Heck, Christian (dir.): L’allégorie dans l’art du Moyen Âge. Formes et fonctions. Héritages, créations, mutations. 431 p., 210 x 297 mm, ISBN: 978-2-503-53674-3, 85 €
(Brepols Publishers, Turnhout 2011)
 
Rezension von Frederic Dewez
 
Anzahl Wörter : 2211 Wörter
Online publiziert am 2014-01-24
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1938
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          Ce volume constitue les actes du  colloque du RILMA qui s’est tenu à Paris fin mai 2010. Le RILMA est un programme qui relève de la chaire d’iconographie médiévale de l’Institut Universitaire de France et rattaché à l’ « Institut de Recherches Historiques du Septentrion » de l’Université de Lille 3.


          De manière générale, les colloques du RILMA examinent la place occupée par les manuscrits enluminés dans l’univers artistique, historique et culturel du Moyen Âge. Comme le rappelait Christian Hecq, dans son appel à communication, le premier colloque, qui s’est tenu en octobre 2008, était centré sur les XIIe et XIIIe siècles tandis que celui de 2010 avait comme objet essentiel de repenser la question de l’allégorie de la fin de l’Antiquité jusqu’à la première moitié du XVIe.  Le cadre fixé était clair et précis : une référence à la conception théologique de l’allégorie d’une part et les prémices d’une nomenclature des formes allégoriques dans un cadre artistique et chronologique évolutif d’autre part étaient indispensables.

 

          Le volume reprend 23 contributions réparties sur 362 pages, écrites en français et en anglais. Ces contributions sont regroupées dans une organisation thématique autour de six grands axes (Formes, richesses et enjeux de l’allégorie, Entre l’église et l’Église, Entre sacré et profane, Typologies, parallèles, comparaisons, Allégories et créations littéraires, La fin du Moyen Âge : un temps de l’allégorie) afin d’inscrire les analyses de l’Allégorie dans une approche renouvelée qui se voudra la moins restrictive possible.

           

          En esquissant les formes et les enjeux de l’allégorie, la première partie trace, en quelque sorte, les contours de l’allégorie. Gilbert Dahan, en introduction de ses réflexions exégétiques,  évoque les termes récurrents de l’exégèse médiévale. Armand Strubel, quant à lui, se propose d’explorer trois grandes pistes : l’allégorie vernaculaire comme genre privilégié d’une œuvre littéraire d’abord, les spécificités de l’allégorie dans les différentes pratiques littéraires ensuite et enfin les différents rapports que l’on peut établir entre l’imagination allégorique et l’imaginaire médiéval du treizième au quinzième siècle. Herbert Kessler se penche sur les références aux métaux, essentiellement dans les textes bibliques, qu’il met en relation avec différents objets d’art, pour redéfinir la représentation allégorique de la matière.

           

          Le deuxième axe s’intéresse, quant à lui, à la manière dont certains édifices religieux ont pu s’approprier l’allégorie. Peter Kurmann, partant de la charte de fondation de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen par Jean Roussel, abbé de 1303 à 1339, pose la question de l’analogie entre la cathédrale et la Jérusalem céleste autour du « cycle d’images » que renferme l’édifice. Daniel Russo analyse le complexe des peintures à fresques dans l’église Saint-Marie-Nouvelle à Florence dans une interprétation de l’allégorie comme une utilisation des éléments concrets pour disposer un contenu autre et souvent abstrait. Cécile Voyer se penche sur les représentations personnifiées de la Synagogue  et conclut qu’elle est, en quelque sorte, une allégorie d’une période de l’histoire de la Bible inscrite dans une expression graphique typique des Bibles moralisées. Brigitte d’Hainaut-Zveny envisage un usage typique de l’allégorie au Moyen Âge : l’interprétation symbolique du rituel de la messe.  Associé aux pratiques de dévotion, ce type d’interprétation détermine le comportement des fidèles présents à l’office religieux et contribue ainsi à construire une certaine réalité. Alfred Acres, pour terminer, étudie les épisodes où le Christ est en sommeil. Il constate tout d’abord que ces épisodes apparaissent davantage dans des œuvres d’art du Moyen Âge tardif et de la Renaissance que dans les Évangiles eux-mêmes  et qu’ils mettent en perspective éclairante des épisodes de la vie du Christ que les mots n’auraient pu révéler.

 

          Dans la troisième partie, les auteurs montrent comment l’allégorie oscille entre  représentations authentique et symbolique, entre le sacré et le profane. Jacqueline Leclercq-Marx se penche sur le Physiologus au travers de deux manuscrits, le  Bruxellensis 10066-77 et le Smyrneus B.8. Elle y étudie particulièrement la figure animale qui, pour elle, a deux niveaux de sens, l’un propre parce qu’il est basé sur une réalité physique, l’autre figuré, car fondé sur une réalité davantage dissimulée. L’animal est également au centre de l’intervention de Rémy Cordonnier qui étudie l’illustration du Bestiaire et voit également dans la dimension allégorique des figures animales un double niveau  : le premier niveau « littéral » permet au lecteur d’identifier clairement et pour elles-mêmes les caractéristiques de l’animal représenté tandis que le deuxième niveau « allégorique » aide le lecteur à comprendre ce que les animaux ont à dire de Dieu  et du message biblique.  L’originalité de Rémy Cordonnier est de développer une analogie très révélatrice entre les structures d’un livre d’une part et les structures de l’allégorie d’autre part. Catherine Jolivet-Lévy nous propose une réflexion sur l’allégorie dans l’art médiobyzantin.  Au travers de la personnification, de la métaphore et enfin du procédé rhétorique de comparaison appelé Synkrisis, les artistes byzantins placent l’allégorie au service de la victoire de Byzance sur Rome et à l’assimilation de l’empereur aux quatre vertus cardinales.  Elle est aussi utilisée comme moyen de propagande impériale, mais aussi d’interprétation à l’adresse du spectateur pour lui signifier le sens caché de l’image. Cette troisième partie se termine par la contribution de Colum Hourihane qui étudie l’image du chien spécialement dans les représentations de la Passion. Il voit dans l’animal, tantôt un motif incontournable dans des scènes à caractère narratif, tantôt un pur élément de décoration. En revanche, dans les figurations de la Passion, il devient clairement une image allégorique du jugement, du devoir et de l’allégeance.

           

          Dans la quatrième section, l’allégorie est étudiée au travers d’œuvres d’art qui, a priori, ne se prêtent pas à la création de figures allégoriques. Il en est ainsi de l’art sigillaire. Marc Gil présente son analyse d’un certain nombre de sceaux, dont certains sertis d’intailles, et sa conclusion est assez éclairante : sur les nombreux moulages d’empreintes conservés aux Archives Nationales, ceux qui présentent des motifs allégoriques relèvent de l’exception. L’explication qu’il donne à cela est limpide : le message véhiculé par le sceau se devant d’être compréhensible pour son destinataire, l’allégorie s’avère trop complexe pour cet usage. L’allégorie est également intégrée dans l’illustration des manuscrits juridiques de droit romain du XIVe siècle, particulièrement ceux qui ont été enluminés à Bologne.  Maria Alessandra Bilotta retient de cet ensemble l’allégorie de la Justice illustrée dans l’ouverture du  Digestum Vetus, l’une des parties du Code Justinien et dont le but est de glorifier la justice aux yeux de tous les juristes censés être les lecteurs avertis d’un manuscrit tel que celui-là. La magie se prête également à la représentation allégorique.  Alejandro García Avilés en donne quelques exemples dans sa contribution.  Partant de la figuration des Artes Liberales sur la façade ouest de la cathédrale de Chartres et plus précisément de deux figures particulières, il explique la signification du « philosophe » et du « mage » dans le contexte plus général de la représentation, au Moyen Âge, de la magie et de ses praticiens et montre comment ces deux statues de la cathédrale sont révélatrices des changements de conception sur la magie au XIIe siècle. Martine Clouzot, enfin, pose la question des images allégoriques de la musique durant le Moyen Âge dans la mesure où les représentations allégoriques musicales sont peut-être elles-mêmes les allégories d’autres éléments comme la Nature, le Temps ou encore le Verbe. Julia Drobinsky  et Anne-Marie Barbier, dans le quatrième volet du recueil, abordent le motif allégorique dans deux œuvres littéraires, le Dit dou Vergier de Guillaume de Machaut pour l’une et l’Epistre Othea de Christine de Pizan pour l’autre.  Pour Julia Drobinsky, l’auteur, pour sa référence allégorique au travers de deux figures de l’Amour,  se base sur deux principes de structuration, l’utilisation d’attributs suffisamment significatifs d’une part et d’autre part une articulation description-moralisation indispensable à la fonction d’interprétation des symboles. Anne-Marie Barbier, quant à elle, sur la base de son analyse essentiellement des enluminures de l’incipit de l’œuvre, en arrive à la conclusion que Christine de Pizan, par l’allégorie dont elle use dans l’Epistre Othea, tente d’illustrer au mieux l’enseignement qu’elle compte offrir tout en donnant à l’image une dimension créatrice.

           

          Dans la dernière partie du volume, Laurent Hablot, se pose la question du rapport qui peut exister entre l’allégorie et l’emblème  puisqu’il semble que de nouveaux systèmes de signes qui intègrent la figuration allégorique se mettent clairement en place à la fin de Moyen Âge. Après avoir redéfini non seulement les signifiants de base de l’héraldique au Moyen Âge, mais aussi la sémiologie nouvelle de la devise,  l’auteur étudie le sens de l’allégorie de certaines devises princières, en l’occurrence celles du roi de France Charles VI et celles de son oncle Louis II de Bourbon.  Son article se termine par une brève analyse du Diptyque Wilton pour aborder la portée des devises dans le discours allégorique. Rose-Marie Ferré s’interroge sur l’originalité et l’atypisme du tombeau du roi René dans la cathédrale d’Angers.  Elle voit dans ce complexe iconographique et monumental  l’image allégorique de la mort et  celle de la finitude du corps. Pascale Charron présente un examen succinct des quelques pièces de tapisserie qui développe une iconographie des Artes Liberales, mais dans une dimension nouvelle qui met en évidence l’art et la pratique des iconographes et des concepteurs de cartons. Hervé Boëdec propose une réflexion autour d’un type d’allégorie bien précis, connu sous le nom de « fontaine de piété» : le Christ crucifié y est représenté comme source, par son sang offert, de la rédemption et des sept sacrements. Le Triptyque du Bain Mystique de Jean Bellegambe relève bien de ce type d’allégorie, essentiellement par son panneau central. Hervé Boëdec suggère que l’allégorie du tableau s’inscrit dans la structure commune d’une « fontaine de piété», mais que Bellegambe l’a transformée, la faisant passer d’une sémantique sacramentelle à une sémantique spirituelle. Cette transformation ne peut se comprendre qu’à l’aune de la destination du tableau et du milieu pour lequel il a été imaginé, l’abbaye d’Anchin. Antonella Fentech Kroke  soulève la question de l’évolution de la personnification entre la fin du Moyen Âge et le début des Temps Modernes.  Son observation de quelques exemples italiens l’amène à conclure que ce style d’allégorie subit une lente métamorphose tant dans l’expression que dans la matière. Cette ultime contribution clôt un ouvrage très bien abouti qui permet au lecteur averti d’envisager la figure allégorique dans tout ce qu’elle a de complexe, au travers de différentes pratiques.   

   

 

Table des matières

 

Christian Heck, L’allégorie dans l’art médiéval : entre l’exégèse visuelle et la rhétorique de l’image,        p.7

 

Formes, richesses et enjeux de l’allégorie

 

Gilbert Dahan, Les usages de l’allégorie dans l’exégèse médiévale de la Bible : exégèse monastique, exégèse universitaire, p.  25

Armand Strubel, L’allégorie en littérature : une fatalité ?, p.37

Herbert L. Kessler, The Eloquence of Silver : More on the Allegorization of Matter, p.49

 

Entre l’église et l’Église

 

Peter Kurmann, L’allégorie de la Jérusalem céleste et le dessin architectural à l’époque du gothique rayonnant, p. 67

Daniel Russo, Allégorie, analogie, paradigme. Étude sur la peinture de l’Église dominicaine par Andrea di Bonaiuto, à Florence, 1365/136, p.79

Cécile Voyer, L’allégorie de la Synagogue, une représentation ambivalente 
du judaïsme
, p. 95

Brigitte D’Hainaut-Zveny, L’interprétation allégorique du rituel de la messe. Raisons, modalités d’action et efficacités, p. 111 

Alfred Acres, What Happens When Christ Sleeps ?, p.125

 

Entre sacré et profane

 

Jacqueline Leclercq-Marx, L’illustration du Physiologus grec et latin, entre littéralité et réinterprétation de l’allégorie textuelle. Le cas des  manuscrits Bruxellensis 10.066-77 et Smyrneus B.8, p.141 

Rémy Cordonnier, L’illustration du Bestiaire (XIe – XIIIe siècle). Identité  allégorique et allégorie identitaire, p.157

Catherine Jolivet-Lévy, Formes et fonctions de l’allégorie dans l’art médiobyzantin, p.171

Colum Hourihane, Judge or Judged, Notes on The Dog in The Medieval Passion, p.191

 

Typologies, parallèles, comparaisons

 

Marc Gil, L’art sigillaire se prête-t-il à la production d’images allégoriques ?, p. 205

Maria Alessandra Bilotta, Formes et fonctions de l’allégorie dans l’illustration des manuscrits juridiques au XIVe siècle : quelques observations en partant des exemples italiens, p. 223 

 Alejandro García Avilés, The Philosopher and the Magician. On some medieval Allegories of Magic, p. 241

Martine Clouzot, Les allégories de la musique dans les livres peints (XIe - XVe siècle) mouvements, musicalités et temporalités d’une herméneutique, p. 253

 

 Allégories et créations littéraires

 

Julia Drobinsky, L’Amour dans l’arbre et l’Amour au cœur ouvert. Deux allégories sous
 influence visuelle dans les manuscrits de Guillaume de Machaut, p.
273

Anne-Marie Barbier, Dessein avoué et intentions voilées dans les représentations
allégoriques de l’Épistre Othea de Christine de Pizan
, p. 289

 

La fin du Moyen Âge : un temps de l’allégorie ?

 

Laurent Hablot, Emblématique et discours allégorique à la fin du Moyen Âge, p. 307

Rose-Marie Ferré, Des effets littéraires à la création monumentale : « Dire et voir autrement » la mort de soi. Le tombeau de corps du roi René à la cathédrale d’Angers, p. 321

Pascale Charron, Les Arts libéraux dans la tapisserie à la fin du Moyen Âge : entre iconographie savante et pratiques d’atelier, p. 331

Hervé Boëdec, Allégorie et spiritualité monastique au début du XVIe siècle : le Triptyque du Bain mystique de Jean Bellegambe, p. 345

Antonella Fenech Kroke, Continuité ou rupture ? Le langage de la personnification dans les arts à l’aube des Temps Modernes, p. 371

 

Présentation des auteurs, p. 387

Index général, p. 395