Meirion-Jones, Gwyn: La demeure seigneuriale dans l’espace Plantagenêt : salles, chambres et tours. Format : 22 X 28, 488 pages, ISBN : 978 2 7535 2113 1, 29 €
(Presses Universitaires de Rennes, Rennes 2013)
 
Reseña de Julien Noblet, Service archéologique de la ville d’Orléans
 
Número de palabras : 2138 palabras
Publicado en línea el 2015-01-23
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1896
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          Cet imposant ouvrage regroupe 22 contributions, précédées d’un avant-propos de Gwyn Meirion-Jones, relatant la genèse de ce livre, aboutissement de trente années de recherches sur la demeure seigneuriale dans le Grand-Ouest de la France et l’Angleterre, et d’une introduction à plusieurs mains. Ce travail collectif, destiné à présenter un état de la recherche et à nourrir de futurs travaux, s’intéresse à l’espace Plantagenêt qui, à défaut de posséder une architecture spécifique, fournit un cadre géographique précis. Autre limite précisée par les auteurs, le corpus s’attache principalement aux résidences aristocratiques, centres du pouvoir, qui peuvent comporter différents organes, comme le précise le sous-titre du livre, à savoir des salles, des chambres et des tours. Signalons la très grande pluridisciplinarité qui caractérise l’ensemble des travaux, croisant pour la plupart études des sources, analyses archéologiques du bâti et examens stylistiques des bâtiments retenus ; à l’inverse, les articles réunis affichent une certaine hétérogénéité, certains tendant à une approche synthétique d’un type d’habitat ou d’une région, d’autres s’orientant vers une étude monographique. Enfin, le parti pris de ne pas uniformiser la longueur des articles ou le nombre d’illustrations a permis à certains chercheurs d’approfondir réellement leur sujet, dépassant un simple état de la question.

 

          Les deux premiers articles concernent l’Angleterre : Philip Dixon s’interroge sur la réelle distinction entre une architecture du nord et du sud. Insistant sur l’appellation trompeuse de « maison saxonne », édifice comprenant deux espaces avec une entrée sur les longs côtés, qui se retrouve partout sur l’île, de même que les maisons à sol excavé, l’auteur ne perçoit de différences architecturales qu’à partir du XIIIe siècle. Ainsi dans la nord, l’apaisement des relations politiques entre l’Angleterre et l’Écosse permet-il une réduction de l’appareil défensif ; par ailleurs, il note aussi la plus grande fréquence de salles hautes bâties en pierre dans le nord et de salles de plain-pied, souvent sans étage, construites en bois dans le sud. Toutefois, ce constat reste à nuancer en fonction des découvertes archéologiques, les fouilles ayant révélé l’existence d’une architecture en bois également dans le nord du pays. Enfin, dans le sud-est prédominent les salles à nef et bas-côtés, qui donnent ensuite naissance aux base-crucks, modèle qui se diffuse dans l’ouest où il perdure, les plus anciens exemples étant datés par dendrochronologie des XVIe-XVIIIe siècles ; quant aux charpentes à crown post, elles se développent au XIIIe siècle d’abord dans le sud-est, avant de se répandre vers l’ouest au siècle suivant. Gwyn Meirion-Jones passe en revue les salles en bois, qui ont beaucoup plus retenu l’attention que celles en pierre, tant elles sont parfois ambitieuses. Il étudie en détail les grandes salles de Leicester Castle, Herefold (datée de 1179), ou du palais épiscopal de Farnham, avant de présenter des exemples de plus modestes dimensions. La grande salle des ducs de Normandie à Caen, jadis étudiée par Michel de Boüard, fait l’objet d’une analyse très approfondie par Edward Impey et John Mac Neill, qui aboutit d’une part à la certitude que l’Échiquier abritait à l’origine une salle de plain-pied, et d’autre part à une nouvelle datation grâce à une observation fine de la sculpture, les auteurs concluant que l’édifice aurait été élevé dans les années 1090, probablement par Guillaume Le Roux, et non plus par Henri Ier d’Angleterre.

 

          Jean-Claude Meuret, en couplant l’étude des sources sur une large période (XIIe-XVIIe siècles) avec les résultats de l’archéologie préventive et de la prospection aérienne, s’interroge sur les origines et les débuts du manoir en Bretagne, Maine et Anjou. Des fouilles ont démontré que certaines résidences aristocratiques furent construites en pierre dès l’époque carolingienne, avec parfois une continuité d’occupation jusqu’au Bas Moyen Âge. Par ailleurs, l’auteur questionne aussi les textes pour essayer d’entrevoir les mots et concepts qui ont désigné le manoir au début du Moyen Âge : il apparaît indubitablement que les termes castrum et castellum, mais aussi domus (au champ sémantique très large) ou herbergamentum sont largement plus usités que celui de manerium ou de motam. Gwyn Meirion-Jones, Michael Jones et Fédéric Guibal offrent à eux trois une véritable synthèse sur la résidence noble en Bretagne entre le XIe et le XVIe siècle, fruit de trente années d’études sur le terrain et de recherches en archives, éclairées par les résultats de campagnes de dendrochronologie. Il s’avère que ces demeures possèdent toutes une salle de plain-pied à charpente apparente et une chambre haute, soit la chamber-block qui constitue le minimum architectural vital pour l’aristocratie bretonne et remplace la motte et son enclos en terre. Autre élément typologique fréquemment rencontré, les logis-porches, qui disposent eux aussi d’une salle d’apparat. Enfin, l’apport de la dendrochronologie a permis de dater l’insertion des plafonds dans les salles à charpente apparente, démodées à partir du XVe siècle et transformées en un espace plus facile à chauffer et donc plus confortable, mais qui dans certains cas persisteront jusque dans les années 1660. Les mêmes caractéristiques sont repérées par David Nicolas-Méry dans la Manche, où il présente quatre études de manoirs possédant une salle basse à galerie longitudinale, organe de distribution intérieur du logis et desservi soit par un escalier droit, soit par une vis hors-œuvre annexée au logis. L’architecture du Maine est inventoriée par Gérard Bouvet, qui a ainsi recensé 61 demeures seigneuriales dans le département de la Sarthe, et 11 dans l’est de la Mayenne. À partir de ce corpus, il distingue deux types principaux de logis, adoptant soit la forme d’une tour, soit la forme d’une « salle » en bloc allongé. L’approche monographique des salles à bas-côtés du prieuré de Moullins à Saint-Rémy-du-Val (72) par Philippe Favre, du manoir de la Cour à Asnières-sur-Vègre (72) par Céline Piron et Marie-Eve Scheffer, et celle de trois autres habitats aristocratiques non châtelains par cette dernière confirment l’importance de la salle, élément commun et emblématique aux demeures seigneuriales. En Touraine, le palais épiscopal de Tours bénéficie de la lecture de Thierry Crépin-Leblond, qui s’appuie sur une étude archéologique du bâti ayant précédé la restauration du monument. L’auteur retrace les mutations architecturales subies par l’édifice, de la deuxième moitié du XIe siècle au XIIIe siècle, et le replace dans la sphère des palais épiscopaux du XIIe siècle, faisant d’intéressantes comparaisons avec ceux de Beauvais et de Troyes, pour le décor sculpté notamment, ou encore du Mans, étudié dans le présent ouvrage par Nicolas Gautier. Enfin, Thierry Crépin-Leblond, faisant remarquer que la grande salle du palais épiscopal de Tours était suffisamment vaste pour accueillir au XVe siècle les États généraux de 1468 et 1484, s’interroge sur la possible tenue du Concile de 1163, convoqué par le pape Alexandre III qui résidait à Tours, non pas dans la cathédrale, mais dans la salle neuve du palais de l’évêque. Poursuivant son raisonnement, il propose avec vraisemblance d’attribuer à l’évêque Josselin (1157-1174) la construction de la grande salle initialement sous charpente apparente. Fabienne Audebrand livre quant à elle une étude sur le logis rural de Fresnay-l’Évêque, établissement agricole dépendant de la cathédrale de Chartres. Outre la qualité insigne de la construction, l’intérêt de cette demeure disposant d’éléments de confort et d’une grande salle sous charpente apparente, est d’être parfaitement datée des années 1240-1244, fournissant ainsi un précieux et précoce jalon chronologique.

 

          L’Anjou est également l’objet de nombreux regards. Emmanuel Litoux s’intéresse à cinq résidences du roi René, notamment à leur structuration et distribution : le château de Saumur, celui d’Angers où il restitue la succession salle/chambre de parement/chambre/retrait, et de Baugé où se retrouve le même agencement, ainsi que deux résidences de campagne, La Ménitré et Rivettes ou le duc d’Anjou commande ici l’aménagement de constructions préexistantes. L’auteur met en évidence le rôle de l’architecture, en tant que support à l’élaboration d’un cadre cérémoniel fastueux ; l’existence d’un hôtel nombreux exige une dilatation des espaces résidentiels ainsi que la gradation de leur accessibilité. À l’inverse, les résidences secondaires témoignent d’une « étiquette » plus relâchée, avec une plus grande promiscuité. Avec Gaël Carré, le même auteur se livre à l’étude de la salle dans le manoir angevin, du XIIe siècle à la fin du XVe siècle, chronologie affinée par les récents apports de la dendrochronologie. Ils passent en revue les différents types de salles, celles dans les tours attestées dès le XIe siècle, ou de plain-pied montant sous charpente, ou encore hautes ou semi-hautes. La salle, marqueur social par excellence, dispose toujours d’un volume intérieur verticalement élancé, jusqu’à la mise en place de plafonds, comme en Bretagne, à partir du XVe siècle. Une salle sous charpente caractérisait aussi le manoir de Courtchamp à Chinon (37), noyau primitif auquel était accolé un bloc résidentiel, ensemble étudié par Gaël Carré. Enfin, Jean-Yves Hunot analyse les charpentes antérieures à 1450 en Anjou. Sur 26 structures datées, 21 sont à chevrons-formant-fermes ; l’auteur retrace leur évolution entre le XIIe et le XVe siècle, à savoir diminution de l’entraxe entre les fermes secondaires, mise en place progressive d’un contreventement à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle… Signalons l’apparition à la même époque de charpentes à fermes et pannes. Enfin, l’auteur n’oublie pas de s’intéresser aux appentis, lambris et planchers, offrant un panorama complet sur l’utilisation du bois dans l’habitat seigneurial angevin.

 

          Afin de compléter l’approche de la demeure aristocratique dans l’espace Plantagenêt, Alain Salamagne a recensé, entre 1350 et 1450, les mentions des termes « chambre de retrait » et « retrait » afin d’en préciser la signification. À l’issue de son étude, il apparaît que la chambre de retrait serait une pièce de repos et de détente, un filtre vers les appartements privatifs, à distinguer du retrait, désignant une « chambre aisée ». À l’appui de sa démonstration, l’auteur n’hésite pas à puiser des exemples dans le monde bourguignon, qu’il connaît bien. Michel Nassiet, se fondant sur les sources manuscrites, et notamment les inventaires, s’interroge sur les termes de salle et de chambre fréquemment rencontrés, insistant sur les problèmes terminologiques que l’un et l’autre revêtent.

 

          À la fin de l’ouvrage, un riche article de Vincent Joineau aborde la question des moulins fortifiés du sud-ouest de la France, dont il propose un premier recensement. À partir de 31 sites, l’auteur se questionne sur l’organisation spatiale de ces édifices à vocation industrielle, résidentielle et aussi défensive. Gilles Séraphin, resserrant son travail sur le Querçy, évoque les tours à contreforts enveloppants entre 1154 et 1249. Il débute son exposé par l’analyse de la tour « royale » de Saint-Émilion, édifiée entre 1224 et 1237, à laquelle il relie trois tours féodales liées au puissant lignage des Cardaillac (Luzech, Puy-l’Évêque et Saint-Cirq-Lapopie). Sa conclusion suggère que l’emploi des contreforts enveloppant les angles est une pratique régionale, dont la tour de Saint-Émilion a constitué la référence architecturale locale.

 

          Enfin, la dernière contribution, due à Pierre Garrigou Grandchamp, propose une synthèse sur l’architecture domestique et urbaine des XIIe – XIVe siècles, contrepoint final aux études sur l’architecture seigneuriale et rurale. Cette vision d’ensemble, élargie au domaine capétien et à ses marges (de Beauvais à Provins), souligne l’importante pétrification d’un bâti ancien en pierre dans des villes plutôt aujourd’hui caractérisées par des façades à pans-de-bois des XVe et XVIe siècles, comme Tours ou Rouen. Cet habitat urbain se distingue par la prépondérance du type de la maison bloc allongée en profondeur et très souvent mitoyenne à façade étroite alignée sur la rue, mais également par l’existence de tours, symbole de différenciation sociale et de richesse au sein des villes. Aujourd’hui isolées, ces tours commanditées par la classe chevaleresque, les agents du pouvoir ou des bourgeois opulents, étaient très vraisemblablement entourées à l’origine de bâtiments annexes. L’état actuel des inventaires indique que cette formule était moins répandue dans le Grand Ouest que dans le sud-ouest, ou l’est de la France, notamment la Bourgogne, la Lorraine, la Savoie ou encore le Dauphiné. La « salle », d’essence aristocratique, isolée au sein d’une parcelle se rencontre également en milieu urbain, où elle se distingue de la maison polyvalente, par l’absence d’organe à vocation économique. Enfin, la demeure urbaine, dont la façade est mise en valeur par un décor signalant le statut du propriétaire, est souvent bâtie sur des caves ou un cellier semi-enterré, espaces généralement voûtés. À l’inverse des manoirs, elle ne possède pas de chapelle ou d’oratoire ; la cuisine reste, en l’état actuel des recherches, difficile à localiser.

 

          Cet ouvrage, par la diversité des contributions, alternant synthèses et études de cas, présente aux lecteurs une formidable base de données, découlant d’études parfois anciennes mais jamais publiées. Les chercheurs disposent désormais d’une solide documentation, que des inventaires systématiques sur le terrain permettront de compléter, enrichissant ainsi nos connaissances sur la demeure seigneuriale. On regrettera juste que ce livre pèche par sa médiocre qualité éditoriale et la présence de nombreuses illustrations souvent floues ou très pixélisées.