Michel, Christian: L’Académie royale de peinture et de sculpture (1648-1793). La naissance de l’Ecole Française. 424 p. 85 planches - ISBN 978-2-600-01589-9
59,81 €
(Droz, Genève 2012)
 
Compte rendu par François Fossier, Université Lyon II
 
Nombre de mots : 1107 mots
Publié en ligne le 2013-03-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1860
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          À parcourir l’abondante bibliographie de l’auteur placée à la fin du volume, on conçoit que l’histoire de l’Académie de peinture et de sculpture sous l’Ancien Régime n’a plus de secrets pour lui ; il lui a, confie-t-il dans la préface, consacré plus de trente ans de recherches, depuis sa publication de quelque trois cents lettres de Cochin en 1987 (Nouvelles archives de l’art français), suivie de celle de sa thèse, Cochin et l’art des Lumières, éditée par l’École française de Rome en 1993, jusqu’à son dernier article rédigé en 2010 pour les mélanges offerts à Maxime Préaud, sur les graveurs de l’Académie. Pareille persévérance mérite d’être saluée et il semble impossible de le faire sans évoquer la mémoire de sa mère, marraine de tant de travaux, rédactrice de beaucoup d’autres qui constituent encore des étapes fondamentales dans la connaissance de la peinture du XVIIIe siècle, bienfaitrice qui a mis, à sa mort, l’ensemble de sa documentation au service des chercheurs ; Christian Michel était donc à bonne école dans cette galerie d’art du XVIIIe que tenait sa famille depuis trois générations. À ce titre, il faut considérer le travail qu’il offre aujourd’hui comme une synthèse, à la fois de ses recherches universitaires et de sa si longue proximité avec les œuvres. La matière dont il traite est parfaitement dominée, nourrie de toutes les références souhaitables (à l’exception des travaux de son collègue, M. Alain Mérot, autre spécialiste du monde académique dans ses ouvrages sur Le Brun, sur Nation, école, foyer et surtout dans sa publication des Conférences de l’Académie, en 2003, par l’École des beaux-arts), étayée par une nouvelle publication des Conférences de l’Académie dont cinq tomes ont déjà paru (jusqu’en 1751) et de nouveau à l’ENSBA ; c’est une étrangeté bibliographique dont les raisons personnelles n’ont pas lieu d’être évoquées ici, même si elles jettent une ombre un peu gênante sur l’impartialité de l’auteur.

 

          Quoi qu’il en soit, la variété des points de vue adoptés par Christian Michel, institutionnel, politique, économique, esthétique, pédagogique, donne à son travail un singulier relief et modifie sensiblement l’idée qu’on a coutume de se faire d’une institution désuète, inutile et peuplée de médiocrités ou de domestiques du pouvoir monarchique. Ces critiques, l’auteur a pris garde de les citer abondamment, de manière à ce que, directement comparées à leur objet, elles apparaissent tantôt dans leur justesse, tantôt dans leur inanité ; du point de vue heuristique, c’est une excellente méthode, plutôt que de les avoir regroupées, comme on le fait souvent, dans un chapitre ou une partie, séparés du reste. L’autre qualité du texte est de transformer chaque anecdote, savamment choisie, en paradigme, au risque parfois de l’extrapolation, de la surinterprétation, du glissement d’une idée à une autre ou de la contradiction (notamment en ce qui concerne la compétence puis incompétence des surintendants), mais ce n’est que fugitif et n’interrompt pas la lecture. Quant au fait que la totalité de concepts ou des informations ne sont pas de première main (mais de la première main de l’auteur, antérieurement), cela va de soi ; il s’agit d’une synthèse, pas d’une recherche nouvelle et il faut plutôt savoir gré à l’auteur d’avoir tant lu, assimilé, comparé, critiqué pour arriver au point d’observation générale auquel il est parvenu ; la synthèse, même limitée à un siècle et demi, est d’autant plus louable qu’elle est rare et présente bien des dangers, la simplification, l’impasse sur les cas irréductibles, la conclusion qui tourne à la banalité du « rien de nouveau sous le soleil ». Tous ces obstacles, Christian Michel les a évités, à aucun moment il ne donne l’impression de perdre de vue le concret, le fait particulier, la discordance même. Cela peut gêner d’autant plus que son expression n’est pas toujours claire, que son style n’a peut-être pas toute la pureté voulue (anacoluthes, chiasmes involontaires, litotes incompréhensibles) et que le lecteur doit suivre, tant bien que mal, une pensée vagabonde, souvent allusive, mais pleine de rebonds. On aurait pu souhaiter également que la distribution des chapitres fût plus logique (le chap. 2 de la 1ère partie aurait mieux trouvé sa place au début de la seconde ; en revanche, les chap. 5  et 8 de la seconde se rattachent plus volontiers à la première). La dernière critique qu’impose le rôle de recenseur touche au caractère franco-français du tableau que nous brosse Christian Michel ; dix-huit pages (330-348) pour le système académique européen, c’est un peu peu ! Bien sûr, on me répondra que la nouvelle Rome était à Paris, phare, pieuvre, tyran, comme on voudra, mais une comparaison avec les anciennes académies italiennes, avec la jeune Royal Academy, aussi avec les académies artistiques qui ne s’occupaient pas de peinture ou de sculpture, aurait été la bienvenue, à moins d’adopter comme prédicat l’étrange idée que peinture et sculpture (et d’ailleurs gravure) ne puissent donner naissance qu’à une académie sui generis, en rien comparable, ni dans ses statuts, ni dans ses recrutements, ni dans ses missions à une autre ; la seconde dans les arts du dessin, celle d’architecture, n’est qu’évoquée pro forma (l’incompétence supposée des surintendants aurait alors nécessité une révision) ; quant à celle de musique, assujettie aux mêmes obligations, l’auteur n’en souffle pas mot. Sans doute n’était-ce pas son projet (il le déclare nettement d’ailleurs), peut-être des comparaisons multiples auraient-elles affaibli des conclusions qu’il souhaitait vigoureuses et en rapport avec le domaine qui était le sien. Cela n’ôte rien à l’intérêt à ce travail de réflexion qui palpite encore de juvénilité et qui en promet un autre d’excellence mature.

 

          J’en terminerai avec un regret qui s’avère être un ultime compliment pour Christian Michel. Personne n’est, à l’heure actuelle, en mesure de brosser un tableau aussi riche, animé, nourri de toutes les sources dont on peut disposer, pour le siècle qui suivit celui dont il est question ici ; l’Académie du XIXe siècle, plus vilipendée encore que celle d’Ancien Régime, pour les mêmes motifs de médiocrité, de sujétion au pouvoir, d’inutilité (voire de danger) pédagogique n’est pas près de voir son histoire écrite. Ces deux titans que furent Montaiglon et Guiffrey et qui mériteraient bien une étude, se sont arrêtés au pied de la guillotine ; seul M. Jean-Michel Leniaud, l’actuel directeur de cette École des chartes qui les avait formés, a repris le flambeau en éditant au compte-goutte les Procès-verbaux de l’Académie (et moi-même, beaucoup plus modestement la correspondance des directeurs de l’Académie de Rome... sans même de compte-goutte) : c’est bien peu dans un monde qui entasse « l’archive », mais recule devant sa publication  critique ; la réédition des Conférences de l’Académie sous l’Ancien Régime touche à son terme, l’édition princeps de celles du XIXe attendra encore des lustres, hélas.