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Compte rendu par Jacques des Courtils, Université de Bordeaux 3 Nombre de mots : 1438 mots Publié en ligne le 2015-06-30 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1875 Lien pour commander ce livre
Cet ouvrage est la publication d’une thèse soutenue à Vienne en 2010. Comme son sous-titre l’indique, il s’agit d’une étude de décoration architecturale et ce simple fait mérite d’être salué car bien peu de spécialistes ont le courage d’affronter cette discipline difficile mais qui peut s’avérer extrêmement féconde. L’auteur du présent livre a eu ce courage, réunissant et analysant un corpus de décors riche et varié qui présente tout de même une unité générale qui en justifie l’étude. Conscient des avantages autant que des dangers de cette discipline, il a procédé avec une prudence méthodologique louable, même si ses scrupules ont pour conséquence de l’amener à multiplier les précautions de méthode et, de ce fait, de rendre la lecture de son livre assez difficile.
L’ouvrage commence par des chapitres historiographiques et méthodologiques d’une grande densité dans lesquels l’auteur déclare son refus d’enfermer l’étude des décors dans la seule classification stylistique et son projet de les insérer dans la dynamique socio-culturelle de la région et de la période envisagées. Il dénonce avec justesse le recours automatique aux postulats d’hellénisation et de romanisation de l’Italie centrale, dont l’utilisation fournit une réponse toute faite avant même que les bonnes questions soient posées et confère artificiellement à cette région une homogénéité qu’elle est loin de présenter. À ces concepts trompeurs il souhaite substituer l’étude de l’évolution de l’identité propre des groupes humains, considérés dans les conditions sociales et politiques du moment.
Sur le thème vitruvien de la ratio decoris, l’auteur exprime des réserves qui prolongent les réflexions précédentes. En fait, ce concept émane des milieux intellectuels de l’hellénisme tardif et ne doit pas être pris pour argent comptant. L’auteur prône sagement un retour à la réalité archéologique. Puis, dans le chapitre 3, intitulé « Prolégomènes à la méthodologie », il revient sur la faisabilité d’une étude culturelle reposant sur celle de la décoration architecturale et expose les précautions nécessaires à un travail sérieux.
C’est le chapitre 4 qui constitue le cœur de l’ouvrage, formé par l’analyse typologique du corpus. Ce chapitre commence par l’historiographie du sujet et par des développements méthodologiques et des précisions techniques (lexique métrologie…). L’histoire de la recherche montre que c’est Mario Torelli qui a été le premier à contextualiser l’étude des monuments de style dorique d’Italie centrale. Ce savant avait conclu que la diffusion de ces monuments avait été faite par les vétérans et était donc étroitement liée à la colonisation romaine. Depuis lors, cette conclusion a été généralement acceptée. Le nombre des décors doriques, lui, s’est largement accru, appelant un réexamen de l’ensemble, que l’auteur se propose de mener en prenant en compte la métrologie mais aussi les habitudes d’ateliers que l’on peut détecter dans les diverses productions soumises à examen.
Le corps de l’analyse proprement dite est formé par deux sous-chapitres descriptifs qui sont suivis par deux sous-chapitres de synthèse. La description suit deux fils : tout d’abord une typologie de l’ensemble des décors d’entablement qui les rassemble en 7 groupes en fonction des séquences de profils (Architrave-bandeau-frise-bandeau ; zones des gouttes/architrave-bandeau-frise-bandeau etc.). Pour chaque groupe, après une description illustrée d’un schéma, on trouve une analyse chronologique et une interprétation « chorologique » qui consiste à chercher les parentés du type, qu’elles soient locales, régionales ou complètement étrangères à l’Italie (Orient méditerranéen). Un deuxième fil consiste à analyser les frises seules avec leurs particularités : les frises doriques sont réparties en deux types, chacun divisé en deux sous-types, plus quelques cas particuliers. Le sous-chapitre suivant réunit divers éléments de synthèse : chronologie et diffusion des épistyles, puis des frises, observations chronologiques et réflexions de synthèse sur la forme des frises et des ornements adventices (phiales, bucranes, etc.). Le 6e sous-chapitre présente des remarques conclusives de très grand intérêt. À travers ces analyses, on voit que la frise dorique s’introduit en Italie à partir du deuxième quart du IIe s. comme ornement de podium, couronnement d’autel ou entablement de temple. Elle est d’abord présente dans le Latium, le Samnium et au nord de la Campanie (golfe de Naples). Les métopes reçoivent de nombreux décors (rosettes, bucranes et patères).
Dans le premier tiers du Ier s., l’architecture monumentale se détourne de ce décor mais il subsiste largement dans les décors de tombes, sans attendre l’époque augustéenne. C’est d’abord un phénomène presque exclusivement propre à Rome, mais à partir du deuxième quart du siècle, le décor dorique se répand ponctuellement hors de Rome (Asculum, Bénévent, Amiternum). L’auteur remarque que le décor dorique est employé sur des monuments funéraires ostentatoires et met sa diffusion en rapport avec les changements politiques et sociaux de l’époque : elle se produit dans les territoires latins et, en dehors de ceux-ci, dans les régions où, comme la Campanie ou les territoires samnites, émerge une nouvelle élite (après les guerres sociales, ou après la colonisation syllanienne de Pompéi). On le trouve notamment sur des tombes d’affranchis, sans parler des vétérans de l’époque augustéenne qu’avait étudiés M. Torelli. Cette diffusion traduit l’éclosion d’ateliers locaux qui s’essayent à imiter, chacun dans son genre, des formes inspirées de ce qui se fait dans l’Urbs.
La deuxième moitié du Ier s. a .C. voit une diffusion de la frise dorique et des décors à connotation militaire. Toutefois l’auteur montre que ce phénomène, qui peut a priori paraître lié à l’installation des vétérans, doit être apprécié à son importance exacte : or, en nombre absolu, de tels monuments ne sont pas très nombreux et ne peuvent donc être considérés comme représentatifs d’une classe sociale complète. Leur présence est interprétée comme la consolidation sociale d’élites numériquement faibles. La thèse ancienne de M. Torelli est donc contredite avec des arguments extrêmement convaincants.
Les ateliers réalisant ce genre de commande se présentent comme des ateliers locaux stables et travaillant de façon indépendante les uns des autres. De ce fait, il ne faut pas chercher à dégager une évolution générale et linéaire qui n’existe pas : chaque atelier connaît son évolution propre, notamment dans les rapports entre la forme des monuments et leur style.
On observe la revitalisation de la frise dorique lors de l’éclosion du classicisme augustéen. La formule s’avère directement empruntée aux réalisations latines du IIe s. (temple A de Pietrabbondante, temple d’Apollon de Pompéi). Elle connaît un grand succès dans les arcs et portiques à arcades, mais ces derniers ne peuvent servir de modèles pour des tombes. Aussi leur floraison coïncide-t-elle avec la disparition de la frise dorique dans les monuments funéraires. La frise végétale va l’emporter.
Les chapitres de conclusion reprennent et approfondissent ces conclusions en insistant sur plusieurs acquis et sur plusieurs principes méthodologiques importants, parmi lesquels on mentionnera en particulier le danger de mettre trop directement en rapport des observations archéologiques avec des faits sociaux, mais aussi la malléabilité des officines locales dont l’existence est reconnue et soulignée mais dont l’homogénéité n’est pas absolue, en raison notamment de la dialectique qui nous échappe largement entre les commanditaires et les exécutants. Cette démonstration à la fois brillante et prudente est appuyée sur un corpus qui compte 209 entrées et sur une illustration photographique de très belle qualité, à laquelle s’ajoutent de nombreux tableaux (chiffres ou tableaux de dessins pour illustrer les motifs décoratifs).
Dans une forme impeccable, cet ouvrage d’une grande densité est particulièrement difficile à lire, notamment en raison d’une démarche très progressive qui fait avancer le lecteur avec une extrême lenteur au milieu d’une forêt de constatations, de concepts et de principes méthodologiques exposés de façon très dense avant même la présentation du corpus auxquels ils s’appliquent. L’analyse du corpus est elle aussi ardue, car le texte ne renvoie pas directement aux planches : il faut passer par le catalogue. Quant au catalogue, il ne mentionne pas le groupe auquel appartient chaque cas : à partir des planches il faut aller au catalogue puis retrouver le passage dans le texte pour resituer chaque exemple dans la typologie. D’une façon générale, la répartition des chapitres est peu satisfaisante et donne le sentiment d’une démarche laborieuse.
Ces défauts formels ne nuisent heureusement en rien à la solidité de la démonstration : on ne peut qu’admirer la rigueur de la classification des deux centaines de frises doriques traitées et adhérer aux conclusions de l’auteur. Ces dernières offrent une approche renouvelée de l’Italie centrale au IIe et au Ier s. a.C. et mettent en lumière la complexité des milieux locaux, accentuée par les répercussions des événements historiques graves qui ont émaillé l’époque (Guerres sociales, colonisation, révolution augustéenne). Sur le plan méthodologique, l’auteur fournit une éclatante démonstration de l’utilité des études formelles d’histoire de l’art ainsi que de la nécessité absolue de les coupler avec des études techniques sur les conditions matérielles de réalisation des œuvres considérées : un exemple à suivre !
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |