Fichtl, Stephan: Les Premières villes de France. Le temps des oppida gaulois. 160 pages, ISBN-13: 978-2953397390, 28 €
(Archéologie Nouvelle, Lacapelle-Marival 2012)
 
Rezension von Stéphane Bourdin, École française de Rome
 
Anzahl Wörter : 1409 Wörter
Online publiziert am 2014-10-07
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1824
Bestellen Sie dieses Buch
 
 

          Les recherches sur les oppida, et plus généralement sur les agglomérations du monde celtique, ont donné lieu depuis plus d’un siècle à de très nombreuses publications, qu’il s’agisse de comptes rendus de fouilles sur des sites du 2e Âge du Fer, d’actes de colloques ou de synthèses régionales. Dans ce courant d’étude, on doit déjà à Stephan Fichtl plusieurs travaux de synthèse autour du problème de l’urbanisation dans le monde celtique (Les oppida du nord-est de la Gaule à La Tène finale, 2003 ; La ville gauloise, 2005) et du thème de l’organisation socio-politique des peuples gaulois (Les peuples gaulois, 2004). Il livre ici une nouvelle synthèse sur la question, dans la collection Archéologie Vivante des Éditions Archéologie Nouvelle, qui rassemble des ouvrages de diffusion de la connaissance scientifique richement illustrés de prises de vue, de cartes et de plans (environ 150 illustrations couleurs). C’est donc à un voyage à travers le monde des oppida que nous convie l’auteur, avec une idée clairement affirmée dès le titre : les oppida, qui représentent l’aboutissement de l’expérience urbaine en Europe occidentale, sont clairement des villes.

 

         Dans le premier chapitre, l’auteur revient sur les définitions du terme, que les sources latines utilisent pour désigner simplement la « ville », alors que les archéologues l’ont repris pour qualifier des sites fortifiés celtiques datant de la 2e moitié du IIe et du Ier s. av. J.-C. L’histoire des recherches est brossée à grands traits, depuis les premières descriptions fournies par le comte de Caylus, en passant par les travaux du baron Stoffel, d’O. Vauvillé, de J. Déchelette, de J. Finck ou de J.-L. Pič, contribuant à l’émergence du concept de « civilisation des oppida ». L’A. revient également sur le témoignage fourni par César, qui mentionne 28 oppida gaulois dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules et semble utiliser ce terme pour désigner des agglomérations de statut et de morphologie très variables. Dans les chapitres suivants sont envisagés tour à tour les origines de ces agglomérations, leurs principales caractéristiques, les éléments qui les composent (remparts, centre public, marché…) et leurs fonctions au sein de la société gauloise et de chacune des cités de la Gaule indépendante.

 

         S’appuyant sur les recherches les plus récentes, S. Fichtl évoque donc l’apparition des grandes agglomérations, non fortifiées, à la fin IIIe-début IIe s. (Manching, Acy-Romance, Levroux, Orléans etc.), certaines pouvant déjà être considérées comme des villes, avant qu’au IIe s. les agglomérations ceintes de remparts, qui témoigneraient d’une fondation « rituelle », ne les remplacent et ne marquent la naissance de véritables centres urbains fortifiés, les oppida. Ces derniers mettent à profit la topographie (éperon rocheux, méandre, confluent) pour mieux se protéger et s’étendent sur de très vastes surfaces, parfois de plusieurs centaines d’hectares (200 ha à Bibracte), même si l’A. admet que l’on peut parler d’oppidum à partir de 10-15 ha. Ces agglomérations sont protégées par des remparts, qui peuvent être de plusieurs types : le murus gallicus, parfois avec un parement de pierres sèches, le rempart à poteaux frontaux et le rempart à talus massif (levée de terre sans armature ni parement). Certains sites, comme Saint-Thomas (Vieux-Laon) dans l’Aisne, peuvent combiner deux types de structures (murus gallicus et talus massif). Cette description des fortifications est complétée par une présentation des différents types de portes et des éléments complémentaires des enceintes  (chemins de ronde, tours).

 

         L’A. entre ensuite dans le débat sur le caractère urbain des oppida, idée qui était déjà affirmée par J. Déchelette en 1914, mais qui a mis du temps à s’imposer, à partir des années 1980, en relation avec les progrès de la recherche archéologique. Si la ville se caractérise par la présence d’un rempart, d’une organisation interne et de bâtiments publics, les agglomérations celtiques de la fin du 2e Âge du Fer peuvent donc être considérées comme des centres urbains. Les remparts marquent physiquement la présence de la ville en même temps qu’ils servent à distinguer symboliquement l’espace urbain de l’espace rural, et seraient comparables au pomérium des villes romaines. La surface enclose est découpée en quartiers, réservés à la résidence, aux activités artisanales, aux activités commerciales et certains sites, comme Condé-sur-Suippes / Variscourt ou Manching, présentent un plan régulier, étant découpés en îlots ou en enclos. Les sources écrites signalent la tenue d’assemblées dans les villes gauloises et l’archéologie semble ici encore apporter la preuve du déroulement de ces activités publiques, comme par exemple dans la zone de 10 ha délimitée par un fossé au sein de l’oppidum trévire du Titelberg, sur la place qui borde le sanctuaire de Corent ou encore sur les deux « places publiques » de Bibracte (La Terrasse et La Pâture du Couvent). La comparaison de tous ces aménagements avec des saepta, comitia, fora ou basiliques mériterait toutefois d’être en grande partie nuancée : pour l’instant, seule l’existence de grands espaces dégagés, de places, est décelable à l’intérieur de ces habitats. Ces espaces pouvaient également servir pour les marchés, puisque les oppida étaient aussi des centres à vocation économique, à la fois lieux de production artisanale et lieux de marchés (cf. la racine duro-), où affluaient les importations méditerranéennes (amphores romaines, céramique campanienne).

 

         Est ensuite envisagée la relation des oppida avec les aristocraties, qui dominaient les cités gauloises et résidaient dans les grandes agglomérations où de grandes demeures ont été mises au jour (cf. la domus du Parc aux Chevaux 1 à Bibracte, qui reprend un modèle romain, avec atrium et cour à péristyle). Ces demeures urbaines ne doivent pas faire oublier l’existence de grandes demeures rurales, dont plusieurs exemples (Batilly-en-Gâtinais, Saint-Georgres-lès-Baillargeaux, Authumes) sont présentés.

 

         Le témoignage de César permet enfin de comprendre que les oppida, les grandes agglomérations, jouaient un rôle structurant de capitale au sein des cités gauloises, comme Bourges chez les Bituriges ou Besançon chez les Séquanes ; chaque pagus semblait aussi avoir une agglomération principale. Les Trévires possédaient ainsi 6 oppida (Donnersberg, Martberg, Otzenhausen, Kastel, Wallendorf, Titelberg), de même que les Médiomatriques. Cette éclosion urbaine, entamée dans le courant du IIe s. se termine à partir du 2e quart du Ier s. av. J.-C. dans le Sud de l’Allemagne, peut-être à cause de la pression des populations germaniques, et en Gaule, après la conquête romaine, dans la 2e moitié du Ier s. av. J.-C. et au début du Ier s. ap. J.-C. Quelques agglomérations gauloises se sont maintenues comme villes à l’époque romaine, et parfois jusqu’à nos jours (Besançon, Bourges, Reims, Poitiers, Angers, Orléans, Metz, Chartres…).

         

         L’ouvrage se clôt par quatre chapitres de comparaisons régionales, qui présentent la situation de l’urbanisation et des agglomérations fortifiées en Gaule méridionale, dans la Péninsule Ibérique, en Europe centrale et dans les Îles Britanniques. Cette série de notices aurait mérité un développement un peu plus argumenté, notamment pour justifier le choix de ces régions, par rapport à d’autres pour lesquelles se pose le même problème (en particulier le Nord de l’Italie ou les Balkans méridionaux). La présence massaliote est vue comme un stimulus pour l’urbanisation, mais en réalité, c’est davantage pour la Provence et le Languedoc du VIe s. que pour l’intérieur de la Gaule au IIe s. que cette influence est déterminante. L’intégration économique de la Gaule au monde romain, clairement identifiée comme un aiguillon de la maturation urbaine en Gaule interne, est ici en revanche curieusement passée sous silence. De la même manière, la comparaison avec les castros ibériques semble un peu forcée, alors qu’un site comme Numance aurait pu être en revanche présenté plus en détail. Peut-être aurait-il fallu, en évoquant les influences méditerranéennes aux VIIe-VIe s., analyser leurs répercussions sur les agglomérations d’époque hallstattienne (la Heuneburg, le Mont-Lassois). On pourra enfin regretter l’absence d’une conclusion, qui est remplacée par une utile bibliographie de deux pages.

 

         En refermant ce livre, la cause urbaine semble entendue : les oppida sont des villes, produits de la maturation socio-politique des sociétés celtiques du 2e Âge du Fer, une maturation interne stimulée par des influences méditerranéennes. Si l’on peut discuter de certaines comparaisons avec les villes romaines, et avec Rome en particulier, qui demeure pour cette époque un phénomène d’une tout autre ampleur et d’une tout autre échelle, ce livre fournit au grand public une belle illustration de plusieurs décennies de recherches archéologiques et une solide mise au point sur la question de l’origine des villes en Gaule, bien éloignée du Manuel d’archéologie gallo-romaine d’Albert Grenier qui considérait en 1958 que les véritables villes n’apparaissaient qu’avec l’époque romaine et que les Gaulois avaient un mode de vie essentiellement campagnard.