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Compte rendu par Fanny Drugeon, Université François-Rabelais, Tours Nombre de mots : 1528 mots Publié en ligne le 2019-02-13 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1842 Lien pour commander ce livre
L’histoire des éditions Zodiaque constitue une aventure bien singulière dans le champ de l’histoire de l’art et tout particulièrement de l’art sacré de la seconde moitié du XXe siècle. Au moment où le renouveau de l’art sacré bat son plein, cette maison d'édition est créée en mars 1951 par Dom Angelico Surchamp à l'abbaye Sainte-Marie de la Pierre-Qui-Vire, dans l’Yonne. Plusieurs projets s’y rattachent : des expositions, la publication d’une revue et une précieuse collection d’ouvrages sur l’art roman. Zodiaque. Le Monument-livre constitue un hommage à ce projet d’envergure, en respectant l’exigence de sa ligne éditoriale et son ambition : témoigner, entre autres, de l'art et de l’architecture romane avec des reproductions documentaires de qualité. L’ouvrage s’ouvre sur une réclame posant la question « Pourquoi Zodiaque », suivie de la réponse : « De partout l’on réclame des initiations à l’art : art ancien, art moderne, art sacré. » Cette revue s’inscrit dans une période où le croisement des époques et le croisement entre moderne et sacré est essentiel. En témoigne la revue dominicaine L’Art sacré, fondée par Joseph Pichard en 1935 puis dirigée par les pères Régamey et Couturier. 1951, date de cette réclame, est justement l’année durant laquelle éclate la querelle de l’art sacré.
Dans son avant-propos, Cédric Lesec insiste sur le statut de "Monument de papier" de ces ouvrages, et plus particulièrement de la collection « La Nuit des Temps ». Les reproductions en héliogravure permettent de respecter la subtilité des contrastes et les partis-pris photographiques sont récurrents, par exemple la stratégie du passage d'un plan éloigné au plan rapproché. Angelico Surchamp est un personnage essentiel, dominant l’orientation éditoriale.
Introduisant l’ouvrage, Roland Recht parle de la "vision fantasmée" de l'art roman, à une époque où il connaît toutefois une renaissance, notamment par l’intermédiaire des cours d’Henri Focillon à la Sorbonne. Cette « vision fantasmée » influence les groupes d’avant-gardes, du cubisme de Gleizes à celui de Lhote. Roland Recht insiste également sur la « conception idéologique de l’art roman », « un art [qui serait] proche du peuple. » Zodiaque répond donc à une remise en perspective de cet art à travers la photographie d’architecture et à un engouement spécifique pour l’art roman, tout en contribuant à sa connaissance avec le recours de plus en plus marqué à des auteurs spécialistes. En ce qui concerne la question de la photographie d’architecture en tant que genre, deux choix bien distincts coexistent dans les meilleures prises de vue : la photographie cherchant à révéler l’atmosphère du lieu et celle cherchant à « donner avant tout une claire vision de l’architecture, jusque ‘‘dans ses moindres détails’’ ». Roland Recht souligne ainsi la singularité de la collection La Nuit des Temps, soit quatre-vingt-huit volumes publiés entre 1954 et 1999 spécifiquement consacrés à la photographie d’architecture romane.
Dans son conséquent essai (« Le double discours de l’image », pp. 23-62), Philippe Plagnieux, spécialiste de l’histoire de l’art médiéval, remet Zodiaque dans le contexte d’une époque marquée tant par la redécouverte et la transmission de l’art roman que par le renouveau de l’art sacré. Publication incontournable qui a évolué au fil de la progression des recherches, Zodiaque est un appel à « l’excursion archéologique » (p. 25), la description des lieux est associée à une carte. Les différents volumes documentent la France romane et une partie de l’Europe. Philippe Plagnieux analyse le parti pris esthétique de Dom Angelico Surchamp, lui-même influencé par le cubisme d’Albert Gleizes. Surchamp choisit de ne pas contextualiser les commandes et contribue ainsi à la naissance d’une vision mythique de l’art roman, en lien avec l’art de son temps. Philippe Plagnieux souligne toutefois les paradoxes et les approximations de la revue dans son appréhension de l’art roman. La stratégie plus ou moins consciente dans le contexte du retour au primitivisme consiste en une extension de la chronologie, de la protohistoire à l’art abstrait – dans une acception héritée de Gleizes -, en passant par le haut Moyen Âge. Le quatrième volume est par exemple consacré à l’art gaulois, se présentant comme un retour aux sources. Une certaine confusion de la part de Surchamp domine, confusion, notamment, entre le quasi-anonymat des œuvres et ceux dus aux manques documentaires, « l’art roman rêvé se [devant] d’être anonyme » (p. 41). La collaboration progressive avec des spécialistes est également analysée, aboutissant à l’affirmation d’une dimension scientifique. Après les quatre premiers volumes, en 1957, celui consacré au Poitou roman est préfacé par René Crozet, spécialiste de l’art roman, et le texte est rédigé par Yvonne Labande-Mailfert, ancienne élève de Marcel Aubert à l’école des Chartes.
Quant à l’historien de l’art Olivier Deloignon, il aborde Zodiaque par l’intermédiaire des partis pris typographiques (« Le silence à la lettre », pp. 63-88). L’éclairage fourni par l’architecte, graveur et typographe Raymond Gid en avril 1956 à l’occasion du cinquantième anniversaire des Cahiers du Cœur-Meurtry lui sert de point de départ. « Afin de faire partager leur conception commune de l’art, les moines du Cœur-Meurtry ont développé une conception originale du graphisme éditorial, tentative de résolution, sur le papier, de l’indicible expérience du sacré », précise Olivier Deloignon (p. 64). Différents espaces sont définis, notamment « l’espace graphique chrétien », à une époque de profonde refonte des espaces du sacré. Le regard d’Olivier Deloignon sur la mise en page a du sens et lui donne du sens. Il évoque tant la volonté de déstabiliser le lecteur, l’usage de spacieuses marges et d’importants blancs ou la question, majeure, du rythme – la lecture étant intimement liée au temps dans la lignée de Paul Valéry. Les caractéristiques de la collection sont ainsi définies : la remise en valeur de la typographie – une typographie éminemment moderne, la valorisation du blanc graphique et le rôle de l’iconographie. Parlant de « cinématographie du cahier iconographique », Olivier Deloignon insiste sur le lien singulier qui se met en place entre photographie et art roman et le potentiel de révélation de la photographie. « Le livre assure ainsi une médiation entre le monde de la perception sensible et le monde spirituel. » (p. 87)
Reposant sur un minutieux travail d’archives – le fonds Zodiaque a été déposé par les éditions Desclée de Brouwer à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) de Caen, Cédric Lesec s’attache à analyser la photographie, qui joue un rôle essentiel dans Zodiaque (« Révéler l’architecture romane. Zodiaque et la photographie », pp. 93-134). Fin connaisseur du sujet (voir « Zodiaque est une grande chose maintenant… », Revue de l'art, 157/2007-3, pp. 39-46 et « A photographic breviary. “Zodiaque” publications in the 20th century », Sacrum et decorum 5, n° 4, 2011), il replace ce projet éditorial dans le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale, de la multiplication des publications de tourisme à la place de l’art sacré dans les débats, réflexions et créations, dans la lignée, entre autres, des pères Couturier et Régamey. Avec un corpus photographique conséquent de 70 000 négatifs, d’épreuves et quelque 5000 ektachromes, Zodiaque se singularise par une nouvelle manière de photographier, notamment par ses « séquences iconographiques en cahier » (p. 95). Le choix des prises de vues et de la richesse et la subtilité de l’héliogravure affirment un parti pris esthétique, voire historique. En décontextualisant à dessein les œuvres, en procédant à une « esthétisation », Angelico Surchamp se heurte à des critiques, proches de celles reçues par Malraux : « Flatter, c’est aussi trahir », leur écrit-on (p. 103). Zodiaque constitue finalement la diffusion d’un « art roman en noir et blanc » (p. 120). Cédric Lesec nous permet de découvrir l’envers du décor : la méthode de Surchamp pour approcher de la sculpture, des échafaudages aux choix de temps de pose ou de points de vue contrastant avec la frontalité qui était jusque-là de mise. Tout élément perturbateur est supprimé, mobilier, fils électriques…
Après les analyses des différentes dimensions de cette collection, l’entretien avec Angelico Surchamp (pp. 139-157) redonne une nouvelle fois vie à cette aventure de grande envergure. Il évoque ainsi sa rencontre avec Albert Gleizes « l’une des plus grandes grâces de ma vie », qui marque profondément sa pratique artistique et dont l’influence est fondamentale dans sa mise en relation entre l’art roman et l’abstraction. D’Étienne Gilson à André Malraux, le bénédictin revient sur les étapes et les échanges liés à Zodiaque. Il précise son rapport à la photographie, notamment la volonté irréversible de conserver l’héliogravure en dépit de son remplacement par de nouveaux procédés, son rapport à la musique et évidemment au livre photographique, mémoire du patrimoine. Il conclut humblement « j’ai été en vérité plus un spectateur qu’un acteur dans cette histoire » (p. 157), insistant sur la dimension collective d’un tel projet, de l’abbaye aux photographes.
Avec le synopsis des parutions « La Nuit des temps », des autres collections et de la revue Zodiaque, ainsi qu’une notice sur les cinq photographes, les annexes constituent un précieux outil documentaire. Cette publication est tout à la fois une étude scientifique et un hommage aux publications Zodiaque. Brillante démonstration généreusement illustrée de l’apport et de l’originalité de ce projet qui se distingue de la revue L’Art sacré, elle dépasse la simple étude d’un corpus éditorial pour donner à découvrir de nombreux champs de recherche et une envie à se replonger dans cette collection.
Sommaire
Avant-propos
Le double discours de l'image, 23
Le silence à la lettre, 63
Révéler l'architecture romane. Zodiaque et la photographie, 93
Entretien avec Angelico Surchamp, 139
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |