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Compte rendu par Stéphane Gomis, Université Blaise Pascal-Clermont II Nombre de mots : 1688 mots Publié en ligne le 2013-09-25 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1854 Lien pour commander ce livre
Cette publication rassemble les communications du colloque qui s’est tenu en 2007 à l’Institut national d’histoire de l’art (Paris). Au total, ce sont vingt contributions qui s’emploient à ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur l’articulation entre « architecture et liturgie » du Moyen Âge aux temps modernes, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage.
« Où mettre le chœur ? ». La question posée par les deux maîtres d’œuvre de ce beau livre dit combien il s’agit d’une préoccupation constante des architectes. Chacun des participants s’est donc employé selon la période et l’espace considérés à répondre à cette problématique. Précisons que ces actes sont agrémentés d’une riche iconographie, nécessaire à la bonne compréhension des thèses défendues par les auteurs. Il s’agit de plans, de gravures ou encore de photographies qui, soigneusement choisis, viennent soutenir le propos des différents contributeurs.
Dans un premier temps, les auteurs se sont attachés à la période comprise entre les premiers siècles de l’ère chrétienne et la Réforme grégorienne. Sible de Blaauw présente une synthèse sur les origines et les premières conceptions du chœur à l’époque de l’Église primitive. Anne-Bénédicte Mérel-Brandenburg démontre notamment que les églises de l’époque paléochrétienne obéissent habituellement à une tripartition : « le sanctuaire qui abrite l’autel, l’espace destiné au clergé et celui qui accueille les fidèles ». Pour sa part, Christian Sapin ouvre un dossier peu exploité par l’historiographie : celui de la place du chœur au sein des églises carolingiennes. Il montre comment peu à peu le rôle du chœur gagne en importance en lien avec les rites liturgiques. Une conception avalisée, au XIIIe siècle, par l’évêque de Mende Guillaume Durand qui écrit : « le chœur des clercs est la réunion de ceux qui chantent ou la multitude rassemblée pour les saints [mystères]… ». Alain Erlande-Brandenburg a fait le choix d’évoquer les cathédrales de l’époque gothique, situées en France pour l’essentiel. Au total, ce sont une dizaine d’édifices qui sont passés au crible de son analyse. Il montre combien l’édification ou la rénovation de ces nouvelles cathédrales a profondément modifié le paysage urbain. Les aménagements intérieurs révèlent une certaine diversité des concepteurs en lien souvent avec la place réservée au clergé. Cette « conception spatiale des chevets gothiques » du point de vue de la liturgie est au cœur de la communication de Christian Freigang. Son objet porte sur la « topographie sacrée en tant qu’ensemble des actes symboliques et de leurs rapports physiques à l’intérieur d’une église ». Il en conclut que le choix de chevets à déambulatoire relève notamment de considérations « optiques ». Il importe de répondre à des aspirations nouvelles qui témoignent de la volonté d’avoir un accès visuel à l’hostie consacrée ou aux corps saints renfermés dans les reliquaires. Enfin, Panayota Volti s’intéresse à la place réservée au chœur dans les églises conventuelles relevant des religieuses des ordres mendiants à l’époque médiévale. Il ressort de son analyse qu’il existe une assez large diversité parmi les options choisies. En revanche, ces dernières obéissent toutes à la même contrainte qui commande le strict respect des règles de la clôture.
Une seconde partie, suivant l’évolution diachronique, traite de la période de la Renaissance, entre « traditions et rénovations ». Alors que Riccardo Pacciani étudie le cas de la cité de Florence entre « dissonances, ajustements et innovations », Georg Schelbert s’emploie à disséquer l’organisation du « chœur-mausolée » construit pour les familles Riario et Della Rovere dans l’église romaine consacrée aux Saints-Apôtres. Un autre sanctuaire de la capitale du catholicisme fait l’objet de l’attention de Christoph Luitpold Frommel, la basilique Saint-Pierre depuis le règne de Nicolas V jusqu’à celui de Jules II. Bien évidemment, il s’agit ici d’un bâtiment emblématique des évolutions architecturales survenues au cours du XVIe siècle. In fine, Bramante, le grand ordonnateur du nouvel édifice, transforme la croix latine initiale en un quincunx centralisé. Plus éloigné de Rome, la cathédrale de Palerme en Sicile présente d’autres caractéristiques évoquées par Marco Rosario Nobile. Il s’agit d’un ensemble assez composite qui date, pour l’essentiel, du XIIe siècle mais qui a connu diverses modifications aux XIVe et XVe siècles. Pour sa part, Paola Modesti nous invite à une découverte des églises de la Sérénissime République entre « Renaissance et Réforme tridentine ». Sabine Frommel analyse la part consacrée au maître-autel et au chœur dans l’ouvrage de l’architecte théoricien Sebastiano Serlio (1475-1554). En substance, dans son Quinto Libro d’Archittetura, paru en 1547, l’auteur a bien pris la mesure des métamorphoses de l’espace sacré en pleine mutation dans la première moitié du XVIe siècle. Voilà pourquoi, Serlio ne systématise pas son propos. Pour autant, s’il est conscient de la grande variété des situations, il manifeste une certaine prédilection pour la disposition propre aux édifices paléochrétiens.
Très logiquement, l’ultime partie est consacrée aux conséquences induites par les décisions prises lors du Concile de Trente. L’une des principales préoccupations des premiers grands réformateurs est bien de séparer le clergé du monde des laïcs. Tel est le sens des dispositions prises par l’archevêque de Milan, Charles Borromée, que nous détaille Richard V. Schofield. Pour sa part, Jörg Stabenow éclaire d’un jour nouveau les projets de transformations concernant la cathédrale Saint-Pierre de Bologne, à la suite des décrets tridentins. Étudiant les différents projets envisagés, sa communication témoigne des nombreux atermoiements des concepteurs et des autorités religieuses. Le clergé régulier n’est pas oublié grâce à la communication de Laurent Lecomte à propos des églises conventuelles dévolues aux communautés féminines. Il ressort de cette présentation que le chœur est l’objet d’une « délocalisation ». En effet, jusqu’alors au contact des fidèles, il constituait un lieu sensible peu propice à une « clôture matérielle » efficace. Or au moment où Trente souligne la nécessité d’une vie religieuse féminine strictement séparée du monde, le déplacement du chœur devient inévitable. De fait, cette opération, réalisée au XVIIe siècle, a conduit à un rejet de la communauté des moniales hors du champ spatial habituel. Dans le cas des églises des Norbertins des anciens Pays-Bas méridionaux au XVIIe siècle, Joris Snaet observe que les chanoines réguliers s’engagent dans des travaux de grande ampleur. Les chœurs notamment font l’objet d’investissements lourds : ils sont agrandis et équipés de nouveaux autels, stalles et jubés. Le « chœur en bataille », tel est le titre de l’article de Mathieu Lours. Il traite de la révolution architecturale qui touche les cathédrales de France tout au long du dernier siècle de l’Ancien Régime. Ces événements sont traités en prenant appui sur les cas de Metz, Verdun et Noyon. Si l’adaptation aux considérations tridentines est actée à la fin du XVIIIe siècle, les modalités de cette mutation ont opposé, bien souvent, deux camps. Devait-on adapter l’espace sacré ou bien le renouveler en profondeur ? L’auteur montre qu’en définitive, la question révèle, d’une part, les tenants d’une modernité assumée et, d’autre part, ceux qui restent fidèles à une adaptation respectueuse du caractère « mémoriel » de l’édifice. La question, plus générale, de la théorisation de l’aménagement intérieur des églises au XVIIIe siècle a suscité l’intérêt d’Émilie Roffidal-Motte. En l’espèce, les auteurs de cette littérature constituent un groupe fort hétérogène. Toutefois, il semble qu’une tendance se dégage. Celle d’une référence récurrente aux pratiques de l’Église primitive, fût-elle idéalisée et mythifiée. De fait, on observe que les transformations survenues vont dans le sens d’une épuration : destruction des jubés, abandon des retables imposants…Dans le cas des églises rurales de Lorraine, Raphaël Tassin explique comment les « églises-granges » répondent parfaitement aux normes tridentines. Conçues selon le modèle de la nef unique, elles mettent à l’honneur le chœur et le maître-autel. Leur architecture est donc mise au service d’une liturgie où l’Eucharistie a une place centrale.
Au total, cet ouvrage, fruit d’un stimulant colloque international, permet de saisir dans toutes leurs nuances le rôle et les fonctions du chœur depuis l’édification des premiers édifices cultuels jusqu’à l’application des décrets tridentins. Il révèle les fortes capacités d’appropriation et d’adaptation des différentes aires géographiques concernées, depuis l’Europe septentrionale jusque dans ses parties les plus méridionales. Il témoigne également du fait que les traditions et les usages locaux sont nombreux et d’une grande variété. Enfin, les différents contributeurs poursuivent ici la réflexion, initiée il y a peu de temps, concernant les rapports entre architecture et liturgie.
Sommaire
Sabine FROMMEL et Laurent LECOMTE, « Introduction », 7.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |