Bouet, Alain (dir.): Le forum en Gaule et dans les régions voisines, Collection Mémoires (31), 406 p., ISBN : 978-2-35613-075-4, 50 €
(Ausonius Editions, Bordeaux 2012)
 
Compte rendu par Xavier Lafon, Aix-Marseille Université
 
Nombre de mots : 2328 mots
Publié en ligne le 2020-05-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1856
Lien pour commander ce livre
 
 

          Cet ouvrage qui se présente comme les actes d’un colloque est en réalité principalement le résultat des différentes interventions au Séminaire d’archéologie romaine tenues à l’université Jean-Jaurès de Toulouse pendant l’année universitaire 2010 et rapidement publié dans la collection des mémoires d’Ausonius à Bordeaux. De fait, les échanges entre les différents intervenants propres, en principe, aux colloques n’ont pu avoir lieu. De plus, quelques contributions ont été sollicitées sans la venue physique des intervenants. On peut regretter que le calendrier exact des séances et la liste des intervenants, présents ou non, ne soient pas clairement indiqués, même si cela demeure très secondaire sur le plan proprement scientifique. En revanche, le rôle de l’organisateur est fondamental puisque c’est de lui que dépend la cohérence de l’ensemble, du choix des acteurs à celui des problématiques retenues. « L’introduction générale », en fait le premier chapitre de l’ouvrage rédigé par Alain Bouet (AB désormais), éclaire largement cet aspect et je lui consacrerai un temps particulier après une présentation quantitative des différents dossiers présents.

 

         Le volume comprend 19 chapitres (rédigés par 32 auteurs) qui se répartissent géographiquement, outre le chapitre initial et deux contributions générales (sur les places dans les agglomérations de la fin de la Tène et l’apport des témoignages écrits), entre trois dossiers sur l’Aquitaine, six sur la Narbonnaise, mais trois seulement sur les Trois Gaules – en fait la seule lyonnaise – et enfin également quatre sur les « régions voisines », en l’occurrence les Alpes Poenines, l’Italie septentrionale et centrale et la péninsule ibérique (cf. ci-dessous le sommaire). Ce dernier chapitre, le plus long par ailleurs, traite de la fin des forums, seul chapitre à dépasser le cadre du Haut Empire et concerne de fait l’ensemble du monde romain occidental. Le panorama ainsi dressé est donc plus restreint que ce que le titre pouvait suggérer de prime abord. Même pour l’Aquitaine, l’échantillonnage est la règle puisque comme l’écrit AB sur la vingtaine de chefs-lieux de cités attestés, seuls huit forums sont abordés et pour certains de manière seulement très brève. Ce choix restreint est pleinement justifié par l’actualité de la recherche puisque les auteurs sollicités (et donc les sites retenus) correspondent à des travaux de terrain très récemment achevés ou voire encore en cours au moment du séminaire. De ce fait, l’appartenance institutionnelle des auteurs reflète la variété des acteurs actuels de l’archéologie métropolitaine : milieux académiques, SRA, collectivités territoriales, personnels de l’archéologie préventive (Inrap et sociétés privées).

 

         Dans le chapitre introductif divisé en deux parties (un rappel historiographique et un état de l’art), AB ne précise pas clairement si un « cahier des charges » a été proposé aux futurs intervenants mais il développe quelques idées de base sur la notion de forum qui peuvent a posteriori servir de cadre à l’ensemble des contributeurs. Il rappelle très justement l’ambiguïté que recouvre le mot en latin, utilisé pour baptiser une ville (Forum Julii ou Forum Claudii pour reprendre deux des cas étudiés) ou pour désigner, à l’autre extrémité du spectre, une simple place. En conséquence, comme le souligne également M. Dondin-Payre, la présence du mot sur une inscription ne renvoie pas nécessairement à ce que AB a décidé de retenir dans cet ouvrage comme « forum » : l’ensemble monumental qui constitue le centre civique des chefs-lieux de cité, en distinguant le cas échéant le forum stricto sensu, c’est-à-dire la place, des monuments qui l’entourent. Parmi eux peuvent figurer en premier lieu, une basilique et un temple mais également des portiques et des boutiques ouvrant en direction de la place ou, au contraire, sur les rues extérieures. Tous ces édifices, à commencer par les basiliques, ne sont pas réservés à la zone du forum mais leur présence conjointe est un élément important pour son identification, au même titre que la qualité des éléments d’architecture – chapiteaux, colonnes entablement etc. – qui les caractérisent comme le montrent, entre autres, les cas de Toulouse ou de Narbonne. Une des questions récurrentes encore aujourd’hui concerne l’attribution au culte impérial ou à la triade capitoline (« Capitole ») du temple, quand il existe, construit en bordure ou au centre de l’esplanade du forum. Cette identification est quasi impossible en l’absence d’une inscription ou d’éléments caractéristiques d’une statue de culte et, de fait, les réponses apportées par les différentes contributions ne permettent pas de définir une règle claire qui aurait été suivie de façon au moins majoritaire en Gaule ; ce débat reste donc ouvert.

 

         Un des objectifs de ces séminaires était de valider ou au contraire de relativiser la notion de « forum gaulois tripartite », déjà contestée il y a quelques années à propos de Saint-Bertrand-de-Comminges par le prédécesseur à Toulouse d’AB, Robert Sablayrolles. Dans la Préface, celui-ci insiste (justement pour moi !) sur le conflit plus ou moins ouvert en France entre les tenants d’une originalité des Gaules dans le domaine de l’architecture, originalité pouvant remonter à la période de l’indépendance et maintenue après la conquête césarienne, et ceux attribuant un rôle décisif aux « modèles » romains dans l’urbanisme des villes des provinces gauloises. L’existence d’un type propre à la Gaule tendrait à renforcer la position des premiers face aux « impérialistes romains ». C’était un des objectifs sous-tendus par ces rencontres mais, finalement, il ne semble pas avoir trouvé de défenseurs convaincus… Le chapitre introductif d’AB ne prend pas clairement partie et on ne peut le lui reprocher ! En revanche, il fait le point sur une question à la mode dans les années 70 et 80 du siècle dernier : l’existence ou non de « forum » hors des chefs-lieux de cité, dans les agglomérations dites « secondaires » (car privées d’organes politiques autonomes), sans oublier la notion chère à G. Charles-Picard des « conciliabula », des « fausses villes » (car dénuées d’habitat), créées par les autorités pour combler les insuffisances du réseau urbain en Gaule centrale. Sa réponse est claire : les seuls forums pris en compte dans cet ouvrage (car les seuls à fonction politique) ont été ceux construits au cœur des chefs-lieux, le plus souvent proches du centre géométrique marqué par le croisement du kardo et du decumanus maximi. Au passage, il récuse totalement un lien établi par M. Provost entre les sanctuaires périurbains du temps de l’indépendance et les forums des villes gallo-romaines. En retour, cela implique la concentration des activités politiques, au premier rang desquelles on place les élections, dans la zone du forum. On ne peut passer sous silence, à ce propos, l’opposition entre le point de vue du protohistorien, en l’occurrence S. Fichtl, et d’une « romaniste », M. Dondin-Payre : le premier envisage l’existence de ces élections chez les peuples gaulois à travers l’existence de ce que les archéologues ont interprété (par exemple au Titelberg) comme des « enclos » provisoires, selon des modalités assez proches des saepta de Rome et des colonies latines du IIe siècle avant J.-C. La seconde admet, grâce au texte de César, l’existence de réunions « populaires » pour désigner les chefs temporaires mais refuse d’y voir des élections organisées, avec enregistrement général des « électeurs », modalités de comptage etc., tels qu’on les connaît dans le monde romain, en particulier à partir de la préface du volume III des Res Rusticae de Varron. Je ne suis pas en capacité de trancher entre ces deux positions mais on peut quand même remarquer que dès la fin, voire le milieu du Ier siècle, c’est-à-dire à une époque où de nombreux forums gaulois sont encore en construction ou même seulement en projet, les modalités exactes des élections dans les cités sont quasiment impossibles à établir, les décurions par exemple étant recrutés par cooptation dans un milieu déjà relativement fermé et donc sans véritables élections. Si le forum reste le lieu d’exercice du pouvoir, avec notamment la présence à proximité du forum de la curie, lieu de réunion des décurions, les modalités concrètes nous échappent et on doit admettre l’idée que le forum concentre les signes de ce pouvoir sous forme de monuments honorifiques, statues et inscriptions, plus qu’il n’en permet l’exercice réel. Cela rend moins nécessaire la présence sur ses bordures des bâtiments administratifs annexes (prison, atelier des poids et mesures, etc.) qui y prenaient place en Italie aux temps anciens de la République.

 

         Si l’on s’intéresse maintenant à l’apport des différentes contributions, sans entrer dans le détail de chacune d’elles, plusieurs remarques générales peuvent être faites. On distinguera d’abord les objectifs poursuivis par les chercheurs, objectifs que l’on peut classer en deux grandes catégories. Les plus nombreux ont pour première ambition d’identifier le forum du chef-lieu à partir de restes anciennement ou récemment identifiés et de proposer ainsi une extension et une localisation dans le cadre de la ville étudiée, voire une chronologie plus ou moins détaillée, de l’établissement à la disparition du forum en tant que tel. Cela concerne aussi bien la capitale des Trois Gaules, plus exactement la colonie de Lyon, les colonies d’Orange, d’Apt ou de Fréjus, qu’Autun ou la plus modeste cité d’Auch. Une variante concerne l’identification comme forum d’ensembles monumentaux jusque-là identifiés de manière différente : le cas le plus caractéristique est celui d’Industria, près de Turin, où l’auteure propose de « transformer » un sanctuaire isiaque en sanctuaire du culte impérial construit en bordure du forum, mais Autun pourrait également entrer dans cette série de réattributions d’un espace public comme forum. Malgré ces recherches récentes, nombre d’incertitudes demeurent, à commencer par les dimensions, la nature exacte des bâtiments qui entouraient ces différents forums stricto sensu, même si quelques propositions sont faites comme à Dax, où le « temple » devient pour AB la basilique du forum. L’identification d’un capitole à Toulouse, après étude comparative avec Narbonne, reste là encore conjoncturelle.

 

         La deuxième catégorie concerne des études ou plus précisément des reprises d’études sur des ensembles identifiés depuis longtemps comme des forums, de Ruscino à Bolsena en passant par Martigny, où sont donc précisées principalement la chronologie mais plus encore les techniques de construction et la nature des espaces périphériques. Il est évident que l’analyse est, dans ce cas, beaucoup plus concentrée sur les détails techniques, l’analyse des stratigraphies.

 

         Malgré des différences qualitatives certaines que les auteurs ont pu analyser, en lien le plus souvent avec la variété des moyens dont disposaient les évergètes locaux, le niveau des matériaux utilisés, la qualité des ordres d’architecture constituent des points de références essentiels pour juger de la réalité de ces différents forums par rapport aux autres bâtiments mais aussi de leur chronologie, y compris quand il existe plusieurs phases de construction, les plus anciennes pouvant être précisément connues seulement à travers les restes de leur décor monumental.

 

         Le bilan que l’on peut dresser de cet ouvrage est loin d’être négligeable, bien qu’aucune conclusion définitive ne puisse être tirée sur l’existence d’un « modèle gaulois », même réduit aux seules provinces les plus méridionales, Narbonnaise et Aquitaine. Les cas examinés sont trop divers pour autoriser une réponse univoque et en conséquence l’ouvrage, qui ne comporte d’ailleurs pas de conclusion, se présente clairement comme un point d’étape. De fait, les recherches sur les forums gaulois n’ont pas cessé et de nouvelles découvertes ont été faites, par exemple à Vaison, pour ne prendre qu’un seul cas. Toute tentative de synthèse ne pourra être entreprise sans la prise en compte systématique du statut du chef-lieu, des capacités financières de la cité et de ses élites, mais plus encore de l’évolution même de la conception du forum pour les contemporains. De façon paradoxale, par rapport au critère principal retenu pour le choix des cas traités – l’existence d’un centre politique –, on sait que très rapidement sous le Haut Empire, l’évolution de la société romaine a conduit à privilégier dans les panoplies urbaines les monuments de loisir (thermes et lieu de spectacle), réduisant d’autant le rôle primitif du forum. L’évolution était déjà perceptible à Pompéi dans la phase qui précède immédiatement la destruction finale mais elle ne s’est pas arrêtée en 79. Ainsi, pour chaque cité gauloise, la chronologie du projet est un critère de différenciation tout à fait essentiel pour comparer les différents fora repérés sur le territoire gaulois comme dans l’ensemble du monde romain occidental. Pour moi, le critère chronologique, à statut égal bien évidemment, est donc plus important que le critère proprement géographique : c’est bien avant la fin de l’Antiquité que les changements de fonction commencent, même si nous avons du mal à saisir sur le « terrain » les modifications que cela a entraîné sur les différents bâtiments qui entourent le forum comme sur la place elle-même.

 

 

TABLES DES MATIERES

 

R. Sablayrolles : Préface, 9

A. Bouet : Avant-propos, 11

A. Bouet : le forum en Gaule, historiographie et problématiques actuelles, 13

S. Fichtl : Places publiques et lieux de rassemblement à la fin de l’âge du Fer dans le monde celtique, 41

M. Dondin-Payre : Forum et structures civiques dans les Gaules : les témoignages écrits, 55

 

[Aquitaine]

Ph. Gardes, P. Lotti et alii : le forum d’Auch (Gers) : premières données archéologiques, 65

A. Ferdière, A. Trintignac et alii : Un nouveau forum pur un chef-lieu de cité de l’Aqitaine romaine : Javols-Anderitum. Première approche, 89

A. Bouet : Sur quelques fora d’Aquitaine, 103

 

[Narbonnaise]

J.-L. Boudartchouk : les fora de Tolosa et Narbo Martius, état des questions, 111

D. Cazes : Les éléments architectoniques et sculptés du centre civique de Tolosa, 127

I. Rébé-Marichal : Recherches récentes sur la partie orientale du forum de Ruscino (Perpignan, Pyrénées orientales), 141

M. Pasqualini : Le forum de Fréjus (Var), 149

J.-M. Mignon, J.-L. Paillet : le forum d’Orange (Vaucluse) : état de la question, 157

P. De Michèle : le centre monumental d’Apt (Vaucluse) à l’époque gallo-romaine. Découvertes récentes, nouvelles donnés chronologiques et architecturales, 195

 

[Lyonnaise]

Dj. Fellague et alii : Le « forum  de Trajan » et les vestiges romains sur l’éperon de Fourvière à Lyon, 205

M. Kasprzyk et alii : le forum d’Augustodunum (Autun – Saône-et-Loire) : problèmes de localisation et de restitution, 257

A. Hostein : Annexe [Autun], 273

 

[Divers]

Fr. Wiblé : le forum de Martigny/Forum Claudii Vallensium (Valais/ Suisse), 277

J.-M. Pailler : Retour sur le forum de Volsinii, 301

Fl. Saragoza : De l’Iseum au forum d’Industria (Monteu da Po, Italie), 315

E. Boube: La mort lente du forum dans les villes des provinces hispaniques à la fin de l’Antiquité ou le symbole d’une société en cours de profonde mutation, 335