Jolivet, Vincent: Tristes portiques: sur le plan canonique de la maison étrusque et romaine des origines au principat d’Auguste (VIe-Ier siècles av. J.-C.), 343 p. (Bibliothèque des Écoles française d’Athènes et de Rome, 342). € 100.00. ISBN 9782728308750.
(Publications de l’École française de Rome 2011)
 
Reseña de André Buisson, Université Lyon III
 
Número de palabras : 1397 palabras
Publicado en línea el 2013-04-29
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1792
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          « La maison romaine de la fin de la République apparaît comme l’aboutissement d’une évolution initiée dès le Néolithique, mais qui connut une phase de codification décisive dans la première moitié du VIe siècle avant notre ère ». L’idée de la maison « canonique » était née, qui allait pouvoir se développer grâce aux travaux du savant allemand Johannes Adolf Overbeck dans la seconde moitié du XIXe siècle et dont l’écho est encore entendu dans les manuels et autres « guides romains antiques ». Il s’agit alors d’une maison « à atrium », comme celles – nombreuses – rencontrées à Pompéi et Herculanum. Mais peut-être n’est-ce que méprise ? Si l’atrium n’était qu’une partie d’un élément plus vaste et plus complexe ?

 

          L’enquête de V. Jolivet commence dès le titre de son ouvrage, sur un jeu de mots à travers lequel on reconnaîtra les fils directeurs de l’auteur, les sources littéraires d’un côté, l’analyse ethnographique de l’autre, le cadre architectural enfin ; elle se poursuit sur le photo-montage de couverture.

 

          Suivons l’auteur qui, après avoir amassé les éléments constitutifs de son dossier archéologique, effectue une plongée dans le contexte historique et géographique italien. Son enquête repose sur un corpus de plans fourni par la recherche archéologique. L’auteur choisit pour cadre chronologique la période qui s’étend en Italie de la fin de l’Orientalisant à l’époque augustéenne. Le cadre géographique s’impose de lui-même : en effet, ce type d’édifice ne se trouve que dans le territoire de la péninsule italienne : il  est très fortement représenté en Italie centrale, c’est-à-dire dans l’ancien territoire étrusque.

 

          La recherche débute aux origines de la maison, dans la Pré/protohistoire du centre de l’Italie, où l’auteur délimite son champ d’investigation. Au début se présente donc la cabane circulaire ou ovale qui semble être la forme traditionnelle d’habitat aux Xe-VIIIe siècles. L’examen des urnes-cabanes de l’Italie centrale (Étrurie et Latium) qui montrent une toiture et un décor externe raffinés appuie cette investigation, de la même manière que les fameuses cabanes dites « de Romulus » mises au jour sur le Palatin. On distingue alors deux types, définis suivant l’axe de construction : le type oblong et le type barlong. À la suite de cette phase, apparaît une forme rectangulaire dans quelques sites, comme Tarquinia ou Rome, forme liée à l’adoption de l’architecture en pierre.

 

          Historiquement, la fin de la période de l’Orientalisant forme une rupture dans l’évolution politique et sociale de l’Étrurie, avec l’abandon de l’organisation politique dont on retrouve les traces dans les palais des princes de Murlo ou d’Aquarossa, voire de Montetosto. Avec ce moment, s’ouvre également ce que l’auteur appelle « l’expérience coloniale » des Étrusques, dont Caere est l’un des principaux artisans et premiers bénéficiaires. Un peu avant (fin du VIe siècle), on avait pu entrevoir les prémices d’une organisation urbaine, à Veies (fig. 121) et à Marzabotto, organisation topographique qu’on n’a pas manqué de relever également dans le domaine funéraire à la nécropole de la Banditaccia (Caere) et, plus tard dans la tombe des Cutu (Perugia). Cette rupture est également liée à la mise en place du système original de la Dodécapole.

 

          Les fouilles de la pente nord-est du Palatin ont livré un niveau archaïque dans lequel ont été localisées quatre possibles domus datées entre 540 et 520 et identifiées comme les maisons des élites - sinon des rois étrusques - de Rome. Celles-ci remontent à l’origine de la présence étrusque dans la ville, correspondant au niveau contemporain du monumental chantier du temple capitolin. Or, ces maisons relèvent d’un plan commun, celui de la domus à cauaedium, qui fait aussi son apparition à ce moment-là, dans le contexte de l’organisation urbaine, inséré dans la trame orthogonale de Marzabotto par exemple. Pour autant, ce plan n’est pas généralisé à toutes les maisons de la ville et semble au contraire refléter le statut social élevé de son propriétaire, soulignant par ses caractères de symétrie et d’axialité la réception par son habitant des valeurs de l’etrusca disciplina.

 

          Cette maison très particulière possède une organisation exceptionnelle : tripartite dans sa pars postica, tripartite également dans sa pars antica, ces deux zones étant séparées par le cauaedium de plan cruciforme. Le cauaedium, littéralement « partie creuse » de la maison, apparaît alors comme l’élément structurant de la maison canonique, nécessaire à l’accueil de populations extérieures à la maison traditionnelle, les clients. Il est significatif que ce plan type apparaisse en même temps que les bouleversements socio-politiques de cette période, en lien avec l’émergence de la nouvelle organisation fondée sur le pouvoir des gentes et de l’augmentation de la place prise par la familia des esclaves. L’ensemble formé par les fauces, les alae et le tablinum correspond à l’espace des liturgies privées et de la salutatio des clients à leur patron. Quant à la pars postica, formée du tablinum (central), du triclinium et de l’oecus, elle montre la progressive confiscation de l’espace familial au profit du seul élément masculin.

 

          Signe des temps, la fin de l’Orientalisant est sans doute le moment où le cadre religieux strict de l’etrusca disciplina intègre les notions d’architecture et d’urbanisme contenus dans les libri rituales : l’urbanisme, les maisons des élites et les temples intègrent la tripartition. Le bâti est à lui seul une forme du microcosme terrestre (figures 135-137). En effet, les premiers temples tripartites (Capitole et aire de San Omobono à Rome) et temples à cella centrale et alae font leur apparition dès le VIe siècle. L’architecture des temples, des maisons et des tombes semble être étroitement liée, comme le montre le panel des tombes de Caere : la tombe est une habitation souterraine (p. 215), autre formulation pour dire qu’elle est la maison du mort (H. Lavagne). La tombe elle-même reprend alors le plan de la domus à cauaedium (tomba del Tablino fig. 148 p. 222). On repère d’ailleurs la disposition des lits funèbres dans la tombe, pieds face à l’entrée, position identique à celle du défunt dans la maison lors des funérailles. Le plan canonique sera alors repris systématiquement dans les tombes à l’époque hellénistique (tombe François), en même temps qu’il voit sa plus large diffusion dans l’habitat de toutes les régions d’Italie et même en provinces (comme le montre le corpus des plans des figures 61 à 116). « Nouveau cadre de vie des classes sociales émergentes » (p. 268), peut-être inventé à Caere et très largement diffusé principalement en Étrurie, le plan en question disparaît à la fin du cycle des saecula étrusques (p. 279).

 

           Celui de la domus à cauaedium répond également à la séparation des tâches entre masculin et féminin car même si la femme étrusque jouit d’une réputation de liberté à une certaine époque, à  en croire les peintures funéraires de la nécropole de Monterozzi, cette mixité dans les banquets s’efface très vite au profit de banquets strictement masculins. Elle aura donc été libre, mais dans certains lieux et à certaines périodes seulement... et pour le reste, sa condition se rapproche de celle des femmes grecques ou romaines (p. 195). Son rôle de uniuira, domiseda et lanifica est celui, fondamental, de la materfamilias, fileuse et tisseuse, avec les implications que cela sous-entend dans le domaine domestique (trône de Verruchio). La pars postica est alors divisée en deux zones réservées aux activités des sexes différents, à droite et à gauche de sa pièce centrale, le tablinum. On voit ainsi apparaître d’un côté une pièce réservée aux banquets et de l’autre une pièce pour les activités ménagères. L’étude des fonctions de chaque pièce montre bien la spécificité de chacune d’entre elles : lorsque les textes antiques en mentionnent un usage inattendu, c’est qu’il est en fait exceptionnel.

 

          C’est la diffusion de la domus à péristyle à partir du IIe siècle avant notre ère qui généra de nouveaux parcours et sonna le glas du plan canonique. Pour autant, la maison d’Auguste sur le Palatin, de dimensions imposantes, peut être réinterprétée avec le temple d’Apollon comme tablinum, tout comme le théâtre maritime de la villa d’Hadrien à Tivoli qui, remis à un plan carré, retrouve lui aussi le plan canonique. L’hôte d’exception qu’est le prince, dans ces deux derniers cas, fait figure de dernier occupant d’une fonction et d’un lieu sacrés.

 

          C’est le constat auquel abouti V. Jolivet au terme d’un livre passionnant, écrit dans un style fluide et doté d’un apparat critique d’une rare densité.