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Compte rendu par Arianna Esposito, Université de Bourgogne (Dijon) Nombre de mots : 2239 mots Publié en ligne le 2013-09-16 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1781 Lien pour commander ce livre
Cet ouvrage, publié sous la direction de C. Batigne-Vallet, réunit les actes d’une table ronde organisée à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (Lyon) les 2 et 3 février 2009 et consacrée aux céramiques communes romaines. Ces poteries domestiques bénéficient aujourd’hui à juste titre d’une grande attention de la part des chercheurs. L’objectif de la Table ronde était de confronter les résultats établis pour la région Rhône-Alpes avec ceux d’autres régions (voir la préface de C. Batigne-Vallet, p. 11-17). Ces actes rassemblent ainsi la contribution de seize groupes de chercheurs travaillant en France, en Suisse, en Belgique, en Autriche, au Portugal, en Italie, en Grèce, en Turquie et au Proche-Orient. La table ronde avait en effet été organisée dans la continuité du projet d’ACR « Céramiques de cuisine d’époque romaine en Rhône-Alpes et dans le sud de la Bourgogne (Ier s. av.- Ve s. ap. J.-C.) : morphologie, techniques et approvisionnement », débuté en 2005 sous la direction de la même C. Batigne-Vallet. Ce projet avait comme objectif premier de constituer un référentiel normalisé pour le classement de l’ensemble des céramiques communes retrouvées sur le territoire de la région Rhône-Alpes et le sud de la Bourgogne, référentiel qui faisait jusqu’alors défaut.
Dans ces actes, les céramiques communes sont considérées dans leur contexte régional et non pas uniquement local. Cette approche permet également de poser, outre la question des choix techniques, des choix culinaires et, in extenso, du sentiment d’appartenance à un même groupe d’usagers en distinguant notamment les innovations culinaires des héritages locaux, la question de l’approvisionnement. Dans le cadre de ce programme de recherche, deux axes ont de ce fait été privilégiés. Tout d’abord celui des faciès de consommation, c’est-à-dire des répertoires régionaux : quels sont les « faciès morphologiques » ou « groupes morphologiques » ? Quelles sont leurs limites géographiques ? À quoi correspondent les limites entre groupes ? Les formes sont-elles issues du répertoire protohistorique ? Cette analyse met ainsi d’emblée en avant la richesse des productions régionales de céramiques culinaires. Le second axe concerne les divers modes d’approvisionnement de ces céramiques et d’évolution dans le temps des approvisionnements, dont on ne connaît à vrai dire que quelques cas particuliers.
L’ouvrage s’organise en quatre sections, les deux premières parties regroupant le plus grand nombre de contributions (cf. infra le sommaire) : I- Répertoires régionaux et diffusion ; II-Faciès de consommation ; III-Approvisionnement ; IV-Fonctions et techniques. Les belles conclusions, rédigées par C. Raynaud (Dans la cuisine des archéologues, p. 321-323) achèvent l’ouvrage tout en reprenant à la fois les enjeux et les difficultés de ce domaine de recherche.
Étant donné l’espace nécessairement restreint qui m’est accordé ici, je ne m’arrêterai que sur quelques-unes de ces contributions permettant d’éclairer à la fois la cohérence du volume dans son ensemble, ses enjeux et sa pertinence par rapport aux axes annoncés ci-dessus.
La première contribution (C. Batigne-Vallet, D. Barthèlemy et alii, « Les céramiques communes de la région Rhône-Alpes et du sud de la Bourgogne du Ier au Ve siècle ap. J.-C. : répartition des groupes morphologiques et diffusion » (p. 21-36), revient sur le contexte du ACR et dresse un état des lieux du projet encore en cours au moment de la publication. À la suite de cette étude, dans la région Rhône-Alpes et le sud de la Bourgogne, il est désormais possible de distinguer cinq grands ensembles caractérisés par un répertoire morphologique propre. Les quatre premiers coïncident visiblement avec des données physiques, massifs montagneux ou vallées. La présence, dans cette région, de plusieurs groupes morphologiques locaux reflète probablement la complexité même du territoire, très diversifié aussi bien par sa géographie physique que par sa géographie humaine. Ici les différents éléments, en contact via les nombreux axes terrestres et fluviaux, se déploient autour d’un centre politique et économique spécifique, Lugdunum. Par ailleurs, on distingue plusieurs échelles de réseaux commerciaux qui sont activés simultanément, d’où la nécessité de hiérarchiser les types en trois degrés – types à caractère générique, types à caractère régional et types à caractère local. Si les types à caractère local sont vraisemblablement issus d’ateliers installés à proximité des localités consommatrices, les types à caractère régional et générique, en revanche, peuvent être issus soit de ces mêmes ateliers soit d’ateliers plus éloignés.
L’article de M. Joly et S. Mouton-Venault, « Faciès de consommation et mode d’approvisionnement de la vaisselle culinaire en gaule de l’est : l’exemple de la Bourgogne » (p. 37-54), souligne l’extrême dynamisme et diversité de la céramique culinaire. La documentation disponible montre que le répertoire de la vaisselle culinaire subit des variations selon la période chronologique considérée et selon les régions prises en compte. Les diversités découlent de la localisation des sites de consommation certes, mais également des aires de diffusion des centres de production. Les groupes morphologiques identifiés ne semblent pas d’une manière générale correspondre à des limites administratives antiques. Ils seraient plutôt liés à la proximité de voies commerciales, axes fluviaux (la Saône et la Loire notamment) ou axes routiers romains (réseau d’Agrippa), desservant les territoires éduen et lingon. L’apparition du service de cuisine que l’on peut qualifier de « type méditerranéen », c’est-à-dire composé du plat (patina), de la marmite (caccabus) et du pot à cuire (olla), n’est pas homogène, selon les régions retenues. Aussi c’est à Bibracte, la capitale protohistorique des Éduens, que l’on trouve la plus ancienne attestation d’un service de cuisine (jatte et pot utilisés pour la cuisson des aliments), dès la fin du IIe ou le tout début du Ier s. av. J.-C. Néanmoins, c’est seulement au cours de la seconde moitié du Ier s. av. J.-C. que l’on constate la présence de formes rappelant des types méditerranéens, à Bibracte et à Mâcon. Le succès de la marmite à Bibracte est le résultat probable des contacts précoces et réitérés des habitants de cette région de Gaule avec le monde romain. L’adoption de ce récipient, typiquement méditerranéen, a dû vraisemblablement accompagner la sélection de nouvelles pratiques culinaires à la suite entre autres de l’arrivée de produits importés (on songe par exemple aux amphores contenant de l’huile d’olive). Or, ces innovations dans le domaine du répertoire des céramiques culinaires semblent se produire simultanément sur tout le territoire éduen. Le faitout à Mâcon et la marmite tripode de Bibracte constituent de ce fait deux alternatives du même phénomène. Enfin, il semble que ce processus soit plus rapide dans les sites urbains que dans les sites ruraux.
L’article de C. Sireix et C. Sanchez, « Faciès de consommation et mode d’approvisionnement des céramiques communes en Aquitaine romaine » (p. 55-70), traite quant à lui de L’Aquitaine, une région où les travaux sur les sites de production et les recherches sur les ateliers sont très aboutis. À partir de l’époque augustéenne, on assiste à l’essor de grands ateliers : Vayres, Moustier et Agen. Ils se situent tous dans des zones stratégiques, sur des voies de passage. Ces centres de production restent actifs jusqu’à la fin du IIIe s. ap. J.‑C. À partir de cette période, on assiste alors à l’émergence d’ateliers que les deux chercheurs qualifient de « domaniaux » : c’est le cas pour Saint‑Médard-de-Mussidan (Dordogne) et pour l’atelier de la villa de « Prusines » à Lugaignac, dans l’Entre-deux-Mers. La diffusion de ces ateliers soulève la question non seulement des liens entre ces différents sites, mais surtout de l’existence d’un réseau organisé à grande échelle. Il semble à cet égard que les ateliers des territoires santons, bituriges et pétrucores, partagent des liens importants : leurs spécialisations réciproques les rendent visiblement complémentaires. Le changement s’effectue à l’époque augustéenne avec l’imitation de produits méditerranéens et l’émergence d’une série de formes nouvelles qui vont constituer le répertoire « de la côte atlantique » des céramiques pour plusieurs générations de consommateurs. La genèse de formes spécifiques entraîne une rupture avec le répertoire traditionnel sous le règne de Tibère, avec des séries et des formes entièrement nouvelles, définissant le faciès de cette région pour près de quatre siècles. Dès lors, peut-on penser qu’il a pu exister une organisation centralisée de ces productions dépendantes de prescriptions officielles ? Et, dans ce cas, une gestion « étatique » qui aurait supprimé toute initiative économique personnelle ?
Dans le cadre de la seconde section, on citera l’article de C. Schucany, « L’occupation du territoire et la répartition de céramique culinaire : deux moyens pour déterminer les limites et l’organisation spatiale de la cité des Helvètes ? » (p. 131-139). L’A. essaye de mettre en évidence les différences culturelles existant entre les gens vivant d’un côté ou de l’autre des frontières évoquées dans les sources. L’étude de l’occupation du territoire met en exergue une zone frontalière entre le bassin lémanique et le plateau occidental, confirmée par la distinction nette entre les batteries de cuisines respectives de ces deux régions. Cette limite pourrait avoir séparé deux pagi helvètes. Il en va de même pour les parties occidentales et centrales du plateau, soit les régions d’Avenches/Aventicum et de Vindonissa, également séparées par une zone moins peuplée où les répartitions de deux pots à cuire modelés de forme différente se rejoignent. Le territoire de la colonie d’Augst/Augusta Raurica et Kaiseraugst se détache enfin par la présence d’un pot modelé de forme différente et par une zone apparemment non occupée au nord du Jura indiquant la limite orientale. Dans la Suisse orientale, à l’est de Zurich, la situation est plus complexe, en raison notamment des inégalités dans l’occupation : dans l’ouest, elle est assez dense et dispersée ; dans la partie est, elle est plus rare et de structure linéaire. Mais, dans ces deux zones, on n’observe pas de différences entre les batteries de cuisine.
De la production à l’évolution des vaisseliers, de la consommation aux changements des pratiques à la suite du contact avec le monde romain, en passant par les modes d’approvisionnement, cet ouvrage couvre manifestement un large champ de questionnements liés à l’étude des céramiques culinaires. Au bout du compte, on s’aperçoit cependant que l’on n’est pas toujours en mesure d’aborder la question de la diffusion et de l’approvisionnement des céramiques communes, d’une part puisque nous manquons d’ateliers de référence, d’autre part à cause du contexte géologique local : l’inégalité des gisements et de l’état de conservation des divers sites fouillés ne permet pas, en effet, de procéder à des comparaisons systématiques. Cela n’interdit pas, cependant, d’avancer quelques hypothèses qui seront probablement à reprendre à la lumière de nouvelles séries et qui pourront toujours être réajustées lors de futures études. Une des qualités de ces actes est, de fait, de proposer à la communauté scientifique des dossiers solidement étayés, reposant sur une présentation détaillée des données matérielles, susceptibles d’alimenter l’analyse et le débat. Il s’agit en définitive d’un recueil stimulant, dont l’ouverture à la fois chronologique et géographique en fait sans doute un ouvrage de référence dans le domaine d’étude en plein renouvellement qui est celui des céramiques communes.
SOMMAIRE
Inês Vaz Pinto – La céramique d’utilisation culinaire dans les villas romaines de São Cucufate (Beja, Portugal) : morphologie et approvisionnement p. 113
Illustrations en couleurs p. 327
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |