Cavalier, Laurence - Descat, Raymond - des Courtils, Jacques (dir.): Basiliques et agoras de Grèce et d’Asie mineure, 308 p., (Collection Mémoires, 27), 50 €, ISBN 9782356130648
(Ausonius, Bordeaux 2012)
 
Reseña de Roger Hanoune, Université Lille 3
 
Número de palabras : 2395 palabras
Publicado en línea el 2013-11-27
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1793
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          Disons d’abord qu’il s’agit là d’un beau livre, très bien illustré et présenté (bien que, avec d’aussi grandes pages et un caractère aussi petit, le texte aurait été plus lisible sur deux colonnes, et que la version française de certains textes aurait pu être améliorée). Il est important par la quantité des articles qu’il présente : ils proviennent pour la plupart des communications à deux colloques à Bordeaux en 2007 et Istanbul en 2010 (voir la liste des communications en annexe). Consacré à deux grands types d’espaces monumentaux des cités de Grèce et d’Asie Mineure, il est divisé en deux parties : p. 11-204, soit les 2/3 du livre pour la basilique civile (9 communications), p. 205-307 pour l’agora (7 communications). La partie consacrée à la basilique civile commence par deux articles généraux (Gros, Scotton) et se poursuit avec six présentations de cas.

 

          P. Gros (p. 13-23) reprend tout d’abord la synthèse qu’il avait déjà donnée sur la basilique dans un chapitre de son Architecture romaine (t. I, 1996, p. 235-260) et en repose les problèmes fondamentaux (l’origine et le nom, le chalcidicum, la basilique de Fano et la basilique « vitruvienne », avec les inflexions de l’Orient hellénistique dues à la proximité de la stoa et du gymnase). P.D. Scotton présente ensuite (p. 25-89) un impressionnant article, de plus de 60 p. avec plus de 45 tableaux, qui donne une étude statistique globale des proportions de toutes les basiliques « known or suspected », pour en tirer des tendances typologiques, chronologiques, géographiques. Il soutiendra ainsi que le « modèle Fano » n’est pas une exception ; que la proportion longueur/largeur autour de 0,6 si fréquente en Italie au Ier s. disparaît au II; ou bien qu’en Orient, où l’on connaît tris fois moins de basiliques qu’en Occident, la proportion est plutôt de 0,33 à 039, etc. Une fois l’admiration passée devant une telle scientificité, on se demande comment ce corpus de 154 basiliques (dont 106 mesurées) a été constitué (pas d’indication), ou plus encore si la manipulation statistique de données douteuses  peut produire de la science et déceler des tendances valides ; en tout cas, pour les sites (Bavay-Bagacum et Bulla Regia) où je pouvais vérifier les données des quatre basiliques prises en considération, un cas n’est pas une basilique (Bavay Est), un autre est à discuter (Bulla Regia, « grand ensemble sévérien »), un autre est extrêmement mal connu (Bulla Regia, forum), un seul enfin est correctement interprété (Bavay, forum) mais les dimensions prises en considération ici sont erronées. Dans ces conditions, on s’interroge pour le moins sur les conclusions de cet article et on regrette qu’il n’ait pas d’abord établi de façon critique un corpus moins abondant mais plus sûr.

 

          La série des études de cas précis commence avec la salle aux cinq colonnes du forum de Philippes en Thrace, présentée par M. Sève et P. Weber, p. 91-116. Précisons qu’en même temps, ces auteurs ont fait paraître le Guide du forum de Philippes (Athènes, École française, 2012) : ils y montrent bien comment cette salle oblongue, sur le côté ouest du forum, entre la curie et le possible tabularium, a pu jouer le rôle, entre le Haut Empire et la fin de l’Antiquité, de basilique, sinon canonique (et surtout pas avec abside, ce « fantôme » qu’il leur faut exorciser), mais réelle dans sa parenté avec une stoa. La basilique de l’agora sud d’Aphrodisias de Carie est étudiée par P. Stinson (p. 107-126) : c’est un monument remarquable par sa grande longueur (146 m sur 29 de largeur) qui la fait ressembler à une avenue à colonnade ou un promenoir couvert, par ses deux entrées nord et sud et par son décor intérieur, à l’étage, de reliefs comme au Sebasteion (ce sont ici les reliefs illustrant les origines de la cité) ; remarquable est enfin l’affichage des grandes inscriptions financières de Dioclétien sur le mur nord (où elles n’étaient d’ailleurs pas lisibles). L’auteur replace l’édifice de façon convaincante dans l’histoire politique et culturelle de la ville, capitale au IIIe s. de la province, et dans l’histoire de la basilique romaine d’Orient, mixte entre salle de tradition italique et stoa hellénistique.

 

          La communication de F. D’Andria et de M. Pia Rossignani (p. 127-152) est consacrée à un bâtiment encore en cours de recherches, la stoa nord de l’agora nord de Hiérapolis de Phrygie : sur cette immense place se dresse un portique ionique avec arcs, datant du IIe s. de n. è., de 280 m de longueur, à deux niveaux (peut-être d’une vingtaine de mètres de hauteur) et de 18 m de profondeur ; au centre du portique, un porche monumental a suggéré l’idée d’y voir une sorte de basilique (d’où le nom donné à cet ensemble de stoa-basilique) ; mais ce n’est que de bien loin que cet ensemble évoque une basilique et l’élément de stoa l’emporte manifestement. Faut-il voir aussi sur la place de cette agora des jeux de gladiateurs ? Ici aussi la documentation semble maigre ; en somme, c’est un beau cas d’indécision entre la forme architecturale et la fonction réelle.

 

          Dans son étude du décor de la basilique de Smyrne (dont l’histoire, qui va d’Hadrien au IIIe s., est à peine exposée), c’est-à-dire des chapiteaux corinthiens, composites et ioniques, de colonne ou de pilastre, L. Cavalier (p. 153-166) démêle très finement ceux que l’on peut rattacher à une école ou plutôt un atelier d’Ephèse, et ceux qu’on pourrait attribuer à Smyrne même, plutôt qu’à Aphrodisias ; notons qu’il faut lire cette partie en même temps que le développement sur Smyrne aux p. 247-250.

 

          La basilique de Magnésie du Méandre fait ensuite (p. 167-187) l’objet d’une description attentive de S. H. Öztaner, qui en montre le caractère inachevé et qui aboutit à en proposer une restitution très convaincante (voir la belle coupe de la fig. 16) et à identifier ainsi une basilique du IIe s. très canonique dans ses proportions, très occidentale aussi, hormis les petites absides sur les longs côtés (?).

 

          Enfin L. Cavalier (p. 189-199) propose, de façon très plausible, une interprétation basilicale de la stoa est de l’agora supérieure de Xanthos, monument bien décrit comme « hybride », et qui inclut le portique de la place dans l’édifice ; il est plus proche néanmoins d’une basilique romaine à trois nefs que le bâtiment de Hiérapolis ; on a là un bel essai de lecture d’une documentation à la fois abondante et troublante et l’auteur donne très honnêtement toutes les étapes du raisonnement qui mène à une hypothèse de restitution, au moins de l’enveloppe du bâtiment, étonnante par son absence de mur à l’est. Ajoutons que si l’article donne deux images de synthèse de la basilique, il en manque un plan restitué, même esquissé ; on ne comprend pas non plus la colonnade (?) dans l’axe de la « nef » orientale que l’on voit sur la fig. 3 et qui n’apparaît pas sur le relevé de la fig. 2.

 

          La conclusion de P. Gros (p. 201-204) fournit le compte rendu de la première partie du livre et examine brillamment les problèmes d’identification, de modèles et de restitution des six édifices qui ont été présentés (il y est fait allusion à une étude du forum de Smyrne par D. Laroche qui n’est pas retenue dans le présent recueil d’actes) : au delà de la forme du bâtiment (canonique ou d’une exorbitante longueur comme à Hiérapolis), c’est l’exaltation du pouvoir impérial romain qui est l’élément commun à tous ces édifices.

 

          La seconde partie de l’ouvrage est moins vouée à l’espace micrasiatique ; consacrée aux agoras, elle se présente de façon assez différente de la précédente : pas d’introduction pour présenter le débat, une première communication consacrée à Athènes et se terminant par « à suivre » ; il s’agit donc d’un recueil plus disparate, mais non moins savant. La première contribution, de P. Marchetti (p. 207-223), peut jouer le rôle de l’introduction aux agoras en traitant de l’agora par excellence, celle d’Athènes, et de ses transformations à l’époque augustéenne p. 218-221 ; en réalité, elle reprend plus longuement - p. 209-217 - l’époque hellénistique où se met en place, entre la stoa d’Attale et la « Middle Stoa », le cadre, lagide et attalide, de la future agora impériale. On a là le début d’une grande synthèse sur l’agora, qui laisse présager, après les volets hellénistique et augustéen, un chapitre hadrianéen, plutôt qu’une étude ponctuelle sur cette sorte de transformation d’un espace religieux, civique et culturel en un nouveau « Champ de Mars » à la grecque. Mais le texte de grande importance pour la topographie historique du cœur d’Athènes fourmille aussi de notations ponctuelles passionnantes (les salles de banquet sur le mur de fond des portiques ou même, n. 19 p. 211, sur les latrines « à la frontière des espaces consacrés »).

 

          J.-Y. Marc donne ensuite (p. 225-239) un article sur un bâtiment au sud du forum de Thasos, encore en cours d’étude : le « marché » (de la viande surtout) ou macellum proche du grand autel sud, des magasins et de l’énigmatique « cour aux cent dalles » ; on ne saurait reprocher à l’auteur d’employer une terminologie romaine pour un édifice qu’il fait remonter au IIIe s. avant J.-C. mais justement il s’interroge bien sur l’absence de terme grec (p. 235). C’est effectivement une grande surprise que de trouver sous un macellum typique du Haut-Empire (curieusement ses portiques sont encore en terre battue) un bâtiment de plan identique, pour lequel on peut faire une hypothèse de fonction identique. Peut-être l’insistance sur le circuit de la viande du sacrifice est-elle trop forte et d’autres denrées ont-elles pu y être aussi échangées, mais c’est en tout cas une belle enquête très suggestive sur ces ensembles carrés, avec boutiques à l’intérieur, que l’auteur mène sur de nombreux sites de Grèce et d’Asie Mineure.

 

          L. Cavalier, pour sa troisième intervention dans ce volume, analyse (p. 241-256) un procédé architectural qui consiste, dans les cités d’Asie Mineure bâties à flanc de colline, à établir un portique (double) de l’agora sur un ou deux niveaux de même plan qui servent de soutènement aussi bien que d’espaces polyvalents (citerne, boutiques ou surtout greniers) : elle présente ainsi trois exemples de villes de Pisidie à l’époque hellénistique, Lyrbé, Selgé, Pednelissos, et les compare à des exemples plus majestueux, comme Xanthos ou Smyrne, parfois à trois nefs au niveau de l’agora ; particulièrement remarquable est le cas plus connu des salles d’Aspendos avec leur système de glissière ou de goulotte pour remplir de blé ces espaces inférieurs.

 

          M. Mathys examine les « agoras » de Pergame autour du IIe s. av. n. è. (p. 257-271), i.e. les ensembles de l’unterer Markt près de la porte sud et de l’oberer Markt au contact du Grand Autel : la différence de dénomination dit assez la difficulté d’interpréter ces places, d’après leur architecture et leurs inscriptions ou statues ; elles semblent en gros plus économiques que civiques.

 

          La communication de N. Arslan et K. Eren (p. 273-286) fait le point sur l’agora d’Assos, dont la connaissance était arrêtée à des travaux remontant à un siècle et où l’on pensait voir une place aménagée au IIe av. J.-C. s. sous l’influence pergaménienne : la reprise des investigations semble orienter la réflexion vers une réalisation étalée entre les IVe et IIe s. pour la stoa nord et les divers bâtiments aux deux extrémités de la place, et vers le IIe s. et l’époque romaine pour les constructions du sud ; c’est visiblement un site pour lequel il faut attendre de la recherche archéologique la source de nouvelles réflexions.

 

          Enfin c’est toute une province, la Lycie, que J. des Courtils passe en revue, du IVe s. à l’époque romaine, pour y trouver des lieux de réunions, puis de vraies agoras à la grecque, en confrontant l’histoire politique et l’évolution de l’architecture (théâtres compris) ; le cas de Xanthos est remarquable et différent, car si la ville classique et hellénistique est modeste, le sanctuaire fédéral, lui, est extrêmement important. De l’enquête se dégage surtout la mise en évidence  de l’invention en Lycie de « l’agora sur structure creuse », i.e. avec des citernes dans les soubassements des terrasses (voir l’impressionnante coupe de Rhodiapolis fig. 6b) : la multiplication des fouilles en Lycie et ailleurs mettra à l’épreuve cette hypothèse.

 

          À la fin du volume, R. Descat résume les problématiques des communications relatives aux agoras, plus d’un demi-siècle après la grande synthèse de R. Martin. Ainsi se termine un très intéressant volume, plein de documentation et d’idées, consacré à des formules urbanistiques et architecturales de l’époque hellénistique et du Haut Empire, souvent traitées de polyvalentes ou d’hybrides, et qui ont encore besoin de précision : la place de la ville entre agora politique et marché municipal, la basilique entre stoa et Markt, dans des régions où l’architecture romaine n’a pas encore fait triompher des formules plus tranchées.

 

 

Liste des communications :

                Basiliques de Grèce et d’Asie Mineure

P. Gros: « Basiliques civiles de Grèce et d’Asie Mineure », p. 13-23, 6 fig.

P. D. Scotton: « The Basilica at Fano and the Vitruvian Norm », p. 25-89, 15 schémas, 33 tableaux, 2 fig.

M. Sève, P. Weber: « Peut-on parler d’une basilique civile au forum de Philippes ? », p. 91-116, 15 fig.

P. Stinson: « Local Meanings of the Civil Basilica at Aphrodisias : Image, Text and Monument », p. 107-126, 16 fig.

F. d’Andria, M. Pia Rossignani: « La stoa-basilique de Hiérapolis de Phrygie. Architecture et contexte urbain », p. 127-152, 29 fig.

L. Cavalier: « Chapiteaux de la basilique civile de Smyrne: une «école» smyrniote ? » p. 153-166, 19 fig., 2 pl.

S. Hakan Öztaner: « La basilique civile de Magnésie du Méandre », p. 167-187, 19 fig.

L. Cavalier: « La basilique civile de Xanthos: étude architecturale et proposition de restitution », p. 189-199, 16 fig.

P. Gros: « Conclusions », p. 201-204

                Agoras de Grèce et d’Asie Mineure

P. Marchetti: « Métamorphoses de l’agora d’Athènes à l’époque augustéenne », p. 207-223, 7 fig.

J.-Y. Marc: « Un macellum d’époque hellénistique à Thasos », p. 225-239, 9 fig.

L. Cavalier: « Portiques en bordure des agoras d’Asie Mineure à l’époque hellénistique et à

l’époque impériale », p. 241-256, 20 fig.

M. Mathys: « The Agorai of Pergamon: Urban Space and Civic Stage », p. 257-271, 8 fig.

N. Arslan and K. Eren: « L’agora d’Assos: le plan, la construction et les différentes phases de son utilisation », p. 273-286, 12 fig.

J. des Courtils: « Particularités des lieux de rassemblement public en Lycie », p. 287-304, 10 fig.

R. Descat: « Conclusions », p. 305-307.