266 II.6 – Nathalie Hamel : La collection Coverdale et la mise en valeur des identités québécoise et canadienne 267-295
III. Patrimonialisations projetées 297-386
III.1 – Maria Paola Rodriguez Prada : Un musée au service de la construction nationale en Colombie 1819-1830 299-319 III.2 – Paulina Faba Zuleta : De Valparaiso à Hanga Roa, du XIXe au XXe siècle : Trajectoires de la patrimonialisation missionaire de Rapa Nui (île de Pâques) 320-342 III.3 – Paz Nunez-Regueiro : Le patrimoine Mapuche-Tehuelche en France à la fin du XIXe siècle : les collectes de Charles Wiener et d’Henry de la Vaulx au musée d’ethnographie du Trocadéro 343-368 III.4 – Domitille Barbe : Des anthropologues au service du patrimoine Kanak 369-385
Table des illustrations 387-390 Biographies des noms d’auteurs 931-394 Table des matières & Cahier d’illustrations couleurs 397-404
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |